Vous serez appelé Céphas, c’est-​à-​dire Pierre

Le Christ et ses disciples saint Pierre, saint Jacques et saint Jean. Crédit : Julian Kumar / Godong

André, le frère de Simon Pierre était un des deux qui avaient enten­du les paroles de Jean-​Baptiste et qui l’avaient sui­vi, pour­suit l’évangile de saint Jean. Et ayant trou­vé en pre­mier son frère Simon, il lui dit, « Nous avons trou­vé le Messie ». Il l’amena à Jésus et Jésus arrê­tant son regard sur lui, dit : « Vous êtes Simon, fils de Jean ; vous serez appe­lé Céphas, c’est-à-dire Pierre. »

Et Simon ne dit rien. La scène est impres­sion­nante. C’est la grâce qui vient d’ouvrir les yeux de son esprit pour les rendre capables de voir qui lui parle en cet ins­tant. C’est la grâce qui a tou­ché son cœur et l’a ren­du sen­sible à l’influence des charmes mer­veilleux de la Beauté du Christ. 

Nous avons un peu de peine à nous figu­rer l’extraordinaire ascen­dant du divin Maître : une sorte de magné­tisme qui émane de toute sa per­sonne et qui explique à la fois cette auto­ri­té qui change le nom de Simon et cette atti­rance qui sub­jugue Pierre.

D’abord son auto­ri­té… Il a suf­fi que son regard se pose sur Simon. Les mots qui vont suivre, le nou­veau nom qu’il lui donne dès la pre­mière ren­contre, implique un pro­gramme arrê­té que le Christ réa­lise… Simon, tu seras la pierre, sur laquelle je vais bâtir mon Église. Dès le prin­cipe Jésus sait où il va, sait ce qu’il fait. Il ne subit pas les évè­ne­ments… sauf pour une seule fois, lorsque Notre Dame anti­ci­pe­ra à Cana son heure. Mais elle est désor­mais la Femme.

La parole de Jésus entraîne, retourne son inter­lo­cu­teur. Au roi­te­let habi­tant Capharnaüm, cet offi­cier atta­ché à Hérode, venu le trou­ver pour qu’il impose en hâte les mains sur son fils malade, Jésus répond le regar­dant : Va, ton fils reprend vie. Et cet habi­tué au com­man­de­ment acquiesce… il croit, nous dit tout sim­ple­ment l’Évangile.

Depuis le temple, où, après trois jours de recherche, ses parents le retrou­vèrent au milieu des doc­teurs, jusqu’au tri­bu­nal, où, pri­son­nier et enchaî­né, il impose par ses silences tant de gran­deur, si bien que Pilate lui deman­de­ra, non sans effroi, D’où es-​tu ? Notre Seigneur impres­sionne. Quel homme put jamais, par son seul pres­tige, faire sur­gir pareille ques­tion dans un esprit humain ?

Dieu le Père et moi, nous ne fai­sons qu’un. Ce char­pen­tier d’hier, quelle pré­ten­tion, pour­rait pen­ser le scep­tique ! Mais per­sonne ne s’en avise. Il y a une telle auto­ri­té dans cet homme aux habits si simples, qu’il obtient de ceux qui par­ta­ge­ront sa vie, avec qui ils man­ge­ront et dor­mi­ront, la recon­nais­sance de sa divi­ni­té. Vraiment cet homme était le Fils de Dieu, recon­naî­tra in extre­mis celui qui trans­per­ce­ra son côté.

L’attirance ensuite… Non seule­ment Jésus en impose, mais Jésus attire. On le voit constam­ment entou­ré. Beaucoup sont menés par l’intérêt ; ils viennent sol­li­ci­ter le gué­ris­seur, pour eux, pour des proches. Mais beau­coup – des foules – sont là par amour. Tels ceux des bourgs de Samarie, comme de Galilée, qui veulent le rete­nir, le gar­der sous leurs yeux. Tels ceux qui le suivent à tra­vers les déserts trois jours durant, oublieux de leur sub­sis­tance… pour l’entendre ! Quoique la morale qu’il prêche soit la plus dure, sa mys­tique la plus haute qu’oreilles humaines aient enten­dues. Les bre­bis recon­naissent leur ber­ger à sa voix, et le suivent, dit-​il en par­lant de lui, et de son pou­voir sur les cœurs.

Cet attrait puis­sant ne se borne pas à gagner l’affection de ses dis­ciples, il trans­forme toute leur vie. Jésus prêche le devoir dans son inté­gri­té. Cet ensei­gne­ment que nul homme n’avait encore pu don­ner, et pour cause, on l’accepte de lui doci­le­ment. Et puis la réa­li­sa­tion par­faite qu’il en donne lui-​même exerce un véri­table entrai­ne­ment. Ainsi, par la parole et par l’exemple, il conduit les âmes insen­si­ble­ment au-​delà d’elles-mêmes, jusqu’à l’imitation de Dieu même, l’idéal de notre vie.

L’expérience de cet attrait et de cette auto­ri­té du Christ n’est-elle réser­vée qu’aux hommes de l’évangile ? Les âmes qui cherchent vrai­ment Dieu, aper­çoivent de temps en temps, des véri­tés qu’ils n’avaient encore jamais vues ou qu’ils pen­saient avoir com­prises, ou sur les­quelles leur atten­tion ne s’était jamais arrê­tée ; et tout d’un coup, ces véri­tés se dressent devant eux comme dans un appel irré­sis­tible… des véri­tés qui bou­le­versent une vie, qui impliquent des devoirs et réclament obéis­sance. C’est de cette façon, ou d’autres sem­blables, que le Christ nous appelle. Rien de mira­cu­leux ou d’éclatant… ce n’est bien sou­vent que dans le silence d’une prière que cette pré­sence se mani­feste. Il nous faut cela pour nous aper­ce­voir que cet appel du Christ se réa­lise tous les jours, aujourd’hui comme autre­fois, comme s’il mar­chait encore au milieu de nous. En fait, c’est la foi qui nous fait défaut… Nous n’avons plus d’yeux pour voir le Maître… Nous en sommes à croire que ce n’est pas pour nous, que c’était bon au temps des Apôtres.

Pourtant, c’est le même regard qui s’est por­té autre­fois sur Simon, qui se porte sur nous. C’est tou­jours ce divin regard qui nous découvre ce que recouvrent les dehors peut-​être assez médiocres de nos vies. Car les appa­rences ne comptent pas pour Dieu. Pour Jésus, en ce jour, ce Galiléen simple et un peu fruste, assez sem­blable aux autres au pre­mier abord, ce n’est pas seule­ment cette nature riche de pos­si­bi­li­tés, capable de se don­ner sans réserve jusqu’à deve­nir la pierre solide qui confor­te­ra tous ses frères… C’est l’homme en qui il peut, à un degré unique, s’incarner et y répandre sa Vérité et son Amour.