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En 1988, Mgr Marcel Lefebvre, fondateur de la Fraternité Saint-Pie‑X, passant outre à l’interdiction et aux avertissements que lui avait adressés le pape Jean Paul II, consacrait évêques quatre de ses prêtres, au mépris de la tradition la plus ancienne de l’Eglise. Ce faisant, il entrait dans une rupture formelle avec l’Eglise qu’il prétendait défendre et l’excommunication était prononcée contre lui et les quatre intéressés.
Le pape a la mission de veiller à l’unité de l’Eglise. Ni Jean Paul II ni Benoît XVI ne pouvaient prendre leur parti de cette dérive schismatique qui entraîne dans la déviance des gens de bonne volonté. Ils ont tenté de rétablir cette unité avant que les situations se cristallisent.
Lors de la rupture entre l’Orient et l’Occident comme au moment de la Réforme, de chaque côté, des esprits avisés et motivés par l’amour de l’Eglise ont tenté d’éviter la fracture. Ils n’ont pas pu réussir. Tirant les leçons des siècles passés et conscients de leur charge particulière, Jean Paul II et Benoît XVI, pour éviter un schisme durable, ont ouvert des portes les unes après les autres. A ce jour, bien peu ont pris sur eux de les franchir. La décision de Benoît XVI est une nouvelle chance donnée à la force de la communion sur les forces de la division.
Cette décision a suscité beaucoup de réactions : comme si l’ouverture de la porte était l’approbation de toutes les erreurs ! L’émotion a donné à entendre des propos surprenants appelant l’Eglise à condamner et à exclure… Je ne me sentirais pas bien à ma place dans une Eglise qui n’ouvrirait ses portes qu’aux « parfaits ». Je pense que beaucoup des hommes et des femmes qui ont été appelés par le Christ à mener une vie nouvelle n’étaient pas très recommandables. Je suis heureux que mon Eglise soit assez forte pour appeler à la conversion. Cette ouverture de l’Eglise n’est jamais une approbation du mal commis. Elle est toujours un appel à se convertir.
La peur n’est pas bonne conseillère. Tout au long de ces jours, je me suis demandé qui avait peur de qui et de quoi. Les fantasmes du « retour en arrière », ceux d’une trahison du concile Vatican II, qui ont été agités comme des périls immédiats, sont-ils vraiment capables de nous aider à comprendre la situation et à la vivre ? J’en doute. Il y a plus de quarante ans, ce concile a recueilli les fruits du dynamisme et de la vitalité de l’Eglise et leur a donné leur efficacité institutionnelle.
Le mouvement liturgique, le mouvement oecuménique, les recherches bibliques et patristiques, sont sortis des cercles des pionniers et des spécialistes pour enrichir la vie chrétienne de tous. Ce qui a surgi du concile, ce n’est pas une autre Eglise, c’est l’Eglise catholique avec toute sa tradition, rajeunie et revigorée. Interpréter le concile comme une fracture engendrant une autre Eglise, n’est-ce pas précisément faire le jeu de ceux qui dénient à l’Eglise conciliaire le droit d’assumer la tradition et qui s’en réservent la défense exclusive contre tous ?
Il n’y a pas plus de nouvelle Eglise qu’il n’y a de nouvelle messe. Il y a l’évolution vivante de la tradition ecclésiale qui se développe sous la conduite des pasteurs légitimes de l’Eglise.
Si nous devons craindre quelque chose, ce ne sont pas les risques qu’une minorité de catholiques feraient courir à la vie de l’Eglise, à son dynamisme et à sa mission. C’est bien plutôt que notre timidité et nos lenteurs ne laissent s’affadir le dynamisme de la foi. Nous avons suffisamment de signes de la vigueur de l’Evangile en ce temps pour ne pas trembler devant des risques hypothétiques. La peur engendre la méfiance et l’intolérance, sinon la jalousie.
A ceux qui récriminent contre sa générosité, le maître de la vigne répond : « Ton oeil est-il mauvais parce que je suis bon ? » (Matthieu XX, 15). Aujourd’hui, à qui profite la hargne qui se donne libre cours ?
Et maintenant ? La porte a été généreusement ouverte. Qui va se présenter pour saisir la main tendue et à quelles conditions ? Si j’en crois certains discours largement diffusés sur Internet, un certain nombre des membres de la Fraternité Saint-Pie‑X ne se disent pas prêts à reconnaître la tradition ecclésiale dans le concile Vatican II ni la messe que célèbrent le pape et la totalité des évêques catholiques. On attend aussi de savoir si ceux d’entre eux qui prônent le négationnisme sont décidés à y renoncer, non seulement par des propos de circonstance, mais réellement et profondément.
Depuis maintenant un demi-siècle, nos relations avec les juifs, « nos frères aînés », ont pris un tour nouveau. Elles sont faites non seulement de respect et d’estime, mais d’une réelle amitié, tant entre les responsables de nos communautés que dans les relations habituelles entre juifs et chrétiens. Cette évolution n’est pas une posture stratégique ou politique.
Elle s’enracine dans une véritable conviction théologique. Elle est appelée à durer et à se développer, et nous ne ménageons rien pour répondre à ce que nous considérons comme un signe des temps et un appel. Sur tout cela, le pape Benoît XVI s’est engagé fortement et encore mercredi 28 janvier. Nous n’en sommes pas surpris et nous nous en réjouissons.
+ André Vingt-Trois, cardinal, A archevêque de Paris, président de la Conférence des évêques de France.
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