Lettre Aux et Bienfaiteurs de l’école Saint-​Rémi de Reims de février 2016

Le réalisme* dans l’éducation,
par M. l’abbé Nicolas Jaquemet

La pre­mière chose à quoi s’en­gagent les époux le jour de leur mariage, c’est d’a­voir des enfants et de les édu­quer. C’est la fin pri­maire du mariage. Cette édu­ca­tion est un vaste domaine qui recouvre la for­ma­tion de l’in­tel­li­gence et celle de la volon­té sans oublier la for­ma­tion du carac­tère, de la sen­si­bi­li­té et du déve­lop­pe­ment du corps. Mais le point prin­ci­pal de cette édu­ca­tion reste la for­ma­tion des ver­tus de l’enfant.
La fina­li­té de l’é­du­ca­tion des ver­tus sera de faire de l’en­fant un homme libre, au sens évan­gé­lique du terme, c’est-​à-​dire déter­mi­né par la seule véri­té, et non pas de le lais­ser à un état d’es­clave de ses pas­sions, du monde ou du démon. « La Vérité vous ren­dra libre » nous dit Notre-Seigneur.

L’élément posi­tif de cette édu­ca­tion sera de faire que le petit d’homme agisse confor­mé­ment à sa nature humaine, aux lois de celle-​ci, le déca­logue, d’a­gir donc confor­mé­ment à la volon­té de son Créateur.

L’élément néga­tif sera de se défaire de ses pas­sions désor­don­nées, de ses caprices et autres désordres géné­rés par les restes du péché ori­gi­nel dans son âme.

Bref, l’é­du­ca­tion des ver­tus se résume dans le fait d’ac­qué­rir, de conqué­rir une réelle res­sem­blance avec Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. « Soyez par­faits comme votre Père céleste est par­fait.»

Avant de voir les moyens de for­mer la ver­tu chez l’en­fant et donc le rôle des parents, il nous faut voir ce qu’est une ver­tu.

Le mot ver­tu vient du latin « vis, vir­tu­tis : la force ». La ver­tu est une capa­ci­té, une force, une éner­gie qui tend à l’ac­tion. Comme exemple nous pou­vons prendre la force motrice d’une loco­mo­tive met­tant celle-​ci en mou­ve­ment. La ver­tu est une dis­po­si­tion qui nous incline à agir dans un sens bien déter­mi­né et d’une façon constante. La ver­tu n’est donc pas quelque chose de pas­sa­ger ; c’est ain­si que cette dis­po­si­tion constante pren­dra le nom d’ha­bi­tude. L’enfant ayant la ver­tu d’o­béis­sance obéi­ra tou­jours. La ver­tu est une dis­po­si­tion qui appar­tient à l’âme. Elle est une dis­po­si­tion de l’âme. Si cette ver­tu est une dis­po­si­tion de l’in­tel­li­gence, on par­le­ra de ver­tu intel­lec­tuelle qui incline à pen­ser le vrai. Si cette ver­tu appar­tient à la volon­té, nous par­le­rons de ver­tu morale parce qu’elle incline à vou­loir le bien. Voilà donc la der­nière carac­té­ris­tique de la ver­tu morale, elle est une bonne dis­po­si­tion, elle nous incline tou­jours à accom­plir des actes bons, conformes à la loi de notre Créateur. Si cette dis­po­si­tion constante nous incline au mal, ce n’est pas une ver­tu bien sûr, mais un vice.

Ainsi, nous arri­vons à la défi­ni­tion d’une ver­tu : elle est une constante dis­po­si­tion de l’âme à faire le bien. Ici nous pou­vons dis­tin­guer les ver­tus natu­relles des ver­tus sur­na­tu­relles. Ces der­nières, qu’elles soient théo­lo­gales (Foi, Espérance, Charité) ou morales (pru­dence, jus­tice, force et tem­pé­rance en sont les quatre ver­tus car­di­nales), sont reçues dans l’âme avec la grâce sanc­ti­fiante le jour de notre bap­tême. Si nous les avons reçues de Dieu, nous ne pou­vons aus­si les pra­ti­quer par nos seules forces, mais tou­jours avec Lui. Voilà la rai­son des grâces actuelles, dont la source sont la prière et les sacre­ments. Ces grâces sont de bonnes pen­sées et de bonnes ins­pi­ra­tions par les­quelles Dieu nous meut, tout en res­tant libre, et nous aide dans toutes nos actions. Pour les ver­tus natu­relles, celles-​ci ne viennent que de nous-​même et quelques fois par héri­tage fami­lial. Ces ver­tus natu­relles n’ex­cè­de­ront pas nos propres forces humaines. Ce qui est abso­lu­ment capi­tal de bien com­prendre, c’est qu’elles s’ac­quièrent par la répé­ti­tion d’actes bons. C’est parce que l’en­fant mul­ti­plie­ra les actes d’o­béis­sance, qu’il devien­dra réel­le­ment obéis­sant. C’est parce que le petit d’homme sau­ra tou­jours réfré­ner l’ap­pé­tit des ses papilles gus­ta­tives, qu’il contrac­te­ra la ver­tu de tem­pé­rance, et cela de même pour toutes les vertus.

Ainsi donc, pour gran­dir dans les ver­tus morales, l’homme, de 0 à 77 ans, aura tou­jours besoin d’ap­por­ter son concours. Au risque de se répé­ter, il doit mul­ti­plier l’acte vertueux.

La ver­tu morale est donc l’ha­bi­tude de faire le bien, habi­tus acquis en répé­tant des actes bons.

Que va pro­duire cette répé­ti­tion d’actes bons ? Elle va créer la ver­tu, oui mais encore ! Cette répé­ti­tion d’actes ver­tueux fera que ceux-​ci devien­dront faciles, rapides, constants, prompts et posés avec joie. Voilà le prin­cipe de la for­tune de Monsieur Henry Ford, inven­teur du tra­vail à la chaine. L’opérateur répé­tant le même acte, l’exé­cute plus rapi­de­ment et plus aisé­ment. L’enfant vrai­ment obéis­sant obéi­ra tou­jours joyeu­se­ment. C’est un des signes fla­grant de la pré­sence de cette ver­tu en lui.

C’est bien évi­dem­ment ici, dans cette néces­si­té de répé­ter l’acte ver­tueux, qu’in­ter­vient l’ac­tion des parents. C’est ici que se place prin­ci­pa­le­ment une grande par­tie de l’é­du­ca­tion des enfants. En effet, de même que l’en­fant pos­sède des facul­tés intel­lec­tuelles mais n’en n’use que gra­duel­le­ment jus­qu’à la pleine acqui­si­tion de la rai­son, de même l’en­fant pos­sède une volon­té, dont l’ob­jet est le bien, mais n’en pro­dui­ra les actes que pro­gres­si­ve­ment. Ainsi, devant le bien à faire ou le mal à évi­ter, devant un acte à poser pour acqué­rir telle ou telle ver­tu, l’en­fant ne peut se déter­mi­ner tout seul. Son intel­li­gence et sa volon­té faibles par nature et par son jeune âge, endom­ma­gées par le péché ori­gi­nel, com­ment ce petit d’homme fera-​t-​il pour acqué­rir ces ver­tus, pour répé­ter les actes qui en sont le prin­cipe ? Qui le déter­mi­ne­ra si ce n’est pas les parents et tout éducateur ?

Voilà donc le rôle essen­tiel des parents dans l’é­du­ca­tion de leurs enfants. En même temps qu’ils leur montrent le bien à faire par une vie exem­plaire, ils doivent leur faire eux-​mêmes répé­ter les actes de ver­tu, selon les cir­cons­tances de temps et lieux, et cela de 0 à 7 ans et bien plus. Abandonné à ses propres forces, l’en­fant est inca­pable de ce travail.

Voilà donc le réa­lisme de l’éducation.

L’écueil devant être évi­té est celui de parents, qui, par manque de force, laissent la petite plan­tule sans tuteur ou mettent tous leurs espoirs, pour l’é­du­ca­tion de leurs ché­ru­bins, dans l’é­cole, le scou­tisme, la Croisade Eucharistique… S’il est vrai que ces ins­ti­tu­tions ont une cer­taine valeur édu­ca­trice, il est vrai aus­si qu’elles ne sont que des com­plé­ments de l’é­du­ca­tion paren­tale. La pre­mière et prin­ci­pale part dans l’ac­qui­si­tion des ver­tus revient aux parents, sachant que l’é­du­ca­tion est pra­ti­que­ment ache­vée, au moins dans ses grands traits, à l’âge de 7 ans.

Nous ne le répè­te­rons jamais assez, les parents doivent faire poser l’acte de ver­tu. Bien plus, ils doivent non seule­ment faire poser l’ac­tion ver­tueuse, mais sur­tout contraindre l’en­fant jus­qu’à ce que celui-​ci cède, avec bien évi­dem­ment toute la pru­dence que requièrent les cir­cons­tances. Ici il n’y a pas de place à la liber­té, au « s’il veut » « s’il ne veut pas », aux choix et goûts per­son­nels parce que vous l’a­vez com­pris, c’est l’exis­tence même de la ver­tu qui est en jeu. Si ce n’est pas le cas, si les parents capi­tulent, abdiquent, nous aurons un enfant roi, capri­cieux et sans grande ver­tu, qui pour­rait deve­nir un tyran. Ici, nous avons l’ar­ché­type de l’é­du­ca­tion libé­rale que Mgr Lefebvre défi­nis­sait comme une « absence de contrainte ». C’est une démis­sion des parents. Devant cela, nous com­pre­nons mieux ce grand prin­cipe d’é­du­ca­tion « ce que je demande, je l’ob­tiens toujours ».

Abbé Nicolas Jaquemet +, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

* Il faut entendre ce réa­lisme par ce qui est conforme à la nature humaine.

Pour lire l’intégralité de la LAB de février 2016

LAB de février 2016 de l’é­cole Saint-​Rémi de Prunay