Les raisons de s’opposer à la crémation

Dans l’Antiquité grecque et romaine, l’usage de la cré­ma­tion des corps des défunts pré­do­mi­nait sou­vent, tan­dis que l’inhumation était lar­ge­ment pra­ti­quée en Perse et en Égypte. L’Ancien Testament, en revanche, ignore tout rite d’incinération : les Hébreux, fidèles à leur croyance en l’immortalité de l’âme, pra­ti­quaient l’inhumation, une pra­tique si sacrée que la Loi mosaïque l’exigeait même pour les ennemis.

L’Église catho­lique, depuis ses ori­gines, s’est réso­lu­ment oppo­sée à la cré­ma­tion, fai­sant de l’inhumation la norme uni­ver­selle et constante pour les fidèles défunts, mal­gré les périls aux­quels s’exposaient les pre­miers chré­tiens, en période de per­sé­cu­tions, pour ense­ve­lir leurs morts.

Quelle était donc la rai­son de ce refus caté­go­rique de la cré­ma­tion ? Cette pra­tique exclu­sive trouve son fon­de­ment dans un pré­cepte apos­to­lique, comme l’affirma saint Augustin : une cou­tume uni­ver­sel­le­ment obser­vée dans l’Église doit être consi­dé­rée comme éta­blie par les Apôtres eux-​mêmes. Ainsi, l’inhumation s’inscrit-elle dans le tré­sor de la Tradition catho­lique. Sous l’influence de l’Église, les peuples bar­bares conver­tis ado­ptèrent ce rite, fai­sant dis­pa­raître la cré­ma­tion dans toute l’Europe chré­tienne et dans les contrées mar­quées par la civi­li­sa­tion chré­tienne, où l’inhumation devint l’unique rite funéraire.

La résurgence de la crémation

Ce n’est qu’avec la Révolution fran­çaise de 1789 que la cré­ma­tion fut reven­di­quée à nou­veau. Cette idée ne se répan­dit véri­ta­ble­ment en Europe qu’à la fin du XIXe siècle, sous l’impulsion de la franc-​maçonnerie, qui fon­da des socié­tés pour en pro­mou­voir l’usage. En France, le 30 mars 1886, le dépu­té Jean-​Baptiste Blatin, futur grand-​maître du Grand Orient, fit adop­ter un amen­de­ment auto­ri­sant chaque citoyen à choi­sir entre inhu­ma­tion et cré­ma­tion. Ce même jour, Mgr Charles- Émile Freppel, évêque d’Angers et dépu­té du Finistère, s’insurgea avec vigueur à la Chambre des dépu­tés, dénon­çant un « retour au paga­nisme maté­ria­liste, dans ce qu’il a de moins noble et de moins moral ».

Un danger pour la foi

Si l’inhumation admet des excep­tions dans des cir­cons­tances extra­or­di­naires, comme lors d’épidémies ou de guerres dévas­ta­trices, celles-​ci res­tent rares et jus­ti­fiées par un bien supé­rieur. La cré­ma­tion, en revanche, véhi­cule l’idée d’un anéan­tis­se­ment défi­ni­tif, sug­gé­rant que la mort met un terme à toute exis­tence. La franc-​maçonnerie, consciente de ce sym­bo­lisme, y vit un moyen d’éroder la croyance en l’au-delà. Une cir­cu­laire maçon­nique de la fin du XIXe siècle exhor­tait ain­si les « Frères » à pro­pa­ger la cré­ma­tion pour affai­blir les dogmes chré­tiens sur l’âme et la vie future, que l’Église, selon eux, cher­chait à main­te­nir dans l’esprit des fidèles.

La réponse de l’Église

Face à ce dan­ger spi­ri­tuel, l’Église réagit avec fer­me­té. Dès 1886, le pape Léon XIII enjoi­gnit aux évêques d’instruire les fidèles contre « l’usage détes­table » de la cré­ma­tion. Des décrets du Saint-​Office, en 1886 et 1892, pri­vèrent de sépul­ture ecclé­sias­tique et des der­niers sacre­ments ceux qui optaient pour la cré­ma­tion sans se rétrac­ter. Ces dis­po­si­tions furent codi­fiées dans le Code de droit cano­nique de 1917, qui condamne expli­ci­te­ment la cré­ma­tion et inter­dit d’exécuter la volon­té de ceux qui la choi­si­raient. En 1926, une ins­truc­tion du Saint-​Office dénon­ça à nou­veau cette « cou­tume bar­bare », contraire à la pié­té chré­tienne et natu­relle, et accu­sée de pré­pa­rer les esprits au maté­ria­lisme en niant la résurrection.

Le respect dû aux défunts

L’Église catho­lique a tou­jours entou­ré les corps des défunts d’un pro­fond res­pect, comme en témoigne la céré­mo­nie de l’absoute, où le prêtre bénit le corps avec de l’eau bénite et l’encense, avant de l’accompagner jusqu’à sa sépul­ture. Le corps du chré­tien, temple du Saint-​Esprit, sanc­ti­fié par les sacre­ments et ins­tru­ment du salut, mérite une digni­té que la cré­ma­tion, par sa bru­ta­li­té, bafoue. Le terme « cime­tière », déri­vé du grec signi­fiant « dor­toir », illustre cette vision : les défunts y reposent, dans l’attente de la résur­rec­tion, comme une semence enfouie en terre, pro­messe d’une vie nou­velle. L’inhumation s’accorde avec les dogmes des fins der­nières : le corps, « semé dans la cor­rup­tion, res­sus­ci­te­ra incor­rup­tible » (1 Corinthiens 15, 42).

La cré­ma­tion, au contraire, sym­bo­lise une des­truc­tion défi­ni­tive, incom­pa­tible avec l’espérance chré­tienne. En outre, elle prive les vivants de la conso­la­tion offerte par le cime­tière, lieu de recueille­ment et de prière, là où une urne conte­nant des cendres ne sus­cite qu’un vide spirituel.

Une soumission au dessein divin

La foi chré­tienne enseigne que la mort, consé­quence du péché, est un châ­ti­ment divin : « Tu es pous­sière, et tu retour­ne­ras en pous­sière. » (Genèse 3, 19) L’inhumation accepte hum­ble­ment cette sen­tence et reflète la confor­mi­té au Christ, « premier-​né d’entre les morts », ense­ve­li selon la volon­té divine. En s’unissant à lui par ce rite, les fidèles par­ti­cipent à son mys­tère de mort et de résurrection.

Par la cré­ma­tion, en revanche, l’homme s’arroge le pou­voir de détruire son corps : ce geste tra­duit une volon­té de maî­trise abso­lue, même au-​delà de la mort, et reflète une vision maté­ria­liste où l’homme, réduit à une simple matière, dis­pa­raît sans espoir.

Par la cré­ma­tion, en revanche, l’homme s’arroge le pou­voir de détruire son corps : ce geste tra­duit une volon­té de maî­trise abso­lue, même au-​delà de la mort, et reflète une vision maté­ria­liste où l’homme, réduit à une simple matière, dis­pa­raît sans espoir : d’ailleurs, le socio­logue Jérôme Fourquet, peu sus­pect de conni­vence avec le tra­di­tio­na­lisme catho­lique voit lui-​même dans la cré­ma­tion « l’illustration ultime du pro­ces­sus d’autonomisation de l’individu ».

Dans les années 1980, seuls 1% des Français la choi­sis­saient ; ils sont 43% à l’heure où s’écrivent ces lignes et, selon les pré­vi­sions, la cré­ma­tion devrait l’emporter sur l’inhumation dans l’Hexagone d’ici 2030 : une pra­tique qui se répand dans notre pays à mesure qu’il se déchris­tia­nise. Mais la litur­gie fait bien les choses et le mois de novembre arrive à point nom­mé pour sou­li­gner nos devoirs de pié­té envers les défunts, et rap­pe­ler que la mort est l’événement à la fois le plus incer­tain et le plus cer­tain qui soit : cer­tain quant à son issue, incer­tain quant au moment où il adviendra.

Source : Le Phare bre­ton n°38, novembre-​décembre 2025.