Abbé Ludovic Girod,Juin 2010
L’Eglise attache une telle importance à la Messe qu’elle impose à tous les chrétiens qui n’en sont pas empêchés d’y assister tous les dimanches et les fêtes d’obligation, et ce dès l’âge de raison. Ce précepte ecclésiastique se comprend lorsque l’on se penche sur la valeur et l’efficacité du saint Sacrifice de la Messe. Essayons de creuser un peu ce sujet, en nous appuyant sur un excellent ouvrage du Docteur Nicolas Gihr : Le saint Sacrifice de la Messe (Lethielleux, Paris, 1899, en 2 vol).
La valeur d’un sacrifice repose d’abord sur la qualité et la dignité de la victime. Plus la victime sera précieuse, plus le sacrifice sera grand. A la messe, comme sur la croix, c’est Notre Seigneur lui-même qui est offert : son corps, son sang, son âme et sa divinité. Cette hostie est donc revêtue d’une dignité infinie.
Il nous faut ensuite considérer la qualité de celui qui offre le sacrifice. Or le sacrificateur, le prêtre principal de la Messe reste Notre Seigneur lui-même. Le prêtre trop humain que nous voyons à l’autel n’agit qu’en la personne du Christ, humanité de surcroît pour Notre Seigneur qui lui permet de continuer sur l’autel son offrande parfaite à son Père. Comme l’écrit le Docteur Girh :
» Cette dignité de la sainte Messe repose sur la grandeur et la sainteté de notre Sauveur, en tant qu’il s’offre et qu’il est offert encore aujourd’hui ».
Si donc l’on examine le sacrifice eucharistique en soi, c’est-à-dire la divinité du prêtre et de l’hostie, et les richesses incommensurables de la croix déposées dans cette offrande, il est évident qu’il possède une valeur absolument infinie.
Nous pouvons considérer ensuite la valeur de la Messe suivant les résultats réellement produits par ce sacrifice infiniment parfait par nature.
Voyons tout d’abord les résultats de la Messe par rapport à Dieu, à qui elle est offerte. Cette relation du sacrifice à Dieu demeure toujours la première et la plus essentielle. La Messe est avant tout un acte de religion offert à Dieu. Les liturgistes modernes se trompent lourdement lorsqu’ils mettent au premier plan l’instruction des fidèles, inversant les fins de la Messe, avec toutes les réformes que l’on sait : invasion du vernaculaire, petites chansonnettes indigentes, autel (table conviendrait mieux) tournée vers les petits restes du Peuple de Dieu. Non, la Messe est d’abord un culte rendu à Dieu. Elle glorifie Dieu non seulement comme sacrifice latreutique et eucharistique, mais aussi par sa valeur expiatoire et propitiatoire, car Dieu est aussi bien honoré par l’homme qui apaise sa justice et cherche à toucher sa miséricorde, que par celui qui rend hommage à sa majesté et le remercie des bienfaits reçus. La Messe rend à Dieu un culte infiniment précieux. Le Père Garrigou-Lagrange expose la même doctrine dans son ouvrage Le Sauveur et son amour pour nous :
« Ainsi est perpétué en substance l’adoration, la réparation, et le Consummatum est du sacrifice de la Croix. Et cette adoration, qui monte ainsi vers Dieu de toutes les messes quotidiennes, retombe en quelque sorte en rosée féconde sur notre pauvre terre pour la fertiliser spirituellement ».
Par rapport à nous, la sainte Messe a pour but notre sanctification et notre salut, elle est pour nous une source de grâces où nous puisons les bénédictions célestes. Si la Messe a une valeur infinie parce qu’elle renouvelle l’immolation de la croix, elle produit dans notre âme des effets qui restent finis et limités. Le Docteur Girh distingue une limitation intensive et une autre extensive.
La limitation intensive des effets de la Messe pour notre âme signifie que notre âme ne reçoit pas une dose infinie de grâces à la Messe, mais une quantité finie, car elle n’est qu’une créature limitée. Cette doctrine est confirmée par la pratique de l’Eglise qui permet d’offrir à plusieurs reprises la sainte Messe à une même intention. Si le sacrifice eucharistique appliquait des fruits de salut infinis aux âmes, il suffirait d’une seule Messe pour telle intention donnée. Cette limitation intensive des fruits de la Messe vient également de la volonté de Notre-Seigneur d’appliquer progressivement au cours des siècles les richesses de la Rédemption. Laissons la parole à notre auteur :
« De même que nous devons toujours prier, ainsi le sacrifice doit toujours être offert pour que nous en retirions les grâces que nous désirons. Dieu l’a voulu, parce que l’oblation perpétuelle de la victime sainte contribue plus puissamment à sa gloire et à notre salut ».
La limitation extensive signifie qu’une Messe offerte pour une seule personne en particulier lui attirera plus de grâces que si la Messe était offerte en même temps pour d’autres personnes. Une Messe pour une âme du purgatoire la soulagera davantage qu’une Messe pour toutes les âmes du purgatoire. Par contre, que les assistants à la Messe soient peu nombreux ou au contraire très nombreux ne change rien aux grâces spéciales réservées à ceux qui assistent à la Messe. Notons que le Père Garrigou-Lagrange ne partage pas ce qui n’est qu’une opinion théologique de certains auteurs. Il expose le principe selon lequel l’influence d’une cause universelle n’est limitée que par la capacité des sujets qui la reçoivent :
« Ainsi le soleil éclaire et réchauffe sur une place aussi bien mille personnes qu’une seule. Or le sacrifice de la Messe, étant substantiellement le même que celui de la Croix, est par manière de réparation et de prière, une cause universelle de grâce, de lumière, d’attrait et de force. Son influence sur nous n’est donc limitée que par les dispositions ou la ferveur de ceux qui la reçoivent […] Comme le dit saint Thomas, de même qu’on reçoit davantage la chaleur d’un foyer suivant qu’on s’en approche, ainsi nous bénéficions d’autant plus des fruits d’une messe que nous y assistons avec plus d’esprit de foi, de confiance en Dieu, d’amour et de piété ».
En conclusion, nous pouvons affirmer que la Messe est un sacrifice d’une valeur infinie de par l’hostie immolée et le prêtre, qui est Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, qu’elle rend à Dieu un culte infiniment parfait mais que les fruits que nous en retirons sont limités de par nos dispositions intérieures. Il ne nous reste plus qu’à faire preuve d’une grande générosité pour assister le plus souvent possible à la Messe et y communier afin de nourrir régulièrement notre âme durant ce long pèlerinage terrestre. Les saints ne se sont pas sanctifiés autrement que par la Messe et la communion.
En bref, dimanche ou semaine, la chapelle ne devrait pas désemplir lorsqu’il s’agit de la Messe.
Abbé Ludovic Girod
Extrait de la sainte Ampoule n° 186 de juin 2010