Billetin du Tiers-Ordre séculier pour les pays de langue française
Editorial de Monsieur l’abbé Louis-Paul Dubroeucq, aumônier des tertiaires de langue française
Cher frère, Chère sœur,
« Mandavit illis unicuique de proximo suo », « Dieu a recommandé à chacun le soin de son prochain. » [Eccl., XVII, 12].
Citant ce passage de la Sainte Écriture, le pape saint Pie X déclarait, dans sa première encyclique E supremi apostolatus :
« Ce ne sont pas seulement les hommes revêtus du sacerdoce, mais tous les fidèles, sans exception, qui doivent se dévouer aux intérêts de Dieu et des âmes. »
Nous touchons là un sujet qui doit préoccuper tout confirmé et plus encore toute âme de tertiaire du Carmel : celui de l’apostolat. Apostolat [du grec : j’envoie } signifie mission, envoi. L’apôtre est un envoyé. Quel est l’Apôtre parfait ? C’est le Christ, l’envoyé du Père, constitué prêtre et médiateur selon l’ordre de Melchisédec. Les apôtres ont été envoyés par le Christ :
« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » [Jn, XX, 11]. « Allez, prêchez l’évangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné. » [Me, XVI, 15–16].
Remplis du Saint-Esprit le jour de la Pentecôte, les apôtres se lancèrent à la conquête des âmes. Trois pouvoirs leur furent communiqués : le pouvoir de sanctifier, par l’administration des sacrements et par l’administration des divins Mystères ; le pouvoir d’enseigner toutes les véri- tés et les préceptes du Christ ; le pouvoir de gouverner les fidèles. Une mission est également confiée, par l’Église, à tout chrétien :
« Ce sont les sacrements du baptême et de la confirmation qui imposent entre autres obligations celle de l’apostolat, c’est-à-dire du secours spirituel au prochain. […} Un membre doit aider l’autre. Aucun ne peut demeurer inactif ; chacun reçoit, chacun doit donner à son tour. » [Pie XI au patriarche de Lisbonne, 10 novembre 1933].
Dans une de ses homélies, saint Jean Chrysostome, qui a souvent, et avec vigueur, traité de cette matière, dit à ses diocésains :
« Entre autres devoirs, vous avez celui de vous dévouer pour le salut de vos frères, et de nous les amener, en dépit de leur résistance, de leurs cris et de leurs plaintes. Leur opposition et leur nonchalance sont la preuve que vous avez affaire à des enfants. À vous de changer leurs dispositions d’âme, si imparfaite et si misérable. C’est votre devoir de les persuader à devenir enfin des hommes. » [ Hom. In illud -.Saulus adhuc spirans}.
Saint Thomas d’Aquin résume ainsi l’apostolat du baptisé :
« Chacun a le devoir de communiquer sa foi à autrui, soit en instruisant et en confirmant les autres fidèles, soit en repoussant les assauts des infidèles. » [Somme théolo- gique, lia 11, q.III, art.2, ad 2].
L’importance de cette tâche est soulignée encore par le pape Pie XI dans les deux textes suivants où il montre qu’elle découle de la chan- té à l’égard du Christ-Roi et de notre prochain :
« Tous ont l’obligation de collaborer à l’instauration de la royauté de Jésus-Christ, puisque tous sont les très heureux sujets de ce Roi si doux ; pareils aux membres d’une même famille qui tous doivent se dévouer à ses inté- rêts. Se dispenser défaire quelque chose est un péché d’omission, qui, en certaines circons- tances, pourrait devenir très grave. Tous doivent donc agir, et pour tous il y a place et convenance. » [Pie XI, Discours aux directeurs de l’Apostolat de la Prière, 29 septembre 1927.]. « L’apostolat n’est pas autre chose que l’exercice de la charité chrétienne, qui oblige tous les hommes. » [Pie XI, Lettre à l’Épiscopat argentin, sur l’Action catholique, 4février 1931].
Cette phrase du Souverain Pontife indique une raison intrinsèque, la plus forte, qui com- mande le devoir de l’apostolat, celle que nous retrouvons au n° 72 de la Règle qui invite le tertiaire qui en est apte à se dévouer au œuvres de zèle ;
« Ils répondront ainsi complètement aux vues de la Sainte Église, non moins qu’à l’esprit de la Règle Carmélitaine, qui s’inspire du double amour de Dieu et du prochain. »
C’est pourquoi
« l’Ordre engage les Tertiaires à développer en eux l’esprit apostolique. Ils ne se conter feront pas de prêcher d’exemple, de pratiquer la charité dans leurs rapports mutuels et à l’égard des malades ; s’ils sont aptes aux.ouvres de zèle, ils y consacreront le mieux de leur activité. […} Que leur apostolat consiste surtout à entraîner les âmes qui vivent dans leur rayonnement vers une piété plus intérieure et toute mariale. » [Mémento des tertiaires du Carmel, Bruxelles, 19491.
Mais quelles sont les armes de cet apostolat marial ? Elles sont bien résumées, avec leur degré d’importance, par ce grand apôtre de la croisade eucharistique, le bienheureux Edouard Poppe :
« Agir c’est bien ; prier vaut mieux ; souffrir est le meilleur. »
Apostolat du zèle extérieur, de la prière, du sacrifice. Et le bienheureux E. Poppe d’insister aussi sur la donation de soi-même à Marie, médiatrice et dispensatrice de toutes grâces :
« Cette offrande à Marie est pour moi la source de toutes les grâces de mon apostolat. J’ai conclu un accord avec Elle : qu’Elle me fasse en échange de ma donation, vivre jusqu’à ce que j’aie fait tout le bien que Dieu attend de moi. Et Elle le fera, sachez-le bien ! » [ P. Martial Lekeux, o.f.m.. Le secret de l’apostolat dans la vie de l’abbé Edouard Poppe, DDE, 1949].
Si Jésus-Christ est le fondateur de l’apostolat, c’est au Saint-Esprit qu’a été confié le rôle de le perfectionner, de l’achever dans l’amour. C’est après l’avoir reçu que les apôtres ont commencé leur mission. Mais pour s’y préparer ils avaient persévèré dans la prière avec Marie, Mère de Jésus. La prière de Notre-Dame aida puissamment les apôtres à recevoir cette plénitude de pouvoir apostolique qui allait étonner le monde et multiplier les conversions avec une merveilleuse rapidité. Ce que Marie a fait pour les premiers apôtres. Elle est appelée à le faire pour tout chrétien. Si nous agissons par Elle, nous obtiendrons la spéciale assistance du Saint-Esprit et toutes les grâces nécessaires pour assurer la fécondité de l’apostolat.
« Quand le Saint-Esprit a trouvé Marie dans une âme, il y vole, il y entre pleinement, il se communique à cette âme abondamment, et autant qu “elle donne place à son Épouse. Et une des grandes raisons pourquoi le Saint-Esprit ne fait pas maintenant des merveilles éclatantes dans les âmes, c’est qu’il n’y trouve pas une assez grande union avec sa fidèle et indissoluble Épouse. » [saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévotion, n°32].
Un tertiaire de l’Ordre de la Vierge doit se faire une gloire de révéler sa Mère ; c’est là le grand moyen d’apostolat, car Marie est la voie directe qui conduit à la connaissan- ce et à l’imitation de Jésus.
« Il n’est route ni plus sûre ni plus rapide que Marie pour unir les hommes à Jésus-Christ. » [saint Pie X, Ad diem ïllum, 2 février 1904].
Elle nous enseignera à être apôtre et à nous sanctifier dans l’accomplissement de nos tâches quotidiennes :
« Chaque chrétien porte, pourrions-nous dire, une mission ordinaire d’apostolat dans sa grâce elle-même : notre fonction dans l’Église, d’une façon habituelle, est constituée par nos devoirs d’état. » [R.P. Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Au souffle de l’Esprit, Éd. du Carmel, 1990, p.333.].
Une vie édifiante est un sermon prêché, compris par tous. La Règle nous l’enseigne ;
« Ils s’efforceront dans leurs foyers d’être toujours chari- tables, patients et doux, comme aussi de bien remplir tous leurs devoirs ; par là ils feront aimer la religion et la vertu. » [chapitre 13, n° 59 ; voir aussi : 15, n° 70 à 72 et 16, n° 73 à 75].
Efforçons-nous donc de tendre à la perfection de toutes ces vertus en les informant par la charité, vertu surnaturelle qui donne la valeur à tous nos actes. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus comprit que la vocation d’aimer, dans l’Église, renfermait toutes les vocations :
« Dans le cour de l’Église je serai l’amour ! …Ainsi je serai tout ».
Toutes ses actions, toutes ses prières, toutes ses souffrances Sotites par un cour brûlant de charité pour Dieu et pour les âmes. Mue par le Saint-Esprit, elle est identifiée à Jésus-Christ, glorifiant Dieu par toute sa vie, Priant errant avec Jésus-Christ pour le salut des âmes. La Bienheureuse Elisabeth de la Trinité veut être « comme une humanité de surcroît du verbe en laquelle Il renouvelle tout son mystère », c’est-à-dire « qu’II puisse perpétrer en [elle] sa vie de réparation, de sacrifice, de louange et d’adoration ».
Soyons heureux de réciter l’Office de la Très Sainte Vierge, qui bien que plus modeste que le grand Office, nous fait chanter les louanges divines en honorant notre Reine. Mettons toute notre âme à bien le réciter. C’est notre apostolat de la prière, auquel s’ajoutent l’oraison et le chapelet ainsi que la prière par excellence, le Saint Sacrifice de la Messe. Pie XI n’hésitait pas à affirmer :
« La prière est réellement le plus efficace, le plus puissant et en même temps le plus facile des apostolats. C’est le moyen des moyens, enseigné par Nôtre-Seigneur pour tout obtenir. »
Et Pie XII, dans l’encyclique Mystici Corporis, du 29 juin 1943, attribuait au manque de prières apostoliques, le peu de progrès dans la conversion des païens :
« Si beaucoup, hélas, errent encore loin de la vérité catholique et ne veulent pas céder au souffle de la grâce divine, la raison en est que non seulement eux-mêmes, mais les chrétiens également, n “adressent pas à Dieu, à cette fin, des prières plus ferventes. »
Mais pour obtenir de Dieu la grâce, il est un moyen plus sûr encore : c’est de Lui donner. C’est de nous donner nous-mêmes, et par-dessus tout par cette oblation parfaite qui est le sacrifice. Par là nous sommes directement associés à la Passion rédemptrice, nous collaborons avec Notre-Seigneur à sa grande Ouvre de salut.
« Ne trouverais-tu pas du courage, demande à une amie Consummata [A. de Creuser], à penser que telle prière, tel sacrifice, tel effort peut décider du salut d’une âme actuellement en suspens entre Dieu et le démon ? » [in Vie].
Si nous comprenons la fécondité de la croix, comme sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, nous l’accueillerons avec action de grâces :
« Jésus m’ayant fait comprendre qu’il me donnerait des âmes par la croix, plus je rencontre de croix, plus mon attrait pour la souffrance augmente. »
Frère René-François de la Sainte Face, qui vient de nous quitter, m’écrivait il y a eu deux ans, le jour des Rameaux :
« Je demande à Notre-Seigneur de me donner le courage et la force de supporter ces maux avec joie, car comme le disait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « L »unique bonheur sur terre, c’est de s’appliquer à toujours trouver délicieuse la part que Jésus vous donne. « »
Et, le 7 novembre 2004 :
« J’accepte tout cela en pensant que j’ajoute ma petite pierre au sauvetage des âmes. »
C’est ainsi qu’il s’efforçait de pratiquer cet apostolat de la souffrance. Ne tardons pas à offrir, pour le repos de son âme, messes et communions.
Le 19 août 1917, à Fatima, en la fête de saint Jean Eudes, le premier grand apôtre de la dévotion au Cour Immaculé de Marie, la Très Sainte Vierge après avoir demandé aux enfants de continuer à « réciter le chapelet tous les jours », leur annonça un grand miracle pour octobre… Enfin, Elle prit alors un air triste et ajouta :
« Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs. Car il y a beaucoup d’âmes aui vont en enfer parce qu’il n’y a personne pour se sacrifier et prier pour elles. »
« Mandavit illis unicuifjue de proximo suo, Dieu a recommandé à chacun le soin de son prochain. »
Cour Immaculé de Marie, donnez-nous une âme d’apôtre.
+ Je vous bénis.
Abbé L.-P. Dubrœucq +