Saint Henri

Saint Henri, église Sint Pieters à Ypres (Belgique)

Roi et Empereur (973‑1024)

Fête le 15 juillet.

Du point de vue chro­no­lo­gique, saint Henri est le trei­zième des vingt rois ins­crits par l’Eglise au Martyrologe Romain. Mais, comme l’observe fine­ment un de ses bio­graphes, l’abbé Lesêtre, telles ont été pour ces hommes les dif­fi­cul­tés à sur­mon­ter afin de deve­nir des saints dans la place qu’ils occu­paient, que leur nombre, si faible qu’il paraisse, est encore un titre de gloire pour l’humanité.

A l’ombre du cloître.

Henri vit le jour le 6 mai 973, pro­ba­ble­ment à Ratisbonne. Il était le premier-​né d’Henri II le Querelleur, duc de Bavière et cou­sin de l’empereur Othon II. Sa mère, Gisèle, fille d’un roi de Bour­gogne, eut à se pré­oc­cu­per de bonne heure de l’éducation de son fils, car celui-​ci attei­gnait à peine sa deuxième année quand son père fut jeté en pri­son par ordre de son puis­sant cou­sin. Pour désar­mer le cour­roux du monarque, elle mena l’enfant au monas­tère d’Hil­desheim, en Saxe, et pro­mit de le vouer à la vie des Chanoines régu­liers. Ainsi diri­gé offi­ciel­le­ment vers la car­rière reli­gieuse, le jeune Henri ne ris­que­rait pas, pensait-​elle, de por­ter ombrage à Othon II.

Au contact quo­ti­dien avec les auteurs sacrés, les bio­graphes des Saints, les lit­té­ra­teurs et les phi­lo­sophes de marque, le futur empe­reur com­men­ça d’acquérir ce tour d’esprit, ce sens des choses de l’Eglise, cette lar­geur et cette modé­ra­tion d’idées qui lui seront plus tard d’un si grand secours dans le gou­ver­ne­ment des hommes.

Il impor­tait tou­te­fois à la popu­la­ri­té du jeune prince que son édu­ca­tion s’achevât en Bavière, dans le duché que son père avait gou­ver­né et à la tête duquel on espé­rait bien mal­gré tout le voir lui- même un jour. C’est pour­quoi ses parents le confièrent à saint Wolf­gang, reli­gieux Bénédictin deve­nu évêque de Ratisbonne.

Le duc de Bavière.

Henri avait vingt-​deux ans quand les sei­gneurs de Bavière le dési­gnèrent pour suc­cé­der, comme duc de Bavière, à son père, Henri II, mort le 28 août 995. Le défunt avait tout fait pour pré­pa­rer cette élec­tion ; elle s’accomplit avec d’autant moins de dif­fi­cul­té que la ten­dance à recon­naître les droits héré­di­taires s’accusait de plus en plus dans un pays où jusqu’alors toutes les digni­tés, au moins en droit, étaient élec­tives. L’empereur Othon III, qui venait de suc­cé­der à Othon II, rati­fia sans peine le choix de la noblesse bavaroise.

Vers cette époque, le nou­veau duc, cédant aux ins­tances de son peuple, contrac­ta mariage. Il ren­con­tra une épouse digne de lui dans la per­sonne de sainte Cunégonde, fille de Siegfried, comte de Luxem­bourg. Ainsi que devait le décla­rer Eugène III, en 1145, dans la Bulle de cano­ni­sa­tion, leur union fut sanc­ti­fiée par une chas­te­té con­servée intacte jusqu’à la mort.

Pendant les sept années qu’il gou­ver­na son duché, Henri III de Bavière se mon­tra sei­gneur loyal et dévoué, s’efforçant d’apaiser la tur­bu­lence des féo­daux. Il accom­pa­gna l’empereur en 996 et en 998 dans ses deux expé­di­tions en Italie. Les rap­ports les plus cor­diaux exis­taient entre lui et Othon III, qui se plai­sait à le nom­mer son « très cher cou­sin » et son « aimable duc ».

Ils furent de courte durée. Le 23 jan­vier 1002, Othon III mou­rait sans pos­té­ri­té à Paterno, près de Capoue, âgé seule­ment de vingt et un ans. Sa royale des­cen­dance comme aus­si la faveur mar­quée d’un bon nombre de sei­gneurs influents auto­ri­saient le duc de Bavière à bri­guer la suc­ces­sion de l’empereur défunt. Dans une Diète tenue à Werla, en 1002, l’assemblée recon­nut qu’Henri devait régner « avec l’aide du Christ et en ver­tu de son droit héré­di­taire ». Ses rivaux essayèrent de lui oppo­ser d’autres Diètes ; mais l’un d’eux, Eckhard de Meissen, fut assas­si­né. Un autre, Hermann, duc de Souabe, était désa­van­ta­gé par son grand âge ; Henri se fit élire, sacrer et cou­ron­ner le dimanche 7 juin 1002, à Mayence. Le duc de Bavière Henri III deve­nait ain­si Henri II, roi de Germanie. Sa royau­té fut recon­nue au cours des mois suivants.

Le roi de Germanie.

A l’avènement d’Henri II, l’Allemagne, outre les cinq duchés de Saxe, de Franconie, de Souabe, de Bavière et de Lorraine, com­pre­nait encore la Belgique, les Pays-​Bas, presque toute la Suisse, quelques pro­vinces de l’Italie et de la France. Cette trop vaste agglo­mé­ra­tion man­quait de l’homogénéité néces­saire pour durer. Aussi le nou­veau monarque fut-​il constam­ment aux prises avec les dif­fi­cul­tés. Au sein de l’empire s’agitait une féo­da­li­té orgueilleuse, bru­tale, impa­tiente du joug com­mun, tou­jours prête à la révolte et par­fois à la tra­hi­son. A son propre foyer, les cinq frères de sa femme rem­plis­saient le palais d’intrigues. Enfin, l’Italie et sur­tout la Pologne consti­tuaient de grosses menaces.

Dès l’année 1003, la lutte s’engagea entre l’Allemagne et Boleslas Chobry, le chef redou­table des Polonais. Après trois guerres indé­cises, un com­pro­mis inter­vint enfin le 30 jan­vier 1018 entre les deux rois : en échange de la Lusace, Boleslas renon­çait à la cou­ronne germanique.

En même temps qu’il fai­sait face à l’ennemi de l’Est, Henri avait à se défendre au Sud, où le roi Arduin d’Ivrée cher­chait à sou­le­ver contre l’empire le sen­ti­ment natio­nal. La néces­si­té de le com­battre et aus­si de repous­ser les Sarrasins et les Grecs obli­gea le monarque alle­mand à trois expé­di­tions en Italie. Au cours de la pre­mière, en 1004, il reçut à Pavie la cou­ronne de Lombardie.

En prince imbu de l’esprit chré­tien, Henri s’était pro­po­sé le règne de Dieu sur la terre. Fidèle à cet idéal, sa poli­tique cher­cha tou­jours à conci­lier, par des com­bi­nai­sons sage­ment étu­diées, les inté­rêts de l’Eglise et ceux de l’Etat. Un de ses pre­miers actes fut de doter de nom­breux monas­tères en Bavière et d’en fon­der de nou­veaux. C’est qu’à cette époque l’Ordre monas­tique se pré­sen­tait comme un orga­nisme mer­veilleu­se­ment adap­té à l’œuvre de la civi­li­sa­tion, soit qu’il assu­rât le bien-​être des popu­la­tions par le tra­vail ; soit encore que ses domaines inter­ca­lés entre ceux des grands vas­saux du royaume empê­chassent les sei­gneurs d’acquérir une prépon­dérance ter­ri­to­riale mena­çante pour le sou­ve­rain ; soit enfin parce que chaque centre monas­tique consti­tuait un foyer exem­plaire de prière et d’étude.

Au cours de ses péré­gri­na­tions, Henri aimait à séjour­ner dans les cou­vents, au milieu des moines. Il s’édifiait de la régu­la­ri­té des bons, mais ne crai­gnait pas d’intervenir har­di­ment pour faire ces­ser les abus.

Par amour de la popu­la­ri­té, Bernard, abbé du monas­tère de Hersfeld, au nord de Fulda, lais­sait ses moines vivre à leur guise. Lui- même, sous pré­texte de san­té, se reti­ra avec sa suite dans une demeure bâtie sur la mon­tagne. H y vivait fort lar­ge­ment, si bien que les moines se plai­gnirent qu’il employât à son usage les biens du monas­tère et leur refu­sât à eux-​mêmes le néces­saire. Henri, à qui la plainte fut adres­sée, appe­la aus­si­tôt à Hersfeld, en qua­li­té d’Abbé, un saint reli­gieux, Godehard, avec mis­sion d’y intro­duire la réforme. « Ce n’est pas un monas­tère qu’on me donne, se serait écrié le nou­veau venu, à la vue de tant de biens, c’est un royaume ! » Puis, sans tar­der, l’abbé signi­fia aux reli­gieux qu’il venait pour appli­quer à la rigueur la règle de saint Benoît, mais que la porte res­tait ouverte à ceux qui ne se sen­taient pas le cou­rage de s’y sou­mettre. Quelques vieillards et quelques jeunes moines demeu­rèrent seuls. La déser­tion du grand nombre ne décou­ra­gea ni Henri ni Godehard. Les moines fugi­tifs revinrent peu à peu, les tré­sors amas­sés furent dis­tri­bués aux pauvres, la sim­pli­ci­té monas­tique fut remise en hon­neur et bien­tôt à Hersfeld refleu­rit dans toute son aus­té­ri­té la règle bénédictine.

Ce qui se fît à Hersfeld se renou­ve­la dans beau­coup d’autres monas­tères, sous l’impulsion du pieux sou­ve­rain, qui entre­te­nait les plus intimes rela­tions avec les grands réfor­ma­teurs de son époque, en par­ti­cu­lier avec saint Odilon, abbé de Cluny. Ils se com­pre­naient mer­veilleu­se­ment l’un l’autre, et l’on peut dire, écrit M. Lesêtre, que « si, dans l’œuvre de la réforme monas­tique, Odilon fut la tête, en Allemagne Henri fut le bras droit ».

Les intrigues des sei­gneurs sou­te­nus par ses propres beaux-​frères et plu­sieurs autres membres de sa famille étaient pour le roi de Germanie une source de sou­cis. D’accord avec l’évêque de Wurtz­bourg, ces ambi­tieux avaient habi­le­ment com­bi­né le plan d’une répar­ti­tion des dio­cèses qui arra­che­rait à l’archevêque de Mayence la supré­ma­tie sur les régions fron­tières de la Bohême. Cette mesure n’était pas seule­ment la ruine de l’œuvre de saint Boniface : elle était, dans l’esprit de ses auteurs, le pré­lude d’un mor­cel­le­ment de l’empire à leur profit.

Pour déjouer ces cal­culs, et aus­si pour « détruire le paga­nisme des Slaves », le roi négo­cia avec le Pape Jean XIX l’érection de l’évêché de Bamberg (1006), qui fut pla­cé sous la pro­tec­tion directe du Saint- Siège, mais sans être sous­trait à la juri­dic­tion de la métro­pole de Mayence. D’autre part, la conces­sion du titre et de la puis­sance de duc à l’évêque de Wurtzbourg, en 1017, finit par apai­ser le prélat.

L’empereur d’Allemagne.

Par ses bru­ta­li­tés et ses mal­adresses, Arduin d’Ivrée, le pré­ten­du « roi natio­nal », avait mécon­ten­té ses sujets ita­liens qui com­men­çaient à tour­ner les yeux vers le monarque alle­mand ; mais celui-​ci atten­dait, pour inter­ve­nir à coup sûr, une occa­sion favo­rable. Elle lui fut four­nie en 1012 par l’élection de Benoît VIII en faveur duquel Henri II se pro­non­ça contre l’antipape Grégoire dont il ren­dit l’usur­pation éphémère.

L’apparition de l’armée alle­mande en Italie, à la fin de 1013, eut son rapide contre-​coup dans la pénin­sule. Arduin, se voyant per­du, renon­ça à la cou­ronne pour se reti­rer ensuite dans un monas­tère. A Rome, les par­ti­sans de Grégoire jugèrent leur cause déses­pé­rée, aban­don­nèrent leur créa­ture et atten­dirent en silence les évé­ne­ments, pen­dant que Benoît VIII repre­nait pos­ses­sion de la ville et des palais apostoliques.

Le roi y arri­va à son tour dans les pre­miers jours de février. Le Pape, entou­ré d’un nom­breux cor­tège de pré­lats, se por­ta à sa ren­contre, tenant un globe d’or, enri­chi de pierres pré­cieuses et sur­mon­té d’une croix, sym­bole du pou­voir que le sou­ve­rain devait exer­cer sur le monde en loyal sol­dat du Christ. Henri reçut le pré­sent avec joie, l’examina et dit au Pape : « Saint Père, ce que vous m’avez fait pré­pa­rer là est très expres­sif ; vous me don­nez une excel­lente leçon en me mon­trant, par ce sym­bole de mon empire, d’après quels prin­cipes j’ai à gou­ver­ner. » Puis retour­nant le globe à plu­sieurs reprises, il ajou­ta : « Personne n’est plus digne de pos­sé­der un tel pré­sent que ceux qui, loin de l’éclat du monde, s’appliquent à suivre la croix de Jésus-​Christ. » Et le globe d’or prit la route de Cluny.

Le cou­ron­ne­ment eut lieu le 14 février 1014. Le matin de ce jour, le roi se ren­dit avec son épouse Cunégonde à la basi­lique de Saint- Pierre. Le Pape l’attendait sur les marches du péri­style, où il lui posa les ques­tions accou­tu­mées, s’il consen­tait à être le zélé patron et défen­seur de l’Eglise romaine et s’il pro­met­tait fidé­li­té en toutes choses à lui et à ses suc­ces­seurs. Sur sa réponse affir­ma­tive, Henri fut intro­duit dans la basi­lique et sacré empe­reur, puis cou­ron­né solen­nellement avec l’impératrice Cunégonde. Il fit aus­si­tôt don de sa cou­ronne, pour qu’elle fût pla­cée sur l’autel du Prince des apôtres.

A l’occasion de son cou­ron­ne­ment, le nou­vel empe­reur déli­vra au Pape une charte de pri­vi­lèges. Il lui garan­tis­sait la Toscane, Parme, Mantoue, la Vénétie, l’Istrie, les duchés de Spolète et de Bénévent, et même éven­tuel­le­ment les ter­ri­toires de Naples et de Gaëte, encore aux mains des Byzantins. Une autre clause sti­pu­lait que « tout le cler­gé et toute la noblesse de Rome s’engageraient par ser­ment à ne pro­cé­der à l’élection des Papes qu’en obser­vant les règles cano­niques, et que le nou­vel élu, avant d’être sacré, s’en­gagerait lui-​même, en pré­sence des envoyés de l’empereur ou en pré­sence de tout le peuple, à conser­ver les droits de tous ». C’était, en somme, la confir­ma­tion d’un droit recon­nu par ser­ment à Louis le Débonnaire par Eugène II (824–827) et qu’expliquaient, en cette période de troubles et d’anarchie, les dif­fi­cul­tés de l’élection ponti­ficale. Toutefois, cette tutelle impé­riale exer­cée sur l’Eglise lui réser­vait les plus graves périls, car les empe­reurs d’Allemagne s’en récla­mèrent ensuite pour jus­ti­fier leurs inter­ven­tions into­lé­rables dans les affaires de la Papauté.

La bonne entente, ain­si scel­lée entre Benoît VIII et Henri II, ne se démen­tit pas un ins­tant pen­dant toute la durée de leur com­mun gou­ver­ne­ment. Elle leur per­mit de tra­vailler effi­ca­ce­ment au bien de la chré­tien­té, en par­ti­cu­lier à l’observation de la Trêve de Dieu, dont le Concile de Poitiers avait, en l’an 1000, pro­cla­mé le prin­cipe et qui, pour entrer dans les mœurs, avait besoin du bras séculier.

Dès les pre­mières années du xie siècle, on vit Henri II par­cou­rir les pro­vinces d’Allemagne, pro­cla­mant la paix locale, Landfrieden, dans les grandes assem­blées, comme à Zurich en 1005, à Mersebourg en 1012, où tous, depuis le plus humble jusqu’au plus puis­sant, jurèrent « qu’ils main­tien­draient la paix, qu’ils ne seraient point com­plices de bri­gan­dages ». Beaucoup de sei­gneurs et d’évêques sui­virent cet exemple. Burkhard, évêque de Worms, publia un édit de paix afin de sou­mettre ses sujets « riches et pauvres » à la même loi. Contre ceux qui s’opposèrent au mou­ve­ment, l’empereur n’hésita pas à sévir et à dépouiller même des mar­graves de leur charge.

C’est éga­le­ment le désir de réa­li­ser la pen­sée pon­ti­fi­cale d’une paix uni­ver­selle qui déter­mi­na Henri II à se ren­con­trer à Mouzon, près Sedan, les 10 et 11 août 1023, avec le roi de France Robert le Pieux. Ensemble les deux monarques y étu­dièrent les moyens de remé­dier aux maux de la chré­tien­té. Ils convinrent qu’un Concile géné­ral serait deman­dé au Pape pour remé­dier aux abus.

L’empereur grec de Constantinople conser­vait encore une cer­taine pré­ten­tion d’autorité sur les Etats pon­ti­fi­caux. Les quelques villes de la Basse-​Italie demeu­rées sous sa domi­na­tion étaient admi­nis­trées par un gou­ver­neur. Celui-​ci, obéis­sant aux ordres de son maître, enva­hit plu­sieurs villes de la Pouille qui rele­vaient du Saint-​Siège et il ne dis­si­mu­lait point son inten­tion de réta­blir l’influence byzan­tine dans toute l’étendue de la pénin­sule. Le Pape envoya contre lui Raoul, prince de Normandie, qui for­ça les Grecs à se reti­rer de la Pouille.

Mais pour assu­rer d’une manière plus durable l’indépendance de l’Italie, Benoît VIII pas­sa les Alpes et vint expo­ser à l’empereur l’état des affaires. L’entrevue eut lieu à Bamberg (avril 1020). Des ques­tions de la plus haute impor­tance y furent exa­mi­nées tant au point de vue social qu’au point de vue reli­gieux. Il s’agissait de repous­ser la domi­na­tion byzan­tine, hos­tile à l’Eglise et enne­mie de son uni­té. Saint Henri renou­ve­la donc au Pape ses enga­ge­ments de fidé­li­té, et lui pro­mit de voler à la défense du Saint-​Siège dès qu’il le ver­rait mena­cé dans ses droits. Diverses ques­tions de dis­ci­pline furent éga­lement exa­mi­nées rela­ti­ve­ment à la réforme du clergé.

Dans le milieu de novembre 1021, l’empereur quit­tait Augsbourg pour une troi­sième expé­di­tion dans l’Italie qu’avaient enva­hie à nou­veau les Grecs. Cette fois, leur défaite fut com­plète. Henri leur enle­va toutes les places qu’ils avaient conser­vées jusqu’alors et en fit don au Saint-​Siège ; puis, après avoir ain­si paci­fié la pénin­sule, il son­gea à retour­ner dans ses Etats. Il s’arrêta quelque temps au Mont- Cassin, où il régla avec le Pape diverses affaires concer­nant l’admi­nistration de la célèbre abbaye.

La couronne éternelle.

Un jour qu’Henri visi­tait les bâti­ments de l’abbaye de Saint-​Vanne, en Lorraine, que venait de res­tau­rer Richard, Abbé de ce monas­tère, il pro­fé­ra, en entrant dans le cloître, ces paroles du psal­miste : « Voici le lieu de mon repos pour tou­jours, c’est là que j’habiterai, dans le séjour de mon choix. » Haimon, évêque de Verdun, qui accom­pagnait le sou­ve­rain, connais­sait son goût de la vie monas­tique. Il aver­tit l’Abbé de ce qui allait pro­ba­ble­ment se pas­ser. En effet, Henri ne tar­da pas à mani­fes­ter le désir de quit­ter la vie sécu­lière pour deve­nir moine. Richard com­prit que la voca­tion de l’impérial visi­teur n’était pas celle d’un pauvre et modeste reli­gieux ; il trou­va un expé­dient pour satis­faire la pié­té du prince sans nuire à l’Etat. Il assem­bla sa com­mu­nau­té et pria l’empereur de s’expliquer devant tous ses reli­gieux. Henri pro­tes­ta qu’il avait réso­lu de quit­ter les vani­tés du siècle, pour se consa­crer au ser­vice de Dieu dans le monas­tère où il se trouvait.

— Voulez-​vous, dit l’Abbé, pra­ti­quer l’obéissance jusqu’à la mort, sui­vant la règle et l’exemple de Jésus-Christ ?

— Je le veux, répond Henri.

— Et moi, reprend l’Abbé, dès ce moment je vous reçois au nombre de mes reli­gieux. J’accepte la res­pon­sa­bi­li­té du salut de votre âme, si de votre côté vous pro­met­tez de suivre, en vue du Seigneur, tout ce que je vous ordonnerai.

— Je jure de vous obéir ponc­tuel­le­ment en tout ce que vous me commanderez.

— Je veux donc, conclut Richard, et je vous ordonne, en ver­tu de la sainte obéis­sance, de reprendre le gou­ver­ne­ment de l’empire confié à vos soins par la Providence divine. Je veux que vous pro­cu­riez, autant qu’il dépen­dra de vous, le salut de vos sujets, par votre vigi­lance et votre fer­me­té à rendre la justice.

L’empereur, éton­né, regret­ta sans doute de ne pou­voir secouer le joug qui pesait sur ses épaules ; il se sou­mit pour­tant, et conti­nua de faire briller sur le trône les ver­tus qu’il eût vou­lu ense­ve­lir dans la solitude.

L’Abbé du monas­tère de Saint-​Vanne, qui a reçu saint Henri au nombre de ses reli­gieux, lui ordonne, au nom de l’o­béis­sance, de remon­ter sur le trône

Cependant sa vie, si rem­plie de saintes œuvres, tou­chait à sa fin. Sa san­té avait tou­jours été chan­ce­lante. Ses voyages inces­sants, ses nom­breuses cam­pagnes, les sou­cis de toute nature et sur­tout son der­nier séjour en Italie minèrent ses forces. Au com­men­ce­ment de 1024, il devint évident que sa fin appro­chait. Un repos de trois mois à Bamberg lui ayant pro­cu­ré quelque sou­la­ge­ment, il se remit aux affaires et ce fut sa perte. La mort le ter­ras­sa dans l’exercice des devoirs de sa charge, le 13 juillet 1024, au châ­teau de Grona, non loin de Goslar. Avec lui s’éteignait la mai­son de Saxe. Par son fon­dateur, Henri le Grand, elle avait puis­sam­ment tra­vaillé à grou­per autour d’elle les peuples ger­ma­niques ; par son der­nier repré­sen­tant, Henri le Saint, elle avait noble­ment ser­vi l’Eglise.

Un peu plus d’un siècle après sa mort, le Pape Eugène III fit ins­truire le pro­cès de cano­ni­sa­tion et pro­cla­ma, le 12 mars 1146, la sain­te­té du sou­ve­rain. Au milieu de la nef cen­trale de la cathé­drale de Bamberg se dresse encore le monu­ment éle­vé à la mémoire de l’empereur Henri et de l’impératrice sainte Cunégonde. Ce tom­beau, dépla­cé en 1658, fut réta­bli en son lieu pri­mi­tif en 1833. Des deux époux il ne conserve plus aujourd’hui qu’un peu de pous­sière. Ce qui reste de leurs osse­ments à Bamberg, prin­ci­pa­le­ment le crâne et le fémur de saint Henri, le crâne de sainte Cunégonde, est gar­dé dans le tré­sor de la cathé­drale, avec dif­fé­rents objets leur ayant appar­te­nu. Le tom­beau porte cette ins­crip­tion : « Aux saints Henri et Cunégonde, asso­ciés dans une impé­riale et vir­gi­nale union, fon­da­teurs, défen­seurs, patrons de cette église. »

Le Pape Pie XI, le 4 décembre 1923, a ampli­fié le culte de saint Henri en éle­vant sa fête au rite double pour toute l’Allemagne.

H. L.

Sources consul­tées. — Abbé Henri Lesêtre, Saint Henri (Collection Les Saints). — Abbé Fernand Mourret, Histoire géné­rale de l’Eglise, t. IV, La Chrétienté. — (V. S. B. P., n° 85.)