Les Noces de Cana (11)

Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beau­coup de fruit, car sans moi vous ne pou­vez rien faire.

Jn 15, 5

Pour don­ner des repères à la vie conju­gale chré­tienne, saint Thomas a repris la dis­tinc­tion de saint Augustin des biens du mariage : le bonum pro­lis – bien de la pro­créa­tion des enfants et de leur édu­ca­tion, le bonum fide­lis – bien de la fidé­li­té qui consiste dans l’amour et l’aide réci­proque en dimi­nuant la concu­pis­cence et en ren­for­çant la fidé­li­té mutuelle, le bonum sacra­men­ti – bien du sacre­ment qui repré­sente l’unité et l’indissolubilité de l’union entre le Christ et l’Église. Aussi long­temps que dure­ra le lien conju­gal, c’est-à-dire jusqu’à la mort de l’un d’entre eux, si ces trois biens sont l’objet de la volon­té des époux, ils accom­pli­ront la Volonté divine et rece­vront les grâces nécessaires.

Ces trois réa­li­tés du mariage n’ont de rai­son d’être qu’en tant qu’elles sont des repères mora­li­sa­teurs, c’est-à-dire des guides et des garde-​fou spi­ri­tuels. Il faut remar­quer que les trois biens du mariage chré­tien ne sont pas du même ordre. À la dif­fé­rence des deux pre­miers, qui relève de l’offi­cium naturæ – qui sont de l’ordre de la nature,le bonum sacra­men­ti consti­tue une réa­li­té sur­na­tu­relle, qui a sa bon­té propre en éle­vant l’union des époux à l’image de l’union du Christ et de l’Église.

Les actes sub­sé­quents de leur vie conju­gale ne peuvent être éga­lés à cet acte pre­mier et déci­sif qui a scel­lé à jamais l’union de deux per­sonnes, figu­rant l’union du Christ et de l’Église. Les actes quo­ti­diens de leur vie conju­gale ne seront pas le renou­vel­le­ment de l’acte sacra­men­tel mais ils pour­ront en être la suite, le pro­lon­ge­ment, l’expression renouvelée.

C’est pour­quoi l’homme quit­te­ra son père et sa mère, et s’at­ta­che­ra à sa femme, et ils devien­dront une seule chair.

Genèse 2, 24

Le mariage chré­tien est une vie sur­na­tu­relle de deux ne fai­sant plus qu’un. Du point de vue de l’institution natu­relle du mariage, être deux en une seule chair, n’était pos­sible que dans et par une vie spi­ri­tuelle, certes natu­relle, mais com­mune et par­ta­gée. Car deux corps ne pour­ront jamais à ce point fusion­ner au point de ne faire qu’un ; seule l’union spi­ri­tuelle des âmes rend pos­sible cette union.

Dans la nou­velle loi, cette union s’accomplit par une incroyable bon­té divine, dans et par la vie sur­na­tu­relle de la grâce. Si les époux en état de grâce recherchent fidè­le­ment et chré­tien­ne­ment les biens du mariage, leurs actes pos­sè­de­ront une valeur sur­na­tu­relle, une sain­te­té spé­ciale comme dit saint Thomas, étant cer­tai­ne­ment pour eux l’occasion de rece­voir les grâces actuelles qui leur sont dues de par le sacrement.

Bien sûr, il sera peut-​être utile, pour confor­ter l’union mutuelle et pour com­prendre l’autre en cas de crise, de déve­lop­per cer­tains aspects psy­cho­lo­giques. Mais ce ne seront que des moyens tou­jours dis­pro­por­tion­nés à la réa­li­té sur­na­tu­relle vou­lue par Notre Seigneur. Ce n’est pas dans une mys­tique natu­ra­liste et par­fois obs­cène du corps, mais dans le Sacrifice unique de Jésus que l’on trouve l’origine de la sain­te­té du mariage chré­tien : parce qu’il est l’un des plus beaux fruits de la Passion de Notre Seigneur. C’est dans l’acte de Jésus immo­lant à son Père, que les époux trou­ve­ront le sens et tous les secours de leur mariage, qu’ils ren­dront sacrée – sacrum facere – leur union.

Que les femmes soient sou­mises à leurs maris… comme l’Église l’est au Christ

Ephésiens 5, 22–33

Ne nous paraissait-​il pas déjà remar­quable que Notre Seigneur assis­tât aux noces de Cana ? Mais le chan­ge­ment de l’eau en vin, son pre­mier miracle public, que saint Jean Chrysostome appelle « son cadeau de noces », sym­bo­li­sait la trans­for­ma­tion mer­veilleuse du contrat en une ver­tu de même ordre et de même effi­ca­ci­té sanc­ti­fiante que celle des autres sacrements.

Puisque la femme est, comme vous héri­tière de la grâce.

1 Pierre 3, 7

Quelle méta­mor­phose ! Toute la vilé­nie des unions pré­caires et de la poly­ga­mie dis­pa­rais­sait. Le Sauveur réha­bi­li­tait la femme en la reti­rant de la bas­sesse où on l’avait réduite ; il réins­ti­tuait la femme com­pagne et aide com­plé­men­taire de l’homme dans le salut de leur âme, et de celles de leurs enfants que le Créateur leur confie­rait. Certes Il main­te­nait la femme sous l’autorité de son mari, parce que c’était l’ordre de la créa­tion ; mais Il enno­blis­sait, par leur affec­tion ins­pi­rée par la grâce du sacre­ment, la hié­rar­chie des rôles à l’image incroyable de ce qu’Il éta­bli­rait, entre Lui et son Église, le glo­rieux lien de la Charité. Que les femmes soient sou­mises à leurs maris… comme l’Église l’est au Christ ; que les maris, à l’exemple du Christ, entourent leurs femmes de leur soins, leur rendent ser­vice et les sauvent… Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église.

Dans la nou­velle Loi, la vie conju­gale, dans la moindre de ses atten­tions quo­ti­diennes comme dans les plus impor­tantes actions, est deve­nue source de biens spi­ri­tuels. Maris, conduisez-​vous avec sagesse envers vos femmes, la trai­tant avec hon­neur, puisqu’elles sont, comme vous héri­tières de la grâce qui donne la vie, ensei­gnait saint Pierre… puisqu’elles sont, comme vous héri­tières de la grâce. Aussitôt après son Fondateur, le pre­mier vicaire de l’Église, ain­si que ses suc­ces­seurs jusqu’à il y a peu, pouvaient-​ils mieux indi­quer la nature reli­gieuse et sur­na­tu­relle du joug qui unit les époux ? Former une uni­té telle que cette uni­té pos­sède en elle-​même le pou­voir de deman­der au Christ les grâces néces­saires, comme Il auto­rise son épouse l’Église à le faire.

Le secret d’un mariage « qui tient » est dans la sain­te­té, et la sain­te­té dans une vie inté­rieure menée à deux et unie au Christ, par ses sacre­ments. Quelle tris­tesse d’entendre des épouses par­ler mal de leur mari, soit qu’elles le cri­tiquent, soit qu’elles le consi­dèrent comme leur enfant. Quelle tris­tesse de com­prendre qu’un homme réduit son rôle d’époux et de père à la fonc­tion maté­rielle de celui qui fait vivre sa famille, ou de celui qui com­mande, « à la mili­taire », sa tribu.

La vie chré­tienne est une aven­ture spi­ri­tuelle inté­rieure. Le sacer­doce est un pri­vi­lège incroyable pour ceux qui l’ont reçu d’identification au Christ. Le mariage lui, n’est rien de moins que l’image de l’union entre le Christ et son Église.

À ceux qui pro­meuvent cette fausse théo­lo­gie du corps, nous disons que la cha­ri­té ne consiste pas dans une mys­tique ambi­guë du don du corps, mais qu’elle est par­ti­ci­pa­tion sur­na­tu­relle et vivante à la seule Charité qui est en Dieu… nous disons que l’amour humain si éle­vé, si héroïque, si spi­ri­tuel qu’il soit, n’égalera jamais la Charité que le Bon Dieu nous donne de par­ti­ci­per. Entre l’amour humain et la Charité divine, il y a cet abysse entre la nature et la sur­na­tu­rel que seule la bon­té divine peut enjamber.

C’est ce qui fait que le mariage chré­tien est hono­rable en tous, car il est éga­le­ment saint entre les pauvres, comme entre les riches, et en tout, car son ori­gine, sa fin, son uti­li­té, sa forme et sa matière sont saintes.