Dieu est Charité

St Jean-Baptiste annonce la venue de l'Agneau de Dieu, cathédrale de Jerez, Espagne. Crédits photo : Philippe Lissac / Godong

« Ecce Agnus Dei. » 

A ces mots, nous dit saint Jean, ils le sui­virent. Pourtant, il ne nous donne qu’un seul nom, André. Mais à la lec­ture des détails, nous com­pre­nons bien que saint Jean fai­sait par­tie de l’aventure. Et pour la pre­mière fois, celui que Jésus aime cache son identité.

Ce qui se passe dans une âme amou­reuse est bien mys­té­rieux. Les sou­ve­nirs de la pre­mière ren­contre de l’aimé sont épi­so­diques mais tel­le­ment pré­cis. C’est un sou­ve­nir qui marque défi­ni­ti­ve­ment, une atti­tude, un lieu, un mot… c’est un moment. C’est ce que nous retrou­vons dans le récit si simple et si détaillé de l’évangile, mais où passe le fré­mis­se­ment conte­nu d’une pre­mière ren­contre avec quelqu’un qui fait bas­cu­ler votre vie : c’était à cet endroit, sur les bords du Jourdain, à la dixième heure, Jésus pas­sait. Nous avons l’impression de voir sa sil­houette, nous enten­dons le Baptiste par­ler. Jean se sou­vient de tout. Comment ne pourrait-​il pas se sou­ve­nir de tous ces détails, celui que Jésus aimait ?

Saint Jean-​Baptiste annonce la venue de l’Agneau de Dieu, cathé­drale de Jerez, Espagne. 

Il ne s’agissait pas d’un amour humain, comme celui d’un simple dis­ciple qui s’attache à son maître, ou comme celui de l’époux qui ren­contre pour la pre­mière fois son épouse. L’amour humain naît de la bon­té d’une per­sonne, d’un objet. Cette bon­té est l’expression d’une cer­taine res­sem­blance, d’une cer­taine pro­por­tion. Celui qui aime se retrouve en celui qu’il aime, et il sort de lui-​même pour s’attacher à cet autre qui l’élève, le complète.

L’amour chré­tien, est tout autre, c’est une réponse. C’est un amour de retour de la part de l’homme à un amour pre­mier, l’amour de Dieu, qui le pré­cède, le jus­ti­fie, qui lui donne toute son impul­sion. « Et nous, nous avons cru en la Charité », écri­ra dans son épître saint Jean. C’est bien le mot Charité qu’il faut pro­non­cer quand on parle de l’amour chré­tien. Il le faut pour évi­ter la confu­sion avec l’amour humain, limi­té à la bon­té créée. C’est évi­ter de pen­ser que Dieu est à notre por­tée comme s’il était à notre disposition.

« Dieu est Charité », nous dira encore celui que Jésus aimait. Lorsqu’il parle ain­si de Dieu, il ne fait pas de la Charité un attri­but divin. La Charité, cet amour pre­mier est la sub­stance même de Dieu. Si, par anthro­po­mor­phisme, celui qui a vu le sacré Cœur trans­per­cé nous le mon­tre­ra ten­dresse ou com­pas­sion, atten­tion ou pré­ve­nance, jalou­sie ou misé­ri­corde, il fau­dra tou­jours le com­prendre comme il l’a com­pris : radi­ca­le­ment autre d’un amour humain, d’une toute autre nature, d’une autre dimen­sion, infi­ni­ment incom­pré­hen­sible et injus­ti­fiable. Parce Dieu est Charité, et Il est Charité parce qu’Il est Dieu.

On ne doit pas confondre l’amour humain qui s’exprime diver­se­ment en ten­dresse ou com­pas­sion, avec le véri­table amour pour Dieu. La Charité de Dieu n’est don­née à l’homme que par grâce, sans aucune consi­dé­ra­tion de ses mérites per­son­nels ou de ses qua­li­tés morales. Il y a quelque chose de natu­rel et de non-​naturel dans l’amour chré­tien. Et si, comme le disait jus­te­ment saint François de Sales, « Dieu est Dieu du cœur humain », seule la grâce peut conver­tir l’amour en Charité. Tout amour, si humain ou trop humain qu’il soit, chante déses­pé­ré­ment une grâce absente et ori­gi­nelle dont il garde la nostalgie.

Les deux dis­ciples enten­dirent celui qui par­lait et ils sui­virent Jésus.

Aussi sim­ple­ment que ça… ils sui­virent Jésus.