Dans sa dernière lettre aux amis et bienfaiteurs en septembre 2005, Monseigneur Fellay cite la lettre de Monseigneur Lefebvre au cardinal Ottaviani en 1966 comme étant « la ligne directrice » du dialogue avec Rome.
Et de conclure :
« La nouvelle Messe, le Concile ne sont que la pointe de l’iceberg qui a frappé le navire de l’Église ; l’esprit du concile vient du libéralisme, du protestantisme, finalement de cette révolte contre Dieu qui marque l’histoire des hommes jusqu’à la fin des temps. Quel serait le sens d’un accord qui consisterait à se laisser abîmer par l’iceberg ?»
Monseigneur Lefebvre, le 11 juin 1988, envisageant un accord, décrivait les conséquences de cet esprit libéral et protestant, si nous n’étions pas bien fermes et solides dans la Foi et l’agir qu’elle implique.
« S’il y avait un arrangement (avec Rome), nous serions envahis par quantité de monde. Maintenant que vous avez la Tradition et êtes reconnus par Rome, on va venir chez vous. Il y a quantité de gens qui vont garder leur esprit moderne et libéral, mais qui viendront chez nous parce que cela leur fera plaisir d’assister de temps en temps à une cérémonie traditionnelle, d’avoir des contacts avec les traditionalistes. Et cela va être très dangereux pour nos milieux. Si nous sommes envahis par ce monde-là que va devenir la tradition ? Petit à petit, il va y avoir une espèce d’osmose qui va se produire, une espèce de consensus. Oh, après tout, la nouvelle messe, ce n’est pas si mal que ça, il ne faut pas exagérer. Tout doucement, tout doucement on va finir par ne plus voir la distinction entre le libéralisme et la Tradition. C’est très dangereux. »
Ce danger n’est pas chimérique aujourd’hui.
Beaucoup se sont déjà habitués à des messes célébrées par des prêtres qui acceptent des accommodements dans la doctrine ou la soumission sans garantie aux autorités ecclésiastiques, le silence sur les documents conciliaires ou leur lecture authentique. D’autres, au contraire, suivent des pasteurs abandonnés à leur jugement, loin de tout lien hiérarchique qui les rattache à l’Église.
Ce n’est plus la Tradition de l’Église, ce n’est plus la Foi intégrale, librement prêchée, ce n’est plus l’exemple d’une adhésion d’intelligence et de cœur.
Pourtant, Monseigneur nous avait engagés à prendre nos distances avec prudence
« Alors quelle est notre attitude ? Il est clair que tous ceux qui nous quittent ou qui nous ont quittés pour sédévacantisme ou parce qu’ils veulent être soumis à la hiérarchie actuelle de l’Église tout en espérant garder la Tradition, nous ne pouvons plus avoir de rapports avec eux. Ce n’est pas possible. Nous disons nous, que l’on ne peut pas être soumis à l’autorité ecclésiastique et garder la Tradition. Eux affirment le contraire. C’est tromper les fidèles. Nous avons beau les estimer, il n’est bien entendu pas question de les insulter, mais nous ne voulons pas entamer de polémiques et nous préférons ne plus avoir affaire avec eux. C’est un sacrifice à faire. Mais il n’a pas commencé aujourd’hui, il dure depuis vingt ans. » (Flavigny, décembre 1988)
C’est ce que firent les Vendéens et les Chouans face aux curés jureurs. Parfois même ces jureurs étaient leurs propres curés. Ils les avaient baptisés, confessés, mariés, sanctifiés. Et à cette époque, point de changement ni dans les rites, ni dans la morale mais seulement un point de doctrine qui regardait la constitution divine de l’Église. Dans la tourmente révolutionnaire, cela pouvait sembler bien éloigné des préoccupations quotidiennes. Mais ces paysans à la Foi vive croyait en l’Église. Ils rejetèrent les jureurs, préférant se passer de sacrements, de messe, d’églises, de pasteurs ! Et le petit Jean-Marie Vianney fera sa première communion dans une grange derrière deux chars de foin !
« Tous ceux qui se séparent de nous, nous en sommes très affectés, mais on ne peut vraiment pas faire d’autre choix si nous voulons garder la Tradition. Nous devons être indemnes de compromission tant à l’égard des sédévacantistes qu’à l’égard de ceux qui veulent absolument être soumis à l’autorité ecclésiastique. Nous voulons demeurer attachés à Notre Seigneur Jésus-Christ. Or Vatican II a découronné Notre Seigneur. Nous, nous voulons rester fidèles à Notre Seigneur, roi, prince et dominateur du monde entier. Nous ne pouvons rien changer à cette ligne de conduite. » (Flavigny, décembre 1988)
De même, tous ceux qui prétendent aujourd’hui défendre la Tradition et la maintenir dans l’indépendance de nos évêques ne peuvent tenir. Cette allégeance, cette dépendance vis-à-vis de l’Évêque, c’est l’esprit de l’Église, aucun de ses membres ne peut s’en affranchir. Certes nos évêques ne jouissent à l’égard des âmes assoiffées que d’une d’une juridiction de suppléance, mais cela ne légitime pas un libre examen, une émancipation des règles d’agir dans l’Église. Il nous faut conserver l’esprit de l’Église à défaut de pouvoir jouir du recours à l’autorité compétente.
Exercer un ministère pastoral sans mandat d’aucune sorte, maintenir une vie religieuse sans inviter l’œil de l’évêque, prétendre rompre des vœux publics ou s’affranchir des liens d’un mariage qui semble nul sans jugement de l’évêque, fonder une école catholique sans autorisation ecclésiastique préalable, donner ou recevoir la confirmation des mains d’un prêtre sans raisons extrêmes, tout cela va contre l’esprit de l’Église. La crise de l’autorité n’autorise pas à vivre dans la crise, le désordre, l’indépendance, la révolution.
« Pour ma part, je suis convaincu que la Tradition ne peut subsister sans évêque traditionnel. Les fidèles et les prêtres ont besoin d’évêques. Vouloir maintenir et faire l’expérience de la Tradition sous des évêques modernistes et libéraux, c’est une utopie et un mensonge. C’est précisément ce qui m’a fait rompre les entretiens romains : la conviction qu’on ne voulait pas me donner un évêque traditionnel, pas de représentation valable à Rome. C’en était donc fini de la Tradition après mon décès et celui de Monseigneur de Castro Mayer. Un évêque n’est pas seulement celui qui accomplit matériellement un rite, fut-il traditionnel. Un évêque enseigne et sanctifie par sa doctrine et son exemple de la fidélité à la foi de toujours. » (Ecône, 29 janvier 1989)
L’iceberg n’est pas seulement dangereux pour ceux qui y sont réfugiés mais surtout pour ceux qui veulent naviguer autour, sur de frêles barques à la dérive, n’ayant d’autre guide que leurs propres yeux. Avec ou sans accord, il s’agit surtout, pour nous, de ne pas se faire abîmer par l’iceberg du libéralisme, du protestantisme et de la révolte !
Abbé Pierre Duverger, Prieur, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X