Cher frère. Chère sœur,
Telle est la force du silence, qu’elle procure et maintient dans l’homme la justice et la paix avec Dieu, avec lui-même et avec les autres.
Le silence bien compris est un moyen excellent pour trouver Dieu, pour se retrouver soi-même, pour retrouver les âmes.
Pour trouver Dieu, d’abord. Chercher Dieu, est le premier devoir de l’âme qui aspire à la contemplation. Mais pour cela il faut nous mettre dans l’atmosphère favorable. On ne peut chercher Dieu que là où II est, là où II se révèle à l’âme. Or, « Non in commotione Dominus », « Le Seigneur n’est pas dans le bruit et l’agitation. » [I Rois, XIX, 11].…
Dans le silence, nous connaissons Sa volonté sainte, tant celle qui est signifiée (par les commandements, notre règle, notre devoir d’état) que celle de Son bon plaisir manifestée par les circonstances. Nous y serons attentifs, n’étant pas distraits par le tumulte extérieur ou intérieur de l’imagination, de la mémoire ou des passions.
Dans le silence. Dieu nous instruit merveilleusement.
« Que toutes les créa- tures se taisent, s’écrie l’auteur de l’Imitation, Vous, Seigneur, parlez-moi seul. » Car Dieu parle dans le silence. « Le Père n’a dit qu’une parole : ce fut Son Fils. Et II la dit toujours dans un silence sans fin. Et c’est dans le silence qu’elle peut être entendue de l’âme. » [saint Jean de la Croix, Mots d’ordre. Éd. de Solesmes, n° 217]. Aussi, « Le parler que Dieu entend le mieux n’est que silence d’amour. » [op. cit., n°253].
On peut donc dire que, si l’amour est la loi de Dieu, le silence est son atmosphère. [Dom Godefroid Bélorgey, Sous le regard de Dieu], Et Mère Marie de Jésus, carmélite, de dire :
« Le silence, c’est l’aide que nous donnons à Dieu pour qu’il puisse nous combler comme II veut. »
Mais le silence est surtout le climat de l’intimité avec Dieu, la condition nécessaire de la prière.
« Il isole l’âme des créatures beaucoup plus efficacement que les murs ou les grilles. L’âme vraiment silencieuse, quand elle est obligée de vaquer aux ouvres extérieures, demeure toujours unie à Dieu. Ainsi faisait sainte Marie-Madeleine, modèle de vie contemplative… Simon le Pharisien se scandalise de la voir aux pieds de Jésus, elle se tait ; sa sœur se plaint d’elle ouvertement, elle ne répond pas ; les disciples s’indignent de lui voir briser un vase rempli de parfums, elle n’a pas un mot pour s’excuser. Mais Jésus, qui sait qu’elle ne garde ainsi ses lèvres closes que pour mieux Lui parler dans son cour, se charge de la défendre. Il la justifie devant le Pharisien, II lui donne raison contre sa sœur, et 11 annonce aux disciples que l’histoire du parfum répandu sur Lui sera portée avec l’Évangile à toute la terre pour la gloire de cette femme. » [Dom J. de Monléon, Les Instruments de la Perfection, Éd. de la Source, 1936, p.279–280].
Nous voyons là combien Nôtre-Seigneur prend à cour les intérêts des âmes silencieuses. Que dire aussi des grâces intérieures dont II les comble comme II l’affirme par la bouche du prophète Osée :
« Je la conduirai au désert, et je lui parlerai au cour. » [Os., II, 16–17].
Le silence enfin constitue la louange la plus élevée que l’on puisse offrir à Dieu.
« Ce silence « plein », « profond », ce silence dont parlait David lorsqu’il s’écriait : « le silence est ta louange. » [PS. LXI, 21].Oui, c’est la plus belle louange, puisque c’est celle qui se chante éternellement au sein de la tranquille Trinité. » [Bse Elisabeth de la Trinité, Dernière retraite, Sème jour],
Le silence nous fait retrouver nos âmes en Dieu. « Qui custodit os suum, custodit animam suam », « Celui qui garde sa bouche, garde son âme.» [Prov., XIII, 31].
Rien n’est facile comme de commettre des fautes dans l’usage de la parole. Aussi la tendance de toutes les âmes intérieures est de se taire :
« Sedebit solitarius et tacebit. » « Il s’assiéra, solitaire, et il se taira. » [Jérémie, Lamentations, III, 28].
Le grand exemple que nous a donné Nôtre-Seigneur par rapport à la parole, c’est de s’en priver quand elle n’est pas nécessaire. De ses trente ans de vie cachée, on ne recueille de Lui que quelques mots prononcés au Temple. Il ne prit la parole que pour assumer Son grand devoir de la prédication. Durant sa Passion, II s’est tu, à l’étonnement de ses juges ; Pilate, en particulier, fut frappé de ce silence.
« Le grand bienfait du silence organisé, c’est qu’il nous détache du sensible, de l’immédiat, et nous fait retrouver le sens de l’invisible, nous permet de nous examiner, de nous contrôler, d’avoir notre âme bien en mains : « Et anima mea in manibus mois semper » [PS. CXVIII, 109]. Faire silence … pour se ressaisir et se redonner à Dieu dans l’activité du moment présent, tel est le secret des actions parfaites aussi bien que de la patience dans les épreuves. « Plus l’âme a reçu dans le silence, plus elle donne dans l’action. » [E. Hello]» [R.P. Bruno, o.c.s.o./ Le silence monastique].
Enfin, dans et par le silence, nous retrouvons les âmes. Par lui, nous avons un regard neuf sur toutes choses, le regard même de Dieu qui atteint jusqu’aux profondeurs des êtres. C’est la vie de foi et dans la foi. Alors que les sens ne montrent que de trompeuses apparences, la foi nous montre les réalités, nous fait voir Jésus dans le prochain. Il faudrait lire tout ce beau passage, dont nous ne donnons ci-dessous qu’un mince extrait, où le bienheureux Ch. de Foucauld met en opposition ce que les sens nous livrent et ce que la foi nous révèle :
« L’œil lui montre un pauvre, la foi lui montre Jésus… Les sens sont curieux ; la foi ne veut rien connaître, elle a soif de s’ensevelir et voudrait passer toute sa vie immobile aux pieds du Tabernacle… Les sens ont horreur de la souffrance ; la foi la bénit, comme un don de la main de Jésus, une part de sa croix, au “II daigne donner à porter. » [Écrits spirituels, Éd. du Seuil, p.522]. L’âme vivant ainsi de foi, dans le silence, s’ouvre à une immense charité. « Le zèle des âmes : la règle de voir en tout humain une âme à sauver, et de se dévouer aux salut des âmes comme leur Bien-Aimé, au point que le nom de « sauveur » résume leur vie comme il exprime la sienne. » [op. cit., p.436].
Cette charité s’étend spécialement aux malades et aux âmes du purgatoire, surtout celles pour lesquelles la règle nous demande des prières, des messes, ou l’offrande de la communion. On veillera à ne pas omettre ces devoirs, [cf. Règle, ch.XVI]. Voyant ainsi les âmes dans la lumière de Dieu, les aimant en Dieu, nous vivrons avec elles dans la paix.
« 0pus justitiae pax et cultus justitia silentium. » « Telle est la vertu du silence qu’il conserve en l’homme la justice de Dieu, qu’il nourrit et entretient la paix entre les hommes. » [saint Bonaventure, De perfectione vitse, ch. IV].
Oui, nous qui appartenons à cet ordre du Carmel, gardien de la vie intérieure, aimons et recherchons ce silence aussi bien intérieur qu’extérieur, atmosphère de la vie contemplative. La règle nous y invite, en particulier depuis l’examen du soir jusqu’après les prières du matin, [cf. n°69]. Apprenons à la vivre plus parfaitement en contemplant avec la sainte liturgie la vie cachée de Jésus à Nazareth en compagnie de la Vierge Immaculée et de saint Joseph.
+ Je vous bénis.
Abbé L.-P. Dubroeucq +