Cette lettre exhortant le roi de Sardaigne à ne pas donner sa sanction au projet de loi de mariage civil est citée comme source de la proposition condamnée n° 73 du Syllabus :
Par la force du contrat purement civil, un vrai mariage peut exister entre chrétiens ; et il est faux, ou que le contrat de mariage entre chrétiens soit toujours un sacrement, ou que ce contrat soit nul en dehors du sacrement
Proposition condamnée n° 73
À Sa Majesté le Roi de Sardaigne
Castelgandolfo, ce 19 septembre 1852.
La lettre en date du 25 juillet dernier que Votre Majesté Nous a fait remettre, à l’occasion d’une autre lettre que Nous lui avions adressée, a donné à Notre cœur des motifs de consolation ; car Nous y avons vu une demande faite par un souverain catholique au Chef de l’Eglise dans la question si grave du projet de loi sur les Mariages civils. Cette preuve de respect envers notre sainte religion que Nous donne Votre Majesté, témoigne d’une manière éclatante du glorieux héritage que lui ont transmis ses augustes aïeux : Nous voulons dire l’amour pour la foi qu’ils professaient, et qui Nous inspire la ferme confiance que Votre Majesté saura en conserver le dépôt dans toute sa pureté, pour l’avantage de tous ses sujets et malgré la perversité des temps présents.
Cette lettre de Votre Majesté Nous engage à remplir les devoirs de Notre ministère apostolique, en lui adressant une réponse franche et décisive ; Nous le faisons d’autant plus volontiers que Votre Majesté Nous donne l’assurance qu’elle tiendra grand compte de cette réponse.
Sans entrer dans la discussion de ce que contiennent les écrits des ministres royaux que Votre Majesté Nous a fait adresser, et où l’on prétend faire tout à la fois l’apologie de la loi du 9 avril 1850 et celle du projet de loi sur le Mariage civil, représentant cette dernière comme une conséquence des engagements pris par la publication de la première ; sans faire observer que l’on fait cette apologie au moment où se trouvent pendantes les négociations commencées pour la conciliation avec les droits de l’Eglise violés par ces lois ; sans qualifier certains principes formulés dans ces écrits, et qui sont manifestement contraires à la sainte discipline de l’Église, Nous Nous proposons seulement d’exposer, avec la brièveté qu’exigent les limites d’une lettre, quelle est sur le point en question la doctrine catholique. Votre Majesté trouvera dans cette doctrine tout ce qui est nécessaire pour qu’une affaire aussi importante soit terminée conformément aux règles. Nous sommes d’autant plus convaincu de pouvoir obtenir ce résultat, que les ministres de Votre Majesté ont déclaré qu’ils ne consentiraient jamais à faire une proposition contraire aux préceptes de la religion, quelles que puissent être les opinions dominantes.
C’est un dogme de foi que le Mariage a été élevé par Jésus-Christ Notre-Seigneur à la dignité de sacrement, et c’est un point de la doctrine de l’Église catholique que le sacrement n’est pas une qualité accidentelle surajoutée au contrat, mais qu’il est de l’essence même du Mariage, de telle sorte que l’union conjugale entre des chrétiens n’est légitime que dans le Mariage-sacrement, hors duquel il n’y a qu’un pur concubinage.
Une loi civile qui, supposant le sacrement divisible du contrat de Mariage pour des catholiques, prétend en régler la validité, contredit la doctrine de l’Eglise, usurpe ses droits inaliénables, et, dans la pratique, met sur le même rang le concubinage et le sacrement de Mariage, en les sanctionnant l’un et l’autre comme également légitimes.
La doctrine de l’Eglise ne serait pas sauve et les droits de l’Eglise ne seraient pas suffisamment garantis par l’adoption, à la suite de la discussion qui doit avoir lieu au Sénat, des deux conditions indiquées par les ministres de Votre Majesté, savoir : 1° que la loi reconnaîtra comme valides les Mariages célébrés régulièrement devant l’Eglise, et 2° que, lorsqu’un Mariage dont l’Église ne reconnaît pas la validité aura été célébré, celle des deux parties qui voudrait plus tard se conformer aux préceptes de l’Eglise ne sera pas tenue de persévérer dans une cohabitation condamnée par la religion.
Quant à la première condition, ou l’on entend par Mariages valides les Mariages régulièrement célébrés devant l’Eglise, et, dans ce cas, non seulement la distinction de la loi serait superflue, mais il y aurait une véritable usurpation sur le pouvoir légitime, si la loi civile prétendait connaître et juger des cas où le sacrement de Mariage a été ou n’a pas été célébré régulièrement devant l’Eglise : ou bien on entend par Mariages valides devant l’Église les seuls Mariages contractés régulièrement c’est-à-dire conformément aux lois civiles, et, dans cette hypothèse, on est encore conduit à la violation d’un droit qui est exclusivement de la compétence de l’Église.
Quant à la deuxième condition, en laissant à l’une des deux parties la liberté de ne pas persévérer dans une cohabitation illicite, attendu la nullité du Mariage qui n’aurait été célébré ni devant l’Eglise ni conformément à ses lois, on n’en laisserait pas moins subsister comme légitime devant le pouvoir civil une union condamnée par la religion.
Au reste, les deux conditions ne détruisent ni l’une ni l’autre la supposition que le projet de loi prend pour point de départ dans toutes ses dispositions, savoir : que dans le Mariage le sacrement est séparé du contrat, et, par cela même, elles laissent subsister l’opposition déjà indiquée entre ce projet de loi et la doctrine de l’Église sur le Mariage.
Que César, gardant ce qui est à César, laisse à l’Eglise ce qui est à l’Eglise : il n’y a pas d’autre moyen de conciliation. Que le pouvoir civil dispose des effets civils qui dérivent du Mariage, mais qu’il laisse l’Église régler la validité du Mariage même entre chrétiens. Que la loi civile prenne pour point de départ la validité ou l’invalidité du Mariage comme l’Église les détermine, et, partant de ce fait, qu’elle ne peut pas constituer (cela est hors de sa sphère), qu’elle en règle les effets civils.
La lettre de Votre Majesté Nous engage encore à donner des éclaircissements sur quelques autres propositions que Nous avons remarquées. Et d’abord, Votre Majesté dit avoir appris, par un canal qu’elle doit croire officiel, que Nous n’avons pas regardé comme nuisible à l’Église la présentation de la loi susdite. Nous avons voulu Nous entretenir sur ce point, avant son départ de Rome, avec le ministre de Votre Majesté, le comte Bertone. Il Nous a assuré, sur l’honneur, qu’il s’était borné uniquement à écrire aux ministres de Votre Majesté que le Pape ne pourrait rien opposer si, tout en conservant au sacrement tous ses droits sacrés et la liberté à laquelle il a droit, on faisait des lois relatives exclusivement aux effets civils du Mariage.
Votre Majesté ajoute que les lois sur le Mariage, qui sont en vigueur dans certains États limitrophes du royaume du Piémont, n’ont pas empêché le Saint-Siège de regarder ces États d’un œil de bienveillance et d’amour. A ceci Nous répondrons que le Saint-Siège n’est jamais demeuré indiffèrent aux faits que l’on cite, et qu’il a toujours réclamé contre ces lois depuis le moment où leur existence lui a été connue ; les documents où sont consignées les remontrances faites à ce sujet se conservent encore dans Nos archives. Cela ne l’a jamais empêché cependant, et cela ne l’empêchera jamais d’aimer les catholiques des nations qui ont été contraintes de se soumettre aux exigences des lois susdites. Devrions-Nous cesser d’aimer les catholiques du royaume de Votre Majesté s’ils se trouvaient dans la dure nécessité de subir la loi en discussion ? Assurément non ! Nous dirons plus : les sentiments de charité envers Votre Majesté devraient-ils s’éteindre en Nous si, ce qu’à Dieu ne plaise, elle se trouvait entraînée à revêtir cette loi de sa sanction royale ? Notre charité redoublerait, au contraire, et ce serait avec une ardeur encore plus grande que Nous adresserions à Dieu de ferventes prières, le suppliant de ne pas retirer de dessus la tête de Votre Majesté sa main toute-puissante, et de daigner lui accorder plus abondamment que jamais le secours des lumières et des inspirations de sa grâce.
Il Nous est cependant impossible de ne pas comprendre dans toute son étendue le devoir qui Nous est imposé, de prévenir le mal autant que cela dépend de Nous, et Nous déclarons à Votre Majesté que si le Saint-Siège a déjà réclamé en diverses occasions contre les lois de cette nature, il est aujourd’hui plus que jamais obligé de réclamer encore vis-à-vis du Piémont et de donner à ces réclamations la forme la plus solennelle, et cela précisément parce que le ministère de Votre Majesté invoque l’exemple des autres Etats, exemple funeste dont c’est Notre devoir d’empêcher l’imitation, et aussi parce que, le moment choisi pour préparer l’établissement de cette loi étant celui où des négociations sont ouvertes pour le règlement d’autres affaires, cette circonstance pourrait donner lieu de supposer qu’il y a en cela quelque connivence de la part du Saint-Siège. Une telle détermination Nous sera véritablement douloureuse. Mais Nous ne pourrons en aucune manière Nous décharger de ce devoir devant Dieu, qui Nous a confié le gouvernement de l’Eglise et la garde de ses droits. En faisant disparaître la cause qui Nous oblige à le remplir, Votre Majesté pourrait Nous apporter un grand soulagement, et une seule parole d’Elle sur ce point mettrait le comble à la consolation que Nous avons éprouvée lorsqu’Elle s’est adressée directement à Nous. Plus la réponse de Votre Majesté sera prompte, plus elle sera douce à Notre cœur, car elle viendra le délivrer d’une pensée qui l’accable, mais que Nous serons cependant contraint de réaliser dans toute son étendue quand un devoir de conscience exigera rigoureusement de Nous cet acte solennel.
Il Nous reste maintenant à lever l’équivoque qui trompe Votre Majesté en ce qui touche l’administration du diocèse de Turin. Pour éviter des longueurs superflues, Nous Nous contenterons de prier Votre Majesté d’avoir la patience de lire les deux lettres que Nous lui avons adressées sous les dates des 7 septembre et 9 novembre 1849. Le ministre de Votre Majesté à Rome, qui se trouve aujourd’hui à Turin, pourra lui rapporter à ce sujet une réflexion qu’il a entendue de Notre bouche, et que Nous rappellerons ici en toute simplicité. Ce ministre insistant pour la nomination d’un administrateur dans le diocèse de Turin, Nous lui fîmes observer que le ministre piémontais, en prenant la responsabilité de l’incarcération et de l’exil, si dignes de réprobation, de monseigneur l’Archevêque de Turin, avait obtenu un résultat que probablement il ne se proposait pas, ces mesures ayant rendu ce prélat l’objet des sympathies et de la vénération d’une si grande partie du catholicisme, qui s’est plu à les manifester en tant de manières. Il s’ensuit que Nous sommes aujourd’hui dans l’impossibilité de paraître Nous mettre en opposition avec ce sentiment d’admiration exprimé par le monde catholique, en privant monseigneur l’Archevêque de Turin de l’administration de son diocèse.
Nous terminerons en répondant à la dernière observation que Nous fait Votre Majesté. On accuse une partie du clergé catholique piémontais de faire la guerre au gouvernement de Votre Majesté et de pousser ses sujets à la révolte contre Elle et contre ses lois. Une telle accusation Nous paraîtrait invraisemblable si elle n’était formulée par Votre Majesté, qui assure avoir en main les documents par lesquels elle est justifiée. Nous regrettons de n’avoir aucune connaissance de ces documents et de Nous trouver ainsi dans l’impossibilité de savoir quels sont les membres du clergé qui donnent les mains à la détestable entreprise d’une révolution en Piémont. Cette ignorance ne Nous permet pas de les punir. Toutefois, si par les mots excitation à la révolte ou voulait parler des écrits que le clergé piémontais a fait paraître pour s’opposer au projet de loi sur le Mariage, Nous dirons, tout en faisant abstraction de la manière dont quelques-uns auront pu s’y prendre, qu’en cela le clergé a fait son devoir. Nous écrivons à Votre Majesté que la loi n’est pas catholique. Or, si la loi n’est pas catholique, le clergé est obligé d’en prévenir les fidèles, dût-il, en le faisant, s’exposer aux plus grands dangers. Majesté, c’est au nom de Jésus-Christ, dont, malgré Notre indignité, Nous sommes le Vicaire, que Nous vous parlons, et Nous vous disons en son nom sacré de ne pas donner votre sanction à cette loi, qui sera la source de mille désordres.
Nous prions aussi Votre Majesté de vouloir bien ordonner qu’un frein soit mis à la presse, qui regorge continuellement de blasphèmes et d’immoralités. Ah ! de grâce ! par pitié, mon Dieu, que ces péchés ne retombent point sur celui qui, en ayant la puissance, ne voudrait pas mettre obstacle à la cause qui les produit ! Votre Majesté se plaint du clergé ; mais ce clergé a été, dans ces dernières années, persévéramment outragé, moqué, calomnié, livré à l’opprobre et à la dérision par presque tous les journaux qui s’impriment dans le Piémont ; on ne saurait redire toutes les infamies, toutes les invectives haineuses répandues contre lui. Et maintenant, parce qu’il défend la pureté de la foi et les principes de la vertu, il doit encourir la disgrâce de Votre Majesté ! Nous ne pouvons le croire et Nous Nous abandonnons de tout cœur à l’espérance de voir Votre Majesté soutenir les droits, protéger les ministres de l’Eglise, et délivrer son peuple du joug de ces lois qui attestent la décadence de la religion et de la moralité dans les Etats qui ont à les subir.
Plein de cette confiance, Nous élevons les mains au ciel, priant la très sainte Trinité de faire descendre la Bénédiction apostolique sur la personne auguste de Votre Majesté et sur toute sa royale famille.
PIE IX, PAPE.
La VIIe année de notre Pontificat.
Source : Recueil des allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques citées dans l’encyclique et le Syllabus, Librairie Adrien Le Clere, Paris, 1865.