Vers un nouvel « été chaud » ?

Alors que le Pape François a publié son Motu pro­prio Traditionis Custodes contre la messe tra­di­tion­nelle, il est bon de se rap­pe­ler où et quand com­men­ça le com­bat pour défendre la messe face aux abus de pou­voir venus de Rome.

L’été 1976, le célèbre « été chaud »

Le Pape Paul VI fait une allo­cu­tion au consis­toire des car­di­naux le 24 mai 1976 qui est lar­ge­ment consa­crée à Mgr Lefebvre, lui repro­chant de refu­ser l’au­to­ri­té d’au­jourd’­hui au nom de celle d’hier, d’en­traî­ner à la déso­béis­sance « sous pré­texte de conser­ver sa foi intacte » et de refu­ser la nou­velle messe par « atta­che­ment sen­ti­men­tal » à l’an­cienne. Et Paul VI affirme que le « nou­vel Ordo a été pro­mul­gué pour être sub­sti­tué à l’an­cien. » « Ce n’est pas autre­ment, dit-​il, que notre saint pré­dé­ces­seur Pie V avait ren­du obli­ga­toire le mis­sel réfor­mé sous son auto­ri­té, à la suite du concile de Trente. »

Mgr Lefebvre est indi­gné de cette més­in­ter­pré­ta­tion de son com­bat pour la foi, et encore plus indi­gné de la com­pa­rai­son cap­tieuse que Paul VI ose faire de sa propre réforme avec celle de saint Pie V.((Cf. Madiran, revue Itinéraires n° 205, pp 10–11.))

Déjà, on le voit, le nœud autour duquel se joue le bras de fer entre Rome et Ecône est l’acceptation expli­cite de tout le Concile Vatican II, de toutes ses déci­sions et des réformes qui en sont issues, en com­men­çant par l’acceptation de la nou­velle messe. Il aurait suf­fi alors que Mgr Lefebvre accep­tât de concé­lé­brer une seule fois dans le nou­veau rite, et toute dif­fi­cul­té aurait été apla­nie. Pour le bien de toute l’Eglise, Mgr Lefebvre n’a pas cédé.

Les ordi­na­tions sacer­do­tales s’ap­pro­chant, la fièvre s’empare de Rome : l’ar­che­vêque va-​t-​il oser ordon­ner des prêtres sans lettres dimissoriales ?

29 juin 1976. A Ecône, dans la prai­rie atte­nante au sémi­naire, est construite une grande cha­pelle de toile. Le soleil darde ses rayons, plu­sieurs mil­liers de catho­liques, venus de toute l’Europe, de toute la terre, occupent les places pré­pa­rées ; on a du mal à dis­ci­pli­ner les nom­breux pho­to­graphes et jour­na­listes à l’af­fut. A 9 heures, la pro­ces­sion s’ébranle et des­cend la prai­rie. L’archevêque, mitré, gan­té, s’a­vance la crosse en main, le visage un peu contrac­té, l’air réso­lu. Il va ordon­ner 13 prêtres et 14 sous-​diacres. Dans son ser­mon, il explique sa résistance.

Après l’ordination, Mgr Lefebvre est frap­pé de « sus­pens a divi­nis ». Une sanc­tion qui, observe-​t-​il avec humour, l’empêche de dire la messe… nou­velle ! Le 29 août 1976, il se rend à Lille pour y célé­brer la messe devant des mil­liers de fidèles. Il y pro­non­ce­ra là aus­si un ser­mon reten­tis­sant qui fera la une des journaux.

Sermon des ordinations sacerdotales – Ecône, le 29 juin 1976 Mgr Lefebvre

Mes bien chers amis, mes bien chers confrères, mes bien chers frères,

[Vous] qui êtes venus de tous les pays, de tous les hori­zons, c’est une joie pour nous de vous accueillir et de vous sen­tir si près de nous en ce moment, si impor­tant pour notre Fraternité et aus­si pour l’Eglise. Je pense, en effet, que si des pèle­rins se sont per­mis de faire le sacri­fice de voya­ger nuit et jour, de venir de régions très éloi­gnées pour par­ti­ci­per à cette céré­mo­nie, c’est qu’ils avaient la convic­tion qu’ils venaient assis­ter à une céré­mo­nie d’Eglise, par­ti­ci­per à une céré­mo­nie qui réjoui­ra leur cœur, parce qu’ils auront ain­si la cer­ti­tude, en ren­trant chez eux, que l’Eglise catho­lique continue.

Oh ! je le sais bien, les dif­fi­cul­tés sont nom­breuses dans cette entre­prise que l’on nous dit être témé­raire. On nous dit que nous sommes dans une impasse. Pourquoi ? Parce que de Rome nous sont venus, sur­tout depuis trois mois, en par­ti­cu­lier depuis le 19 mars, fête de saint Joseph, des objur­ga­tions, des sup­pli­ca­tions, des ordres, des menaces, pour nous dire de ces­ser notre acti­vi­té, pour nous dire de ne pas faire ces ordi­na­tions sacer­do­tales. Elles ont été pres­santes ces der­niers jours : depuis douze jours, spé­cia­le­ment, nous ne ces­sons de rece­voir des mes­sages ou des envoyés de Rome, nous enjoi­gnant de nous abs­te­nir de faire ces ordi­na­tions. Mais si, en toute objec­ti­vi­té, nous cher­chons quel est le motif véri­table qui anime ceux qui nous demandent de ne pas faire ces ordi­na­tions, si nous recher­chons leur motif pro­fond, nous trou­vons que c’est parce que nous ordon­nons ces prêtres, afin qu’ils disent la messe de toujours.

On m’a mis dans les mains un mis­sel nou­veau, en me disant : « Voilà la messe que vous devez célé­brer et que vous célé­bre­rez désor­mais dans toutes vos mai­sons. »

Et c’est parce que l’on sait que ces prêtres seront fidèles à la messe de l’Eglise, à la messe de la Tradition, à la messe de tou­jours, qu’on nous presse de ne pas les ordon­ner. Je n’en veux pour preuve que ce fait : six fois depuis trois semaines, six fois on nous a deman­dé de réta­blir des rela­tions nor­males avec Rome et, comme témoi­gnage, de rece­voir le rite nou­veau et de le célé­brer moi-​même. On est allé jusqu’à m’envoyer quelqu’un qui m’a offert de concé­lé­brer avec moi dans le rite nou­veau, afin de mani­fes­ter que j’acceptais volon­tiers cette nou­velle litur­gie, et qui m’a dit que, de ce fait, tout serait apla­ni entre nous et Rome. On m’a mis dans les mains un mis­sel nou­veau, en me disant : « Voilà la messe que vous devez célé­brer et que vous célé­bre­rez désor­mais dans toutes vos mai­sons. » On m’a dit éga­le­ment que, si en cette date, aujourd’hui, ce 29 juin, devant toute notre assem­blée, nous célé­brions une messe selon le nou­veau rite, tout serait apla­ni alors entre nous et Rome. Ainsi il est clair, il est net que c’est sur le pro­blème de la messe que se joue tout le drame entre Ecône et Rome.

Avons-​nous tort de nous obs­ti­ner à vou­loir gar­der le rite de tou­jours ? Certes, nous avons prié, nous avons consul­té, nous avons réflé­chi, nous avons médi­té pour savoir si vrai­ment c’est nous qui étions dans l’erreur ou si réel­le­ment nous n’avions pas de rai­son suf­fi­sante de ne pas nous sou­mettre à ce nou­veau rite. Eh bien, jus­te­ment, l’insistance que mettent ceux qui nous sont envoyés de Rome pour nous deman­der de chan­ger de rite, nous fait réflé­chir, et nous avons la convic­tion que pré­ci­sé­ment ce rite nou­veau de la messe exprime une nou­velle foi, une foi qui n’est pas la nôtre, une foi qui n’est pas la foi catholique.

Cette nou­velle messe est un sym­bole, une expres­sion, une image d’une foi nou­velle, d’une foi moder­niste, car si la Sainte Eglise a vou­lu gar­der tout au cours des siècles, ce tré­sor pré­cieux qu’elle nous a don­né du rite de la sainte messe cano­ni­sée par saint Pie V, ce n’est pas pour rien. C’est parce que dans cette messe se trouve toute notre foi, toute la foi catho­lique : la foi dans la Sainte Trinité, la foi dans la divi­ni­té de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, la foi dans le Sang de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, qui a cou­lé pour la rédemp­tion de nos péchés, la foi dans la grâce sur­na­tu­relle, qui nous vient du Saint Sacrifice de la messe, qui nous vient de la Croix, qui nous vient par tous les sacre­ments. Voilà ce que nous croyons en célé­brant le Saint Sacrifice de la messe de tou­jours. Cette messe est une leçon de foi, indis­pen­sable pour nous en cette époque où notre foi est atta­quée de toutes parts. Nous avons besoin de cette messe véri­table, de cette messe de tou­jours, de ce Sacrifice de Notre-​Seigneur Jésus-Christ.

Cette nou­velle messe est un sym­bole, une expres­sion, une image d’une foi nou­velle, d’une foi moder­niste, car si la Sainte Eglise a vou­lu gar­der tout au cours des siècles, ce tré­sor pré­cieux qu’elle nous a don­né du rite de la sainte messe cano­ni­sée par saint Pie V, ce n’est pas pour rien. C’est parce que dans cette messe se trouve toute notre foi, toute la foi catholique.

Or, il est évident que ce rite nou­veau, sous-​tendu – si je puis dire – sup­pose une autre concep­tion de la reli­gion catho­lique, une autre reli­gion. Ce n’est plus le prêtre qui offre la messe, c’est l’assemblée. Cela est tout un pro­gramme. Désormais, c’est l’assemblée aus­si qui rem­place l’autorité dans l’Eglise : c’est l’assemblée épis­co­pale qui rem­place le pou­voir des évêques, c’est le conseil pres­by­té­ral qui rem­place le pou­voir de l’évêque dans le dio­cèse, c’est le nombre qui com­mande désor­mais dans la Sainte Eglise, et cela est expri­mé dans la messe pré­ci­sé­ment en ce que l’assemblée rem­place le prêtre, à tel point que main­te­nant beau­coup de prêtres ne veulent plus célé­brer la sainte messe quand il n’y a pas d’assemblée. Tout dou­ce­ment, c’est la notion pro­tes­tante de la messe qui s’introduit dans la Sainte Eglise. Et cela est conforme à la men­ta­li­té de l’homme moderne, à la men­ta­li­té de l’homme moder­niste, cela lui est abso­lu­ment conforme. Car, c’est l’idéal démo­cra­tique qui est fon­da­men­ta­le­ment l’idéal de l’homme moderne : pour lui, le pou­voir est dans l’assemblée, l’autorité est dans les hommes, dans la masse, et non pas en Dieu. Nous, nous croyons que Dieu est tout-​puissant, nous croyons que Dieu a toute auto­ri­té, nous croyons que toute auto­ri­té vient de Dieu : « Omnis pro­tes­tas a Deo ». Nous ne croyons pas, nous, que l’autorité vient du peuple, que l’autorité vient de la base, comme le veut la men­ta­li­té de l’homme moderne. Or, la nou­velle messe n’en est pas moins l’expression de cette idée que l’autorité se trouve à la base et non plus en Dieu. Cette messe n’est pas une messe hié­rar­chique, c’est une messe démo­cra­tique, et cela est très grave. C’est l’expression de toute une nou­velle idéo­lo­gie : on a fait entrer l’idéologie de l’homme moderne dans nos rites les plus sacrés. Et c’est cela qui cor­rompt actuel­le­ment toute l’Eglise, car par cette idée de pou­voir accor­dé à la base dans la sainte messe, on détruit le sacer­doce, on est en train de détruire le sacerdoce.

Le prêtre n’aura plus un pou­voir per­son­nel, ce pou­voir qui lui est don­né par son ordi­na­tion, comme vont le rece­voir dans un ins­tant ces futurs prêtres. Ils vont rece­voir un carac­tère qui va les mettre au-​dessus du Peuple de Dieu. Ils ne pour­ront jamais plus dire après cette céré­mo­nie qu’ils sont des hommes comme les autres. Ce n’est pas vrai : ils ne seront plus des hommes comme les autres, ils seront des hommes de Dieu. Ils seront des hommes qui par­ti­cipent à la divi­ni­té de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ en par­ti­ci­pant à son carac­tère sacer­do­tal. Car Notre-​Seigneur Jésus-​Christ est prêtre pour l’éternité, prêtre selon l’ordre de Melchisédech, parce que la divi­ni­té du Verbe de Dieu a été infu­sée dans cette huma­ni­té qu’Il a assu­mée. Et c’est au moment où Il a assu­mé cette huma­ni­té dans le sein de la Très Sainte Vierge Marie que Jésus est deve­nu prêtre.

On a fait entrer l’idéologie de l’homme moderne dans nos rites les plus sacrés.

La grâce à laquelle ces jeunes prêtres vont par­ti­ci­per n’est pas la grâce sanc­ti­fiante, à laquelle Notre-​Seigneur Jésus-​Christ nous fait par­ti­ci­per par la grâce du bap­tême ; c’est la grâce d’union, cette grâce d’union unique à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. C’est à cette grâce qu’ils vont par­ti­ci­per, car c’est par sa grâce d’union à la divi­ni­té de Dieu, à la divi­ni­té du Verbe, que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ est deve­nu prêtre, que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ est roi, que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ est juge, que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ doit être ado­ré par tous les hommes. Par la grâce d’union, grâce sublime, grâce que jamais aucun être ici-​bas n’a pu conce­voir, cette grâce de la divi­ni­té même, des­cen­dant dans une huma­ni­té qui est celle de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, l’oignant en quelque sorte comme l’huile qui des­cend sur la tête et qui consacre celui qui la reçoit, l’humanité de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ était péné­trée par la divi­ni­té du Verbe de Dieu et c’est ain­si qu’il a été fait prêtre, qu’il a été fait média­teur entre Dieu et les hommes, et c’est à cette grâce-​là que vont par­ti­ci­per ces prêtres, c’est elle qui les met­tra au-​dessus du peuple de Dieu. Eux aus­si, ils seront les inter­mé­diaires entre Dieu et son peuple. Ils ne seront pas seule­ment les repré­sen­tants du peuple de Dieu, ils ne seront pas les man­da­tés du peuple de Dieu, ils ne seront pas seule­ment les pré­si­dents de l’assemblée. Ils seront prêtres pour l’éternité, mar­qués de ce carac­tère pour l’éternité. Et per­sonne n’a le droit de ne pas les res­pec­ter. Même si eux, ils ne res­pec­taient pas ce carac­tère, ils l’ont tou­jours en eux, ils l’auront tou­jours en eux.

Voilà ce que nous croyons, voi­là quelle est notre foi et voi­là ce qui consti­tue notre Saint Sacrifice de la messe. C’est le prêtre qui offre le Saint Sacrifice de la messe. Les fidèles par­ti­cipent, certes, à cette offrande de tout leur cœur, de toute leur âme, mais ce ne sont pas eux qui l’offrent. La preuve : le prêtre, quand il est seul, offre le Sacrifice de la messe de la même manière et avec la même valeur que s’il y avait mille per­sonnes qui l’entouraient ; son sacri­fice a une valeur infi­nie car il n’est autre que le sacri­fice de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Voilà ce que nous croyons, et c’est pour­quoi nous pen­sons que nous ne pou­vons pas accep­ter ce rite nou­veau, qui est l’œuvre d’une idéo­lo­gie autre, d’une idéo­lo­gie nouvelle.

On a cru atti­rer à l’Eglise les gens qui ne croient pas, en pre­nant leurs idées, en pre­nant les idées de l’homme moderne, de cet homme moderne qui est un homme libé­ral, un homme moder­niste, un homme qui accepte la plu­ra­li­té des reli­gions, mais n’accepte plus la royau­té sociale de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Cela, je l’ai enten­du par deux fois des envoyés du Saint-​Siège, qui m’ont dit que la royau­té sociale de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ n’était plus pos­sible en notre temps, qu’il fal­lait accep­ter défi­ni­ti­ve­ment le plu­ra­lisme des reli­gions, que l’encyclique Quas pri­mas sur la royau­té de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, cette ency­clique si belle qui a été écrite par le pape Pie XI, ne serait plus écrite aujourd’hui par le pape. Voilà ce que m’ont dit les envoyés offi­ciels du Saint-Siège.

Cela nous est une dou­leur immense, immense, de pen­ser que nous sommes en dif­fi­cul­té avec Rome à cause de notre foi ! Comment est-​ce possible ?

Eh bien, nous ne sommes pas de cette reli­gion, nous n’acceptons pas cette nou­velle reli­gion. Nous sommes de la reli­gion de tou­jours, nous sommes de la reli­gion catho­lique, nous ne sommes pas de cette reli­gion uni­ver­selle, comme ils l’appellent aujourd’hui. Ce n’est plus la reli­gion catho­lique. Nous ne sommes pas de cette reli­gion libé­rale, moder­niste, qui a son culte, ses prêtres, sa foi, ses caté­chismes, sa bible – sa bible œcu­mé­nique. Nous ne les accep­tons pas, nous n’acceptons pas la bible œcu­mé­nique. Il n’y a pas de bible œcu­mé­nique, il y a la Bible de Dieu, la Bible de l’Esprit-Saint, qui a été écrite sous l’influence de l’Esprit-Saint ! C’est la parole de Dieu, nous n’avons pas le droit de la mélan­ger avec la parole des hommes ! Il n’y a pas de bible œcu­mé­nique qui puisse exis­ter, il n’y a qu’une parole, la Parole du Saint-​Esprit. Nous n’acceptons pas les caté­chismes qui n’affirment plus notre Credo. Et ain­si de suite, nous ne pou­vons pas accep­ter ces choses-​là. C’est contraire à notre foi, nous le regret­tons infi­ni­ment, cela nous est une dou­leur immense, immense, de pen­ser que nous sommes en dif­fi­cul­té avec Rome à cause de notre foi ! Comment est-​ce pos­sible ? C’est une chose qui dépasse notre ima­gi­na­tion, que jamais nous n’aurions pu pen­ser, que jamais nous n’aurions pu croire, sur­tout dans notre enfance, alors que tout était uni­forme, que l’Eglise croyait en son uni­té géné­rale, qu’elle avait la même foi, les mêmes sacre­ments, le même Sacrifice de la messe, le même caté­chisme. Voilà que, tout à coup, tout cela est dans la divi­sion, dans le déchirement.

Je l’ai dit à ceux qui sont venus de Rome : des chré­tiens sont déchi­rés dans leur famille, dans leur foyer, par­mi leurs enfants, ils sont déchi­rés dans leur cœur à cause de cette divi­sion dans l’Eglise, de cette nou­velle reli­gion que l’on enseigne et que l’on pra­tique. Des prêtres meurent pré­ma­tu­ré­ment, déchi­rés dans leur cœur et dans leur âme de pen­ser qu’ils ne savent plus que faire : ou se sou­mettre à l’obéissance et perdre en quelque sorte la foi de leur enfance et de leur jeu­nesse, et renon­cer aux pro­messes qu’ils ont faites au moment de leur sacer­doce, en prê­tant le ser­ment anti-​moderniste, ou alors avoir l’impression de se sépa­rer de celui qui est notre Père, le pape, de celui qui est le Successeur de Pierre. Quel déchi­re­ment pour les prêtres ! Des prêtres, beau­coup de prêtres sont morts pré­ma­tu­ré­ment de dou­leur. Des prêtres sont main­te­nant chas­sés de leurs églises, per­sé­cu­tés, parce qu’ils disent la messe de tou­jours ! Nous sommes dans une situa­tion vrai­ment dra­ma­tique ! Alors, nous avons à choi­sir entre une appa­rence – je dirais – d’obéissance – car le Saint-​Père ne peut pas nous deman­der d’abandonner notre foi, c’est abso­lu­ment impos­sible – et la conser­va­tion de notre foi. Eh bien, nous choi­sis­sons de ne pas aban­don­ner notre foi. Car en cela, nous ne pou­vons par nous trom­per. L’Eglise ne peut pas être dans l’erreur dans ce qu’elle a ensei­gné pen­dant deux mille ans, c’est abso­lu­ment impos­sible. Et c’est pour­quoi nous sommes atta­chés à cette tra­di­tion qui s’est expri­mée d’une manière admi­rable et d’une manière défi­ni­tive, comme l’a si bien dit le pape saint Pie V, dans le Saint Sacrifice de la messe.

Demain, peut-​être, notre condam­na­tion paraî­tra dans les jour­naux à cause de ces ordi­na­tions d’aujourd’hui, c’est très pos­sible. Probablement, je serai frap­pé moi-​même d’une sus­pense, ces jeunes prêtres seront frap­pés par une irré­gu­la­ri­té qui, en prin­cipe, devrait les empê­cher de dire la sainte messe ; c’est pos­sible. Eh bien, je fais appel à saint Pie V, qui a dit dans la Bulle Quo pri­mum qu’à per­pé­tui­té, aucun prêtre ne pour­ra encou­rir une cen­sure, quelle qu’elle soit, parce qu’il dit cette messe. Et par consé­quent, cette cen­sure, cette condam­na­tion, s’il y en avait une, ces cen­sures, s’il y en avaient, seront abso­lu­ment inva­lides, contraires à ce que saint Pie V a affir­mé solen­nel­le­ment dans sa Bulle : qu’à per­pé­tui­té, que jamais, qu’en aucun temps, on ne pour­ra infli­ger une cen­sure à un prêtre parce qu’il dira cette sainte messe. Pourquoi ? Parce que cette messe est cano­ni­sée, il l’a cano­ni­sée défi­ni­ti­ve­ment. Or, un pape ne peut pas enle­ver une cano­ni­sa­tion. Le pape peut faire un nou­veau rite, mais il ne peut pas enle­ver une cano­ni­sa­tion. Il ne peut pas inter­dire une messe qui est cano­ni­sée, cela n’est pas pos­sible. Or, cette sainte messe a été cano­ni­sée par saint Pie V. Et c’est pour­quoi nous pou­vons la dire en toute tran­quilli­té, en toute sécu­ri­té et même être cer­tains qu’en disant cette messe, nous pro­fes­sons notre foi, nous entre­te­nons notre foi et nous entre­te­nons la foi des fidèles. C’est la meilleure manière de l’entretenir, et c’est pour­quoi nous allons pro­cé­der dans quelques ins­tants à ces ordinations.

Nous choi­sis­sons de ne pas aban­don­ner notre foi. Car en cela, nous ne pou­vons par nous tromper.

Certes, nous sou­hai­te­rions avoir une béné­dic­tion, comme on en avait autre­fois, du Saint-​Siège : on avait des béné­dic­tions, venant de Rome, pour les nou­veaux ordi­nands. Mais nous pen­sons que le Bon Dieu est là qui voit toutes choses et qu’Il bénit aus­si cette céré­mo­nie que nous fai­sons et qu’un jour, Il en tire­ra les fruits qu’Il désire cer­tai­ne­ment et qu’Il nous aide­ra, en tous cas, à main­te­nir notre foi et à main­te­nir l’Eglise. Nous le deman­dons sur­tout à la Très Sainte Vierge, à Saint Pierre et à Saint Paul, aujourd’hui. Nous deman­dons à la Très Sainte Vierge, qui est la Mère du sacer­doce, d’obtenir pour ces jeunes la véri­table grâce du sacer­doce, de leur obte­nir l’Esprit-Saint, qui a été don­né par son inter­mé­diaire, aux Apôtres le jour de la Pentecôte. Et nous deman­dons à Saint Pierre et à Saint Paul de main­te­nir en nous cette foi en Pierre. Oh ! oui, nous avons la foi en Pierre, nous avons la foi dans le Successeur de Pierre. Mais comme le dit très bien le pape Pie IX dans sa consti­tu­tion dog­ma­tique sur le Pontife Romain : le pape a reçu le Saint-​Esprit non pour faire des véri­tés nou­velles, mais pour nous main­te­nir dans la foi de tou­jours. Voilà la défi­ni­tion dog­ma­tique de l’infaillibilité pon­ti­fi­cale faite au moment du pre­mier concile du Vatican par le pape Pie IX. Et c’est pour­quoi nous sommes per­sua­dés qu’en main­te­nant ces tra­di­tions, nous mani­fes­tons notre amour, notre doci­li­té et notre obéis­sance envers le Successeur de Pierre.

† Marcel Lefebvre

Images du 29 juin 1976

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.