« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »
Jacques-Bénigne Bossuet
Paul VI vient d’être élevé sur les autels à la suite de Jean XXIII et de Jean-Paul II. Un communiqué de notre Maison générale remarque que « les béatifications et canonisations de papes récents, selon une procédure accélérée, s’affranchissent de la sagesse des règles séculaires de l’Église. Ne visent-elles pas davantage à canoniser les papes du concile Vatican II, plutôt qu’à constater l’héroïcité de leurs vertus théologales ? Lorsque l’on sait que le premier devoir d’un pape – successeur de Pierre – est de confirmer ses frères dans la foi, il y a de quoi être perplexe. »
Qu’est-ce en effet qu’une canonisation ? En quoi consiste-t-elle ? Elle consiste à inscrire un bienheureux au catalogue des saints par une sentence définitive du Souverain Pontife pour que l’Église tout entière, le regarde comme jouissant de la béatitude céleste et devant faire l’objet ici-bas d’un culte. Une canonisation comporte un jugement spéculatif où l’on affirme qu’une personne est sainte, et un jugement pratique imposant que cette personne fasse l’objet d’un culte. La sainteté et la gloire du Ciel forment la raison fondamentale pour laquelle l’Église impose ce culte. Et ce culte revient à reconnaître que la vie du saint constitue un exemple assuré pour tous les fidèles désireux d’accomplir leur salut. Un défunt sera canonisable dans la mesure où sa vie aura été sainte et exemplaire.
Comment la sainteté se définit-elle ? Comme l’exercice de toutes les vertus, poussé jusqu’au degré héroïque. Nous lisons dans l’article du Dictionnaire de Théologie Catholique consacré aux canonisations : « Ce que l’Église exige de ceux auxquels elle réserve les honneurs de la canonisation, ce n’est pas seulement la possession d’une vertu, mais de toutes les vertus sans exception. En eux doivent resplendir d’abord les vertus théologales qui ont Dieu comme objet immédiat. Et ensuite toutes les autres vertus, intellectuelles et morales. Ces vertus, ils auront dû les pratiquer non d’une manière quelconque mais jusqu’à l’héroïsme. » Le pape Benoît XIV, célèbre pour son traité sur les canonisations définit cette héroïcité des vertus en disant « qu’elle est au principe d’actes qui dépassent de loin la manière ordinaire d’agir des hommes vertueux et même des chrétiens en état de grâce. Cette éminence doit elle-même s’expliquer en raison de l’excellence de l’œuvre accomplie ou des circonstances qui en rendent l’accomplissement particulièrement difficile. L’héroïcité de la vertu est absolument nécessaire, car c’est grâce à elle que la vie du canonisé prend la valeur d’un exemple pour toute l’Église. »
S’interroger sur la canonisation de Paul VI n’équivaut donc pas à se demander s’il est sauvé mais à se demander s’il a gouverné l’Église de manière qui puisse servir de modèle. Or quelle œuvre accomplit-il en tant que pape ? Citons de nouveau le communiqué de notre Maison générale : « Paul VI est aussi le pape qui mena le concile Vatican II à son terme, introduisant dans l’Église un libéralisme doctrinal qui s’exprime par des erreurs comme la liberté religieuse, la collégialité et l’œcuménisme. Il s’en est suivi un trouble sans précédent que lui-même a reconnu le 7 décembre 1968 : ‘L’Église se trouve dans une heure d’inquiétude, d’autocritique, on dirait même d’autodestruction. Comme si l’Église se frappait elle-même. »
Quelle fut l’attitude du pape Paul VI ? « Beaucoup attendent du pape des interventions énergiques et décisives. Le pape ne croit pas devoir suivre une autre ligne que celle de la confiance en Jésus-Christ. Ce sera lui qui calmera la tempête. » … Écoutons également ce cri d’alarme en date du 29 juin 1972 : « La fumée de Satan est entrée par quelque fissure dans le temple de Dieu : le doute, l’incertitude, la problématique, l’inquiétude, l’insatisfaction, l’affrontement se font jour. » Mais il ne fit qu’un constat, sans prendre les mesures propres à arrêter cette autodestruction. Il prêcha la résignation à son ami, le cardinal Colombo, archevêque de Milan : « Il est nécessaire d’aimer et de servir pastoralement les hommes tels qu’ils sont, même s’ils sont très différents de ce qu’ils devraient être et de ce que nous voudrions qu’ils soient. »
Un auteur qui lui est complaisant écrit : « Élu pape en 1963, Monseigneur Montini mena à son terme le concile Vatican II. C’est dans les années suivantes qu’il apparaît comme un pape crucifié. » Crucifié vraiment ? Non pas, mais bien comme un pape écartelé pour reprendre le titre même de la biographie de M. Yves Chiron.
Mais reprenons la citation : « … comme débordé par les interprétations de l’aggiornamento, dépassé par la crise de l’Église, trop sensible, trop impressionnable, tentant désespérément de concilier les principes fondamentaux du dogme et la pression de la contestation moderniste des années 70. » Un Pape débordé, dépassé qui se dépense en efforts désespérés et vains, ce n’est pas assez dire, un pape ouvrant la boîte de Pandore, et s’affaissant ensuite sous la tempête de vents déchaînés, ce n’est pas assez dire, un pape indécis mais condamnant avec entêtement la Messe traditionnelle, imposant avec entêtement un nouvel Ordo Missae de saveur protestante, mettant en œuvre l’œcuménisme, la collégialité, la liberté ou plutôt la licence religieuse : le précurseur de Jean-Paul II et de François !
Qui reçut-il pendant deux heures et demie lors de la dernière entrevue accordée trois jours avant sa mort ? Le président socialiste de la République italienne, Pertini. De quoi conférèrent-ils ensemble ? De la révision du concordat qui liait l’Italie et L’Église. Il s’agissait de mettre en pratique la prétendue autonomie du temporel, de découronner Notre-Seigneur, de laïciser, de séculariser la société.
Le grand ami français de Paul VI, Jean Guitton, reçu tous les 8 septembre depuis 1950,année où grâce aux manœuvres de Montini, pro-secrétaire d’État, son livre sur la Sainte Vierge avait échappé à la censure du Saint Office, émet ce jugement : « Paul VI n’était pas fait pour être pape. Il était fait pour être le secrétaire, le collaborateur d’un grand pape. Il n’avait pas ce qui fait le propre du pape, la décision, l’énergie de la décision. » Collaborateur de Pie XII, un grand pape, il le fut certes, mais point toujours fidèle. Les néo-modernistes le savaient. Ses biographes lui en font gloire avec légèreté.
Ne serait-ce que pour sa conduite de l’Église pendant les années soixante et soixante-dix, peut-on présenter Paul VI comme un modèle de chef spirituel ? Paul VI, c’est le pape libéral au visage double, disait Louis Salleron ; c’est le pape qui s’affolait des conséquences de ses décisions, de ses permissions, mais qui ne revenait pas sur ses permissions et décisions malgré leurs effets désastreux ; c’est le pape qui se désolait, se lamentait, mais travaillait par action et par omission à l’autodestruction qu’il dénonçait.
« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », s’écriait Bossuet. Il est pénible de devoir faire ressortir le mal qui est venu de Rome en ce temps-là, mais il est plus regrettable que ce mal ait existé. Depuis des années, un père et une mère de famille me font célébrer chaque mois une messe pour le retour à la foi de leurs deux fils de mon âge. À ma question : pourquoi ont-ils déserté l’Église, la maman se contenta de tirer d’une bibliothèque le catéchisme que ses fils avaient reçu et de m’en lire les titres de chapitre. De mauvais souvenirs me revinrent à l’esprit.
À notre petite place, il nous faut élever la voix pour protester et mettre en garde les fidèles que pourrait troubler cette pseudo-canonisation à motif idéologique. Elle vise en effet à rendre irréversible ce par quoi la Sainte Église dépérit, ce par quoi les âmes meurent de faim et de soif : le Concile Vatican II et ses suites.
L’Église s’enfonce plus avant encore dans sa Passion. Prions le chapelet et continuons de nous former pour échapper au scandale.
Abbé Philippe Nansenet, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Petit Eudiste n° 209 de décembre 2018