« Cette année pour honorer la Sainte de la Patrie, nous vous proposons les principaux passages du panégyrique, prononcé dans la cathédrale d’Orléans, le 8 mai 1873, par Mgr Joseph Lemann.
Cet évêque, n’a pas seulement les mêmes origines que celles de Notre Seigneur et des 12 apôtres, il en a également le verbe, fort, direct, vrai, courageux, doux et charitable. Il fallait une telle personne pour faire un tel parallèle entre l’ancienne alliance et la nouvelle.
Ce panégyrique est certainement l’un des plus beaux qu’ait mérité la sainte de la Patrie, bien avant qu’elle ne fut portée sur les autels. » (Credo n°174)
L’idée d’alliance, Messieurs, réveille l’idée de secours.
Quand on fait alliance, c’est pour se soutenir et se défendre. Par suite de l’alliance que Dieu et le peuple juif avaient conclue ensemble, toutes les fois que l’Israélite était menacé dans son indépendance et son territoire, il criait vers le Seigneur, dit l’Ecriture ; les enfants d’Israël criaient : au secours, clamaverunt ad Dominum ; et leur allié aussitôt se montrait ; se souvenant du pacte d’alliance, il s’empressait d’envoyer à son peuple des libérateurs extraordinaires.
Eh bien ! Je remarque avec bonheur la même protection de Dieu à l’égard du peuple français. En ce jour de mémorable anniversaire ; le 444ème, où le panégyrique de Jeanne d’Arc est confié à un fils d’Israël, voici donc, Messieurs, le plan du discours que je vous apporte.
Je veux montrer que toutes les circonstances extraordinaires qui accompagnaient les délivrances chez le peuple hébreu, se retrouvent dans la délivrance opérée chez vous par Jeanne d’Arc ; toutefois avec cette différence qui est toute à votre avantage : que dans l’épisode de Jeanne d’Arc on constate à chaque pas la supériorité de la nouvelle alliance sur l’ancienne. ./.
Le fond du tableau étant défini, soyons attentifs à la figure du libérateur que Dieu y va dessiner : C’est une femme.
Il n’y a qu’en Judée et en France où Dieu ait osé de pareils libérateurs. Déborah, Judith, Esther, libératrices et gloire du peuple juif ; Clotilde, Geneviève, Jeanne d’Arc, libératrices et gloire du peuple français.
Pareille phalange guerrière n’a passé chez aucun autre peuple. ./. Jusqu’ici nous avons constaté une parité exacte et parfaite entre Jeanne d’Arc et les héroïne de l’ancienne alliance.
Mais voici la supériorité qui commence : C’est une vierge. .
Mais voici qui est encore plus remarquable : de toutes les héroïnes de l’ancienne loi aucune n’est vierge, et de plus elles font intervenir l’amour humain dans leur mission libératrice.
Quelle supériorité dans Jeanne d’Arc ! Elle est vierge, afin que le secours envoyé au royaume de France portât la marque de la nouvelle alliance, d’une alliance plus belle que la nôtre. Elle apparaît comme un lys au milieu des épines, des épines d’un camp ! Sicut lilius inter spinas ( Cantic,II,2).
Quel spectacle : les lis de France défendus par une vierge, lis elle-même. ./. La Terre-Promise et la France ! Toutes les deux centres du monde et de la vie des nations, l’une dans les anciens temps, l’autre dans les temps nouveaux. . Toutes les deux terre des lis : le lis de Jessé et le lis de France.
Toutes les deux terres de Marie : l’une comme sa patrie, l’autre comme son royaume. . toutes les deux enfin, ornées de la même devise ; car la devise de la Judée est celle-ci : Digitus Dei est hic. Et la devise de France dit : Gesta Dei per Francos.
Telle est la Terre-Promise, et telle est la terre de France ! ./. Ah ! Quand je me représente la fille de Mérari dans son action, seule dans cette tente, au milieu du silence et des ténèbres, ce tronc sanglant à ses pieds, cette tête entre ses mains. j’admire, oh ! oui j’admire, mais je frissonne. et quand je contemple sur le champ de bataille de Patay, la tête de ce pauvre anglais appuyée sur le sein de Jeanne qui l’aide à mourir et lui montre le ciel, ah ! Cette fois je fais mieux qu’admirer : je suis attendri, et j’adore, en le bénissant, le Dieu de la nouvelle alliance qui a rehaussé la bravoure par la miséricorde ! ./.
Ah ! Etre délaissée par la France, et annoncer à ses juges, toutes les fois qu’elle le peut, le triomphe de la France. Etre abandonnée par son roi, et lui rester tendrement fidèle ; défendre l’honneur du roi jusque sous la torture et la mort.
Etre trompée et condamnée par un Evêque, et ne pas cesser d’aimer la Religion et l’Eglise avec passion.. Ah ! Si selon le vou naïf de son cour, elle fût rentrée à Domremy, elle eût été Débora, elle n’eût pas été Jeanne d’Arc.
Dieu l’a fait finir comme il fallait qu’elle finit, puisqu’elle était de la nouvelle alliance. Maintenant, ô Anglais, rangez-vous pour voir passer le triomphe : le bûcher que vous avez allumé, est devenu le char de feu qui l’a emportée dans les cieux.
Entre les deux peuples (juif et Franc) il y a ressemblance frappante, Messieurs, et chose surprenante, ressemblance jusque dans les fautes.
ur la place du Vieux-marché de Rouen, en 1431, on brûlait Jeanne d’Arc. Et vous, Français, vous l’avez laissée brûler.
Trois siècles et demi plus tard, en 1793, sur la place de la Concorde, on décapitait Louis XVI, le roi que Jeanne vous avait rendu. Et c’est vous, Français, qui avez fait tomber sa tête.
Jeanne d’Arc et Louis XVI, c’est-à-dire pour retracer la Passion en France, les deux êtres les plus parfaits de la France redevenue chrétienne : une vierge et un roi !
Et tous les deux dans leur douloureuse Passion exhalant du côté de la France le même gémissement de tendresse et de reproche !
Ô mon peuple que t’ai-je fait ? Ou en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi, Responde mihi.
Réponds-moi, a répété longtemps la place du vieux-marché de Rouen ; Réponds-moi, dit toujours la place de la Concorde.
Et la France n’a pas encore répondu.
En face de cette double faute enchaînée l’une à l’autre, me permettrai-je, Messieurs, un sentiment d’orgueil au nom du peuple juif, en faisant remarquer que nous n’avons jamais traité nos héroïnes et nos rois comme vous avez traité les vôtres ?
Dieu nous garde de faire ostentation d’un si léger triomphe ! Sur les épaules du Juif-Errant pèse un poids plus lourd : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants.
Ah ! Tandis qu’on brûlait Jeanne d’Arc, si quelque juif touché par la grâce, a passé sur le Vieux-marché de Rouen, il a dû se dire avec épouvante, à l’aspect de l’innocence qu’on brûlait : c’est nous qui avons fait l’original de ce terrible drame. Entre vous et nous, Messieurs, il y a donc ressemblance jusque dans les fautes.
Eh bien ! Qu’entre vous et nous, il y ait encore une toute dernière ressemblance : la ressemblance dans le repentir et la réparation. Un jour, nous, peuple juif, nous devons nous repentir ; Le Dieu de nos pères nous a promis cette grâce. Toute la terre le sait et l’attend ; O peuple français, noble peuple, le premier de tous les peuples, puisque, jusque sur nous-même tu as eu la supériorité, peuple français sois-nous encore supérieur dans le repentir et la réparation !
Sois-nous supérieur en nous donnant l’exemple du repentir. Donne-nous cet exemple, ô peuple de la nouvelle alliance ; donne-le à ton pauvre frère si longtemps obstiné, de l’ancienne alliance ! Il y a quelque chose à faire vis-à-vis de ton roi martyr.
Fais-le, ô noble peuple ; peuple français fais-le : afin qu’à son tour le peuple juif ait aussi le courage de tomber à genoux devant le Calvaire, en criant : Pardon, pardon !
Mgr Joseph Lemann, le 8 mai 1873…
Note de la Rédaction de Credo :
Telle est la conclusion de ce panégyrique, auquel nous ne saurons donner de superlatifs, tant ceux-ci seraient encore imparfaits !
Imaginons les fidèles présents dans la cathédrale d’Orléans, en pleine fête, entendant ces derniers mots tombant du haut de la chair, avec certainement de l’émotion dans la voix : Pardon, pardon !
Pendant combien de temps l’écho a couru sous les voûtes devant le silence de l’assemblée, transportée par ce qu’elle venait d’entendre ?
N.B. : Le texte complet de ce magnifique panégyrique est en vente aux Editions Sainte Jeanne d’Arc – Les Guillots – 18260 Villegenon pour une somme très modique n’excédant pas les 10 euros.