Cher Père Jean,
Nous voici trente ans après les sacres, trente ans après l’opération survie de la Tradition, et vingt-cinq ans après votre ordination sacerdotale à Ecône, le 29 juin 1993. Avec l’assentiment, la complicité de Mère Diane-Marie [1], nous avons voulu vous réserver la surprise et la joie d’une Messe solennelle en ce début de matinée. Cette joie rejaillira sur votre chère Maman ici présente, et redoublera celle de votre Père au Ciel. En entrant dans la chapelle, peut-être avez-vous craint d’avoir à improviser un sermon en apercevant le pupitre dans le sanctuaire. Vous êtes maintenant rassuré !
Souvenez-vous : nos confrères, les abbés Onoda et Gueguen, les plus petits de taille, ouvraient la procession des dix-sept ordinands parmi lesquels vous étiez le seul religieux. Souvenez-nous : au retour de la cérémonie, nous entourions la statue de saint Pie X et vous posiez à l’extrême gauche, ou plutôt à l’extrême droite de Mgr de Galarreta ! Les trois autres évêques auxiliaires de la Fraternité étaient présents ainsi que le Supérieur général, M. l’abbé Schmidberger. Deux mille cinq cents fidèles s’étaient déplacés pour honorer le sacerdoce.
En substance, que venait de nous dire Mgr de Galarreta ? Qu’une cérémonie d’ordination nous place au cœur du mystère de la Rédemption ; qu’elle fait goûter la charité de Dieu à laquelle nous croyons : « Credidimus caritati », n’était-ce pas la devise épiscopale de Mgr Lefebvre, tirée de saint Jean ? Que venait-il encore de nous dire ? Qu’une cérémonie d’ordination organisée un 29 juin ne pouvait être qu’une fête de la Romanité. Il enchaînait alors : cinq ans après les sacres, nous sommes demeurés fidèles à l’Église catholique, nous n’avons rien ajouté, rien retranché, nous n’avons dévié ni à droite ni à gauche ; notre position peut se résumer dans une autre devise, celle du cardinal Ottaviani : « Semper idem ! »
Mais qui veut la fin veut les moyens, et c’est ici – continuait-il – qu’il faut rendre hommage à Mgr Lefebvre. Sans les sacres, nous aurions perdu la force et la liberté de prêcher l’Évangile sans compromis, en un temps où les autorités suprêmes de l’Église s’éloignent de façon impressionnante de la foi catholique, en un temps où elles établissent la religion de l’homme qui se fait Dieu, en un temps où le modernisme est passé dans toutes les institutions de l’Église officielle, où il a injecté son venin jusque dans les entrailles de l’Église. Oui, de même que saint Pie X avait pris comme programme de son pontificat l’omnia instaurare in Christo de saint Paul et s’était appliqué à le mettre en œuvre au milieu d’innombrables contradictions, de même aujourd’hui mais en sens inverse le Vatican de manière pertinace, s’applique à le découronner et entraîne nolens volens des millions de baptisés à une apostasie soit silencieuse soit fracassante. Qui versent dans l’hérésie latente, pour le moins, et le schisme larvé ? Ceux qui nous condamnent et nous disent en communion imparfaite selon leur terminologie tirée d’une nouvelle ecclésiologie, tirée du chapeau du concile ! Ils désobéissent à la foi catholique.
Cette ordination avait lieu peu après la parution du prétendu Catéchisme de l’Église Catholique dont notre directeur, M. l’abbé Simoulin avait dès l’abord décelé le vice de fond. Mais les ralliés – selon l’expression du cardinal Decourtray — s’en faisaient les chantres. Ils avaient capitulé. Ils avaient souscrit à un contrat : do ut des, je te donne, tu me donnes. Et Mgr de Galarreta de citer alors la célèbre déclaration du 21 novembre 1974 : « Nous refusons et nous avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste », il ajoutait, lui qui aujourd’hui est le premier assistant de la Fraternité : « … et nous refuserons toujours de la suivre. » « En revanche – précisait Mgr Lefebvre – nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle et maîtresse de sagesse et de vérités » Semper idem !
Nous aussi à notre petite place, nous défendons la primauté pontificale, le siège de Pierre. Nous défendons cette primauté que la collégialité vient contredire à son fondement même, couper en quelque sorte à sa racine. Nous défendons le pouvoir d’ordre, autrement dit le pouvoir de sanctification du pape et des évêques, pouvoir que l’œcuménisme relativise, puisque les fausses religions qui ne sont plus dites telles sont présentées comme des moyens de salut. Nous défendons le pouvoir de juridiction du pape, son munus docendi et son munus gubernandi que la liberté religieuse mal entendue, qu’une liberté religieuse dégénérée en licence pulvérise, chacun étant renvoyé en définitive à sa conscience. Dans ce domaine, nous sommes passés du mauvais au pire : d’un droit négatif à l’immunité de contrainte, avec Dignitatis Humanae, à un droit positif avec le discours de Benoît XVI, au Liban.
Soyons-en bien persuadés, nous sommes malgré bien des insuffisances les serviteurs du Vicaire du Christ. Nous le défendons au besoin contre lui-même, contre l’autodestruction qu’il opère. Nous sommes attachés à l’unité de l’Église sub Petro, à l’unité de l’Église dans l’espace autrement dit à son universalité ; à l’unité de l’Église dans le temps autrement dit à son apostolicité. Nous gardons les sacrements qui ont fait les saints, le Saint Sacrifice de la Messe tel qu’un saint Camille de Lellis ou un saint Vincent de Paul l’on célébré. Par Romanité, nous sommes antilibéraux, nous sommes attachés aux enseignements traditionnels de Rome, aux Pères et aux Docteurs, à saint Thomas tout particulièrement, et vous peut-être à saint Bonaventure ! Ce combat que vous menez cher Père à votre poste de religieux de l’ordre séraphique, ce combat que nous menons nous aussi au sein de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, ce combat qui nous unit, plus rude que bien des batailles d’hommes, pour le mener à bien, nous devons le poursuivre dans la dépendance d’amour la plus étroite possible à Jésus-Christ, notre Sauveur : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments ». Attaché à Jésus, vous l’êtes par le baptême, les vœux de religion en tant que fils du Poverello, la confirmation, le sacerdoce, la grâce dans laquelle vous devez, nous devons croître sans cesse. L’unique chose nécessaire – disait notre sainte Thérèse – est de s’unir de plus en plus à Jésus, pour accomplir sa tâche ici-bas, pour son salut et celui des âmes, sans en rien omettre, dans l’Église fondée par Jésus, par le recours incessant à l’intercession de notre Mère du Ciel.
Le 27 juin dernier, jour du grand départ pour les congés d’été au Cours Sainte-Catherine-de-Sienne, une maman que je ne connaissais pas m’aborda pour me dire ces quelques mots simples, touchants, profonds : « je vous remercie d’être ce que vous êtes, un prêtre ».
Cher Père Jean, en ce 13 juillet, nous tous présents, nous vous remercions d’être de que vous êtes : un prêtre et un religieux. Nous vous assurons de notre union fraternelle dans les cœurs de Jésus et de Marie, dans le Cœur de Jésus et de Marie, dirait saint Jean-Eudes, tellement ils ne font qu’un par leur vouloir. Alors, cher Père, bénissons-nous mutuellement, oremus pro invicem.
Ainsi soit-il
Abbé Philippe Nansenet
- Mère Prieure du Cours Sainte-Catherine-de-Sienne de Saint-Manvieu-Norrey (14740) des Dominicaines enseignantes de Fanjeaux.[↩]