Née en 1254,
et morte en 1292.
Le 4 mai 1254, naît la septième fille de Corrado Bojani, notable de Cividale [1], dans le Frioul, qui soupirait après un fils. Le silence de la sage-femme signalant au père une nouvelle déconvenue, il s’écria : « Elle aussi sera la bienvenue ! » Ainsi les parents lui choisirent le nom de Benvenuta (« Bienvenue ») au baptême, quoique ce nom figurât parmi les ancêtres Bojani. Plus tard, des fils consoleront Corrado, perpétuant le nom.
Très tôt, Bienvenue vaquait aux tâches domestiques, fuyant les jeux d’enfants qui sentent la mondanité ou la vanité. Une sœur aînée vaniteuse tenta en vain de lui apprendre à s’habiller avec de somptueux vêtements, et, les vanités mondaines. Pour fuir ces tentations, Bienvenue établit au fond du jardin paternel un petit ermitage duquel, cachée par la végétation, elle regardait avec amour la Vierge vénérée au sanctuaire voisin de la Madonna del Monte ; ou encore, elle se cachait dans l’église ; ainsi elle conçut une tendre dévotion à la Vierge. Dès avant l’âge de sept ans, elle répétait la Salutation Angélique mille fois le jour, l’agrémentant de génuflexions et d’inclinations profondes. Elle intensifiait cette prière surtout quand elle demandait une grâce. Elle se consacra à la Très Sainte Vierge Marie.
Sa sœur Marguerite détestait le fromage, Bienvenue en prit un bout, fit un signe de croix dessus et le tendit à sa sœur qui, depuis, en mangea volontiers.
À douze ans, Bienvenue prononce le vœu de chasteté, se consacre à Dieu, et, voulant imiter les souffrances du Christ, s’essaye au jeûne, à l’abstinence, à la flagellation nocturne, sans trop attirer l’attention de sa famille, ni aviser son confesseur… Un cilice ne lui suffisant pas, elle porte une chemise de cheveux et une ceinture de corde. Bienvenue grandissant, la corde pénétra ses hanches. Quand Bienvenue se trouva couverte d’ulcères, elle ne put enlever la corde. Ne voulant pas recourir aux moyens humains et révéler sa pénitence, elle supplia Dieu de la libérer et vit soudain la corde intacte, au sol, à ses pieds (pour cette raison, on la représente dans l’art tenant une corde à la main). Après cet épisode, saint Dominique lui apparut, la sommant de révéler toute sa vie à son confesseur. Obéir lui coûta…, et le confesseur lui interdit les rudes pénitences (comme de se flageller trois fois par nuit avec des chaînes de fer).
L’autorité religieuse l’obligea à devenir membre du Tiers-Ordre dominicain (aucun écrit ne révèle la date de son entrée : le nécrologe du couvent dominicain de Cividale ne retient de Benvenuta que cet éloge : « Elle vécut dévotement selon l’esprit »). Elle visitait le monastère de Cella [2], du second Ordre ; sans s’incorporer à ces dominicaines, elle ajouta les pénitences pratiquées par les Sœurs à celles qui lui étaient permises.
Les veilles de fête, elle se mettait un peu de vinaigre dans le coin de l’œil pour ne pas dormir. Un jour, le démon se glissa contre elle de tout son long sous la forme d’un serpent, elle n’hésita pas à le prendre à pleine main et à le projeter contre le mur. Elle faisait abstinence de viande et de vin, avait une pierre pour oreiller.
Sa santé pâtit de son ascèse. Cinq ans elle resta assise, affligée par l’asthme et un tremblement puissant, ulcérée et impotente. L’Ange Gabriel lui portait des nourritures mystérieuses. En revanche, des démons essayaient de la pousser au désespoir, agaçaient sa prière par des blasphèmes et des chants obscènes, et frappaient la vierge qui les vainquait en invoquant la Vierge Marie avec confiance.
Il lui peinait de ne pouvoir assister à la messe et au Salve Regina des Complies dans l’église San-Domenico. Pour la consoler, sa sœur Maria, aidée de voisins généreux, la portait sur les épaules jusqu’à l’église, au moins tous les dimanches, et un frère l’amenait à l’église un soir par semaine à Complies à l’église dominicaine. A la longue, Bienvenue se jugea égoïste d’être à charge et pria Notre-Dame de la guérir, promettant un pèlerinage à la tombe de saint Dominique à Bologne. Elle fut guérie dans l’église même, en présence de nombreux témoins, le jour de l’Annonciation, sa fête préférée. Aussitôt, elle se rendit à Bologne, accompagnée de sa sœur Maria.
De retour à Cividale, l’habitude de contemplation et de pénitence reprend.
Quelqu’un protesta contre la mort d’un jeune enfant prometteur, Bienvenue rétorqua : « Il est bien mieux d’être jeune au paradis que d’être vieux en enfer ». Ses extases avaient souvent un caractère de joie : Bienvenue s’épanouissait dans les mystères joyeux. Ses intimes l’appelaient « la plus douce et la plus spirituelle des contemplatives, si adorable dans sa sainteté que son toucher et sa présence inspiraient la joie et chassaient les tentations ». Autre signe de sympathie : elle ne mesurait pas les autres à son aune.
Bienvenue a toujours eu le consentement et l’aide de ses parents pour mener cette vie, tendrement aimée et protégée pendant 38 ans par ses proches qui se voyaient heureux de l’exonérer des charges quotidiennes.
Son premier biographe rapporte que lors d’une Semaine sainte, Bienvenue vit les douleurs et l’angoisse du Sauveur, et lorsque Pâques arriva, elle reçut une effusion multipliée de bonheur céleste. Un Noël, elle obtint de la Sainte Vierge de tenir l’Enfant Jésus dans ses bras un long moment, et, une autre fois, dans l’église près de chez elle, elle rencontra un enfant qui se révéla être le petit Jésus. Aux complies d’un trois août, elle vit saint Dominique à la place du prieur dominicain qui était absent, passant de frère en frère, donnant le baiser de paix, puis se dirigeant vers son autel et disparaissant ; au cortège du Salve, la Sainte Vierge, tenant l’Enfant Jésus dans ses bras, descendit l’allée, bénissant les Pères.
La Vierge Marie lui promit la victoire sur les démons à l’approche de la mort. L’ennemi lui insinua que ses pénitences et ses prières étaient inspirées par une fierté intime et qu’ainsi Dieu l’abandonnait et la condamnait à l’enfer. Les personnes présentes comprirent à son visage que son âme était déchirée : un cri jaillissait sans cesse de ses lèvres : « Maria, Maria ! ». Ce nom mit l’ennemi en fuite, et elle décéda dans une paix céleste le 29 ou 30 octobre 1292.
Son corps, porté à l’église San-Domenico, fut l’occasion de nombreuses guérisons. Au début, une mystérieuse lumière signalait parfois l’emplacement de sa tombe dans la nuit, ou rayonnait sur l’église entière.
En 1447, les Dominicains obtinrent d’ouvrir sa tombe, mais le corps était introuvable, malgré des recherches répétées. Néanmoins son culte se perpétua. Le pape Clément XIII, ratifiant le culte populaire, la déclara Bienheureuse le 6 février 1765.
Abbé Laurent Serres-Ponthieu