L’un des thèmes les plus attendus qui doivent être traités lors du Synode sur l’Amazonie, consiste dans la possibilité d’ordonner prêtres des « personnes aînées et respectées (…), même si elles ont une famille constituée et stable » [1]. Cette suggestion serait légitime car elle rappellerait « certains aspects de l’Eglise primitive, lorsque celle-ci répondait aux besoins en créant des ministères appropriés », explique le document de travail synodal préparatoire. Qu’en est-il vraiment ?
Le Nouveau Testament témoigne que l’ordination d’hommes préalablement mariés était courante dans les tous premiers temps de l’Eglise. Ainsi saint Paul recommande à ses disciples Tite et Timothée que de tels candidats à l’ordination ne doivent avoir été mariés qu’une fois [2].
Nous savons également que le premier pape, saint Pierre, avait été marié. Se rendant dans sa maison, Notre-Seigneur guérit sa belle-mère qui est au lit avec de la fièvre (Mt 8, 14–15). A ce propos, la question que pose saint Pierre à son Maître est remarquable : « Seigneur, voici que nous avons tout quitté et que nous vous avons suivi, quelle sera donc notre part ? »
Le Christ lui répond : « Je vous le dis, en vérité, nul n’aura quitté sa maison, ou ses parents, ses frères, son épouse ou ses enfants à cause du royaume de Dieu, sans qu’il ne reçoive en retour bien davantage en ce temps-ci et, dans le monde à venir, la vie éternelle. » [3]. Saint Pierre n’a pas seulement quitté son bateau et ses filets, mais encore femme et enfant, pour suivre le Seigneur.
A travers cette réponse apparaît déjà en filigrane la première obligation du célibat des clercs, sous la forme de la continence : il s’agit de ne pas contracter de mariage ou de ne pas user du mariage lorsqu’il existe déjà. Tel est alors le sens du célibat, qui consiste à s’abstenir complètement du commerce charnel, même de celui qui est permis dans le mariage.
La loi de la continence
Dans les faits, les premières lois écrites sur le célibat évoquent, toutes, la continence parfaite. Cette insistance s’explique par le grand nombre de clercs antérieurement mariés, auxquels il fallait régulièrement rappeler cette interdiction.
En effet, passées les premières persécutions, du fait surtout des conversions toujours plus nombreuses, et donc aussi des ordinations devenues nécessaires, il y eut des difficultés croissantes vis-à-vis de cette obligation, contre lesquelles luttèrent avec une vigilance accrue, par des lois ou des réglementations écrites, les conciles et les papes.
C’est ainsi que le concile d’Elvire, en 305–306, rappelle dans son 33e canon « l’interdiction totale faite aux évêques, prêtres et diacres (…) de commercer avec leurs épouses et de procréer des enfants ; celui qui l’aura fait devra être exclu de l’état clérical ». Ce rappel dut être souvent renouvelé par les papes et les conciles durant les siècles qui suivirent.
Partout, l’Eglise ordonne de préférence des candidats non mariés, et au contraire tend à repousser les candidats mariés, à cause du risque de ne pas voir respecté l’engagement initialement accepté librement.
Nombreuses sont les prescriptions remontant aux commencements de l’Eglise. Elles émanent en particulier des papes saint Sirice, saint Innocent Ier, saint Léon le Grand ou encore saint Grégoire le Grand. Aucun document historique ne contestant ces affirmations, il serait contraire à la méthode historique d’avancer le contraire.
La lutte contre le nicolaïsme
Aussi faut-il se demander pourquoi il est régulièrement affirmé que cette loi daterait du douzième siècle. En fait, de graves abus s’introduisirent dans l’Eglise aux Xe et XIe siècles, durant l’une des périodes les plus difficiles de son histoire. Cette crise était liée au bénéfice qui rendait économiquement indépendant le détenteur de cette charge, celle-ci ne pouvant que très difficilement lui être retirée. Ce système mit trop souvent au service de l’Eglise des évêques, des abbés (placés à la tête des abbayes) ou des prêtres paroissiaux, non préparés ou indignes. Deux autres maux en découlèrent : l’achat des charges ou simonie, et le nicolaïsme ou violation généralisée du célibat des clercs.
Il fallut l’énergie de plusieurs papes, surtout de saint Grégoire VII, pour écarter ce grave danger qui avait touché le haut clergé. L’on renonça de plus en plus à admettre des candidats mariés. C’est ainsi qu’au deuxième concile du Latran (1139), il fut décidé que l’ordre majeur était une obligation dirimant [interdisant] le mariage.
Ce concile déclara solennellement que les mariages de clercs majeurs, tout comme celui des religieux ayant prononcé des vœux solennels, sont non seulement interdits comme auparavant, mais également invalides, c’est-à-dire sans aucun effet religieux ou civil.
C’est donc par ignorance de ce contexte qu’est née l’erreur selon laquelle le célibat des clercs majeurs ne serait qu’une invention du Moyen Age. C’est l’invalidité du mariage conclu en violation de l’interdiction qui été décrétée, alors que l’interdiction existait déjà depuis fort longtemps.
L’étude sérieuse de l’histoire de l’Eglise permet ainsi de déduire de la pratique établie que la continence attachée à la réception des ordres sacrés majeurs apparaît comme une obligation remontant aux commencements de l’Eglise, obligation reçue et transmise par la Tradition : c’est un trésor qu’il ne convient en aucun cas d’aliéner.
Source : AM Stickler, Le célibat sacerdotal, Téqui, 1998 – FSSPX.Actualités – 14/10/2019