Quand les frères André et Randall Leese partirent de chez eux, près de Seattle, le 3 avril 2009, pour leur tour du monde en vélo, ils passaient du rêve à la réalité ; mais une réalité non dépourvue d’effort ni de renoncement : de longues journées sur leur selle, des tempêtes et la chaleur oppressante du désert, bref, la vie d’un pèlerin. Le secret de leur persévérance ? La pensée de ces petits orphelins qui les attendaient…
Un périple de 32040 km à travers 22 pays et 14 fuseaux horaires pour aider un orphelinat en Inde…
« L’oeil ne peut pas dire à la main : je n’ai pas besoin de ton aide, ni la tête dire aux pieds : je n’ai pas besoin de vous » (I Corinthiens 12, 21).
Un projet audacieux
Ils vont parcourir 32.040 km, à travers 22 pays et 14 fuseaux horaires. Après les Etats-Unis, ils se dirigent vers la France, les îles Britanniques, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce et la Turquie, avec un détour par le Maroc et la Terre Sainte. De la Turquie, ils visitent le Caucase et naviguent une nuit entière en Asie centrale, où ils font le « Tour de la Tyrannie », traversant plusieurs pays au régime dictatorial, en Chine, sur les voies carrossables les plus élevées du monde au Pakistan et enfin en Inde. Pourtant, le voyage et nos efforts pour aider sont loin d’être achevés, commente Randall.
L’idée de rouler à bicyclette pour soutenir les orphelins leur est d’abord venue en écoutant les récits d’amis et de prêtres de retour des missions en Inde. Des articles parus dans « The Apostle » ont également alimenté leur imagination : « Nous avons suivi les progrès de Soeur Maria Immaculata avec les enfants, d’abord dans l’Etat d’Andra Pradesh, puis avec la Fraternité St-Pie X à Palayamkottai. Nous avons voulu donner un coup de main – ou de pied, plutôt - » déclare Andrew, tandis qu’il essuie la sueur qui perle sur son front après une longue journée à vélo. Comment venir en aide ? voilà la question. Avec deux paires de jambes vigoureuses et une passion pour le cyclisme, la réponse est simple.
Leur désir de venir en aide repose sur la générosité des autres hommes. Les deux frères font d’abord appel à la bienveillance de leurs communautés et paroisses locales, puis à celle des fidèles, à la sortie des messes dominicales, pédalant pour cela à travers les Etats- Unis et l’Europe, en particulier en France, en Irlande et au Royaume-Uni. « La plus grande partie de l’argent a été ramassée aux Etats-Unis et en Irlande, précise Andrew. La barrière de la langue dans d’autres pays (France, Espagne et Portugal) n’a pas permis d’atteindre aussi facilement ce même niveau de confiance et de faire connaître les besoins ». La générosité de ces fidèles a en effet montré que cette confiance est profonde. Même si elle est encore loin du but fixé par les frères, ainsi que des besoins des orphelins, les 30.000 dollars réunis pour le moment sont importants et à la fois une leçon d’humilité. Vraiment, tant d’argent fera un long chemin en Inde. « En attendant, fait remarquer Andrew, le voyage est encore loin d’être terminé ».
La route
La première chose était de planifier un itinéraire. « Nous savions, pour avoir effectué précédemment des randonnées dans des pays étrangers, qu’essayer de s’en tenir à un itinéraire précis n’est pas le moyen le plus simple pour atteindre son but, mettant les nerfs à vif et donnant des maux de tête. Un voyage, et particulièrement un voyage à vélo, réclame une grande souplesse ».
Aux Etats-Unis et en Europe, la route change presque tous les jours, mais en Asie, les choses deviennent plus délicates. Comme les frères n’ont pas l’autorisation – en tant que citoyens américains – d’entrer en Iran, il leur faut prendre une route au nord qui mène en Inde à travers plusieurs chaînes de montagne, parmi les plus élevées du monde. Ils ne peuvent les franchir en toute sécurité qu’en été, de sorte que leur allure doit être adaptée en conséquence. En fait, cela déterminera le calendrier de la totalité du voyage.
« Parce que la date de notre départ avait été repoussée de plusieurs mois et qu’Andrew voulait voir le Tour de France, nous avons traversé les Etats- Unis (environ 8 000 km) en trois mois seulement – ce qui donnait des journées de 160 km, et même une fois une étape de 260 km, marathon de 12 heures vers San Francisco, afin d’arriver à temps pour la retraite prêchée à Los Gatos, le jour suivant ». Rien que par cela les frères ont prouvé leur ténacité et leur belle opiniâtreté à atteindre leurs objectifs.
Leur tournée-tourbillon leur fait traverser l’Oregon, la Californie, l’Arizona, le Colorado, le Kansas (principalement pour visiter St. Mary’s), le Minnesota (pour les ordinations), le Wisconsin, l’Illinois, la Pennsylvanie, New Jersey, New York, et, de là, à Paris par avion. Lorsqu’ils sont fatigués de camper, ils demandent aux propriétaires des hôtels – souvent avec succès – de les parrainer pour une nuit et leur offrir une chambre gratuitement. Ils passent d’autres nuits dans des familles qu’ils ont contactées par avance, ou par le web ou encore par l’intermédiaire d’amis « tradis ». Les statistiques pour les Etats-Unis donnent une roue arrière cassée et assez de pneus dégonflés pour exercer la patience d’un saint.
Ils arrivent à Paris le jour de la fête nationale (14 juillet) et suivent plusieurs étapes du Tour de France avant d’explorer le nord de la France, avec visites de Lisieux et du Mont Saint-Michel, et de finir la saison en Angleterre et en Irlande. La France, avec son vaste réseau de chemins paisibles et pavés, et ses délicieuses traditions culinaires, est un paradis pour les touristes cyclistes. En revanche, le sud de l’Angleterre n’est pas aussi attirant avec ses routes encombrées et ses conducteurs imprudents, aussi filent-ils au Pays de Galles et en Irlande où les fidèles les accueillent chaleureusement. « On a passé un bon moment, et l’Irlande est aussi belle que ce qu’on en dit », déclare Randall. Ils ont même plusieurs jours de soleil : quelle bénédiction !
Par un automne plus chaud que d’habitude, les frères progressent le long de la froide côte ouest de France, profitant des vins régionaux et des superbes fruits de mer, préparés par leurs hôtes et nouveaux amis. Le tronçon européen du voyage se révélera un fortifiant pour les routes à venir, beaucoup plus exigeantes du point de vue physique.
Un pèlerinage de deux semaines le long du Camino francès et Camino portuguès, pris à l’envers, vers Fatima et Lisbonne – avec un mois de vacances à Sintra – sont un très grand moment pour les deux frères. De Lisbonne, ils prennent la route du sud en direction de Gibraltar et font un petit crochet à travers l’ancien protectorat français de l’exotique Maroc, avant de filer, le long de la côte de la Méditerranée, vers Rome où ils arrivent à temps pour la Semaine Sainte et Pâques. Ils passent alors trois semaines à visiter la Ville Eternelle avant de commencer l’étape suivante.
Leur but est alors la Grèce. Une rapide traversée des Apennins les conduit vers la ville côtière de Bari, où ils embarquent pour Patras, et de là à Athènes : « Une ville fort désagréable où les gens sont grossiers et les prix élevés ». Mais la Turquie voisine est tout à fait charmante : « Les Turcs regardent l’hospitalité comme un devoir quasisacré, et semblent trouver beaucoup de satisfaction à divertir leurs hôtes ». Istanbul, qu’ils trouvent très cosmopolite, les retient peu de temps, avant un petit détour par la Syrie, la Jordanie et Israël : « Un autre point saillant du voyage » où ils dorment dans les ruines de la cathédrale Saint- Simon le Stylite (les énormes fondations sont toujours intactes), et font un pèlerinage sur deux roues en Terre Sainte.
Revenus à Istanbul en avion, ils vont faire pénitence, au plus chaud de l’été, sur les collines magnifiques mais escarpées de la région de la Mer Noire. La Turquie cède la place au Caucase russophone : d’abord la Géorgie chrétienne, où la nourriture et l’hospitalité sont sublimes, puis l’Azerbaïdjan musulman qui « en dépit de paysages magnifiques, est un horrible petit trou pétrolifère ».
Ils embarquent, à Bakou, sur un vieux cargo russe, et traversent la mer Caspienne en direction du Kazakhstan et de l’Asie centrale. C’est alors le désert du Kazakhstan, ses chameaux paresseux et ses hordes de chevaux au galop, ce qui les conduit vers l’Ouzbékistan et le long de la vieille Route de la Soie, passant par les anciennes villes de Samarkand et de Boukhara, à travers de vastes déserts. C’est enfin Tachkent, la capitale ouzbèke. « Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ont été attirants, non par leur paysage – bien que la simplicité d’un morne paysage ait du charme -, mais par la beauté des habitants, dont les traits dénotent une noble harmonie. En outre, leur culture est encore largement épargnée par le matérialisme de l’Occident ». Randall a également apprécié la nourriture : « Une combinaison irrésistible de mouton, de pain, et d’oignon – cuits au four, bouillis, cuits à la vapeur ou frits. Le kymys (lait fermenté de jument) était également savoureux ».
Les visas chinois devaient être obtenus à Tachkent pour 210 $ afin de pouvoir partir pour le Kirghizstan. Mais à cause des récentes émeutes ethniques de l’été, les frontières entre les deux pays étaient apparemment fermées aux étrangers. « Avec l’expiration de notre visa ouzbèke valable trente jours et de nombreuses tentatives infructueuses auprès de l’ambassade pour obtenir un visa de passage au Kazakhstan, nos possibilités se réduisaient rapidement », raconte Andrew. « Le tout dernier jour, j’ai réussi à obtenir un visa de dernière minute pour le Tadjikistan, tandis que Randall, contre toute espérance, trouvait un vol à destination de Bichkek, la capitale du Kirghizistan ». Il espérait y pouvoir réparer sa dernière jante cassée, car une pièce de rechange convenable était absolument introuvable à Tachkent.
Les frères quittent donc le pays, alors qu’il ne leur restait que quelques heures de libre ; le Kirghizistan est « un pays d’une beauté remarquable, avec un grand sens de l’hospitalité », et la grande route du Pamir, connue comme Le Toit du monde, est vraiment « spectaculaire ».
Les frères se retrouvent au sud du Kirghizistan avant le passage, vers l’est, d’un col enneigé (3 700 m) donnant sur les montagnes froides et arides du désert de Taklamakan et la délicieuse et frénétique ville de Kashgar, en Chine. C’est là que commence, audacieusement, la Route de Karakorum – la plus haute du monde -.
Un des frères se souvient de l’étape menant de Kashgar à Tashkurgen, au sud de la Chine, d’où l’entrée au Pakistan ne peut se faire qu’en autocar, exploité par le gouvernement : « Alors que nous quittions Kashgar, nous avons été pris dans une violente tempête de sable qui nous arrachait la gorge et les sinus, juste avant que nous grimpions, en vélo, à 3–4000 m d’altitude, où le froid intense et très sec les déchira encore davantage, au point de nous faire craindre pour notre santé ».
Ils arrivent heureusement sains et saufs dans un Pakistan, beau, accueillant et périlleux, qu’ils traversent pour rejoindre l’Inde à la fin du mois de novembre. Afin d’arriver à Palayamkottai à temps pour Noël, il leur faut prendre le train, depuis Delhi, en direction du sud.
Le 18 décembre, ils passent à vélo le portail de l’orphelinat, sous l’escorte fidèle de leurs anges gardiens : les enfants sont là pour les accueillir avec des panneaux de couleur et de larges sourires de bienvenue.
Après maintenant plusieurs mois passés à Palayamkottai, Andrew et Randall ont l’intention de poursuivre leur tour du monde en vélo par l’Asie du Sud-Est, la Chine et le Japon avant de retourner aux Etats-Unis où ils feront une petite tournée victorieuse et continueront la collecte de fonds pour l’orphelinat.
Pour des anecdotes, photos, statistiques de roulage, et tous les détails pratiques du périple, visitez : www.orphanride.org
Reportage extrait du Pour qu’il Règne n° 100 de juillet-août 2011
Remerciements
La Porte Latine remercie chaleureusement M. l’abbé Benoît Wailliez, Supérieur du District de Belgique et des Pays-Bas, pour son aimable autorisation de publier le récit de cet extraordinaire périple qu’il a présenté aux lecteurs de Pour Qu’il Règne n° 100 (1) en écrivant :
(1) Pour vous abonner à cette excellente revue :Abbé Benoît Wailliez |