Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 30 septembre, en la fête de saint Jérôme, le plus grand des Docteurs dans l’exposition des Saintes Écritures, l’année 1943
A nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, evêques et autres Ordinaires en paix et communion avec le Siège apostolique, ainsi qu’à tout le clergé et aux fidèles de l’univers catholique
Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction apostolique !
Introduction – Occasion de l’encyclique « Providentissimus Deus » Manière d’en célébrer le cinquantenaire
Sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, les écrivains sacrés ont composé les livres que Dieu, dans sa paternelle bonté, a voulu donner au genre humain « pour enseigner, convaincre, corriger, former à la justice, en vue de rendre l’homme de Dieu parfait, apte à toute bonne œuvre » (II Tim., iii, 16 ss.). Ce trésor qui lui est venu du ciel, l’Eglise le tient comme la source la plus précieuse et une règle divine de la doctrine de la foi et des mœurs. Il n’est donc pas étonnant qu’elle l’ait gardé avec le plus grand soin, tel qu’elle l’a reçu intact des mains des apôtres ; qu’elle l’ait défendu contre toute interprétation fausse et perverse ; qu’elle l’ait employé avec zèle dans sa tâche de procurer aux âmes le salut éternel, comme d’innombrables documents de toute époque l’attestent clairement.
Mais parce que, dans les temps modernes, la divine origine des Saintes Ecritures et leur interprétation correcte ont été particulièrement mises en question, l’Eglise s’est appliquée à les défendre et à les protéger avec encore plus d’ardeur et de soin. Aussi, le saint Concile de Trente, dans un décret solennel, a‑t-il déjà déclaré, au sujet de la Bible, qu’on devait en reconnaître « comme sacrés et canoniques les livres entiers, avec toutes leurs parties, tels qu’on a coutume de les lire dans l’Eglise catholique et tels qu’ils sont contenus dans l’ancienne édition de la Vulgate latine » [1].
Puis, de notre temps, le Concile du Vatican, voulant réprouver de fausses doctrines sur l’inspiration, a déclaré que l’Eglise tient les Livres Saints pour sacrés et canoniques, « non parce que, œuvre de la seule industrie humaine, ils auraient été approuvés ensuite par son autorité ni pour cette seule raison qu’ils contiendraient la vérité sans erreur, mais parce que, écrits sous l’inspiration du Saint-Esprit, ils ont Dieu pour auteur et ont été transmis comme tels à l’Eglise » [2].
Plus récemment cependant, en dépit de cette solennelle définition de la doctrine catholique, qui revendique pour ces « livres entiers, avec toutes leurs parties », une autorité divine les préservant de toute erreur, quelques écrivains catholiques n’ont pas craint de restreindre la vérité de l’Ecriture Sainte aux seules matières de la foi et des mœurs, regardant le reste, du domaine de la physique ou de l’histoire, comme « choses dites en passant » et n’ayant – ainsi qu’ils le prétendirent – aucune connexion avec la foi. Mais Notre prédécesseur Léon XIII, d’immortelle mémoire, dans son encyclique Providentissimus Deus, du 18 novembre 1893, a confondu à bon droit ces erreurs et réglé l’étude des Livres divins par des instructions et des directives très sages.
Puisqu’il convient de célébrer le 50e anniversaire de la publication de cette encyclique, considérée comme la loi fondamentale des études bibliques, après avoir affirmé, dès le commencement de Notre pontificat, Notre intérêt pour les sciences sacrées [3], Nous avons jugé très opportun, d’une part, de rappeler et de confirmer ce que Notre prédécesseur a établi dans sa sagesse et ce que ses successeurs ont ajouté pour affermir et parfaire son œuvre ; d’autre part, d’indiquer ce que les temps présents semblent postuler, afin de stimuler de plus en plus à une entreprise aussi nécessaire et aussi louable tous les fils de l’Eglise qui s’adonnent à ces études.
I. Partie Historique
Sollicitude de Léon XIII et de ses successeurs pour les études bibliques
I. – Œuvre de Léon XIII
Doctrine de l’inerrance biblique
Le premier et principal soin de Léon XIII fut d’exposer la doctrine concernant la vérité des Livres Saints et de la venger des attaques lancées contre elle. Il proclama donc avec insistance qu’il n’y a absolument aucune erreur quand l’hagiographe, traitant des choses de la nature, « a suivi ce qui apparaît aux sens », comme dit le Docteur angélique [4], parlant « ou par une sorte de métaphore ou comme le comportait le langage usité à cette époque ; il en est encore ainsi aujourd’hui, sur beaucoup de points, dans la vie quotidienne, même parmi les hommes les plus savants ». En effet, « les écrivains sacrés ou, plus véritablement – ce sont les paroles mêmes de saint Augustin [5] – l’Esprit de Dieu qui parlait par leur bouche n’a pas voulu enseigner aux hommes les vérités concernant la constitution intime des objets visibles, parce qu’elles ne devaient leur servir de rien pour leur salut » [6] ; principe qu’il « sera permis d’appliquer aux sciences du même genre et notamment à l’histoire » en réfutant « de la même manière les objections fallacieuses des adversaires » et en défendant « la vérité historique de l’Ecriture Sainte contre leurs attaques ». [7]
Il ne faut pas, en outre, imputer une erreur à l’auteur sacré « là où des copistes, en exécutant leur travail, ont laissé échapper quelque inexactitude » ou « lorsque le sens véritable de quelque passage demeure douteux ». Enfin, il serait absolument funeste « soit de limiter l’inspiration à quelques parties seulement de la Sainte Ecriture, soit d’accorder que l’écrivain sacré lui-même s’est trompé », puisque l’inspiration divine, « non seulement par elle-même exclut toute erreur, mais encore l’exclut et y répugne aussi nécessairement que nécessairement Dieu, souveraine vérité, ne peut être l’auteur d’aucune erreur. Telle est la foi antique et constante de l’Eglise » [8].
Cette doctrine, que Notre prédécesseur Léon XIII a exposée avec tant de force, Nous la proposons aussi avec Notre autorité et Nous insistons pour qu’elle soit religieusement tenue par tous. Nous statuons aussi qu’on doit se conformer, aujourd’hui encore, avec la même application, aux conseils et aux encouragements qu’il a donnés, pour son temps, avec une si grande sagesse. En effet, comme de nouvelles et graves difficultés et problèmes avaient surgi, soit en raison des préjugés du rationalisme qui s’était insinué partout, soit surtout à la suite des fouilles et des explorations de monuments très anciens, effectuées en maintes régions de l’Orient, afin de rendre plus sûrement et plus abondamment accessible, pour l’utilité du troupeau du Seigneur, cette source insigne de la Révélation catholique, et aussi afin de ne pas la laisser profaner en aucun point, Notre prédécesseur, poussé par la sollicitude de la charge apostolique, souhaita et voulut « que plusieurs entreprennent, comme il convient, la défense des Saintes Lettres et s’y attachent avec constance, et que, surtout, ceux qui ont été appelés par la grâce de Dieu dans les ordres sacrés mettent de jour en jour un plus grand soin et un plus grand zèle à lire, à méditer et à expliquer les Ecritures, rien n’étant plus conforme à leur état » [9].
Impulsion donnée aux études bibliques :
Ecole biblique de Jérusalem – Commission biblique
C’est pourquoi le même Pontife loua et approuva l’Ecole pour les études bibliques, fondée à Jérusalem, au couvent de Saint-Etienne, par les soins du Maître général du saint ordre des Frères Prêcheurs ; école grâce à laquelle, disait-il, « la science biblique a reçu des avantages sérieux et dont elle en attend de plus grands encore » [10].
Puis dans la dernière année de sa vie, il trouva un nouveau moyen pour rendre chaque jour plus parfaites ces études tant recommandées par son encyclique Providentissimus Deus et pour les faire progresser le plus sûrement possible. En effet, par la lettre apostolique Vigilantiae du 30 octobre 1902, il institua un conseil ou Commission composé d’hommes compétents, « dont la fonction devait être de diriger tous leurs soins et tous leurs efforts, afin que les divines Ecritures trouvent partout, chez nos exégètes, cette interprétation plus critique que notre temps réclame et qu’elles soient préservées non seulement de tout souffle d’erreur, mais encore de toute témérité d’opinions » [11]. Cette commission, Nous l’avons, Nous aussi, confirmée et renforcée, suivant l’exemple de Nos prédécesseurs, usant de son ministère comme il avait été fait plusieurs fois auparavant, pour rappeler aux interprètes des Livres Saints les saintes lois de l’exégèse catholique, que les saints Pères, les Docteurs de l’Eglise et les Souverains Pontifes eux-mêmes ont transmises [12].
II. – Œuvre des successeurs de Léon XIII
Pie X :
Grades académiques – Programme des études bibliques Institut biblique
Ici, il ne semble pas hors de propos de rappeler avec reconnaissance les contributions de Nos prédécesseurs au même but, du moins les plus importantes et les plus utiles ; contributions que nous appellerions volontiers les compléments ou les fruits de l’heureuse initiative de Léon XIII.
Tout d’abord, Pie X, « voulant fournir un moyen assuré de préparer en abondance des maîtres recommandables par la profondeur et l’intégrité de leur doctrine qui se consacreraient dans les écoles catholiques à l’interprétation des Livres Saints…, institua les grades académiques de licencié et de docteur dans la science de l’Ecriture Sainte…, à conférer par la Commission biblique » [13]. Il porta ensuite une loi « sur les règles qui doivent présider à l’enseignement de l’Ecriture Sainte dans les grands séminaires », visant à ce que les séminaristes « non seulement eussent une pleine notion et compréhension de la portée, de la valeur et de la doctrine des Livres Saints, mais encore pussent, avec une science compétente et saine, se livrer au ministère de la parole sacrée et défendre… contre les attaques les livres écrits sous l’inspiration divine » [14]. Enfin, Pie X voulut « qu’il y eût dans la ville de Rome un centre de hautes études relatives aux Livres Saints, afin de développer le plus efficacement possible, selon l’esprit de l’Eglise catholique, la science biblique et toutes les études annexes ». Il fonda donc l’Institut biblique pontifical, le confia aux soins de l’illustre Compagnie de Jésus ; il statua qu’il serait « pourvu de cours supérieurs et de toutes les ressources de l’érudition biblique » et lui donna lui-même des lois et un règlement, affirmant qu’il voulait réaliser en cela « le projet salutaire et fécond » de Léon XIII [15].
Pie XI :
Grades académiques rendus obligatoires
Monastère de Saint-Jérôme pour la révision de la Vulgate
A tout cela enfin, Notre dernier prédécesseur, Pie XI, d’heureuse mémoire, donna son couronnement quand il décréta, entre autres choses, que nul ne serait admis « à professer l’enseignement des Saintes Ecritures dans les séminaires s’il n’avait pas obtenu légitimement, après avoir suivi des cours spéciaux de science scripturaire, les grades académiques devant la commission ou l’Institut biblique ». A ces grades il voulut que fussent reconnus les mêmes droits et les mêmes effets qu’aux grades dûment conférés en théologie et en droit canonique ; il établit en outre qu’à personne ne devrait être conféré « un bénéfice comportant canoniquement la charge d’expliquer au peuple la Sainte Ecriture s’il ne possédait, en plus des autres qualités, la licence ou le doctorat en science biblique ».
Il invitait en même temps les supérieurs généraux des ordres religieux et des congrégations religieuses, ainsi que les évêques du monde catholique, à envoyer les plus aptes parmi leurs sujets fréquenter les cours de l’Institut biblique et y conquérir les grades académiques. De plus, il confirmait ses exhortations par l’exemple en constituant généreusement, à cette fin précise, des revenus annuels[16].
Enfin, après que Pie X eût favorisé et approuvé, en 1907, « la tâche confiée aux religieux bénédictins de préparer, par leurs recherches et leurs études, les éléments nécessaires à une nouvelle édition de la traduction latine des Ecritures, connue sous le nom de Vulgate »[17] voulant assurer plus de solidité et de sécurité à cette « entreprise laborieuse et ardue » qui exige beaucoup de temps et de grandes dépenses, et dont la très grande utilité était manifestée par les excellents volumes déjà parus, fit bâtir depuis ses fondements le monastère romain de Saint-Jérôme, destiné à se consacrer uniquement à cette tâche et le dota largement d’une bibliothèque et de tous les autres instruments de travail[18].
III. – Sollicitude des Souverains Pontifes pour l’usage et la diffusion des livres saints
Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence le soin avec lequel Nos prédécesseurs, quand l’occasion s’en présentait, ont recommandé soit l’étude, soit la prédication des Saintes Ecritures, soit leur pieuse lecture et leur méditation. Pie X, en effet, approuva chaleureusement l’Association de Saint-Jérôme, qui s’applique à recommander aux fidèles la si louable coutume de lire et de méditer les saints Evangiles et à rendre, autant que possible, cette pratique plus facile. Il l’exhorta à persévérer avec ardeur dans cette entreprise en déclarant que « c’était là la chose la plus utile entre toutes, qui répondait très bien aux besoins du temps », puisque cela ne contribue pas peu à « dissiper ce préjugé selon lequel l’Eglise voit de mauvais œil et entrave la lecture de l’Ecriture Sainte en tangue vulgaire » [19].
A l’occasion du XVe centenaire de la mort de saint Jérôme, le plus grand des docteurs dans l’interprétation des Saintes Lettres, Benoît XV, après avoir scrupuleusement rappelé les préceptes et les exemples du saint Docteur, ainsi que les principes et les règles donnés par Léon XIII et par lui-même, et après d’autres recommandations des plus opportunes dans cette matière et qui ne doivent jamais être oubliées, exhorta « tous les enfants de l’Eglise, et principalement les clercs, au respect, en même temps qu’à la lecture pieuse et à la méditation assidue de la Sainte Ecriture » ; il les engagea à « chercher dans ces pages la nourriture qui alimente la vie spirituelle et la fait avancer dans la voie de la perfection », rappelant que « l’Ecriture sert principalement à sanctifier et féconder le ministère de la prédication ». Enfin, Benoît XV loua de nouveau l’œuvre de l’association établie sous le nom de Saint-Jérôme, grâce à laquelle les Evangiles et les Actes des Apôtres sont répandus aussi largement que possible, « de manière que ces livres aient désormais leur place dans chaque famille chrétienne et que chacun prenne l’habitude de les lire et méditer chaque jour [20].
IV. – Fruits de cette multiple activité
Mais ce n’est pas seulement grâce à ces entreprises, à ces préceptes, à ces encouragements de Nos prédécesseurs, que la science des Saintes Ecritures et leur usage ont notablement progressé parmi les catholiques, c’est aussi, il est juste et agréable de le reconnaître, grâce aux efforts et aux travaux de tous ceux qui ont mis leurs soins à suivre leurs directives, en méditant, en étudiant, en écrivant, comme aussi en enseignant et en prêchant, en traduisant ou en propageant les Livres Saints. Déjà, en effet, de très nombreux professeurs d’Ecriture Sainte sont sortis des écoles de haut enseignement théologique et biblique, principalement de Notre Institut biblique, et il en sort chaque jour qui, animés d’un zèle ardent pour les Livres Saints, s’emploient à pénétrer le jeune clergé du même zèle généreux et se dévouent à lui communiquer la doctrine qu’ils ont reçue eux- mêmes. Nombre d’entre eux aussi, par leurs écrits, ont fait avancer et font avancer en différentes manières la science biblique, soit en publiant les textes sacrés selon la méthode critique, soit en les expliquant, en les éclaircissant, en les traduisant en langue vulgaire, soit en les proposant à la pieuse lecture et à la méditation des fidèles, soit enfin en cultivant et s’assimilant les sciences profanes utiles pour l’interprétation de l’Ecriture.
Ces entreprises et d’autres initiatives encore qui, de jour en jour, se répandent plus largement et se développent, comme, par exemple, les sociétés, congrès et semaines d’études bibliques, les bibliothèques et les associations pour la méditation de l’Evangile, Nous font concevoir une ferme espérance que le respect, l’usage, la science des Saintes Lettres se développeront de plus en plus pour le bien des âmes. Il en sera ainsi, pourvu que tous observent avec une fermeté, une ardeur et une confiance toujours plus grandes la méthode des études bibliques prescrite par Léon XIII, développée .et perfectionnée par ses successeurs, confirmée et enrichie par Nous, seule méthode sûre et pleinement approuvée par l’expérience, sans se laisser arrêter par les difficultés qui, ainsi qu’il arrive toujours dans la vie humaine, ne manqueront jamais à une œuvre aussi excellente.
II. Partie Doctrinale
Des études Bibliques à notre époque
État actuel des études Bibliques
Il n’y a personne qui ne soit à même de remarquer combien, au cours des cinquante dernières années, se sont modifiées les conditions des études bibliques et des disciplines auxiliaires. Ainsi, pour ne pas parler du reste, au temps où Notre prédécesseur publiait son encyclique Providentissimus Deus, c’est à peine si l’on avait commencé l’exploration de l’un ou de l’autre des sites de la Palestine en y opérant des fouilles intéressant les questions bibliques. Maintenant, les recherches de ce genre ont grandement augmenté en nombre et, grâce à une méthode plus sévère et à un art perfectionné par l’expérience, elles nous fournissent des résultats plus nombreux et plus certains. Quelle lumière jaillit de ces recherches pour une intelligence plus exacte et plus pleine des Saints Livres, tous les spécialistes le savent, ainsi que tous ceux qui se livrent à ces études. L’importance de ces explorations est encore accrue par la fréquente découverte de monuments écrits, qui sont d’un grand secours pour la connaissance des langues, des littératures, des événements, des mœurs et des cultes des plus anciens peuples. La découverte et l’étude des papyrus, aujourd’hui si fréquentes, ne sont pas d’un moindre intérêt, car ils nous font mieux connaître la littérature, ainsi que les institutions publiques et privées, surtout à l’époque de notre Sauveur. En outre, d’anciens manuscrits des Livres Saints ont été découverts et publiés avec soin et sagacité ; l’exégèse des Pères de l’Eglise a été étudiée d’une façon plus approfondie et plus étendue ; enfin, la façon propre aux anciens de raconter et d’écrire a été illustrée de nombreux exemples.
Tous ces résultats que notre temps a acquis, non sans un secret dessein de la Providence, invitent en quelque sorte les interprètes des Saintes Lettres et les engagent à user avec empressement d’une si belle lumière pour scruter plus à fond les paroles divines, les commenter avec plus de précision, les exposer plus lumineusement. Que si, avec une suprême consolation, Nous voyons que ces mêmes exégètes ont déjà répondu avec empressement à cet appel et y répondent encore, ce n’est certes ni le dernier ni le moindre fruit de l’encyclique Providentissimus Deus, par laquelle Notre prédécesseur Léon XIII, comme pressentant cette floraison nouvelle de la science biblique, a invité au travail les exégètes catholiques et leur a tracé avec sagesse la voie et la méthode à suivre dans ce travail. Nous aussi, par la présente encyclique, Nous désirons obtenir non seulement que ce travail soit continué, avec persévérance et constance, mais qu’il devienne de jour en jour plus parfait et plus fécond ; c’est pourquoi Nous Nous proposons principalement de montrer à tous ce qui reste à faire et dans quel esprit l’exégète catholique doit s’adonner aujourd’hui à une tâche si importante et si sublime, voulant aussi donner aux ouvriers, qui travaillent avec zèle dans la vigne du Seigneur, de nouveaux stimulants et un nouveau courage.
I. – Recours aux textes originaux
Etude des langues bibliques
A l’exégète catholique qui se disposait à comprendre et à expliquer les Saintes Ecritures, déjà les Pères de l’Eglise, et surtout saint Augustin, recommandaient avec force l’étude des langues anciennes et le recours aux textes originaux [21]. Cependant, à cette époque, les conditions des études étaient telles que peu d’hommes connaissaient, même imparfaitement, la langue hébraïque. Au moyen âge, tandis que la théologie scolastique était à son apogée, la connaissance de la langue grecque elle-même était depuis longtemps si affaiblie en Occident que même les plus grands Docteurs de ce temps, pour commenter les Livres divins, ne se servaient que de la version latine, qu’on appelle la Vulgate. De nos jours, au contraire, non seulement la langue grecque, rappelée en quelque sorte à une vie nouvelle dès le temps de la Renaissance, est familière à presque tous ceux qui cultivent l’antiquité et les lettres, mais aussi la connaissance de la langue hébraïque et des autres langues orientales est largement répandue parmi les hommes cultivés. Il y a maintenant tant de moyens pour apprendre ces langues que l’interprète de la Bible qui, en les négligeant, s’interdirait l’accès aux textes originaux, ne pourrait échapper au reproche de légèreté et de nonchalance.
Il appartient, en effet, à l’exégète, de chercher à saisir religieusement et avec le plus grand soin les moindres détails sortis de la plume de l’hagiographe sous l’inspiration de l’Esprit divin, afin d’en pénétrer plus profondément et plus pleinement la pensée. Qu’il travaille donc avec diligence à s’assurer une maîtrise chaque jour plus grande des langues bibliques et des autres idiomes orientaux, et qu’il étaye son exégèse avec toutes les ressources que fournissent les différentes branches de la philologie. C’est ce que saint Jérôme s’efforça soigneusement de réaliser suivant l’état des connaissances de son temps ; c’est à cela qu’aspirèrent avec une ardeur infatigable, et non sans un réel profit, beaucoup des meilleurs exégètes des XVIe et XVIIe siècles, bien que la science des langues fût alors très inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui. C’est en suivant la même méthode qu’il importe d’expliquer le texte primitif qui, écrit par l’auteur sacré lui-même, a plus d’autorité et plus de poids qu’aucune version, même la meilleure, ancienne ou moderne ; ce en quoi on réussira sans doute avec plus de facilité et de succès si l’on joint à la connaissance des langues une solide compétence dans la critique textuelle.
Importance de la critique textuelle
Quelle importance il faut attribuer à cet art de la critique du texte, saint Augustin nous l’enseigne avec pertinence quand, parmi les préceptes à inculquer à qui étudie les Livres Saints, il met en première ligne le soin qu’il faut avoir de se procurer un texte correct. « La sagacité de ceux qui désirent connaître les Ecritures divines doit veiller en premier lieu à corriger les manuscrits – ainsi s’exprime l’illustre Docteur de l’Eglise – afin que les manuscrits incorrects cèdent le pas à ceux qui sont corrects » [22]. Cet art, qu’on appelle la critique textuelle, qu’on emploie avec beaucoup d’éclat et de succès dans l’édition des textes profanes, doit s’appliquer aujourd’hui, à plus forte raison en vérité, aux Livres Saints, à cause du respect qui est dû à la parole divine. Le but de cet art est, en effet, de rétablir le texte sacré, autant qu’il se peut, avec la plus grande perfection, en le purgeant des altérations dues aux insuffisances des copistes et en le délivrant, dans la mesure du possible, des gloses et des lacunes, des inversions de mots et des répétitions, ainsi que des fautes de tout genre qui ont coutume de se glisser dans tous les écrits transmis à travers plusieurs siècles.
D’aucuns, il est vrai, ont employé la critique, il y a quelques dizaines d’années, d’une façon tout arbitraire, et souvent de telle sorte qu’on aurait pu dire qu’ils agissaient ainsi afin d’introduire dans le texte sacré leurs opinions préconçues ; mais aujourd’hui, il est à peine besoin de le remarquer, la critique possède des lois si stables et si sûres qu’elle est devenue un instrument de choix pour éditer la parole divine avec plus de pureté et d’exactitude, tout abus pouvant être facilement dépisté. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici – car c’est trop évident et trop connu de ceux qui s’adonnent à l’étude de l’Ecriture Sainte – combien l’Eglise, depuis les premiers siècles jusqu’à nos jours, a eu en honneur ces travaux de l’art critique.
Aujourd’hui donc, après que cet art est arrivé à une si grande perfection, c’est pour ceux qui étudient les questions bibliques une tâche honorable, sinon toujours facile, d’employer tous les moyens pour que, le plus tôt possible, les catholiques préparent et publient opportunément des éditions conformes auxdites règles, tant des Livres Saints que des anciennes versions, en unissant au respect absolu du texte sacré l’observation attentive des lois de la critique. Que tous le sachent bien : ce travail de longue durée n’est pas seulement nécessaire pour comprendre, comme il faut, les textes écrits sous l’inspiration divine ; il est encore impérieusement requis par cette piété qui doit nous porter à être infiniment reconnaissants envers la Providence divine de ce qu’elle nous a destiné ces livres comme des lettres paternelles envoyées du trône où siège sa majesté à ses enfants.
Portée du décret du concile de Trente sur l’usage de la Vulgate
Traductions en langues vulgaires
Et que personne ne voie dans ce recours aux textes originaux, conformément à la méthode critique, une dérogation aux prescriptions si sagement formulées par le concile de Trente au sujet de la Vulgate[23]. Car c’est un fait appuyé sur des documents certains que le saint concile chargea ses présidents de prier le Souverain Pontife en son nom – et ils le firent – de faire corriger, autant que possible, d’abord l’édition latine, ensuite les textes grec et hébreu [24], afin de les publier plus tard pour l’utilité de la Sainte Eglise de Dieu. S’il ne fut pas possible de répondre alors pleinement à ce désir, à cause des difficultés du moment et d’autres obstacles, Nous avons la confiance que, maintenant, il pourra y être donné plus parfaitement et plus entièrement satisfaction grâce à la collaboration entre savants catholiques.
Si le concile de Trente a voulu que la Vulgate fût la version latine « que tous doivent employer comme authentique », cela, chacun le sait, ne concerne que l’Eglise latine, et l’usage public qu’elle fait de l’Ecriture, mais ne diminue en aucune façon – il n’y a pas le moindre doute à ce sujet – ni l’autorité ni la valeur des textes originaux. Au surplus, il ne s’agissait pas alors des textes originaux, mais des versions latines qui circulaient à cette époque ; versions entre lesquelles le concile, à juste titre, ordonna qu’on préférât celle qui, « par un long usage de tant de siècles, était approuvée dans l’Eglise ».
Cette autorité éminente de la Vulgate ou, comme l’on dit, son authenticité, n’a donc pas été décrétée par le concile, surtout pour des raisons de critique, mais bien plutôt à cause de son emploi légitime dans les Eglises au cours de tant de siècles. Cet usage, en vérité, démontre, ainsi que l’Eglise l’a compris et le comprend, que cette Vulgate est absolument exempte de toute erreur en ce qui concerne la foi et les mœurs ; si bien que, comme même l’Eglise l’atteste et le confirme, on peut la citer en toute sûreté et sans péril d’erreur dans les discussions, dans l’enseignement et dans la prédication. Dès lors une authenticité de ce genre ne doit pas être qualifiée en titre principal de critique, mais bien plutôt de juridique. C’est pourquoi l’autorité de la Vulgate en matière de doctrine n’empêche donc nullement – aujourd’hui elle le demanderait plutôt – que cette doctrine soit encore justifiée et confirmée par les textes originaux eux-mêmes et que ces textes soient appelés couramment à l’aide pour mieux dégager et expliquer le sens exact des Saintes Lettres. Le décret du concile de Trente n’empêche même pas que, pour l’usage et le bien des fidèles, en vue de leur faciliter l’intelligence de la parole divine, des versions en langue vulgaire soient composées précisément d’après les textes originaux, comme Nous savons que cela a déjà été fait d’une manière louable en plusieurs pays, avec l’approbation de l’autorité ecclésiastique.
II. – De l’interprétation des livres saints
Importance et recherche du sens littéral
Bien versé dans la connaissance des langues anciennes et pourvu des ressources de la critique, l’exégète catholique peut aborder la tâche – la plus importante de toutes celles qui lui incombent – de découvrir et d’exposer le véritable sens des Livres Saints. Que les exégètes, dans l’accomplissement de ce travail, aient toujours devant les yeux qu’il leur faut avant tout s’appliquer à discerner et à préciser ce sens des mots bibliques qu’on appelle le sens littéral. Ils doivent mettre le plus grand soin à découvrir ce sens littéral des mots au moyen de la connaissance des langues, en s’aidant du contexte et de la comparaison avec les passages analogues ; toutes opérations qu’on a coutume de faire aussi dans l’interprétation des écrits profanes, pour faire ressortir plus clairement la pensée de l’auteur.
Que les exégètes des Saintes Lettres, se souvenant qu’il s’agit ici de la parole divinement inspirée, dont la garde et l’interprétation ont été confiées à l’Eglise par Dieu lui-même, ne mettent pas moins de soin à tenir compte des interprétations et déclarations du magistère de l’Eglise, ainsi que des explications données par les saints Pères, en même temps que de « l’analogie de la foi », comme Léon XIII le fait observer très sagement dans l’encyclique Providentissimus Deus[25]. Qu’ils veillent d’une manière toute particulière à ne pas se contenter d’exposer ce qui regarde l’histoire, l’archéologie, la philologie et les autres sciences semblables – comme Nous regrettons qu’on le fasse dans certains commentaires – mais, tout en alléguant à propos ces informations, pour autant qu’elles peuvent aider à l’exégèse, qu’ils exposent surtout quelle est la doctrine théologique de chacun des livres ou des textes en matière de foi et de mœurs ; en sorte que leurs explications, non seulement aideront les professeurs de théologie à exposer et à prouver les dogmes de la foi, mais encore elles seront utiles aux prêtres pour expliquer la doctrine chrétienne au peuple et enfin à tous les fidèles pour mener une vie sainte, digne d’un chrétien.
Usage exact du sens spirituel
Quand les exégètes catholiques donneront une pareille interprétation, avant tout théologique, comme Nous avons dit, ils réduiront définitivement au silence ceux qui assurent ne rien trouver dans les commentaires de la Bible qui élève l’esprit vers Dieu, nourrisse l’âme et stimule la vie intérieure, prétendant en conséquence qu’il faut avoir recours à une interprétation spirituelle, ou, comme ils disent, mystique. Que cette manière de voir soit peu fondée, l’expérience de beaucoup d’hommes l’enseigne ; étudiant et méditant sans cesse la parole de Dieu, ils ont conduit leur âme à la perfection et ont été entraînés vers Dieu par un amour ardent. C’est aussi ce que montrent clairement et la pratique constante de l’Eglise et les avertissements des plus grands Docteurs. Ce qui ne signifie certes pas que tout sens spirituel soit exclu de la Sainte Ecriture ; car les paroles et les faits de l’Ancien Testament ont été merveilleusement ordonnés et disposés par Dieu de telle manière que le passé préfigurait d’avance d’une manière spirituelle ce qui devait arriver sous la nouvelle alliance de la grâce. C’est pourquoi l’exégète, de même qu’il doit rechercher et exposer le sens littéral des mots, tel que l’hagiographe l’a voulu et exprimé, ainsi doit-il exposer le sens spirituel, pourvu qu’il résulte certainement qu’il a été voulu par Dieu. Dieu seul, en effet, a pu connaître ce sens spirituel et nous le révéler. Or, ce sens, notre divin Sauveur nous l’indique et nous l’enseigne lui-même dans les saints Evangiles ; à l’exemple du Maître, les apôtres le signalent ouvertement dans leurs paroles et leurs écrits ; la tradition constante de l’Eglise le montre ; enfin, l’antique usage de la liturgie l’exprime chaque fois qu’on est en droit d’appliquer l’adage connu : « La loi de la prière est la loi de la croyance ».
Ce sens spirituel donc, voulu et fixé par Dieu lui-même, les exégètes catholiques doivent le mettre en lumière et le proposer avec le soin qu’exige la dignité de la parole divine. Qu’ils veillent religieusement, toutefois, à ne pas présenter comme sens authentique de la Sainte Ecriture des significations métaphoriques des choses. Car si, dans le ministère de la prédication surtout, un emploi plus large et métaphorique du texte sacré peut être utile pour éclairer et mettre en valeur certains points de la foi et des mœurs, à condition de le faire avec modération et discrétion, il ne faut cependant jamais oublier que cet usage des paroles de la Sainte Ecriture lui est comme extrinsèque et adventice. Il arrive même, surtout aujourd’hui, que cet usage n’est pas sans danger, parce que les fidèles, et en particulier ceux qui sont au courant des sciences sacrées comme des sciences profanes, cherchent ce que Dieu nous signifie par les Lettres sacrées, de préférence à ce qu’un écrivain ou un orateur disert expose en jouant habilement des paroles de la Bible. « La parole de Dieu, vivante et efficace, plus affilée qu’une épée à deux tranchants, si pénétrante qu’elle va jusqu’à séparer l’âme et l’esprit, les jointures et les moelles, démêlant les sentiments et les pensées des cœurs » (Hébr., iv, 12), n’a pas besoin d’artifice ni d’accommodations humaines pour émouvoir et frapper les esprits. Les pages sacrées, en effet, écrites sous l’inspiration de Dieu, sont, par elles-mêmes, riches en signification ; douées de vertu divine, elles valent par elles-mêmes ; ornées d’une beauté qui vient d’en haut, elles brillent et resplendissent par elles-mêmes, pourvu que le commentateur les explique si pleinement, si soigneusement, que tous les trésors de sagesse et de prudence qu’elles contiennent soient mis en lumière.
L’étude des saints Pères et des grands exégètes doit être stimulée
Pour s’acquitter de sa tâche, l’exégète pourra trouver une aide très appréciable dans l’étude sérieuse des œuvres que les saints Pères, les Docteurs de l’Eglise et les plus illustres exégètes des temps passés ont consacrées à l’explication des Saintes Lettres. Ceux-là, en effet, bien que parfois leur érudition profane et leurs connaissances linguistiques fussent moins poussées que celles des exégètes modernes, l’emportent en raison du rôle que Dieu leur a attribué dans l’Eglise, par une sorte de suave intuition des choses célestes et par une admirable pénétration d’esprit, grâce auxquels ils vont plus avant dans les profondeurs de la parole divine et mettent en lumière tout ce qui peut servir à expliquer la doctrine du Christ et à faire progresser la sainteté de la vie.
Il est certes regrettable que ces précieux trésors de l’antiquité chrétienne soient si peu connus de maints écrivains de notre temps et que les historiens de l’exégèse n’aient pas encore accompli tout ce qui semblerait nécessaire pour une étude méthodique et une juste appréciation de cette matière si importante. Plaise au ciel que se lèvent en grand nombre des travailleurs qui recherchent avec soin les auteurs et les ouvrages catholiques qui ont interprété les Saintes Ecritures et qui y puisent, pour ainsi dire, toutes les richesses presque incommensurables amassées par ces auteurs. Ils contribueront ainsi à montrer toujours mieux avec quel soin ces anciens exégètes ont scruté et mis en lumière la doctrine des Livres Saints et à obliger les exégètes contemporains à s’inspirer de leur exemple, à chercher chez eux des arguments opportuns. Ainsi se réalisera enfin l’heureuse et féconde union de la doctrine et de Ponction des anciens avec l’érudition plus vaste et l’art plus perfectionné des modernes ; union qui produira des fruits nouveaux dans le champ des Lettres divines, lequel ne sera jamais ni assez cultivé ni entièrement épuisé.
III. – Les taches particulières des exégètes de nos jours
Etat actuel de l’exégèse
En outre, Nous avons de bonnes et justes raisons d’espérer que notre temps lui aussi apportera sa contribution à une interprétation plus approfondie et plus exacte des Saintes Lettres. Car bien des points, en particulier parmi ceux qui touchent à l’histoire, ont été à peine ou insuffisamment expliqués par les commentateurs des siècles écoulés, parce qu’il leur manquait presque toutes les connaissances nécessaires pour mieux les élucider. Combien certains points ont été pour les Pères eux-mêmes difficiles et comme impénétrables, Nous le voyons, pour ne rien dire d’autre, aux efforts réitérés de beaucoup d’entre eux pour interpréter les premiers chapitres de la Genèse, comme aux divers essais tentés par saint Jérôme pour traduire les psaumes de façon à mettre clairement en lumière leur sens littéral, c’est-à-dire celui que les mots mêmes expriment. Il y a enfin d’autres livres ou textes sacrés dont les difficultés n’ont été découvertes qu’à l’époque moderne, après qu’une meilleure connaissance de l’antiquité eût soulevé des questions nouvelles, faisant pénétrer d’une manière plus appropriée dans le vif du sujet. C’est donc à tort que certains, ne connaissant pas exactement les conditions actuelles de la science biblique, prétendent que l’exégète catholique contemporain ne peut rien ajouter à ce qu’a produit l’antiquité chrétienne, alors qu’au contraire notre temps a mis en évidence tant de questions qui, en exigeant de nouvelles recherches et de nouveaux contrôles, stimulent grandement l’activité studieuse des exégètes modernes.
Il faut tenir compte du caractère de l’hagiographe
Notre âge, en vérité, qui soulève de nouvelles questions et accumule de nouvelles difficultés, fournit aussi à l’exégète, grâce à Dieu, de nouvelles ressources et de nouveaux appuis. Sous ce rapport, il paraît juste de faire une mention particulière de ce fait que les théologiens catholiques, en suivant la doctrine des saints Pères, surtout celle du Docteur angélique et universel (saint Thomas d’Aquin), ont étudié et exposé la nature et les effets de l’inspiration biblique d’une façon plus appropriée et plus parfaite qu’on avait coutume de le faire dans les siècles passés.
Partant, dans leurs recherches, du principe que l’hagiographe, en rédigeant le Livre Saint, est l’organe (δργανον) ou l’instrument de l’Esprit-Saint, mais un instrument vivant et doué de raison, ils remarquent à juste titre que, conduit par la motion divine, il use cependant de ses facultés et de ses talents, de telle manière que l’on peut facilement saisir, dans le livre composé par lui, « son caractère particulier et, pour ainsi dire, ses traits et linéaments personnels » [26]. L’exégète doit donc s’efforcer, avec le plus grand soin, sans rien négliger des lumières fournies par les recherches modernes, de discerner quel fut le caractère particulier de l’écrivain sacré et ses conditions de vie, l’époque à laquelle il a vécu, les sources écrites ou orales qu’il a employées, enfin sa manière d’écrire. Ainsi pourra-t-il bien mieux connaître qui a été l’hagiographe et ce qu’il a voulu exprimer en écrivant. Il n’échappe, en effet, à personne, que la loi suprême de l’interprétation est d’examiner attentivement et de définir ce que l’écrivain a voulu dire, comme nous en avertit admirablement saint Athanase : « Ici, ainsi qu’il convient de faire dans tous les autres passages de la Sainte Ecriture, il faut observer à quelle occasion l’Apôtre a parlé, remarquer avec soin et impartialité à qui et pourquoi il a écrit, de peur qu’en ignorant ces circonstances ou les comprenant autrement, on ne s’écarte du véritable sens » [27].
Importance du genre littéraire, surtout en histoire
Or, dans les paroles et les écrits des anciens auteurs orientaux, souvent le sens littéral n’apparaît pas avec autant d’évidence que chez les écrivains de notre temps ; ce qu’ils ont voulu signifier par leurs paroles ne peut pas se déterminer par les seules lois de la grammaire ou de la philologie, non plus que par le seul contexte. Il faut absolument que l’exégète remonte en quelque sorte par la pensée jusqu’à ces siècles reculés de l’Orient, afin que s’aidant des ressources de l’histoire, de l’archéologie, de l’ethnologie et des autres sciences, il discerne et reconnaisse quels genres littéraires les auteurs de cet âge éloigné ont voulu employer et ont réellement employés. Les anciens Orientaux, en effet, pour exprimer ce qu’ils avaient dans l’esprit, n’ont pas toujours usé des formes et des manières de dire dont nous usons aujourd’hui, mais bien plutôt de celles dont l’usage était reçu par les hommes de leur temps et de leur pays. L’exégète ne peut pas déterminer a priori ce qu’elles furent ; il ne le peut que par une étude attentive des littératures anciennes de l’Orient. Or, dans ces dernières dizaines d’années, ces recherches, poursuivies avec plus de soin et de diligence qu’autrefois, ont révélé plus clairement les formes de langage employées dans ces temps anciens, soit dans les compositions poétiques, soit dans l’énoncé des lois et des normes de vie, soit enfin dans le récit des faits et des événements de l’histoire.
Cette même étude a déjà prouvé clairement que le peuple d’Israël l’a emporté singulièrement sur les autres nations anciennes de l’Orient dans la manière d’écrire correctement l’histoire, tant pour l’ancienneté que pour la fidèle relation des événements ; prérogative qui est due, sans doute, au charisme de l’inspiration divine et au but particulier, d’ordre religieux, de l’histoire biblique.
Néanmoins, quiconque possède un juste concept de l’inspiration biblique, ne s’étonnera pas de trouver chez les écrivains sacrés, comme chez tous les anciens, certaines façons d’exposer et de raconter, certains idiotismes propres aux langues sémitiques, ce qu’on appelle des approximations, certaines manières hyperboliques de parler, voire même parfois des paradoxes destinés à imprimer plus fermement les choses dans l’esprit. En effet, des façons de parler dont le langage humain avait coutume d’user pour exprimer la pensée chez les peuples anciens, en particulier chez les Orientaux, aucune n’est exclue des Livres Saints, pourvu toutefois que le genre employé ne répugne en rien à la sainteté ni à la vérité de Dieu ; c’est ce que déjà le Docteur angélique a remarqué dans sa sagacité, lorsqu’il dit : « Dans l’Ecriture, les choses divines nous sont transmises selon le mode dont les hommes ont coutume d’user. » [28].
De même que le Verbe substantiel de Dieu s’est fait en tout semblable aux hommes « hormis le péché » (Hébr., iv, 15), ainsi les paroles de Dieu, exprimées en langue humaine, sont semblables en tout au langage humain, l’erreur exceptée. C’est là la ou condescendance de la divine Providence, que saint Jean Chrysostome a magnifiquement exaltée, affirmant à plusieurs reprises qu’elle se trouve dans les Livres Saints[29].
Ainsi donc, pour bien répondre aux besoins actuels des études bibliques, l’exégète catholique, en expliquant l’Ecriture Sainte, en prouvant et défendant son absolue inerrance, doit user prudemment de cette ressource ; qu’il recherche comment la manière de parier ou le genre littéraire, employé par l’écrivain sacré, peut conduire à la vraie et exacte interprétation. Qu’il se persuade qu’il ne peut négliger cette partie de sa tâche sans grand détriment pour l’exégèse catholique. Souvent, en effet – pour Nous en tenir là – lorsque certains se plaisent à objecter que les auteurs sacrés se sont écartés de la vérité historique ou qu’ils ont rapporté quelque chose avec peu d’exactitude, on constate qu’il s’agit seulement de manières de parler ou de raconter habituelles aux anciens, dont les hommes usaient couramment dans leurs relations mutuelles et qu’on employait en fait licitement et communément. L’équité requiert donc, lorsqu’on rencontre ces expressions dans la parole de Dieu qui s’exprime au profit des hommes en termes humains, qu’on ne les taxe pas plus d’erreur que lorsqu’on les rencontre dans l’usage quotidien de la vie. Grâce à la connaissance et à la juste appréciation des façons usuelles de parler et d’écrire des anciens, bien des objections, soulevées contre la vérité et la valeur historique des Saintes Lettres, pourront être résolues. En outre, cette étude conduira d’une façon non moins appropriée à la découverte plus complète et plus lumineuse de la pensée de l’auteur sacré.
L’étude des antiquités bibliques doit être encouragée
Ceux donc qui, parmi nous, s’adonnent aux études bibliques, doivent soigneusement faire attention à ce point et ne rien négliger de ce qu’ont apporté de nouveau l’archéologie, l’histoire de l’antiquité et la science des littératures anciennes. Ils ne doivent rien négliger de ce qui est apte à faire mieux connaître la mentalité des écrivains anciens, leur manière de raisonner, de raconter et d’écrire, leur genre et leur technique. En cet ordre de choses, les laïques catholiques, qu’ils le remarquent bien, ne rendront pas seulement service aux sciences profanes, mais ils auront aussi très bien mérité de la cause chrétienne, s’ils se livrent avec toute l’application et tout le zèle possibles à la recherche et à l’étude des œuvres de l’antiquité et s’ils contribuent, dans la mesure de leurs forces, à débrouiller les questions de ce genre, demeurées jusqu’ici moins clairement connues. Toute connaissance humaine, en effet, même profane, possède une dignité et une excellence quasi innées, en tant qu’elle est une participation de la connaissance infinie de Dieu ; mais elle acquiert une nouvelle et plus haute dignité, et comme une consécration, quand elle s’emploie à mettre les choses divines en une plus vive lumière.
IV. – Manière de traiter les questions les plus difficiles
Difficultés heureusement résolues par les études récentes
Ces investigations progressives dans le domaine de l’antiquité orientale, dont Nous avons parlé plus haut, l’étude plus approfondie des textes originaux, comme aussi une connaissance plus étendue et plus minutieuse des langues bibliques et orientales en général, ont eu un heureux résultat, avec l’aide de Dieu ; en effet, maintes questions soulevées au temps de Notre prédécesseur d’immortelle mémoire, Léon XIII, par des critiques étrangers ou même opposés à l’Eglise, contre l’authenticité des Livres sacrés, leur antiquité, intégrité et vérité historique, ne présentent plus de difficultés aujourd’hui et sont résolues.
Les exégètes catholiques, usant correctement de ces mêmes armes d’ordre scientifique dont abusaient trop souvent nos adversaires, ont proposé des interprétations qui, tout en s’accordant avec la doctrine catholique et l’enseignement de la tradition, paraissent en même temps répondre aux difficultés soulevées par les nouvelles explorations et les nouvelles découvertes, ou à celles dont l’antiquité a laissé à notre temps la solution. D’où il est résulté que la confiance dans l’autorité de la Bible et dans sa valeur historique, ébranlée jusqu’à un certain point chez quelques-uns par tant d’attaques, est aujourd’hui complètement rétablie chez les catholiques ; bien plus, il ne manque pas d’écrivains même non catholiques qui, grâce à des recherches entreprises avec calme et sans préjugés, ont été amenés à rejeter les opinions des modernes et à revenir, au moins sur tel ou tel point, aux positions plus anciennes. Ce changement est dû, en grande partie, au labeur infatigable par lequel les commentateurs catholiques des Saintes Lettres, sans se laisser effrayer par les difficultés et les obstacles de tout genre, se sont employés de toutes leurs forces à utiliser tout ce que les recherches actuelles des savants, soit en archéologie, soit en histoire ou en philologie, ont apporté pour résoudre les questions nouvelles.
Difficultés non encore résolues ou insolubles
Personne, toutefois, ne doit s’étonner qu’on n’ait pas encore tiré au clair ni résolu toutes les difficultés et qu’il y ait encore aujourd’hui de graves problèmes qui préoccupent sérieusement les exégètes catholiques. Il ne faut pas, pour autant, perdre courage ni oublier que dans les sciences humaines il ne peut en être autrement que dans la nature, où ce qui commence croît peu à peu et où les fruits ne se recueillent qu’après de longs travaux. C’est ainsi que des controverses, laissées sans solution et en suspens- dans les temps passés, ont été enfin heureusement tranchées en notre temps, grâce au progrès des études. On peut donc espérer que sur celles-là aussi, qui aujourd’hui paraissent les plus compliquées et les plus ardues, se fera enfin un jour, grâce à un effort constant, la pleine lumière.
Que si une solution désirée tarde longtemps et ne nous sourit pas à nous, mais que peut-être une heureuse issue de ces débats ne doive être obtenue que par nos successeurs, personne ne doit le trouver mauvais ; car il est juste que s’applique aussi à nous l’avis donné par les Pères pour leurs temps, et en particulier par saint Augustin [30] : que Dieu a parsemé à dessein de difficultés les Livres Saints qu’il a inspirés lui-même, afin de nous exciter à les lire et à les scruter avec d’autant plus d’attention et pour nous exercer à l’humilité par la constatation salutaire de la capacité limitée de notre intelligence. Il n’y aurait donc rien d’étonnant si l’une ou l’autre question devait rester toujours sans réponse absolument adéquate, puisqu’il s’agit parfois des choses obscures, trop éloignées de notre temps et de notre expérience, et puisque l’exégèse, elle aussi, comme toutes les sciences et les plus importantes, peut avoir ses secrets, impénétrables pour nos intelligences et qu’aucun effort humain ne peut percer.
Des solutions positives doivent être cherchées
Même dans ces conditions, cependant, l’exégète catholique, poussé par un amour actif et courageux de sa science, sincèrement dévoué à notre Mère la Sainte Eglise, ne doit, en aucune façon, s’interdire d’aborder, et à plusieurs reprises, les questions difficiles qui n’ont pas été résolues jusqu’ici, non seulement pour repousser les objections des adversaires, mais encore pour tenter de trouver une solide explication, en accord parfait avec la doctrine de l’Eglise, spécialement avec celle de l’inerrance biblique, et capable en même temps de satisfaire pleinement aux conclusions certaines des sciences profanes.
Les efforts de ces vaillants ouvriers dans la vigne du Seigneur méritent d’être jugés non seulement avec équité et justice, mais encore avec une parfaite charité ; que tous les autres fils de l’Eglise s’en souviennent. Ceux-ci doivent avoir en mésestime ce zèle tout autre que prudent, qui croit devoir combattre ou tenir en suspicion tout ce qui est nouveau. Qu’ils n’oublient pas avant tout que, dans les règles et les lois portées par l’Eglise, il s’agit de la doctrine concernant la foi et les mœurs, tandis que dans l’immense matière contenue dans les Livres Saints, livres de la Loi ou livres historiques, sapientiaux et prophétiques, il y a bien peu de textes dont le sens ait été défini par l’autorité de l’Eglise, et il n’y en a pas davantage sur lesquels existe le consentement unanime des Pères. Il reste donc beaucoup de points, et d’aucuns très importants, dans la discussion et l’explication desquels la pénétration d’esprit et le talent des exégètes catholiques peuvent et doivent s’exercer librement, afin que chacun contribue pour sa part et d’après ses moyens à l’utilité commune, au progrès croissant de la doctrine sacrée, à la défense et à l’honneur de l’Eglise. Cette vraie liberté des enfants de Dieu qui, gardant fidèlement la doctrine de l’Eglise, accueille avec reconnaissance, comme un don de Dieu, et met à profit tout l’apport de la science profane ; cette liberté, secondée et soutenue par la confiance de tous, est la condition et la source de tout réel succès et de tout solide progrès dans la science catholique, comme nous en avertit excellemment Notre prédécesseur d’heureuse mémoire, Léon XIII, lorsqu’il dit : « Si l’on ne sauvegarde pas l’accord des esprits et le respect des principes, il n’y aura pas à espérer qu’une multitude de travaux variés fasse réaliser à cette science de notables progrès » [31].
V. – L’usage de l’Écriture Sainte dans l’instruction des fidèles
Différentes manières d’utiliser l’Ecriture Sainte dans le ministère sacré
Considérant les immenses efforts entrepris par l’exégèse catholique pendant près de deux mille ans, pour comprendre toujours plus profondément et plus parfaitement la parole divine communiquée aux hommes par les Saintes Lettres et pour l’aimer plus ardemment, on se persuadera aisément que c’est un grave devoir pour les fidèles, et en particulier pour les prêtres, d’user abondamment et saintement de ce trésor rassemblé pendant tant de siècles par les génies les plus élevés. Les Livres Saints, en effet, Dieu ne les a pas confiés aux hommes pour satisfaire leur curiosité ou leur fournir des sujets d’étude et de recherche, mais, comme le remarque l’Apôtre, pour que ces divines paroles puissent nous « donner la sagesse qui conduit au salut par la foi en Jésus-Christ », et « en vue de rendre l’homme de Dieu parfait, apte à toute bonne œuvre » (cf. II Tim., iii, 15, 17). Que les prêtres donc, à qui est confié le soin de procurer aux fidèles le salut éternel, après avoir scruté par une étude sérieuse les pages sacrées et se les être assimilées dans la prière et la méditation, aient à cœur de répandre les célestes richesses de la parole divine dans leurs sermons, leurs homélies, leurs exhortations ; qu’ils confirment la doctrine chrétienne par des maximes tirées des Livres Saints ; qu’ils l’illustrent par les merveilleux exemples de l’Histoire Sainte, et nommément par ceux de l’Evangile du Christ, Notre-Seigneur. Evitant avec un soin attentif les interprétations accommodatices introduites par la fantaisie personnelle ou que l’on va chercher trop loin et qui sont non un usage, mais un abus de la parole divine, qu’ils exposent celle-ci avec tant d’éloquence, de netteté et de clarté, que les fidèles ne soient pas seulement mus et portés à y conformer exactement leur vie, mais encore conçoivent une souveraine vénération pour les Saintes Ecritures. Cette vénération, les évêques s’attacheront à l’accroître toujours davantage et à la perfectionner chez les fidèles qui leur sont confiés, en encourageant toutes les initiatives entreprises par des apôtres zélés, dans le but louable de faire naître et d’entretenir, parmi les catholiques, la connaissance et l’amour des Livres Saints. Qu’ils favorisent donc et qu’ils soutiennent ces pieuses associations, qui se proposent de répandre parmi les fidèles des exemplaires imprimés des Saintes Lettres, surtout des Evangiles, et qui veillent à ce que la pieuse lecture s’en fasse tous les jours dans les familles chrétiennes ; qu’ils recommandent d’une manière efficace, par la parole et par leurs actes, là où les lois liturgiques le permettent, les traductions de l’Ecriture Sainte, en langue vulgaire, approuvées par l’autorité ecclésiastique ; qu’ils donnent eux-mêmes ou fassent donner par des orateurs sacrés particulièrement compétents des leçons ou conférences publiques sur des questions bibliques. Que tous les ministres du sanctuaire soutiennent, dans la mesure de leurs forces, et divulguent opportunément, parmi les différents groupes et les diverses classes de leur troupeau, les périodiques qui se publient d’une manière si louable et si utile, dans les diverses parties du globe, soit pour traiter et exposer les questions bibliques selon la méthode scientifique, soit pour adapter les fruits de ces recherches au ministère sacré ou aux besoins des fidèles. Que les ministres du sanctuaire en soient bien convaincus : toutes ces initiatives et les autres entreprises du même genre, que le zèle apostolique et un sincère amour de la parole divine sauront leur suggérer comme pouvant conduire à ce but sublime, leur seront d’un secours efficace dans le ministère des âmes.
Enseignement biblique dans les séminaires
Mais il ne peut échapper à personne que tout cela ne peut être convenablement accompli par les prêtres si eux-mêmes, pendant leur séjour au séminaire, n’ont pas reçu un amour actif et durable des Saintes Ecritures. C’est pourquoi les évêques, à qui incombe la sollicitude paternelle de leurs séminaires, doivent veiller avec soin à ce que, en ce domaine aussi, rien ne soit omis qui puisse contribuer à atteindre ce but. Que les professeurs d’Ecriture Sainte organisent tout le cours biblique de telle manière que les jeunes gens destinés au sacerdoce et au ministère de la prédication soient pourvus de cette connaissance des Saintes Lettres et pénétrés de cet amour envers elles, sans lesquels l’apostolat ne peut guère porter des fruits abondants. Il faut donc que leur exégèse fasse ressortir avant tout le contenu théologique, en évitant les discussions superflues et en omettant tout ce qui est pâture de curiosité plutôt que source de science véritable et stimulant de solide piété. Que les professeurs établissent le sens littéral, et surtout le sens théologique, d’une manière si solide, qu’ils l’expliquent si pertinemment, qu’ils l’inculquent avec tant de chaleur, de sorte qu’il advienne à leurs élèves ce qui arriva aux disciples de Jésus-Christ allant à Emmaiis, lorsqu’ils s’écrièrent après avoir entendu les paroles du Maître : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous lorsqu’il nous découvrait les Ecritures ? » (Luc, xxiv, 32). Qu’ainsi les Saintes Lettres deviennent pour les futurs prêtres de l’Eglise une source pure et intarissable pour leur propre vie spirituelle, un aliment et une force pour la tâche sacrée de la prédication qu’ils vont assumer. Si les professeurs qui enseignent dans les séminaires cette science importante atteignent ce résultat, qu’ils aient la douce persuasion d’avoir grandement contribué au salut des âmes, au progrès de la cause catholique, à l’honneur et à la gloire de Dieu, et d’avoir accompli une œuvre intimement liée aux devoirs de l’apostolat.
Sens de la parole divine en ce temps de guerre :
elle est la consolation des affligés, la voie de la justice pour tous
Ce que Nous venons de dire, Vénérables Frères et chers Fils, nécessaire en tout temps, l’est certainement beaucoup plus en ces jours malheureux où presque tous les peuples et nations sont plongés dans un océan de calamités, tandis qu’une guerre atroce accumule ruine sur ruine, carnage sur carnage, tandis que, par le fait des haines impitoyables des peuples excités les uns contre les autres, Nous voyons, avec une suprême douleur, s’éteindre dans beaucoup d’hommes non seulement le sentiment de la modération chrétienne et de la charité, mais même celui de l’humanité. Qui peut porter remède à ces mortelles blessures faites à la société humaine, sinon Celui à qui le Prince des apôtres, plein d’amour et de confiance, adressa ces paroles : « Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle » (Jean, vi, 69). A notre Rédempteur très miséricordieux il nous faut donc, de toutes nos forces, ramener tous les hommes ; il est le Consolateur divin des affligés ; il est Celui qui enseigne à tous – qu’ils tiennent en main l’autorité publique ou que leur incombe le devoir de l’obéissance et de la soumission – la véritable droiture, la justice intègre, la charité généreuse ; il est enfin, à lui seul, Celui qui peut être le solide fondement et le soutien de la paix et de la tranquillité : « Car personne ne peut poser un autre fondement que Celui qui est déjà posé, savoir Jésus-Christ » (I Cor., iii, 11).
Or, ce Christ, auteur de notre salut, les hommes le connaîtront d’autant plus parfaitement, l’aimeront d’autant plus ardemment, l’imiteront d’autant plus fidèlement qu’ils seront poussés avec plus de zèle à la connaissance et à la méditation des Saintes Lettres, en particulier du Nouveau Testament. Car, comme le dit saint Jérôme, le Docteur de Stridon : « L’ignorance des Ecritures est l’ignorance du Christ » [32], et « s’il est une chose qui en cette vie soutient le sage et le détermine à garder la sérénité de l’âme au milieu des tribulations et des agitations du monde, j’estime que c’est en tout premier lieu la méditation et la science des Ecritures » [33]. C’est à cette source que tous ceux qui sont fatigués et accablés par l’adversité et l’affliction puiseront les véritables consolations et la vertu divine de souffrir et d’endurer ; c’est là – à savoir dans les saints Evangiles – que le Christ est présent pour tous, modèle suprême et parfait de justice, de charité et de miséricorde ; c’est là que s’ouvrent pour le genre humain, déchiré et inquiet, les sources de cette grâce divine sans laquelle, si on la dédaigne ou si on la néglige, peuples et conducteurs de peuples ne pourront établir ou consolider ni l’ordre public ni la concorde des esprits. C’est là, enfin, que tous apprendront à connaître ce Christ, « qui est le Chef de toute principauté et de toute puissance » (Col., ii, 10) et « qui, de par Dieu, a été fait pour nous sagesse, et justice, et sanctification, et Rédemption » (I Cor., i, 30).
Conclusion
Exhortation à tous ceux qui cultivent les études bibliques
Après avoir exposé et recommandé ce qui concerne les études bibliques en vue de les adapter aux besoins de notre temps, il Nous reste, Vénérables Frères et chers Fils, à féliciter avec une paternelle bienveillance tous ceux qui étudient la Bible et qui, en fils dévoués de l’Eglise, suivent fidèlement sa doctrine et ses directives, de ce qu’ils ont été destinés et appelés à une tâche aussi noble. A ces félicitations, Nous voulons ajouter Nos encouragements, afin qu’ils poursuivent de tout leur zèle, avec tout leur soin et avec une énergie toujours nouvelle, l’œuvre heureusement entreprise. Très haute tâche, avons-Nous dit, car qu’y a‑t-il de plus sublime que de scruter, d’expliquer, d’annoncer aux fidèles, de défendre contre les infidèles la parole même de Dieu, transmise aux hommes sous l’inspiration du Saint-Esprit ? L’esprit lui-même de l’exégète se nourrit de cet aliment spirituel et en profite « pour le renouvellement de la foi, pour la consolation de l’espérance, pour l’exhortation de la charité »[34]. « Vivre au milieu de ces choses, les méditer, ne connaître ni ne chercher rien d’autre, cela ne vous paraît-il pas que c’est déjà habiter le royaume céleste ? » [35]
Que les âmes des fidèles se nourrissent aussi du même aliment, qu’elles y puisent la connaissance et l’amour de Dieu, le progrès spirituel et la félicité pour chacune d’elles.
Que de toute leur intelligence les commentateurs de la parole divine se donnent à cette sainte entreprise. « Qu’ils prient pour comprendre » [36]. Qu’ils travaillent pour pénétrer chaque jour plus profondément dans les secrets des pages sacrées ; qu’ils enseignent et qu’ils prêchent pour ouvrir aussi aux autres les trésors de la parole de Dieu. Ce que dans les siècles passés les illustres interprètes de la Sainte Ecriture ont réalisé avec tant de fruit, que les modernes s’efforcent de l’imiter autant qu’ils le peuvent, en sorte que, comme aux temps passés, ainsi à l’heure actuelle l’Eglise ait des docteurs éminents dans l’art d’interpréter les Saintes Lettres, et que les fidèles, grâce à leur labeur et à leur travail, reçoivent des Saintes Ecritures pleine lumière, exhortation, allégresse. Dans cette tâche, certes ardue et lourde, qu’ils aient, eux aussi, « pour consolation les Saints Livres » (I Macc., xii, 9) ; qu’ils se souviennent de la récompense qui les attend, puisque « ceux qui auront possédé la science brilleront comme la splendeur du firmament, et ceux qui en auront conduit beaucoup à la justice seront comme les étoiles, éternellement et sans fin » (Dan., xii, 3).
Et maintenant, tandis que Nous souhaitons vivement à tous les fils de l’Eglise, et nommément aux professeurs des sciences bibliques, au jeune clergé et aux orateurs sacrés que, méditant sans rélâche la parole de Dieu, ils goûtent combien l’esprit du Seigneur est suave et bon (cf. Sag., xii, 1), comme gage des faveurs célestes, en témoignage de Notre paternelle bienveillance, à vous tous et à chacun d’entre vous, Vénérables Frères et chers Fils, Nous accordons très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique.
Pie XII, Pape
Source : Documents Pontificaux de sa Sainteté Pie XII, année 1943, Edition Saint-Augustin Saint-Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., XXXV, 1943, p. 297 ; traduction française publiée officiellement à Rome par l’Imprimerie polyglotte vaticane. Les titres et sous-titres ont été ajoutés d’après l’index des A. A. S. eux-mêmes (vol. XXXV, p. 326).
- Sess. IV, décr. 1 ; Ench. Bibl., n. 45[↩]
- Sess. III, cap. II ; Ench. Bibl., n. 62.[↩]
- Sermo ad alumnos Seminariorum… in Urbe, 24 juin 1939 ; A. A. S., vol. XXXI, 1939, pp. 245–251. Cf. Documents Pontificaux 1939, p. 151 et suiv.[↩]
- Cf. Ia, q. 70, art. 1 ad 3.[↩]
- De Gen. ad litt. II, IX, 20 ; P. L., XXXIV, col. 270 sq. : C. S. E. L., XXVIII (Sectio III, pars II), p. 46.[↩]
- Léon XIII, Acta, XIII, p. 355 ; Ench. Bibl., n. 106.[↩]
- Cf. Benoît XV, encycl. Spiritus Paraclitus, A. A. S., vol. XII, 1920, p. 396 ; Ench. Bibl., n. 471.[↩]
- Léon XIII, Acta, XIII, p. 357 sq. ; Ench. Bibl., n. 109 sq.[↩]
- Cf. Léon XIII, Acta, XIII, p. 328 ; Ench. Bibl., n. 67 sq.[↩]
- Lettre apost. Hierosolymae in coenobio, 17 sept. 1892 ; Léon XIII, Acta, XII, pp. 239–241, v. p. 240.[↩]
- Cf. Léon XIII, Acta, XXII, p. 232 sq. ; Ench. Bibl., n. 130–141 ; v. n. 130, 132.[↩]
- Lettre de la Commission pontificale des études bibliques aux archevêques et évêques d’Italie, 20 août 1941 ; A. A. S., XXXIII, 1941, p. 465. Voir Documents Pontificaux 1941, p. 371 et suiv.[↩]
- Lettre apost. Scripturae Sanctae, 23 février 1904 ; Pie X, Acta, I, pp. 176–179 : Ench. Bibl., n. 142–150, v. n. 143–144.[↩]
- Cf. lettre apost. Quoniam in re biblica, 27 mars 1906 ; Pie X, Acta, III, pp. 72 – 76 ; Ench. Bibl., n. 155–173 ; v. n. 155.[↩]
- Lettre apost. Vinea electa, 7 mai 1909 ; A. A. S., vol. I, 1909, pp. 447 – 449 ; Ench. Bibl., n. 293–306. v. n. 294 et 296.[↩]
- Cf. Motu proprio Bibliorum scientiam, 27 avril 1924 ; A. A. S., vol. XVI, 4924, pp. 180 – 182 ; Ench. Bibl., n. 518 – 525.[↩]
- Lettre au Rme D. Aidan Gasquet, 3 décembre 1907 ; Pie X, Acta, IV, pp. 117 – 119 ; Ench. Bibl., n. 285 sq.[↩]
- Const. apost. Inter praecipuas, 15 juin 1933 ; A. A. S., vol. XXVI, 1934, pp. 85 – 87.[↩]
- Lettre à S. Em. le cardinal Cassetta, 21 janvier 1907 ; Pie X, Acta, IV, pp. 23 – 25.[↩]
- Encycl. Spiritus Paraclitus, 15 septembre 1920 ; A. A. S., vol. XII, 1920, pp. 385 – 422 ; Ench. Bibl., n. 457–508 ; v. n. 457–508 ; v. n. 457, 491, 495, 497.[↩]
- Cf. p. ex. S. Jérôme, Praef. in IV Evang. ad Damasum ; P. L. XXIX, col. 526, 527 : S. Augustin, De doctr. christ., II, 16 ; P. L., XXXIV, col. 42, 43.[↩]
- De doctr. christ., II, 21 ; P. L., XXXIV, col. 46.[↩]
- Décret de editione et usu Sacrorum Librorum ; Conc. de Trente, éd. Soc. Goerres, t. V, p. 91 sq.[↩]
- Ibid., t. X, p. 471 ; cf. t. V, pp. 29, 59, 65 ; t. X, p. 446 sq.[↩]
- Léon XIII, Acta, XIII, pp. 345 – 346 ; Ench. Bibl., n. 94–96.[↩]
- Cf. Benoît XV, encycl. Spiritus Paraclitus ; A. A. S., vol. XII, 1920, p. 390 ; Ench. Bibl., n. 461.[↩]
- Contra Arianos, I, 54 ; P. G., XXVI, col. 123.[↩]
- Comment. ad Hebr., cap. I, lectio 4.[↩]
- Cf. p. ex. In Gen. I, 4 (P. G., LIII, col. 34–35) ; in Gen. II, 21 (ibid., col. 135) ; Hom. 15 in Joan., ad. I, 18 (P. G., LIX, col. 97 sq.).[↩]
- Cf. S. Augustin, Epist. CXLIX ad Paulinum, n. 34 (P. L., XXXIII, col. 644) ; De diversis quaestionibus, q. LIII, n. 2 (ibid. XL, col. 36) ; Enarr. in Ps., CXLVI, n. 12 (ibid. XXXVII, col. 1907).[↩]
- Lettre apost. Vigilantiae ; Léon XIII, Acta, XXII, p. 237 ; Ench. Bibl., n. 136.[↩]
- S. Jérôme, In Isaiam, prologue ; P. L., XXIV, col. 17.[↩]
- Id., In Ephesios, prologue ; P. L., XXVI, col. 439.[↩]
- Cf. S. Augustin, Contra Faustum, XIII, 18 ; P. L., XLII, col. 294 ; C.S.E.L., XXV, p. 400.[↩]
- S. Jérôme, Epist. LUI, 10 ; P. L., XXII, col. 549 ; C. S. E. L., LIV, p. 463.[↩]
- S. Augustin, De doctr. christ., III, 56 ; P. L., XXXIV, col. 89.[↩]