N° 26 – Février 2010
hère Madame,
Nous avons vu précédemment que supprimer, autant que possible, les bruits sonores pour favoriser un climat de silence et de calme est important. Toutefois, cela ne suffit pas : c’est nous-mêmes qu’il convient d’ordonner et de maîtriser, dans un premier temps par la recherche du goût du silence. Pour faire mieux, il nous appartient d’exercer nos muscles à se mettre aux ordres de l’esprit.
Les muscles volontaires sont appelés ainsi, parce qu’ils sont contrôlés par la volonté, mais lorsqu’ils n’ont pas été exercés, ils obéissent mal. Il faut, en conséquence, leur imposer un entraînement systématique. c’est ce qu’on apprend aux enfants dès les petites classes (maternelle-CP) et après aussi, par des mouvements coordonnés, rythmés, mimés et accompagnés de chants quand c’est possible. Tous les muscles sont alors assujettis avec mesure : cela les détend ainsi que les nerfs. Un petit chant bien rythmé, chanté à voix basse (léger et non crié ou hurlé = excitation) agit comme une incantation ; il calme la pensée et prédispose au silence.
Ces petits exercices du corps sont très importants pour l’assouplissement des muscles, car trop d’enfants semblent « las » de se tenir debout, quel que soit le lieu, sans s’appuyer à un mur, à un meuble ; ils sont sur une jambe, puis sur l’autre, croisent les jambes (situation déstabilisante pour la colonne vertébrale….). L’immobilité même d’un court instant paraît impossible. Ces tenues montrent un manque à la base. Ne néglige-t-on pas de les corriger doucement et patiemment ?
Toujours reprendre, toujours répéter la même chose : quelle mortification pour l’adulte… mais que de fruits positifs en sortiront si cette mortification est bien comprise. C’est en cela que réside aussi « l’éducation » : « répéter les mêmes choses sans se lasser. »
Après avoir assoupli les muscles par des exercices quotidiens, on peut entraîner l’enfant à marcher légèrement et sans précipitation inutile, à fermer une porte sans la claquer, à déplacer une chaise sans la heurter, à poser un objet sans faire de bruit. Un petit pas de plus chaque jour, et le voilà capable de se tenir debout, droit, immobile ou à genoux, de faire une génuflexion correcte et respectueuse (en pensant à Celui auquel elle s’adresse). Du coup, le corps devient auxiliaire de l’âme dans son effort de s’élever à Dieu par la prière. Car, prier n’est pas autre chose que d’être attentif à Dieu. Comment cette attention se concrétiserait-elle sinon par l’effort de tenue ? L’attitude corporelle symbolise alors l’attitude de l’esprit. C’est pourquoi, la première chose que l’on doit apprendre au tout petit quand il vient à l’église et à la Messe, c’est de bien se tenir. Le respect du lieu est déjà en lui-même une première prière. Que de négligences sur ce point à l’heure actuelle ! Et que de mauvais exemples l’adulte donne parfois à l’enfant !
Mais si vous exigez de lui de bien se tenir, si vous vous fâchez et le reprenez sans cesse, sans lui avoir montré par étape, comme je vous l’ai expliqué plus haut, vous l’exciterez, vous l’énerverez, et vous n’arriverez à rien, si ce n’est qu’à vous fatiguer inutilement et de vous étonner de « sa désobéissance ». Mais non ! il fallait y aller progressivement : tel est l’art d’éduquer.
Une erreur serait de penser que « silence » équivaut à « se taire ». C’est confondre deux termes en les prenant pour des synonymes : silence = mutisme ; c’est ce qu’on cherche à obtenir quand, dans un vacarme, on crie : « silence ! » d’un ton autoritaire. Dans ce cas, le mot « silence » s’associe dans la mémoire au ton autoritaire, à la voix perçante …de la maman.
Le mutisme imposé est une violence obtenue par l’oppression du plus faible par le plus fort ; en quelque sorte une mesure disciplinaire. Il ne s’agit nullement de cela.
Le silence, au contraire exclut le bruit, mais s’allie volontiers à la parole. Portée par une voix douce, respectueuse de la tranquillité d’autrui, la parole ne trouble pas le silence : elle l’anime et le met en valeur. Comment cela ? Parce que le silence est fait d’attention, de bienveillance, d’amitié et de bonté.
Il y a lieu d’apprendre à l’enfant à parler, non pas pour le plaisir de faire du bruit et de se faire remarquer, mais pour entrer en contact avec un autre, et cette première personne c’est vous, sa maman. Cette première communication est donc importante : soyez présente à cette évolution du tout petit, et ne le faites pas dévier, parce que vous vous jouez de lui ; ce qui serait la première déformation (comme de rire systématiquement de ses bêtises, l’encourageant, par le fait même, à continuer de plus belle).
Donc, ne confondons pas silence et mutisme : ils s’excluent. Les moines sont silencieux, mais ils ne sont pas muets : ils passent de longues heures à parler à Dieu en récitant des psaumes. Une maison est silencieuse non pas quand elle est déserte, mais quand elle palpite d’une vie consciente soumise à l’esprit. « Tibi silentium laus » (psaume 65 dans la traduction de saint Jérôme) : « Je vous loue partout dans le silence ».
Il y a donc un temps pour se taire, un autre pour communiquer. L’être humain est sociable et l’enfant doit apprendre à « bien vivre » en société par la connaissance progressive des règles à observer par tous. C’est l’ordre qui fait répandre autour de nous la paix, laquelle permet à Dieu de régner parmi les siens.
Chère Madame, pour donner à votre enfant ce goût et cet amour de ce silence bien compris, peut-être serait-il bon d’observer le ton de votre voix dans certaines circonstances. Votre voix est la première éducatrice de l’oreille de votre enfant. A son diapason naturel, la voix est mélodieuse. Si on la force, elle devient dure ou stridente. Celle du petit enfant a, en général, un timbre argenté, délicieux à l’oreille, mais elle demeure peu de temps, car si vous n’y prenez pas garde vous risquez de ne connaître que la voix « faussée » de l’enfant habitué à parler fort, voire même à crier et à hurler.
Chuchoter est aussi mauvais pour les cordes vocales que crier, mais parler sur un ton naturel ne fatigue pas ; on peut faire la lecture à haute voix en racontant une histoire à son enfant pour l’endormir en l’apaisant, et cela sans fatigue, si on garde ce ton naturel.
A l’inverse, la voix criarde provoque une réaction de défense et incite à la révolte. Un petit de quatre ans disait un jour à sa maman : « Si tu cries, je ne peux pas t’obéir. En classe, Mademoiselle ne crie jamais, alors j’obéis. » N’est-ce pas significatif ?
De son serviteur Dieu dit : « Il ne criera pas et n’élèvera pas le ton de sa voix. » (Isaïe 42,2).
Si donc le ton de la voix a une telle influence sur l’enfant, notamment dans son comportement, il importe particulièrement d’y porter attention. Il y a plusieurs étapes. En premier, quand la maman parle à son enfant de Dieu, prie avec lui, lui raconte la vie de Jésus – car celui qui écoute, n’est pas un être désincarné – ses oreilles transmettent à son âme des impressions qui influent sur sa disposition spirituelle. Ainsi, pour amener l’enfant au recueillement, il faut éviter que l’oreille ne soit heurtée par un ton de voix qui ne serait pas essentiellement respectueux. Le volume du son, le rythme, la modulation, la prononciation ont tous leur importance. La voix doit être mise en sourdine et pour qu’elle porte au loin il faut très bien articuler. La modulation doit être sobre : on ne lit pas l’Histoire Sainte ou la vie de Jésus, par exemple, comme un récit d’aventures. La voix doit presque se faire oublier pour que l’attention de l’enfant soit uniquement orientée vers Dieu. Cette manière de faire connaître Jésus et d’enseigner le catéchisme à la maison, portera ses fruits à la Messe du dimanche. Le respect de l’enfant vis-à-vis de Dieu doit être pratiqué durant toute la semaine : c’est la vie chrétienne au quotidien.
Retenons ceci que pour transmettre la Parole de Dieu, il faut une voix silencieuse. Dieu ne parle pas et n’agit pas dans le bruit. L’atmosphère de Dieu, c’est le silence. Ce silence bien compris émerveille naturellement l’enfant et le met en contact avec le mystère qui entoure Dieu. Il ne faut pas détruire cet émerveillement de l’enfant devant le mystère. C’est ce que l’adulte fait par sa volubilité parfois excessive. Le monde soûlé et étourdi par le bruit abîme les facultés de l’enfant. Protégeons-le afin qu’il puisse remonter vers Dieu, « Notre Père des cieux ».
En attendant la prochaine lettre qui traitera de ce même sujet mais dans un autre domaine, que la Vierge Marie, modèle de douceur et de silence, vous aide à l’imiter.
(à suivre)
Une Religieuse.