L’une des craintes de saint Pie X en arrivant au Souverain Pontificat c’était de voir l’état des nations : l’apostasie quasi générale et l’ignorance, voire le mépris de Dieu. Face à ce mal, le saint Pape voyait son insuffisance, mais courageusement avec l’aide de la grâce, il brandissait la devise qui sera la ligne directrice de ses 11 ans de règne : « Tout restaurer dans le Christ. »
Un siècle plus tard, Mgr Lefebvre faisait le même constat bien plus dramatique. Dans une série de conférence aux séminaristes d’Écône, il montre les origines de cette apostasie car trouver la cause permet souvent d’entrevoir le remède. Mgr Lefebvre mettra par écrit son analyse en 1987, dans un de ses livres : « Ils l’ont découronné ». L’apostasie dont le monde souffre aujourd’hui, dit-il, est due au naturalisme. Issu de la Renaissance, incarné dans le protestantisme et diffusé par la Franc-Maçonnerie, ce naturalisme fut combattu par les papes inlassablement, il ne s’est introduit dans l’Église que par le biais du libéralisme.
Ce mot de libéral est hélas bien souvent une épithète que nous nous lançons à la figure à tort et à travers, sans savoir au juste ce qu’il signifie. En donner une définition précise est extrêmement difficile alors, à défaut de définition, décrivons-le : le libéral est un fanatique d’indépendance, il la prône jusqu’à l’absurdité en tout domaine… dans l’ordre naturel : « indépendance du vrai et du bien vis-à-vis de l’être ; de la volonté à l’égard de l’intelligence ; de la conscience à l’égard de la règle objective ; des puissances anarchiques du sentiment à l’égard de la raison ; du corps vis-à-vis de l’âme ; du présent à l’égard du passé ; de l’individu vis-à-vis de toute société » et dans l’ordre surnaturel : « indépendance de la raison et de la science à l’égard de la foi ; de l’homme, de la famille, de la profession, de l’État surtout à l’égard de Dieu, de Jésus- Christ, de l’Église. »
Peut-on être catholique et libéral ?
Certains esprits chagrins au XIXe siècle, persuadés qu’on ne peut pas être indéfiniment contre les idées de son temps, sans cesse ramer à contre courant, paraître rétrograde ou réactionnaire, ont cru pouvoir concilier les inconciliables c’est-à-dire « le libéralisme qui est l’affirmation dogmatique de l’indépendance absolue de la raison individuelle et sociale, avec le catholicisme qui est le dogme de la sujétion absolue de la raison individuelle à la loi de Dieu. »
Aux fondateurs du libéralisme catholique la conciliation parut facile. Ils admirent une raison individuelle sujette à la loi évangélique et ils inventèrent une raison publique et sociale, coexistante avec elle et libre de toute entrave. « Ainsi le simple citoyen doit se soumettre à la révélation de Jésus-Christ, mais l’homme public peut à ce titre se comporter comme si la révélation n’existait pas pour lui. »
Le libéralisme dit catholique est-il un péché ?
« Il y a dans tout ce libéralisme, explique Mgr Lefebvre, un manque de foi, ou plus précisément un manque de l’esprit de la foi, qui est un esprit de totalité : tout soumettre à Jésus-Christ, « tout récapituler dans le Christ », comme dit saint Paul (Col I, 20). On n’ose pas revendiquer pour l’Église la totalité de ses droits, on se résigne sans lutte, on s’accommode même fort bien du laïcisme, on en arrive enfin à l’approuver. »
C’est également l’explication fournie par Dom Sarda y Salvany : « Si l’on considère l’intime essence du libéralisme dit catholique ou pour parler plus vulgairement, du catholicisme libéral, elle est due uniquement à une fausse interprétation de l’acte de foi… Les catholiques libéraux s’intitulent « catholiques », parce qu’ils croient fermement que le catholicisme est la véritable révélation du Fils de Dieu, mais ils s’intitulent catholiques-libéraux, parce qu’ils jugent que ce qu’ils croient ne peut être imposé à eux-mêmes et à personne pour un motif supérieur à celui de leur libre interprétation. »
Une maladie incurable ?
Plus profond que le manque de foi, le libéralisme catholique est une maladie de l’intelligence qui rend l’âme difficilement capable de se convertir. La grâce suppose la nature, la foi une intelligence en bonne santé c’est-à-dire capable de juger et par suite d’affirmer ou de nier. Or le propre du libéral, c’est qu’il n’ose rien affirmer, qu’immédiatement se présente à lui la contre-affirmation, qu’il se sent obliger de poser aussi. Cette incohérence perpétuelle du libéral qui craint d’affirmer, détruit son intelligence, en ce sens que la contradiction l’empêche de contempler la vérité qui est son objet propre. Le Père Clérissac a vu profondément la nature de cette maladie : « un manque d’intégrité de l’esprit », « un esprit qui n’a pas suffisamment confiance en la vérité. »
Un dissolvant puissant !
Mgr Lefebvre n’hésitait pas à affirmer « On ne peut imaginer d’entreprise plus impie, et plus dissolvante de l’esprit chrétien, du bon combat de la foi, de l’esprit de croisade, c’est-à-dire du zèle pour conquérir le monde à Jésus Christ, que de vouloir concilier les inconciliables, réconcilier l’Église et la révolution, Notre Seigneur Jésus-Christ et le prince de ce monde. »
Le virus du libéralisme qui détruit toutes les valeurs naturelles et surnaturelles atteint désormais, non seulement les sociétés civiles, mais l’Église elle-même. Alors ne nous laissons pas contaminer par le mal qui ronge, mais gardons confiance comme le rappelait Mgr Lefebvre en conclusion de ses conférences sur le libéralisme : « La très Sainte Vierge aura la victoire. Elle triomphera de la grande apostasie, fruit du libéralisme. Raison de plus pour ne pas se tourner les pouces. Nous devons lutter plus que jamais pour le règne social de Notre Seigneur Jésus Christ. Dans ce combat nous ne sommes pas seuls : nous avons avec nous tous les papes jusqu’à Pie XII inclusivement. Ils ont tous combattu le libéralisme pour en délivrer l’Église.
Dieu n’a pas permis qu’ils réussissent, mais ce n’est pas une raison pour déposer les armes. Il faut tenir. Il faut bâtir, pendant que les autres démolissent. Il faut rebâtir les citadelles écroulées, reconstruire les bastions de la foi : d’abord le saint Sacrifice de la Messe de toujours qui fait les saints, ensuite nos chapelles qui sont nos vraies paroisses, nos monastères, nos familles nombreuses, nos écoles catholiques, nos entreprises fidèles à la doctrine sociale de l’Église, nos hommes politiques décidés à faire la politique de Jésus-Christ, c’est tout un tissu de vie sociale chrétienne, de coutumes chrétiennes, de réflexes chrétiens, qu’il nous faut restaurer, à l’échelle que Dieu voudra, le temps que Dieu voudra.
Tout ce que je sais, la foi nous l’enseigne, c’est que Jésus-Christ doit régner ici-bas, maintenant et pas seulement à la fin du monde, comme le voudraient les libéraux. »
Abbé Jean-Marie Salaün, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Source : La Voix des clochers n° 11 d’octobre-novembre 2009