Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 17 mars 1856
À nos Fils bien-aimés les Cardinaux, à nos vénérables Frères les Archevêques et Évêques de tous les États impériaux et royaux d’Autriche,
Pie IX, Pape
Chers fils et Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.
Le concordat entre le pape et l’empereur
Nous avons appris avec une joie et une satisfaction toute particulière, fils bien-aimés et vénérables frères, qu’empressés de déférer aux vœux exprimés presque au même moment à chacun de vous par nous-même et par notre très cher fils en Jésus-Christ, l’empereur François-Joseph, vous avez résolu, sous l’inspiration de la foi qui vous distingue et de votre zèle pastoral, de vous réunir dans la ville impériale et royale de Vienne, pour y discuter et y conférer entre vous, afin qu’on puisse mettre la dernière main aux conventions arrêtées entre nous et ce fils très cher en Jésus-Christ, dans le concordat que cet illustre et religieux prince a eu soin de conclure avec nous. Ce concordat nous comble de consolation ; il fait l’immortelle gloire du prince, rend à l’Église ses droits usurpés et ravit de joie tous les gens de bien. Or, en vous félicitant avec bonheur, du zèle remarquable que vous faites éclater pour l’Église en tenant cette assemblée, nous ne pouvons nous abstenir, fils bien-aimés et vénérables frères, de profiter de cette circonstance pour vous parler avec amour, vous montrer les sentiments intimes de notre cœur et vous faire ainsi comprendre davantage combien est grande l’affection que nous avons pour vous, et pour tous les peuples fidèles de ce vaste empire confiés à vos soins.
Et d’abord pour ce qui regarde l’exécution du concordat précité, vous n’ignorez pas qu’il renferme un grand nombre d’articles qui vous concernent tout spécialement ; mais nous désirons avec ardeur que pour la manière de les accomplir, vous vouliez bien suivre la même voie, avoir une même façon de les entendre. Ayez soin toutefois de prendre avec prudence toutes les précautions que pourront réclamer les usages différents des différentes provinces du vaste empire d’Autriche. Si certains articles présentent des doutes, si des difficultés surgissent, ce que nous ne croyons pas, il nous sera très agréable que vous nous en fassiez part ; nous en conférerons avec sa majesté impériale et apostolique, ainsi qu’il a été prévu par l’article 35 de ce concordat, et nous pourrons donner les décisions convenables.
Combattre l’indifférentisme
2. Maintenant l’ardente charité qui nous fait embrasser dans un même sentiment d’amour tout le troupeau du Seigneur, divinement confié à notre sollicitude par Jésus-Christ lui-même, la charge redoutable du ministère apostolique qui nous oblige à pourvoir de toutes nos forces au salut des nations et des peuples, tout nous presse, fils bien-aimés et vénérables frères, d’exciter de plus en plus, avec toute l’énergie dont nous sommes capable, votre éminente piété, votre ardeur, votre vigilance épiscopale à continuer de remplir avec un zèle de plus en plus ardent et avec le plus grand soin toutes les fonctions de votre charge pastorale ; n’épargnez ni soins, ni avis, ni labeur pour conserver intact, inviolable, dans vos diocèses, le saint dépôt de notre foi ; veillez sur l’innocence de vos ouailles, préservez-les de tous les pièges et de toutes les embûches de leurs ennemis. Car vous n’ignorez pas les coupables artifices, les manœuvres multipliées, les séductions de tout genre et les monstrueux systèmes employés par ces artisans perfides de perverses doctrines, pour chercher traîtreusement à faire dévier du sentier de la vérité et de la justice surtout les imprévoyants et les simples, et à les jeter dans l’abîme de l’erreur et de la perdition.
Entre les maux sans nombre et à jamais déplorables qui bouleversent et déchirent le plus la société religieuse et civile, il en est deux surtout, vous le savez, fils bien-aimés et vénérables frères, que l’on peut, à bon droit, considérer comme la source de tous les autres. Vous connaissez parfaitement, en effet, combien sont nombreuses et funestes les calamités que jette sur l’Église et sur l’État la source impure de l’indifférentisme. Avec ce système, en effet, on néglige complètement tout devoir envers Dieu, quoique nous trouvions en lui la vie, le mouvement et l’être, on met tout à fait de côté notre sainte religion ; on ébranle, on renverse presque entièrement tous les fondements du droit, de la justice et de la vertu.
De cette plaie hideuse de l’indifférentisme diffère peu le système de l’indifférence en matière de religion, système sorti des ténèbres, qui détourne ses adeptes de la vérité, les rend hostiles à la pratique de toute vraie croyance, oublieux de leur salut ; avec lui on enseigne des principes contradictoires, on n’a point de doctrine arrêtée, on n’admet aucune différence entre les professions de foi les plus divergentes, on vit en paix avec toutes, et l’on prétend que toutes, à quelque religion qu’elles appartiennent, conduisent au port de l’éternelle vie. Eh ! que leur importent leurs divisions particulières, pourvu seulement qu’ils travaillent à la ruine de la vérité. [1]
Une seule foi et une seule Eglise
3. Vous voyez, fils bien-aimés et vénérables frères, de quelle vigilance vous devez faire preuve pour empêcher la contagion de cette épidémie cruelle, de gagner vos ouailles et de les perdre à jamais. Ne cessez donc de prémunir avec le plus grand soin, contre ces erreurs damnables, les peuples qui vous sont confiés ; de les pénétrer chaque jour plus intimement des enseignements de la vérité catholique ; de leur apprendre que, comme il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, son Christ et son Esprit, il n’y a qu’une seule vérité divinement révélée, une seule foi divine, principe du salut de l’homme, fondement de toute justification, vie du juste, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu ni de parvenir à l’héritage de ses enfants (cf. Rm 1 ; Hb 11) ; [2] qu’il n’y a qu’une seule et véritable Église, l’Église sainte, catholique, apostolique, romaine ; une seule chaire dont le Seigneur lui-même a posé le fondement sur Pierre, [3] loin de laquelle on ne peut trouver ni véritable foi, ni salut éternel ; car celui-là ne peut avoir Dieu pour père qui n’a pas l’Église pour mère. De plus, il est absurde de se croire dans l’Église quand on divorce avec la chaire de Pierre, sur laquelle repose l’Église comme sur sa base [4]. Mais il ne peut y avoir de plus grand crime, point de honte comparable à celle de s’être posé en adversaire du Christ, d’avoir travaillé à la destruction de cette Église acquise et engendrée par son sang divin, d’avoir oublié la charité évangélique, d’avoir lutté avec les fureurs de la discorde cruelle, contre les cœurs unis, contre les enfants paisibles de Dieu. [5]
4. Le culte divin se compose de deux éléments, de la foi et des œuvres ; point de vraie foi sans les œuvres, point d’œuvres agréables à Dieu sans la foi. Ce qui rend étroite et ardue la voie qui mène à la vie [6], ce n’est pas seulement l’obligation de pratiquer les vertus et d’observer les préceptes, c’est aussi la nécessité de ne point s’écarter de la foi. Ne cessez donc d’avertir, de presser vos peuples fidèles de devenir chaque jour plus fermes et plus inébranlables dans leur croyance et de rendre chaque jour plus assurée, par leurs bonnes œuvres, leur vocation et leur admission parmi les élus.
Mais en vous appliquant à procurer le salut de votre troupeau, ne négligez point de travailler avec toute la bonté, toute la patience et la sagesse possibles à faire rentrer dans le bercail unique de Jésus-Christ les malheureux égarés, et pour les rappeler à l’unité catholique, adressez-leur particulièrement ces paroles d’Augustin : « Revenez, frères, s’il vous plaît, pour vous enter de nouveau sur le cep ; nous souffrons de vous en voir retranchés et jetés à terre. Comptez seulement les prêtres qui se sont succédé sur le siège de Pierre, comment sur cette chaire de nos pères l’un a succédé à l’autre ; ce siège est la pierre contre laquelle ne peut rien l’orgueil des portes infernales ». [7] « Quiconque mange l’Agneau hors de cette enceinte est un profane ; quiconque n’est pas dans cette arche de Noé au moment du déluge périra ».[8]
Le rationalisme
5. Une autre maladie, non moins pernicieuse, étend maintenant ses ravages fruit de l’orgueil, elle fait en quelque sorte parade de la raison et s’intitule rationalisme. L’Église ne blâme certainement pas [9] l’ardeur qui veut savoir la vérité, car c’est Dieu lui-même qui a mis au cœur de l’homme la passion du vrai ; elle ne désapprouve pas non plus les efforts que s’impose une raison droite et saine pour cultiver l’intelligence, étudier la nature, percer les mystères les plus obscurs et mettre au jour les secrets qu’elle cache dans son sein. Mère pieuse, elle sait, elle est complètement sûre, que l’un des plus grands bienfaits du ciel [10] est cette raison qui nous élève au-dessus de ce qui tombe sous les sens et nous aide à reproduire en nous-mêmes la grande image de Dieu. Elle sait qu’il faut chercher jusqu’à ce que l’on trouve et croire ce que l’on a découvert, pourvu que l’on se persuade encore qu’il ne faut croire, et conséquemment rechercher, après l’avoir trouvé et quand on le croit, que ce qui a été institué par le Christ, car le Christ ne te commande d’étudier que ce qu’il a établi[11].
Qu’est-ce donc que l’Église ne souffre pas, ne permet pas ? Qu’est-ce qu’elle interdit absolument et condamne, comme l’y oblige la charge qui lui est imposée de garder le dépôt divin ? Ce que l’Église réprouve de toutes ses forces, ce qu’elle a toujours condamné et condamne encore, c’est l’abus que font de la raison ceux qui ne rougissent ni ne craignent de l’opposer avec autant de folie que d’impiété à la parole de Dieu, de la mettre même au-dessus. Pleins d’arrogance et de présomption, l’orgueil les aveugle, et perdant la notion du vrai, ils dédaignent avec fierté la foi dont il est écrit qu’en manquer sera un motif de condamnation (cf. Mc 16, 16) ; ils nient, dans leur confiance en eux-mêmes [12], qu’on doive s’en rapporter à Dieu sur Dieu, sur ce qu’il nous propose de croire et de savoir de lui. C’est à ces hommes que l’Église a constamment opposé que, sur la connaissance de Dieu, il est juste [13] que nous nous en référions à Dieu lui-même, de qui nous tenons tout ce que nous croyons sur lui : car jamais l’homme n’eût pu connaître Dieu comme il doit être connu si Dieu même ne s’était révélé à lui pour son salut. Ce sont ces hommes que l’Église s’efforce de rappeler à l’usage du sens commun en leur disant : « Quoi de plus contraire à la raison que de vouloir s’élever par la raison au-dessus de la raison ? et quoi de plus contraire à la foi que de refuser de croire ce que la raison ne peut saisir » [14].
L’Église ne cesse de leur répéter que le fondement de la foi n’est pas la raison mais l’autorité [15]; car il ne convenait pas que Dieu parlant à l’homme se servît d’arguments pour appuyer ses assertions, comme si l’on n’avait pas foi à sa parole ; mais il s’est exprimé comme il a dû, c’est-à-dire comme le souverain arbitre de toutes choses à qui il appartient d’affirmer, non de disputer [16].
Elle leur crie hautement que tout l’espoir de l’homme, que tout son salut est dans la foi chrétienne, dans cette foi qui enseigne la vérité, dissipe par sa lumière divine les ténèbres de l’ignorance humaine, opère par la charité ; et en même temps dans l’Église catholique, car elle conserve le vrai culte, elle est le sanctuaire inébranlable de la foi même, et le temple de Dieu hors duquel, sauf l’excuse d’une ignorance invincible, il n’y a point de salut à attendre. Elle leur disait aussi, avec beaucoup d’autorité, que si parfois l’on peut donner dans l’explication de l’Écriture place à la science humaine, celle-ci aurait mauvaise grâce de s’en prévaloir. Son rôle n’est pas de prétendre avec arrogance faire la maîtresse, mais d’obéir comme une humble suivante : en marchant la première elle pourrait s’égarer, elle pourrait, en s’attachant trop aux signes extérieurs, aux mots, perdre la lumière de la vertu intérieure et s’écarter du droit sentier de la vérité [17].
Le progrès dans l’Eglise
Il n’en faut pas néanmoins conclure que dans l’Église du Christ, la religion ne fait aucun progrès, elle en fait certainement, et de très considérables, mais il est nécessaire que ce soient des progrès et non des changements dans la foi. Faites donc croître, il le faut, faites progresser énergiquement et le plus possible, pendant le cours des siècles et des âges, l’intelligence, la science, la sagesse, de tous, de chacun, et de toute l’Eglise ; que l’on voie plus clairement ce que l’on croyait sans le voir ; que la postérité soit heureuse de comprendre ce que l’antiquité vénérait seulement par la foi ; que l’on polisse les pierres précieuses du dogme, qu’on les adapte avec fidélité, qu’on les monte avec sagesse, qu’on y ajoute l’éclat, la grâce et la beauté, sans toutefois rien changer, c’est-à-dire sans rien changer au dogme, au sens, à la pensée, en variant la forme non le fond [18].
Exhortation aux évêques
Nous le croyons, fils bien-aimés et vénérables frères, nul d’entre vous ne s’étonne si à raison de notre primauté spirituelle et de notre autorité suprême [19] nous vous avons entretenus itérativement de ces erreurs déplorables et funestes qui atteignent la religion et la société ; et si nous avons cru devoir exciter contre elles votre admirable vigilance épiscopale. Puisque l’homme ennemi ne cesse de semer l’ivraie au milieu du froment, puisque d’un autre côté nous sommes chargé par la divine providence de veiller sur le champ du Seigneur, et que nous sommes le serviteur fidèle et prudent établi sur la famille du Maître [20], nous ne pouvons cesser de remplir les devoirs inséparables de notre charge apostolique.
Maintenant ce que nous demandons à la piété et à la prudence qui vous distinguent, c’est que dans votre assemblée vous appliquiez votre pénétration et votre sagesse à former surtout entre vous les desseins que vous jugerez capables d’étendre la gloire de Dieu et de procurer le salut des hommes dans toutes les parties de ce vaste empire. Il est vrai, nous nous réjouissons amplement dans le Seigneur de savoir que beaucoup d’ecclésiastiques, voire même de laïques, animés à un haut degré de l’esprit de foi et de charité chrétiennes, répandent la bonne odeur de Jésus-Christ ; mais aussi notre douleur n’est pas légère à la pensée que dans quelques lieux plusieurs membres du clergé oublieux de leur dignité et de leur devoir ont cessé de vivre dans l’esprit de leur vocation, et que le peuple chrétien peu instruit des divins enseignements de notre sainte religion, exposé aux plus graves dangers, renonce malheureusement aux œuvres de piété, à la fréquentation des sacrements, s’écarte de l’honnêteté des mœurs, des règles de la vie chrétienne et court à sa perdition. Nous en sommes intimement persuadé, votre sollicitude épiscopale bien connue consacrera tous ses soins et toutes ses pensées à mettre un terme à tous ces maux.
Faire des synodes provinciaux
Vous savez, fils bien-aimés et vénérables frères, quelle est pour améliorer la discipline ecclésiastique, corriger les mœurs des peuples, et détourner les périls qui les menacent, l’influence des conciles provinciaux, sagement prescrits par les saints canons, et constamment employés pour le bonheur de l’Eglise par les plus saints prélats ; notre vœu le plus ardent est donc que vous célébriez selon les règles canoniques ces synodes provinciaux. Vous y trouverez les remèdes convenables et efficaces aux communes souffrances de chaque province ecclésiastique de l’empire. Comme vous aurez à traiter dans ces synodes des questions graves et nombreuses, nous désirons que dans cette réunion de Vienne vous preniez avec votre sagesse et d’un plein accord, des résolutions sur les questions principales qui devront y être traitées et décidées, et sur les mesures que votre zèle également réglé, devra employer pour assurer à notre religion divine et à ses salutaires enseignements, dans toutes les provinces de cet empire, une vigueur, une beauté, une autorité qui croissent chaque jour davantage ; et pour obtenir que les peuples fidèles s’éloignent du mal, pratiquent le bien, marchent comme des enfants de lumière dans la bonté, dans la justice et dans la vérité.
L’exemple de la vie du clergé
De tous les moyens qui peuvent porter continuellement les autres à la vertu, à la piété, à l’amour du service de Dieu, il n’en est point de plus puissant que la vie et l’exemple de ceux qui se sont dévoués au saint ministère ; ne négligez donc pas de prendre entre vous et avec toute votre prudence les moyens propres à rétablir la discipline dans le clergé, partout où elle aura subi quelque échec, et à la faire prospérer, où le besoin s’en fera sentir.
6. Par conséquent, fils bien-aimés et vénérables frères, après avoir mis en commun vos idées et vos désirs, employez tout votre zèle, toute votre ardeur à faire que les ecclésiastiques n’oublient jamais leur dignité ni leurs devoirs, s’éloignent de tout ce que le clergé ne peut se permettre sans faute et sans inconvenance ; qu’ornés de toutes les vertus ils servent d’exemple aux fidèles dans leurs paroles, leur genre de vie, dans la charité, la foi et la chasteté dont ils feront preuve ; qu’ils récitent les heures de chaque jour avec l’attention et la piété désirables ; qu’ils s’exercent à la prière et à la méditation des choses du ciel ; qu’ils aiment la beauté de la maison de Dieu ; qu’ils accomplissent les fonctions saintes et les cérémonies du culte sans s’écarter du pontifical et du rituel romain ; qu’ils remplissent les devoirs particuliers de leur ministère avec ardeur, science et sainteté ; qu’ils n’interrompent jamais l’étude surtout des sciences sacrées, et qu’ils travaillent constamment à procurer le salut des hommes qui leur sont confiés.
Veillez avec un égal souci à ce que les chanoines de métropoles, de cathédrales, de collégiales et les autres bénéficiers astreints au service du chœur s’attachent par la gravité de leurs mœurs, la pureté de leur vie, leur amour pour la piété, à briller de tous côtés comme des lumières placées sur le chandelier dans le temple du Seigneur ; qu’ils remplissent avec zèle tous les devoirs de leur ministère ; qu’ils travaillent à la splendeur du culte divin, observent la résidence, veillent avec bonheur pour célébrer les louanges du Seigneur avec application, régularité, piété, religion, évitant d’avoir l’esprit et les yeux distraits, une attitude peu décente ; qu’ils n’oublient jamais que s’ils font l’office du chœur, ce n’est pas seulement pour rendre à Dieu le culte sacré et le respect qui lui sont dus, mais encore pour le supplier de répandre sur eux et sur autrui toutes sortes de grâces.
7. Mais chacun de vous sait parfaitement combien servent à entretenir, à nourrir l’esprit ecclésiastique, et à asseoir la constance dans le bien, ces exercices spirituels que les Pontifes romains nos prédécesseurs ont enrichis d’indulgences sans nombre. Ne cessez donc de les recommander à tous vos ecclésiastiques et de les y porter de plus en plus pour que, un nombre de jours déterminés, ils se retirent souvent dans un endroit convenable. Là, faisant trêve à toute occupation humaine, ils devront examiner devant Dieu, avec le plus grand soin, toutes leurs actions, leurs paroles et leurs pensées ; méditer constamment les années éternelles, songer aux immenses bienfaits qu’ils ont reçus de Dieu, s’attacher ainsi à effacer les fautes dont ils se sont souillés dans la poussière du monde, à faire renaître la grâce qui leur a été donnée par l’imposition des mains, à se dépouiller du vieil homme et de ses mœurs pour revêtir le nouveau qui a été créé dans la justice et la sainteté.
La formation des prêtres
8. Comme les lèvres des prêtres doivent être les dépositaires de la science, afin de pouvoir répondre à ceux qui veulent par eux connaître la loi et de repousser les attaques des contradicteurs, il importe, Fils bien-aimés et vénérables Frères, que vous employiez toute votre sollicitude à procurer au clergé une bonne et saine éducation. Consacrez donc tous vos efforts et tous vos moyens à faire fleurir, surtout dans vos séminaires, les études bonnes et entièrement catholiques ; que dès l’âge le plus tendre, les jeunes clercs y soient formés, par des maîtres éprouvés, à la piété, à la vertu et à l’esprit ecclésiastique ; qu’ils y puisent, avec la science de la langue latine et des lettres humaines, des connaissances philosophiques pures et éloignées de tout péril d’erreur. Veillez ensuite et particulièrement à leur faire enseigner la théologie, soit dogmatique soit morale, d’après les livres divins, la tradition des saints Pères et l’autorité infaillible de l’Eglise ; à leur faire acquérir aussi, pendant le temps nécessaire et convenable, avec le plus grand soin et d’une manière solide, la science des lettres sacrées, des saints canons, de l’histoire ecclésiastique et de la liturgie. Veillez particulièrement au choix des livres, dans la crainte qu’entraînés par le déluge d’erreurs dont nous sommes inondés, les jeunes ecclésiastiques n’abandonnent témérairement la voie des saines doctrines ; maintenant surtout, vous le savez, que des hommes instruits mais séparés de nous en matière de religion et retranchés de l’Eglise, ont publié la Bible et les ouvrages des Pères traduits avec une certaine élégance, mais souvent, hélas ! viciés et détournés du sens véritable par les commentaires infidèles qui les accompagnent.
Nul de vous n’ignore combien l’Église a besoin, particulièrement à notre époque, de ministres capables, distingués par la sainteté de leur vie, par l’étendue et la droiture de leur science en œuvres et en paroles, habiles à défendre la cause de Dieu et de sa sainte Église et à édifier au Seigneur une maison fidèle. On ne doit donc rien négliger pour donner aux jeunes clercs dès leur bas âge une éducation docte et sainte ; c’est l’unique moyen de former pour l’Eglise des ministres vraiment utiles. Or, afin d’arriver de plus en plus à procurer aux clercs une éducation qui réponde à votre éminente piété, à votre sollicitude pastorale, à ce qu’exigent la gloire de l’Église et le salut des peuples, ne vous lassez pas d’exhorter, de prier les ecclésiastiques distingués de vos diocèses, les laïques opulents mais bien disposés en faveur de la religion catholique, de vouloir bien, à votre exemple, fournir de bon cœur quelque somme d’argent pour vous mettre à même de construire et de doter convenablement des séminaires, destinés à donner dès l’enfance une bonne éducation aux jeunes clercs.
La formation de la jeunesse
9. N’ayez pas moins d’ardeur, fils bien-aimés et vénérables frères, à chercher les moyens de donner à la jeunesse de vos diocèses, quels que soient sa condition et son sexe, une éducation chaque jour plus catholique. Déployez donc l’énergie de votre vigilance épiscopale pour que, pénétrée de bonne heure et avant tout de l’esprit de crainte de Dieu, et abreuvée du lait de la piété, la jeunesse acquière, outre les éléments de la foi, une connaissance exacte et plus complète de notre sainte religion, se forme à la vertu, aux bonnes mœurs, à l’esprit de la vie chrétienne et s’éloigne de toutes les séductions, de tous les dangers où le vice triomphe, où succombe l’innocence.
Augmenter l’esprit de foi dans les fidèles
Même sollicitude pour ne cesser jamais d’exciter de plus en plus et par tous les moyens possibles les peuples fidèles qui vous sont confiés, à la piété et à la religion. Ainsi donc faites tout pour nourrir chaque jour davantage ces peuples du pain salutaire de la vérité et de la foi catholique, leur faire aimer Dieu de tout leur cœur, observer parfaitement ses préceptes, visiter souvent et religieusement son sanctuaire, sanctifier le dimanche, assister fréquemment, avec le respect et la piété nécessaires, au divin sacrifice, s’approcher dignement aussi des augustes sacrements de Pénitence et d’Eucharistie, servir et honorer avec une dévotion toute particulière la très sainte Mère de Dieu, l’immaculée Vierge Marie, avoir entre eux une mutuelle et impérissable charité, persévérer dans la prière, vivre ainsi d’une manière digne de Dieu, lui plaisant en toutes choses et fructifiant en toutes sortes de bonnes œuvres.
Comme les missions faites par des ouvriers capables sont éminemment propres à réveiller dans les peuples l’esprit de foi et de religion, à les faire rentrer dans le sentier de la vertu et du salut, nous désirons vivement que de temps en temps vous en fassiez célébrer dans vos diocèses. Nous félicitons ardemment, et comme ils le méritent, tous ceux d’entre vous qui ont déjà introduit dans les limites de leur juridiction cette œuvre salutaire des missions, d’où nous sommes heureux que soient sortis, sous l’influence de la grâce divine, des fruits abondants.
Visiter les diocèses
10. Ce que, dans votre assemblée, vous devez avoir préférablement devant les yeux, Fils bien-aimés et vénérables Frères, c’est de vous préparer à faire face, par des efforts communs, aux maux dont vous souffrez tous. En effet, pour réparer les pertes principales que vos diocèses peuvent avoir subies et augmenter leur prospérité, il n’y a rien de plus efficace que des visites fréquentes et des synodes régulièrement tenus, vous le savez. Vous savez aussi que le concile de Trente surtout a recommandé et prescrit ces deux moyens [21] La sollicitude et la charité remarquables dont vous faites preuve envers le troupeau confié à vos soins demandent donc que, conformément aux lois canoniques, vous n’ayez rien plus à cœur que de visiter vos diocèses avec le plus grand zèle et de faire, avec soin, tout ce qui peut assurer le fruit de la visite. Or, en accomplissant ce devoir, attachez-vous fortement, par vos soins, surtout par vos avis paternels, par vos utiles discours et par tous les moyens les plus convenables, à déraciner les erreurs, les désordres et les vices qui auraient pu se glisser dans votre troupeau ; à distribuer à tous l’enseignement du salut, à raffermir la discipline du clergé, à aider, à fortifier les fidèles principalement en leur distribuant tous les secours spirituels, et à les gagner tous à Jésus-Christ.
Prenez également à tâche de célébrer les synodes diocésains, conformément aux règles des saints canons, et d’y faire les ordonnances que votre prudence jugera les plus propres à procurer le plus grand bien de chacun de vos diocèses.
Il est à craindre que dans les prêtres qui doivent s’appliquer à l’enseignement et à l’étude, à qui incombe la charge d’instruire le peuple des choses dont la connaissance est indispensable au salut, et d’administrer les sacrements [22], on ne voie s’affaiblir l’amour de la science et se refroidir le zèle ; aussi, nous désirons souverainement que dans les différentes parties de vos diocèses vous établissiez, sitôt que vous le pourrez, des conférences où l’on s’occupe préférablement de théologie morale et de liturgie. Les prêtres surtout seront tenus de s’y présenter avec une réponse écrite aux questions posées préalablement par vous, d’y discuter, pendant un temps déterminé par vous également, sur la théologie morale, sur les règles liturgiques, après que l’un d’eux aura prononcé un discours qui devra traiter principalement des devoirs du sacerdoce.
Les devoirs des curés
Les curés surtout vous prêtent aide et secours dans la conduite de votre troupeau ; vous les avez admis au partage de votre sollicitude et ils sont vos coopérateurs dans le plus grand de tous les arts. Ne cessez donc, fils bien-aimés et vénérables frères, d’enflammer leur zèle, de les exciter de tout votre cœur à accomplir leurs devoirs avec toute l’activité et la religion convenables. Répétez-leur que jamais ils ne doivent omettre de nourrir avec soin le peuple qui leur est confié, par la prédication de la parole de Dieu, la dispensation des sacrements, la distribution des nombreuses grâces divines ; d’enseigner avec amour, avec patience aux ignorants, surtout aux petits enfants, les mystères de la foi chrétienne et les vérités de notre religion ; de faire rentrer les égarés dans le chemin du salut ; de s’appliquer particulièrement à détruire les haines, les rancunes, les inimitiés, les discordes, les scandales ; à fortifier les pusillanimes, à visiter les malades, à leur procurer préférablement les secours spirituels ; à consoler les malheureux, les affligés et tous ceux qui sont dans la peine ; enfin à apprendre et à exciter tout le monde, conformément à la saine doctrine, à rendre religieusement à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César ; car, en tout ce qui n’est contraire ni aux lois de Dieu, ni aux lois de l’Eglise, tous doivent se soumettre, obéir aux princes et aux puissances, non seulement par crainte de la colère, mais par devoir de conscience.
Continuez comme vous faites, et à la grande gloire de votre nom, fils bien-aimés et vénérables frères, à envoyer à la Congrégation du concile, aux époques déterminées, un rapport exact sur la situation de vos diocèses respectifs, à nous mettre avec soin au courant de ce qui les intéresse, afin que nous puissions être plus utiles soit à vous, soit à ces diocèses. Il nous est parvenu que dans plusieurs diocèses du territoire germanique, certaines coutumes ont prévalu sur la collation des paroisses et que quelques-uns d’entre vous en désirent la conservation. Nous sommes disposé à user d’indulgence à cet égard, après avoir cependant soumis à un examen attentif ces mêmes coutumes dont nous attendons que chacun de vous nous fasse une relation détaillée et approfondie ; nous pourrons les autoriser dans les limites que la nécessité et les circonstances principales des provinces paraîtront exiger ; notre devoir, avant tout, est de faire observer soigneusement les prescriptions canoniques.
Aux évêques de rite oriental
Avant de clore cette lettre, où nous avons le bonheur de vous entretenir, vous tous prélats de l’empire d’Autriche, nous nous adressons à vous spécialement, vénérables frères archevêques et évêques, qui dans ce grand empire, en union avec nous dans la vraie foi, dans la doctrine catholique, et attachés à cette chaire de Pierre, suivez les rites de l’Eglise orientale et ses louables coutumes, approuvées ou permises par le Saint-Siège. Vous avez appris, vous comprenez quel prix ce Siège apostolique a toujours attaché à vos rites : il en a souvent exigé l’observation, comme l’attestent surabondamment les décrets et constitutions de tant de Pontifes romains nos prédécesseurs, et parmi ces décrets et constitutions les lettres de Benoît XIV du 26 juillet 1755, qui commencent ainsi : Allatœ, et celles que nous-même avons envoyées le 6 janvier 1848 à tous les Orientaux et qui commencent par ces mots : In suprema Petri Apostoli Sede. Ainsi donc nous vous engageons aussi de toutes nos forces non seulement à remplir votre ministère, avec toute la religion et toute la sollicitude pastorale qui vous animent, non seulement à fixer vos regards sur tout ce que nous venons de dire, mais surtout à employer continuellement vos soins, votre intelligence, votre vigilance, pour obtenir qu’orné de toutes les vertus, profondément instruit des sciences et surtout des sciences sacrées, votre clergé s’occupe avec un zèle soutenu à procurer l’éternel salut des fidèles, à faire marcher les populations chrétiennes dans la voie qui conduit à la vie ; à étendre, à augmenter de jour en jour et de plus en plus la sainte unité de la religion catholique, à administrer les sacrements et à célébrer les divins offices selon votre discipline, mais en faisant usage des livres liturgiques qui ont reçu l’approbation du Saint-Siège. Et comme nous ne désirons rien tant que d’avoir le bonheur de venir en aide à vous et aux fidèles de votre juridiction, n’oubliez pas de recourir à nous, de nous rendre compte des affaires de vos diocèses, d’en envoyer chaque quatre ans le rapport à notre Congrégation de la propagande.
Nous vous supplions, en terminant, fils bien-aimés et vénérables frères, d’employer tous vos efforts pour conserver, entretenir et augmenter chaque jour et de plus en plus la paix et la concorde parmi les ecclésiastiques du rite latin et du rite grec-catholique de tous ces diocèses ; que ceux qui combattent sous l’étendard du Seigneur, animés, sans exception, les uns pour les autres, d’une affection mutuelle, d’une fraternelle charité, et se prévenant par des témoignages d’honneur, s’attachent tous d’un commun accord et avec grande ardeur à procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Dernière exhortation
Voilà, chers fils et vénérables frères, ce que, dans notre immense amour pour vous et pour les fidèles de ce vaste empire, nous avons cru devoir vous faire connaître. Nous tenons pour certain qu’inspirés par vos éminentes vertus, votre religion, votre piété, votre foi et votre respect si connu pour nous et pour cette chaire de Pierre, vous vous empresserez d’obéir à nos avis, à nos paternels désirs, vous irez même au-delà. Bien plus, nous ne doutons pas, Fils bien-aimés et vénérables Frères, que, les yeux continuellement fixés sur le Prince des pasteurs, sur Jésus-Christ qui s’est montré doux et humble de cœur ; qui a donné son âme pour ses brebis, nous laissant son exemple pour nous inviter à marcher sur ses traces, vous travaillerez de toutes vos forces à le prendre pour modèle, à suivre ses enseignements, à veiller assidûment sur le troupeau qui vous est confié, à vous occuper toujours, à remplir votre ministère, à rechercher, non ce qui vous plaît, mais ce qui plaît à Jésus-Christ, à vous montrer, non les dominateurs du clergé, mais ses pasteurs, mais ses pères très affectueux, à devenir les modèles du troupeau, à ne trouver rien de si pénible, rien de si difficile, rien de si ardu que vous ne le souffriez, que vous ne l’entrepreniez, que vous ne l’accomplissiez avec toute la patience, toute la mansuétude, toute la douceur et toute la prudence possibles pour le salut de vos ouailles.
Pour nous, nous ne cessons d’adresser les prières les plus ferventes au doux Père des lumières et des miséricordes, au Dieu de toute consolation. Nous lui demandons de répandre toujours abondamment les effusions de sa bonté propice sur vous, et de les faire descendre largement sur les chères brebis dont vous avez la garde. Comme gage de ce divin secours, comme témoignage de notre vive affection, de notre dévouement envers vous, nous accordons avec amour et de tout notre cœur la bénédiction apostolique à chacun de vous, fils bien-aimés et vénérables frères, à tous les clercs et à tous les fidèles de vos diocèses.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 17 mars de l’année 1856, dixième de notre pontificat.
PIE IX, Pape
- Tertullianus, De praescript., cap. 41.[↩]
- Cf. Conc. Trid., Sess. 6, cap. 8.[↩]
- S. Cyprianus, Epist. 43.[↩]
- S. Cyprianus, De unitate Ecclesiae.[↩]
- S. Cyprianus, Epist. 72.[↩]
- S. Cyrillus Hierosol. Cath. IV Illuminand., n. 2 ; S. Leo M., Sermo 5 de Nativit. Dom.[↩]
- In psalm. Contr. Part. Donat.[↩]
- S. Hieronymus, Epist. 14 [15, 2] (al. 57) ad Damas.[↩]
- Lactantius, De divinis institutionibus, lib. 3, cap. 1.[↩]
- Clemens Alex., Stromata, lib. 1, cap. 3 ; lib. 2, cap. 2 ; et Gregorius Thaumaturg., Orat. Panegyr., cap. 7, 13.[↩]
- Tertullianus, De praescript., cap. 9.[↩]
- S. Hilarius, De Trinitate, lib. 4.[↩]
- Cassianus, De Incarnatione, lib. 4, cap. 2.[↩]
- S. Bernardus, Epist. 190.[↩]
- S. Bernardus, De consideratione, lib. 5, cap. 3.[↩]
- Lactantius, De divinis institutionibus, lib. 3, cap. 1.[↩]
- S. Petrus Damian., Opuscul., 36, cap. 5.[↩]
- Vincentius Lirinensis, Commonitorium.[↩]
- S. Ambrosius, De Incarnatione, cap. 4, n. 32. Cassianus, de Incarnatione, lib. 3, cap. 12.[↩]
- S. Ambrosius, De fide ad Gratianum Imperat., lib. 5, in prolog.[↩]
- Sess. 24, de Reformatione, cap. 2, 3.[↩]
- Conc. Tridentinum, Sess.[↩]