Aux sources du Carmel : Editorial du numéro 18 d’octobre 2008

Bulletin du Tiers-​Ordre sécu­lier pour les pays de langue fran­çaise


Editorial de Monsieur l’abbé Louis-​Paul Dubroeucq, 

aumônier des tertiaires de langue française 

Cher frère, Chère sœur, 

« Je suis l’Immaculée Conception ». Le 25 mars 1858, la Très Sainte Vierge en don­nant son nom à la voyante, sainte Bernadette, rati­fiait le dogme pro­mul­gué quatre ans plus tôt par le Vicaire de Jésus-​Christ en ces termes : 

« Nous décla­rons, Nous pro­non­çons et défi­nis­sons que la doc­trine qui enseigne que la Bienheureuse Vierge Marie, dans le pre­mier ins­tant de sa Conception, a été, par une grâce et un pri­vi­lège du Dieu tout-​puissant, en vue des mérites de Jésus-​Christ, Sauveur du genre humain, pré­ser­vée et exempte de toute tache du péché ori­gi­nel, est révé­lée de Dieu, et par consé­quent qu’elle doit être crue fer­me­ment et constam­ment par tous les fidèles. »

Le Pape s’ap­puie sur deux pas­sages de la Sainte Écriture : le pro­té­van­gile [Genèse, 3, 15] : « Parce que tu as fait cela, je met­trai des ini­mi­tiés entre toi et la femme, entre ta pos­té­ri­té et la sienne ; elle t’é­cra­se­ra la tête. » Il s’a­git de la nou­velle Ève asso­ciée au nou­vel Adam dans la vic­toire comme dans la lutte. En pré­vi­sion de la Maternité divine, Marie fut pré­ser­vée du péché ori­gi­nel. Le deuxième texte est la salu­ta­tion de l’Archange Gabriel [Luc, I, 28] :

« Je vous salue, pleine de grâce. » La Très Sainte Vierge pos­sé­da, dès sa concep­tion, une plé­ni­tude de grâce au-​delà de celle que pos­sèdent les plus grands saints au terme de leur vie. Les saints Pères, dit le Pape Pie IX, « ont ensei­gné que par cette solen­nelle salu­ta­tion, salu­ta­tion sin­gu­lière et inouïe jusque là, la Mère de Dieu nous était mon­trée comme le siège de toutes les grâces divines, comme ornée de toutes les faveurs de l’Esprit divin, bien plus, comme un tré­sor presque infi­ni de ces mêmes faveurs, comme un abîme de grâce et un abîme sans fond, de telle sorte qu’elle n’a­vait jamais été sou­mise à la malé­dic­tion, mais avait par­ta­gé avec son Fils la per­pé­tuelle béné­dic­tion qu’elle avait méri­té d’en­tendre de la bouche d’Élisabeth, ins­pi­rée par l’Esprit-​Saint : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. »» « Cette doc­trine de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie a tou­jours exis­té dans l’Église ; […] de tout temps, elle l’a pos­sé­dée comme une doc­trine reçue des Anciens et des Pères, et revê­tue des carac­tères d’une doc­trine révé­lée. » [Bulle Ineffabilis Deus, 8 décembre 1854]. 

Ainsi, en Orient, la fête com­men­ça d’exis­ter au moins dès la fin du VIIème siècle, à la date du 9 décembre, sous les noms de l’Annonce de la Conception de la Mère de Dieu, puis de Conception de la Mère de Dieu, avec pour thème prin­ci­pal, dans la litur­gie et les homé­lies, Marie conçue imma­cu­lée. En Occident, elle appa­raît le 9 ou le 8 décembre, ou en mai, dès le IXème siècle dans dif­fé­rents pays, à com­men­cer par l’Italie méri­dio­nale et l’Irlande. Par la Bulle Commissi nobis (6 décembre 1708 ), le Pape Clément XI l’im­po­sa à toute l’Église : « Par l’au­to­ri­té apos­to­lique et la teneur des pré­sentes, Nous décré­tons, man­dons que la fête de la Conception de la Bienheureuse Vierge Marie Immaculée soit désor­mais obser­vée et célé­brée en tous lieux, comme les autres fêtes de pré­cepte, par tous les fidèles de l’un et l’autre sexes, et qu’elle soit insé­rée au nombre des fêtes qu’on est tenu d’ob­ser­ver. »

Sur cette véri­té, deux siècles avant la pro­mul­ga­tion du dogme, une âme du Carmel, Marie de sainte Thérèse, reçut des lumières spé­ciales dont elle fit part à son direc­teur spi­ri­tuel, le Père Michel de saint Augustin :

« Le 12 novembre 1668, voyant qu’on se pré­pa­rait à fêter triom­pha­le­ment le jour de l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge et Mère de Dieu, je fus sai­sie d’une excep­tion­nelle satis­fac­tion et grande joie, dont notre cœur sem­blait débor­der. Alors le Bien-​Aimé et sur­tout l’ai­mable Mère m’ont très clai­re­ment dit ou fait voir la véri­té de ce mys­tère : qu’Elle fut conçue sans la plus petite tache, par la grâce de Dieu Tout-​Puissant. Car Dieu, l’ayant de toute éter­ni­té choi­sie pour être sa Mère, Il n’a pas per­mis ni vou­lu que ce germe béni fût un seul ins­tant souillé ou conçu dans le péché.

Ma tout aimable Mère m’a dit expres­sé­ment que ceci était véri­table et me l’a affir­mé avec une telle cer­ti­tude et sans crainte du moindre doute que même jus­qu’à cette heure —et il y a dix-​sept jours de ceci— je reste tou­jours prête à don­ner mon sang pour attes­ter tout cela et le défendre.

Un grand désir m’est venu, et j’ai prié avec ardeur et sup­plié Dieu qu’il Lui plaise d’ins­pi­rer le Pape et de le mou­voir irré­sis­ti­ble­ment à défi­nir le mys­tère de l’Immaculée Conception et à le pro­cla­mer comme un dogme de Foi. Seigneur, vous savez pour­quoi le Saint-​Siège tarde si long­temps à don­ner cette pro­cla­ma­tion. Et cepen­dant, mon Bien-​Aimé et l’ai­mable Mère m’ont don­né de ceci une connais­sance si cer­taine, une cer­ti­tude inté­rieure et cela avec tant d’é­vi­dence que je suis prête à confes­ser cette véri­té au prix de mon sang et de ma vie. » [Extrait d’une lettre datée de novembre 1668. Note de l’é­di­teur, le P. Michel de saint Augustin, in Vie mariale, Maria a sanc­ta Teresia, (1623–1677), DDB, 1928, p. 49–51].

En cette année du jubi­lé des appa­ri­tions de la Vierge Immaculée à Lourdes, enfants du Carmel, nous nous devons de nous arrê­ter pour médi­ter sur ce pri­vi­lège unique dont notre Mère du ciel fut gra­ti­fiée. Par ce pri­vi­lège, Dieu révèle sa sain­te­té. Pour la Mère de son Fils, Il veut une créa­ture sans péché et, qui plus est, Il lui com­mu­nique une plé­ni­tude de grâce. « Dieu peut s’al­lier à tout, dit Mgr Gay, …mais le péché, mais l’i­ni­qui­té, mais la souillure morale, Dieu l’a en hor­reur et la repousse par néces­si­té. » [Sermons d’Avent, Librairie reli­gieuse H. Oudin, 1895, t. I, p. 293–294].

Pour par­ve­nir à l’u­nion à Dieu, l’âme doit se déta­cher des créa­tures, y com­pris d’elle-​même : « Si quel­qu’un veut venir après Moi, qu’il se renonce lui-​même, qu’il porte sa croix et Me suive. » [Mc, VIII, 34]. Alors elle sera apte à faire en tout la volon­té de Dieu, à être mue par elle. À réa­li­ser cela, l’Immaculée nous entraîne : « Dès le pre­mier ins­tant de son exis­tence, l’Auguste Mère de Dieu fut éle­vée à et état suprême. Elle n’eut jamais dans son âme l’im­pres­sion quel­conque d’une créa­ture qui pût la détour­ner de Dieu ; elle ne se diri­gea jamais d’a­près une impres­sion de cette sorte et l’Esprit-​Saint fut son guide. » [Saint Jean de la Croix, Montée du Carmel, III, 1, Éd. Couvent des Carmes, Monte-​Carlo, 1932, trad. P. Grégoire de st Joseph, p. 69].

Pour voir Dieu, il faut être puri­fié, sanc­ti­fié. « Plus l’âme est pure, plus aus­si elle est apte à s’u­nir à Dieu par la connais­sance et l’a­mour, à jouir de lui dans une iden­ti­fi­ca­tion plus com­plète avec son ado­rable volon­té. » [R.P. Régis G. Gerest, o.p., Veritas, III, Sous l’é­gide de la Vierge fidèle, Lethielleux, 1929, p. 16]. L’Immaculée nous aide à gué­rir des bles­sures du péché ori­gi­nel, à nous éle­ver vers Dieu. Les gué­ri­sons cor­po­relles opé­rées à Lourdes sont le signe de toutes ces gué­ri­sons spi­ri­tuelles opé­rées dans ce sanc­tuaire par la média­tion de la Vierge Immaculée. « La sanc­ti­fi­ca­tion doit suivre la même voie que la Rédemption. Elle est aus­si une œuvre de constante puri­fi­ca­tion qui doit se par­faire tous les jours. C’est pour­quoi l’in­no­cence de la vie, rap­pe­lant d’une cer­taine façon l’Immaculée Conception de la Vierge, doit pré­pa­rer et fécon­der l’es­prit de foi, mais un esprit de foi puri­fié lui-​même de toutes vues humaines, capable de diri­ger une vie pure dans les voies lumi­neuses de la per­fec­tion sur­na­tu­relle jus­qu’au Royaume de la pleine lumière. » [R.P. Gerest, op. cit., p. 14]. 

Bien chers ter­tiaires, ayons une pro­fonde dévo­tion pour ce mys­tère de l’Immaculée Conception, à l’exemple du saint Curé d’Ars qui la louait à chaque son­ne­rie de l’heure par cette invocation : 

« Bénie soit la Sainte et Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu. O Marie, que toutes les nations glo­ri­fient votre saint Nom, que toute la terre invoque et bénisse votre Cœur Immaculé. » La véné­rable Marie de sainte Thérèse la met­tait au-​dessus de tous les autres mys­tères de Notre-​Dame : « Je ne sais pour­quoi j’ai tant de zèle, d’at­trait et de dévo­tion pour ce mys­tère : et bien plus que pour n’im­porte quelle autre fête de l’ai­mable Mère. Pendant les quelques jours qui pré­cèdent la fête et puis le jour même je res­sens en moi comme une joie du Ciel qui se mani­feste et se répand dans tout mon être, même exté­rieur Cela me paraît pro­duire un nou­vel esprit et une grande aug­men­ta­tion de grâces qui me poussent sur­tout à aimer avec ardeur Jésus et Marie. Cet amour me conduit à leur plaire du mieux que je puis et en toute chose inté­rieu­re­ment et exté­rieu­re­ment. Il me pousse encore à imi­ter d’une façon par­faite leurs ver­tus. De là naît un grand zèle pour tout ce qui les touche : à savoir : le zèle pour le bien des âmes en géné­ral et plus par­ti­cu­liè­re­ment, le zèle pour le bien de notre Saint Ordre parce que celui-​ci appar­tient spé­cia­le­ment à l’ai­mable Mère de Dieu et qu’il est son Ordre. »

Dans le silence de la der­nière appa­ri­tion de la Vierge Immaculée, le 16 juillet 1858, en la fête de Notre-​Dame du Mont Carmel, médi­tons sur la gran­deur de ce pri­vi­lège et sur les immenses bien­faits qui en découlent pour l’Église et pour les âmes qu’Elle engendre à la grâce, afin de les rendre « saintes et imma­cu­lées ».

† Je vous bénis. 

Abbé L.-P. Dubroeucq †