Bienheureux Jean Duns Scot

Frère Mineur (1274–1308).
Fête le 8 novembre.

Nous sommes peu ren­sei­gnés sur la bio­gra­phie pro­pre­ment dite de ce grand Docteur, dont se glo­ri­fie à juste titre l’Ordre fran­cis­cain ; et, mal­gré les innom­brables études qui lui ont été consa­crées, de nom­breuses incer­ti­tudes sub­sistent encore sur les points impor­tants de sa vie, tels que le lieu et la date de sa nais­sance et son nom de famille. A vrai dire, la briè­ve­té même de la car­rière de Jean Duns Scot, car­rière toute consa­crée à l’étude et à l’enseignement de la phi­lo­so­phie et de la théo­lo­gie, ne laisse guère de place aux évé­ne­ments exté­rieurs. La légende y a insé­ré quelques traits mer­veilleux qu’on ne sau­rait pour­tant reje­ter comme invrai­sem­blables ; elle en a défor­mé d’autres que le simple bon sens ne par­vient pas tou­jours à rectifier.

Quoi qu’il en soit, le nombre et l’importance de ses ouvrages révèlent un homme d’une pro­di­gieuse acti­vi­té intel­lec­tuelle et un génie d’une remar­quable puis­sance ; et par-​dessus tout, ils laissent devi­ner une ver­tu émi­nente que carac­té­risent une par­faite humi­li­té, une entière sou­mis­sion à la sainte Église et une dévo­tion totale à la Sainte Vierge.

Premières années.

L’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande reven­diquent l’honneur d’avoir don­né le jour à Jean Duns Scot. Né en 1274 sui­vant les uns, en 1266 sui­vant d’autres, il serait ori­gi­naire de Downs, loca­li­té située en Irlande, dans la pro­vince sep­ten­trio­nale de l’Ulster, ou du petit vil­lage anglais Dunstan ou Duns, dans le Northumberland, de parents venus d’Écosse ; ain­si ce nom Jean Duns Scot serait mis pour Jean de Downs ou Duns, sur­nom­mé le Scot. Ce der­nier nom, dans la langue du moyen âge, désigne du reste d’une manière assez indif­fé­rente des Anglais, des Écossais, voire des irlandais.

On ne sait rien de cer­tain sur sa jeu­nesse, si ce n’est qu’il fit un séjour assez impré­cis au col­lège de Merton. La légende raconte que, dès sa plus tendre enfance, il était employé à la garde des trou­peaux. Un Franciscain le ren­con­trant un jour sur son che­min, et frap­pé sans doute par sa phy­sio­no­mie ouverte et intel­li­gente, lui réci­ta l’Oraison domi­ni­cale en latin. Jean ne l’eut pas plu­tôt enten­due qu’il la répé­ta sans hési­ta­tion aucune. Dès lors, remarquent ses his­to­riens, il prit le goût de la prière jusqu’à invi­ter ses petits com­pa­gnons à s’y appli­quer avec lui.

Du reste, il ne devait pas res­ter long­temps dans le monde : soit qu’un fait extra­or­di­naire lui ait révé­lé sa voca­tion, soit qu’il ait sen­ti l’appel de Dieu d’une manière plus simple et non moins effi­cace, bien jeune encore, Jean se consa­cra à Dieu dans l’Ordre Je Saint-François.

Université d’Oxford. — L’étudiant passé maître.

A la fin du XIIIe siècle, il y avait dans un grand nombre de villes des Universités flo­ris­santes. Sous l’œil vigi­lant de l’Église, avec le concours des Ordres reli­gieux, même récem­ment fon­dés, comme les Dominicains et les Franciscains, d’illustres pro­fes­seurs dis­tri­buaient leurs leçons à une jeu­nesse nombreuse.

Ce fut à l’une de ces écoles, et non la moindre, à Oxford, que Jean le Scot vint étu­dier d’abord et prendre ses grades. Il y eut pour maître le Franciscain Guillaume Ware, sur­nom­mé Doctor fun­da­tus, expres­sion qui signi­fie » le Docteur solide et bien assis ».

Ses pro­grès furent si rapides dans les diverses branches qu’il ne tar­da pas à dépas­ser les maîtres vieillis dans l’étude et l’enseignement, si bien que lui-​même, à peine âgé de 20 ans, pas­sa du banc de l’élève à la chaire du professeur.

Jean Duns Scot débu­ta en 1289 à Oxford par l’enseignement de la gram­maire ; il revint en cette même ville après avoir fait un séjour à Paris vers 1293–1296 et il rem­pla­ça vers l’année 1300, dans la chaire de théo­lo­gie, Guillaume Ware, appe­lé lui même à Paris.

Bientôt l’enseignement du nou­veau maître éclip­sa celui de ses confrères ; les élèves se grou­pèrent en foule autour de lui ; ils accou­raient de par­tout, même des contrées les plus éloi­gnées, tel­le­ment que, au dire de graves auteurs, l’Université d’Oxford n’avait jamais vu de si beaux jours ; vers la fin du XIIIe siècle, on y comp­tait qu’à 30 000 étudiants.

Maître Jean se fai­sait sur­tout remar­quer par sa pers­pi­ca­ci­té ; son intel­li­gence péné­trait en un ins­tant dans les secrets de la science sacrée, théo­lo­gie, Écriture Sainte ; il aper­ce­vait du pre­mier coup le point faible d’un rai­son­ne­ment ; il résol­vait comme en se jouant les argu­ments plus ou moins spé­cieux par les­quels on vou­lait l’arrêter ou l’embarrasser. C’est de là que lui est venu le nom de « Docteur sub­til » sous lequel il est uni­ver­sel­le­ment connu

Le prédicateur.

Dans son zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, le jeune pro­fes­seur ne gar­dait pas pour un audi­toire d’élite les tré­sors de sa science. Comme ses illustres devan­ciers, le Franciscain saint Bonaventure et le Dominicain saint Thomas d’Aquin, qui nous ont lais­sé, avec de nom­breux et pro­fonds trai­tés sur les sciences sacrées, des ser­mons où la pié­té le dis­pute à la subli­mi­té des pen­sées, Jean Duns Scot prê­chait au peuple. Il se fai­sait remar­quer par la fer­veur de ses exhortations.

Un trait nous fera com­prendre com­ment il savait mettre à la por­tée de ses audi­teurs les véri­tés même les plus dif­fi­ciles. Certain jour, pen­dant qu’il était encore en Angleterre, il ren­con­tra dans la cam­pagne un pay­san qui semait de l’orge, mais qui, for­te­ment en colère contre ses bœufs, s’en pre­nait à Dieu et blas­phé­mait hor­ri­ble­ment. Jean le reprend dou­ce­ment, lui parle des dan­gers aux­quels il s’expose, de l’enfer qu’il se pré­pare, s’il conti­nue dans cette voie funeste.

- Oh ! dit le pay­san, inutile de tant par­ler ! Dieu sait par­fai­te­ment si, en fin de compte, je serai sau­vé ou dam­né ; quoi que je fasse, je n’y chan­ge­rai rien.
- Très bien, mon ami, répond le Frère Jean ; mais, s’il en est ain­si que vous le dites, si la connais­sance de l’avenir qui est dans le Tout-​Puissant a ain­si réglé d’avance les choses, pour­quoi vous don­ner tant de peine ? Pourquoi labou­rer, semer, mois­son­ner ? En somme, Dieu sait bien si vous aurez ou non une belle récolte ; votre tra­vail ne chan­ge­ra rien à ce qu’il a pré­vu ; reposez-​vous donc et attendez.

Celte simple réflexion fit com­prendre suf­fi­sam­ment au brave homme que la pres­cience divine ne nuit en rien à la liber­té de l’homme, que le salut éter­nel de cha­cun ne dépend, en der­nière ana­lyse, que de sa bonne volon­té, Dieu don­nant tou­jours de son côté les grâces nécessaires.

Le bienheureux Jean Duns Scot et la doctrine de l’immaculée Conception.

Mais il est une mis­sion que la Providence avait réser­vée à Jean Duns Scot dans l’Église.
De tout temps les fidèles ont cru que la Sainte Vierge, Mère de Dieu, a été favo­ri­sée de grâces toutes spé­ciales. Parmi ces grâces, les Pères et les Docteurs de l’Église pla­çaient l’exemption de la tache ori­gi­nelle, autre­ment dit l’immaculée Conception. Cependant, au moyen âge, la croyance à cette véri­té était comme obs­cur­cie : il avait fal­lu com­battre les erreurs de Pélage et autres héré­tiques qui niaient la néces­si­té de la grâce et l’universalité du péché ori­gi­nel. Pour défendre ces deux points de doc­trine plus immé­dia­te­ment com­bat­tus, l’on avait lais­sé un peu de côté l’exception, qui ne fait, pour­tant, que confir­mer la règle.

Dès le temps qu’il ensei­gna à Oxford, Jean de Duns affir­ma hau­te­ment cette excep­tion en faveur de la bien­heu­reuse Vierge.

Il eût été tout à fait indigne du Fils de Dieu fait homme, dit, au moins en sub­stance, le Docteur sub­til, que Notre-​Seigneur fût rede­vable de son corps et de la nature humaine à une créa­ture qui aurait été, même un ins­tant, sous l’empire du démon, son mor­tel enne­mi. Oui, sup­po­sé que ce fût en la puis­sance de Dieu, il conve­nait abso­lu­ment que celle qui devait être la Mère de son Fils incar­né fût tou­jours res­tée sans la moindre tache.

Mais qui ose­rait nier que Dieu pût faire une excep­tion à la loi com­mune ? Tous les des­cen­dants d’Adam naissent avec la faute ori­gi­nelle, c’est- à‑dire que leur âme n’est pas ornée de la grâce sanc­ti­fiante ; mais, pour un cas spé­cial, le Tout-​Puissant ne peut-​il pas don­ner cette grâce à une âme au moment même où elle est créée et unie au corps qu’elle doit ani­mer ? Ce n’est pas plus dif­fi­cile, pour Dieu, de le faire en ce moment que quelques mois plus tard : il était donc en son pou­voir de le faire.

Mais si cela ne dépas­sait pas la puis­sance de Dieu et s’il était rai­son­nable que Dieu agît de la sorte pour l’honneur de la Mère et du Fils, ne doit-​on pas conclure qu’il en a été ain­si ? Il l’a donc fait.
Tels sont les argu­ments sinon les termes mêmes du rai­son­ne­ment du grand théo­lo­gien. Il appuyait sa conclu­sion à la fois sur l’Écriture Sainte et sur la Tradition.

Le bienheureux Jean Duns Scot à Paris. — La « grande thèse ».

Cette doc­trine de l’immaculée Conception, solen­nel­le­ment pro­cla­mée comme un dogme le 8 décembre 1854, avait des adver­saires. On la dis­cu­tait dans les Écoles, à l’Université de Paris surtout.

Il convient de dire tout de suite que les Frères Mineurs gar­daient avec amour sur ce point le sen­ti­ment de leur illustre fon­da­teur : en 1219, au célèbre Chapitre des Nattes, saint François d’Assise avait fait décré­ter qu’on célé­bre­rait chaque same­di, dans toutes les mai­sons de l’Ordre, une messe en l’honneur de la Conception de Marie ; ses fils, les Frères Mineurs, sou­te­naient donc avec ardeur le glo­rieux pri­vi­lège de la Sainte Vierge. D’aucuns le leur repro­chaient jusqu’à les accu­ser d’hérésie.

Vers 1302 ou 1304, alors que la ques­tion conti­nuait à être l’objet de débats ora­toires, le Frère Jean vint à Paris où il acquit la maî­trise et y ensei­gna jusqu’en 1307. Précisément à cette époque, le Souverain Pontife, pour ne pas lais­ser la dis­cus­sion s’envenimer sur la doc­trine mariale, aurait décré­té, lui-​même ou du moins l’un de ses légats, qu’il y aurait une séance solen­nelle et publique à la Sorbonne pour éclair­cir la ques­tion. On allait jusqu’à affir­mer que Duns Scot était venu d’Oxford à Paris pré­ci­sé­ment dans ce des­sein. Il dut prendre alors ouver­te­ment posi­tion pour l’Immaculée Conception, pro­ba­ble­ment pour jus­ti­fier ses doctrines.

Voici, d’autre part, la pieuse légende à laquelle a don­né nais­sance l’actus sor­bo­ni­cus ou dis­cus­sion en Sorbonne, laquelle eut lieu vers 1307.

Maître Jean fut donc char­gé de pré­sen­ter la thèse et de la défendre contre toutes les objec­tions des adver­saires. Aucune mis­sion ne pou­vait lui être plus agréable. Il se pré­pa­ra au grand jour par l’étude et aus­si par la prière. Au moment même où il se ten­dait à la séance, il ren­con­tra sur son pas­sage une sta­tue de la Sainte Vierge. 

Un reli­gieux fran­cis­cains enseigne l’o­rai­son domi­ni­cale au petit Jean qui devien­dra une lumière de l’ordre séraphique.

Se mettre à genoux pour faire une der­nière prière et implo­rer encore le secours de celle dont il va pro­cla­mer la gloire, c’est une chose toute naturelle.

— Dignare me lau­dare te Virgo sacra­ta ! s’écrie-t-il ; ô Vierge sainte, permettez-​moi de chan­ter vos louanges ; donnez-​moi de le faire comme vous le méri­tez ; soutenez-​moi contre ceux qui nient vos pri­vi­lèges I

Et voi­ci que, en signe d’assentiment, comme gage de pro­tec­tion, la sta­tue incline la tête et sou­rit. Elle gar­da désor­mais cette atti­tude incli­née et ce sou­rire tels qu’on les retrouve sur une sta­tue de la même époque, célèbre sous le vocable de Notre-​Dame de Salut. Ceux qui racontent le fait ajoutent que, jusqu’à la Révolution, le peuple de Paris entou­ra la Vierge de Duns Scot d’un culte spé­cial, en sou­ve­nir de l’événement.

La grande dis­cus­sion eut lieu, devant une assem­blée d’élite que pré­si­daient les légats. La thèse du Docteur marial fut péremp­toire, quoiqu’il la pré­sen­tât avec une grande modes­tie. Jean Duns Scot mon­tra tant de talent pour résoudre toutes les dif­fi­cul­tés, pour éclair­cir tous les doutes, qu’il n’y eut plus d’hésitation pos­sible dans l’esprit de ses audi­teurs, voire de ses contra­dic­teurs. Tous com­prirent que non seule­ment ce n’était pas une héré­sie de sou­te­nir que Marie a été conçue sans la tache ori­gi­nelle, mais encore que c’est une doc­trine sûre, insi­nuée dans l’Écriture, affir­mée par la Tradition et abso­lu­ment conforme à l’esprit de l’Église et au sen­ti­ment du peuple chrétien.

Il est cer­tain que l’Université de Paris abon­da plei­ne­ment dans ce sens. Bientôt, elle décré­ta que per­sonne ne pour­rait prendre des grades sans avoir fait le ser­ment de défendre la Conception imma­cu­lée de la Vierge Mère de Dieu. Et chaque année cette fête fut célé­brée par la docte assem­blée. L’évêque de Paris chan­tait la messe, et un Docteur don­nait le ser­mon de cir­cons­tance. Le grand anna­liste fran­cis­cain, Luc Wadding, nous donne ces détails, en ajou­tant une par­ti­cu­la­ri­té : la fête se célé­brait dans l’église des Franciscains ; tou­te­fois, quand elle tom­bait un dimanche, la céré­mo­nie avait lieu chez les Dominicains.

La sainte obéissance. — A Cologne.

Quelque temps après ce grand évé­ne­ment, Frère Jean de Duns pre­nait un peu de récréa­tion avec un cer­tain nombre de ses dis­ciples. La tra­di­tion a men­tion­né le lieu : ils étaient sur le Pré-​aux-​Clercs, lorsqu’un cour­rier lui remet une lettre d’obédience. Le Ministre géné­ral de l’Ordre l’envoyait à Cologne.

Sans faire la moindre réflexion, sans même fran­chir la Seine pour rega­gner son couvent, prendre congé de ses Frères, saluer ses amis et recueillir ses manus­crits, aus­si­tôt le grand Docteur se met en route vers sa nou­velle destination.

- L’obéissance m’y envoie, dit-​il sim­ple­ment à ceux qui l’entourent et s’étonnent ; Dieu a par­lé par la voix de mon supé­rieur, cela suffit !

Quelle était l’intention du Général en cette cir­cons­tance ? Pourquoi enle­ver à l’Université la plus célèbre du monde un homme comme Duns Scot ? On ne peut pas croire qu’il crai­gnait pour sa ver­tu : son humi­li­té, son esprit d’obéissance étaient connus de tous. En réa­li­té, à la requête des éche­vins de Cologne et de l’archevêque lui-​même, Henri de Virneburg, le Ministre géné­ral mande à Jean de se rendre dans cette ville pour y ensei­gner la saine doc­trine et réfu­ter des héré­tiques, appe­lés beg­guards, du nom de leur chef Lambert le Bègue, qui y fai­saient beau­coup de mal, en même temps que pour jeter les fon­de­ments d’une nou­velle Université.

Dès qu’on apprit qu’il appro­chait de la ville, non seule­ment les Mineurs ses Frères, mais tout le cler­gé et la noblesse vinrent au-​devant de lui, sui­vis d’une grande mul­ti­tude de peuple. Au son des cloches et au chant des hymnes et des can­tiques sacrés, on le condui­sit jusqu’au couvent. Il com­men­ça aus­si­tôt à ensei­gner, soit par des ser­mons adres­sés au peuple, soit dans des leçons de théo­lo­gie pro­fes­sées devant un audi­toire d’élite, car on le fît mon­ter immé­dia­te­ment dans la chaire magistrale.

La doctrine du bienheureux Jean Duns Scot.

Le prin­ci­pal de l’œuvre de Jean de Duns est consti­tué par son grand com­men­taire latin d’un ouvrage célèbre au moyen âge, le Livre des sen­tences, de Pierre Lombard, sorte d’ébauche de la Somme théo­lo­gique de saint Thomas et dont l’auteur devint évêque de Paris en 1159. Le com­men­taire de Jean Scot fut rédi­gé à Oxford, d’où son titre Opus oxo­niense ; il y ajou­ta un second com­men­taire, Reportata pari­sien­sia, résu­mé de son ouvrage pré­cé­dent et qui est le fruit de son ensei­gne­ment à Paris. Il y faut ajou­ter deux séries de « ques­tions » et un autre opus­cule latin, De pri­mo prin­ci­pio, l’un des pre­miers écrits du maître :

D’une archi­tec­ture mathé­ma­tique et aux envo­lées sublimes…, ce trai­té est une belle contem­pla­tion de Dieu et de ses infi­nies per­fec­tions…, il n’a pu être com­po­sé que sous l’impression d’une grâce d’oraison très éle­vée. (Ephrem Longpré.)

Duns Scot est le maître par excel­lence de l’école fran­cis­caine, « toute l’efflorescence mys­tique fran­cis­caine du XIIIe siècle a trou­vé sous sa plume une jus­ti­fi­ca­tion méta­phy­sique admirable ».

Quoi qu’on en ait dit, il est un esprit émi­nem­ment construc­teur, s’appuyant non seule­ment sur l’Écriture mais aus­si sur les Pères, et son auteur pré­fé­ré est, sans contre­dit, saint Augustin ; enfin, il n’avance rien qu’il ne le sou­mette à l’autorité de l’Église.
La syn­thèse sco­tiste a un carac­tère par­ti­cu­lier qui la dif­fé­ren­cie de saint Thomas d’Aquin :

Duns Scot a eu la pré­oc­cu­pa­tion toute fran­cis­caine d’organiser une concep­tion géné­rale de tout l’ordre des choses du point de vue de l’amour.

L’amour est au com­men­ce­ment de toutes les voies de la Trinité, ad extra ; de même il condi­tionne le retour des êtres vers leur Premier Principe. C’est dans l’amour enfin que se consom­me­ra éter­nel­le­ment l’union des élus et de Dieu.

En dehors de son expo­sé doc­tri­nal de l’immaculée Conception, qui suf­fi­rait à assu­rer la gloire de Duns Scot, la théo­lo­gie du Docteur sub­til pré­sente plu­sieurs traits carac­té­ris­tiques très inté­res­sants et per­son­nels sur la nature de Dieu et de ses attri­buts, sur le péché ori­gi­nel, sur la grâce, sur la béa­ti­tude, etc. Il convient de signa­ler plus par­ti­cu­liè­re­ment sa remar­quable doc­trine du Verbe incar­né qui a été adop­tée par son illustre Frère en reli­gion saint Bernardin de Sienne, par François Suarez, saint François de Sales et Mgr Gay.

Ajoutons enfin que l’institution de la fête du Christ-​Roi par le Pape Pie XI, le 11 décembre 1925, est venue remettre en lumière l’enseignement de Jean Duns Scot sur l’excellence suprême du Christ.

Le carac­tère le plus saillant de la doc­trine de ce grand théo­lo­gien est l’esprit catho­lique et tra­di­tion­nel dont elle s’inspire. Sur toute ques­tion d’ordre théo­lo­gique, avant de for­mu­ler sa pen­sée, le Docteur sub­til recherche les ensei­gne­ments de l’Écriture. Une parole de la Bible, à son avis, vaut plus que toute démons­tra­tion. Mais il ne croit qu’aux révé­la­tions authen­ti­fiées par l’autorité de l’Église.

Jean Duns Scot a tou­jours été regar­dé comme un défen­seur zélé de la foi catho­lique, et c’est contre la doc­trine de leur com­pa­triote que les réfor­més d’Angleterre se ruèrent avec le plus de rage. Ses livres furent brû­lés par ordre d’Édouard VI, aux applau­dis­se­ments du peuple. Le pseudo-​évêque pro­tes­tant Georges Bull ou Bullus l’appelait « l’Hercule des papistes ».

La mort. — Le culte.

Jean le Scot n’avait que 34 ans. Il sem­blait, en consé­quence, pou­voir encore comp­ter sur de longs jours, et, à cette époque comme main­te­nant, on aurait cru qu’un reli­gieux à la fois si savant et si pieux était comme néces­saire à l’Église. En peu d’années, il avait, comme dit l’Écriture, accom­pli une longue car­rière : le 8 novembre 1308, quelques mois à peine après son arri­vée à Cologne, il s’endormit dou­ce­ment dans le Seigneur.

Dès le len­de­main, il fut ense­ve­li dans l’église du couvent des Frères Mineurs, au milieu d’un immense concours de peuple, et la véné­ra­tion uni­ver­selle lui décer­na le titre de « Bienheureux » qu’il porte encore aujourd’hui dans l’Ordre fran­cis­cain. Ce culte a sur­vé­cu aux temps et aux révo­lu­tions divers ; en 1710, l’évêque de Nole, en Campanie, François-​Marie de Carafa, après un pro­cès cano­nique en forme, décla­rait que ce culte était de tout point conforme aux règles tra­cées par Urbain VIII.

Les pos­tu­la­teurs géné­raux suc­ces­sifs de l’Ordre des Frères Mineurs, s’appuyant sur une foule de témoi­gnages et encou­ra­gés par les lettres d’un grand nombre d’évêques du monde entier, ont entre­pris au XIXe siècle des démarches auprès du Saint-​Siège pour faire recon­naître offi­ciel­le­ment le culte immé­mo­rial ren­du au bien­heu­reux Jean Duns Scot, le Docteur de l’immaculée Conception et de la Royauté uni­ver­selle du Christ.

source : Bonne Presse, Guy Daval,

Sources consul­tées. — T. R. P. Léon, L’auréole séra­phique, t. IV (Paris). — R. P. Alexandre Bertoni, Le bien­heu­reux Jean. Duns Scot (Levanto, 1917). — R. P. Ephrem Longpré, La royau­té de Jésus-​Christ chez saint Bonaventure et le bien­heu­reux Duns Scot (Montréal, 1927). — R. P. Bernard Jansen, 8. J., A pro­pos du bien­heu­reux Duns Scot, sur le che­min de la véri­té (Paris, ig34). — R. P. Raymond, article « Duns Scot » dans Dictionnaire de théo­lo­gie catho­lique de Vacant et Mancenot, t. IV (Paris, 1911). — F. Cayré, A. A., Précis de Patrologie, t. Il (Paris, ig3o). — (V. S. B. P., n* i5ia.)