Editorial de la LAB n° 25 de novembre 2016 – Les effets du Concile sur l’enseignement catholique, par M. l’abbé Ludovic Girod
La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, qui fête cette année son 46ème anniversaire, a fondé ou accepté de reprendre des écoles pour les mêmes raisons qu’elle a ouvert partout dans le monde des prieurés et des chapelles : parce qu’en raison de la crise de l’Eglise, les fidèles demandaient le ministère de prêtres ayant gardé la messe de toujours et la foi catholique.
De nombreuses écoles privées ont pourtant le label « catholique », en particulier dans notre pays, et dépendent de l’autorité diocésaine. Pour quelles raisons ces écoles ne conviennent-elles pas pour l’éducation des enfants catholiques de la Tradition, c’est ce que j’essayerai d’examiner. Délimitons tout d’abord notre champ d’étude. Il ne s’agit pas d’examiner ici des causes secondaires ou accidentelles, liées aux personnes, aux bâtiments ou aux méthodes particulières mises en œuvre. Il s’agit de considérer les principes mêmes sur lesquels s’appuie l’enseignement diocésain officiel.
Ecartons également les conséquences du contrat signé avec l’Etat par l’immense majorité des écoles diocésaines selon les termes de la loi appelée « loi Debré », du 31 décembre 1959, modifiée à plusieurs reprises par la suite. Cette loi impose aux écoles privées, tout en leur concédant un caractère propre, de suivre les programmes et les méthodes de l’Etat et fixe les conditions de recrutement des enseignants. Ce simple point justifie déjà amplement le choix d’une école indépendante, pour l’instant encore libre de ses programmes et de ses méthodes, dans le cadre du socle commun décidé par l’Etat.
Le document qui sert de base aux écoles diocésaines est la déclaration Gravissimum Educationis du Concile Vatican II [1]. Il est régulièrement cité par tous les documents émanant du Saint-Siège concernant l’éducation et les écoles catholiques [2], ainsi que par les évêques de France [3].
Ce texte fut examiné à la fin du Concile, en même temps que des textes très disputés comme la déclaration sur la liberté religieuse. Les Pères du Concile adoptèrent sans grand enthousiasme ce schéma qui en était déjà à sa septième version [4]. Ce texte assez court adopte un plan quelque peu déroutant pour parler des écoles catholiques. Au lieu de s’appuyer sur la mission de l’Eglise qui doit enseigner toutes les nations, ou sur l’obligation qu’ont les parents catholiques de choisir pour leurs enfants une école régie entièrement par l’espr t chrétien, il part du droit de tout être humain à l’éducation et consacre toute sa première partie à cette question, avec maintes références aux différentes déclarations des droits de l’homme ou des droits de l’enfant. Ce n’est qu’à partir du N°8 (sur les 12 que comporte le texte) qu’il est enfin question des écoles catholiques.
Ce texte adopte pour les écoles catholiques le principe du pluralisme joint à celui de la liberté religieuse. Le pluralisme est le fait d’ouvrir l’école à tous les élèves, quelle que soit leur religion, d’admettre à l’intérieur de l’école, par principe, des enfants de différentes confessions religieuses [5].
Ce pluralisme est présenté par Vatican II comme l’état souhaitable de la société politique et de la communauté éducative [6] Dans un récent article de Famille chrétienne [7], la grande crainte d’un directeur d’école secondaire est mise en exergue : « Notre mission première : recevoir tout le monde. Nous ne sommes pas un ghetto catho ». Il faudrait simplement savoir si le but premier de l’école catholique est d’accueillir les catholiques ou les noncatholiques. Depuis toujours, les écoles catholiques ont accepté d’accueillir des enfants non-catholiques, mais à condition que l’enfant accepte tout le côté religieux de l’éducation dispensée (cours de catéchisme, temps de prière, offices liturgiques, exigences morales) et non seulement une vague acceptation d’un projet éducatif qui reste souvent lettre morte. De plus, la proportion de ces enfants dans l’école était limitée strictement sous peine de voir l’école perdre son identité catholique. Que reste-t-il de catholique à une école qui a plus de la moitié de ses élèves musulmans, alors que les enseignants catholiques se comptent sur les doigts d’une main ? Mgr Tissier de Mallerais rapporte dans sa biographie de Mgr Lefebvre [8] que les collèges fondés par les missionnaires dans les pays mêlant catholiques et musulmans ne pouvaient accepter plus de 20 % de non catholiques et que tous les élèves assistaient au cours de catéchisme. Il s’agissait pourtant de pays de mission, mais dans les écoles catholiques, il fallait au moins 80 % de catholiques.
Devant la perte d’identité des écoles diocésaines, des voix s’élèvent pour appeler à un renouveau spirituel, à un renforcement du caractère catholique de ces établissements devenus catho-ligth. Mais c’est toujours sans remettre en cause les bases posées par le Concile Vatican II, horizon indépassable de toute pensée religieuse pour les adeptes de l’Eglise conciliaire. Mgr Cattenoz, évêque d’Avignon, est l’une de ces voix. Il se lamente de ce que les écoles catholiques ne le sont plus que de nom, qu’elles ne conservent qu’un pâle vernis superficiel religieux mais sont en réalité des écoles privées choisies par les parents pour des motifs bien étrangers à la foi : moyen d’échapper à la carte scolaire, encadrement plus sérieux, moins de grèves des enseignants, voire sélection du milieu social des enfants par les frais de scolarité. Mais il ne revient pas sur le pluralisme :
« Bien évidemment, des élèves de religions ou de philosophies différentes seront acceptés dans les établissements ouverts à tous, non par nécessité économique ou seulement légale, mais par choix pastoral de témoignage et de charité pour tous les hommes » [9].
La question ici est celle de l’ordre de la charité. Il ne s’agit pas de refuser l’apostolat envers ceux qui n’ont pas le bonheur de partager la foi, mais de créer des écoles pour les enfants des familles catholiques où ils puissent vivre dans une atmosphère pleinement catholique comme l’Eglise l’a toujours demandé [10]. Les deux finalités sont différentes : elles peuvent se rencontrer dans une mesure strictement limitée au-delà de laquelle elles s’annulent : et les enfants catholiques ne bénéficieront pas de l’école qui leur convient, et les enfants non-catholiques ne recevront pas l’évangélisation que l’Eglise pourrait leur apporter. A force de mêler une couleur à une autre, la première couleur disparaît, c’est une loi physique [11].
Le deuxième principe de Vatican II qui s’unit au pluralisme et renforce son pouvoir diluant est la liberté religieuse. Cette expression peut désigner le droit légitime des parents catholiques de confier leurs enfants à des établissements catholiques. Même si ce droit est évoqué, il est de fait combattu par la quasi-disparition du caractère catholique des écoles diocésaines. Il s’agit ici plus particulièrement du droit des enfants non-catholiques admis dans les écoles catholiques d’une part à ne pas être obligés à prendre part à des cérémonies contraires à leurs croyances (une messe pour un protestant, une prière comme le signe de croix pour un musulman) et à ne subir aucune contrainte qui pourrait les détourner de leurs croyances [12]. Il ne manquerait plus que de mettre à leur disposition des lieux pour y exercer leur culte.
La difficulté est donc de concilier instruction religieuse et vie liturgique avec ce principe nouveau. Les différents textes nous montrent la difficulté de cette entreprise. Il n’est donc pas question d’imposer quoi que soit en matière religieuse, car « la contrainte en effet comporte une violence morale que le message évangélique et la discipline de l’Eglise écartent résolument » [13]. Il est bien évident que l’Eglise respecte le principe de la liberté de l’acte de foi et ne baptise que des volontaires. Il est par contre faux de rejeter tout ce qui pourrait sembler une incitation d’ordre moral. Notre Seigneur dans l’évangile affirme résolument : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné » (Mc, XVI, 15) : c’est une formidable contrainte que celle de la damnation éternelle. Nous ne pouvons forcer l’acte de foi, qui est essentiellement libre, mais nous pouvons y amener par l’instruction religieuse, la fréquentation des offices, l’exemple des vertus chrétiennes ou l’ordonnance générale de l’école. Ce sera ensuite la grâce de Dieu qui permettra cette soumission de l’intelligence à la Révélation divine. Les écoles diocésaines parlent prudemment d’un exposé, d’une proposition qui se veut explicite.
Une revue de l’UNAPEL [14] rapporte ainsi les propos d’Agnès Auschitzka, théologienne et psychologue :
« L’Eglise, depuis plusieurs années, évite l’expression « transmettre » la foi. On parle plutôt « d’éveiller » à la foi, de « proposer » la foi ou « d’initier » à la foi. La foi n’est pas quelque chose qui se transmet, comme des connaissances, des habitudes alimentaires, la politesse, ou les vertus morales ».
C’est la pastorale de la proposition, qui plus est réservée aux seuls baptisés. La solution adoptée consiste à séparer les cours de religion de la catéchèse. Les cours de religion sont inscrits dans l’emploi du temps, ils sont obligatoires pour tous les élèves et se contentent d’exposer le « fait religieux » chrétien, voire catholique. La catéchèse est réservée aux élèves baptisés volontaires et prépare à la réception des sacrements.
Ainsi l’enseignement religieux est à deux vitesses : celui qui expose une culture chrétienne, celui qui est censé nourrir la foi des baptisés demandeurs. Mais comme cela semble quand même un peu léger, il est prévu qu’au moins une fois dans l’année, tous les élèves reçoivent un témoignage de foi explicite. C’est la « première annonce » ainsi décrite :
« Cette annonce est assurée par un croyant qui ose une parole de foi, à un moment donné de la vie de l’établissement, de la classe […] Il s’agit, dans une situation donnée, d’avoir une parole qui engage » [15].
Tant d’audace nous laisse pantois. Mgr Cattenoz reconnaît l’indigence de cet enseignement religieux : « La « proposition » de la Foi dans les établissements catholiques est trop souvent indigente, peu rigoureuse sur les termes et les concepts, envahie d’un syncrétisme justifié par cette fameuse ouverture à tous. Elle véhicule parfois de véritables hérésies et se réduit à une simple culture religieuse limitée à un fond commun de l’humanité. On est souvent satisfait dans les établissements catholiques d’avoir réussi une « sensibilisation » au mieux à Dieu, au pire au fait religieux » [16].
Le respect de la liberté religieuse joint au pluralisme conduit mécaniquement à l’affadissement et à la disparition du caractère propre des écoles diocésaines : « Si le sel s’affadit, avec quoi le salera-ton ; il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et foulé par les passants » (Mt V, 13). Le côté religieux est mis de côté pour ne pas heurter la sensibilité de la majorité des élèves.
Mgr Defois, alors évêque de Lille, n’hésitait pas à écrire aux enseignants des écoles catholiques :
« Je rêve que, tout en étant des « laboratoires d’humanité » comme je vous le disais dans une précédente lettre, nos établissements deviennent aussi des « écoles de la foi ». Mais entendons-nous bien ! Je rêve qu’au travers de la rencontre de leurs équipes éducatives, des pédagogies mises en œuvre, les jeunes qui nous sont confiés puissent apprendre de nous la foi en la vie et en l’Homme ».[17]
Des tentatives de restauration apparaissent régulièrement, mais qui s’appuient toutes sur les textes du Concile Vatican II qui faussent les bases de l’école catholique [18].
Nous laisserons le mot de la fin à une mère de famille citée dans le courrier des lecteurs de la revue Famille chrétienne [19] :
« En ce qui me concerne, j’ai fait le choix de l’école à la maison et si je le pouvais géographiquement (nous sommes en zone rurale), nos enfants seraient dans le hors-contrat. Pourquoi nous ne voulons pas de l’Enseignement catholique actuel pour nos enfants ? […] le problème que nous soulevons est qu’Enseignement catholique et Enseignement public sont identiques ! […] Les parents sont aussi en attente d’une école complètement chrétienne, tant dans sa proposition spirituelle que dans la formation honnête qu’elle délivrerait aux enfants. Pour ces raisons, si aujourd’hui nous devions scolariser nos enfants, ils seraient dans le public qui délivre gratuitement le même enseignement que dans le privé. »
Abbé Ludovic Girod, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Courrier de la Ville n° 25 denovembre 2016/La Porte Latine du 27 novembre 2016
Intégralité de la LAB n° 25 de novembre 2016 au format pdf
LAB n° 25 – Editorial ; Chronique de l’école ; Point sur les travaux ; Comment nous aider ?
- Déclaration conciliaire sur l’éducation chrétienne, publiée le 28 octobre 1965, in Vatican II, les seize textes conciliaires, Paris, Fides, 1967, pages 531 à 546[↩]
- Cf. notamment le texte de la Congrégation pour l’éducation catholique du 7 avril 1988, Dimension religieuse de l’éducation dans l’école catholique – éléments de réflexion et de révision, ou encore, de la même congrégation, la Lettre circulaire aux présidents des conférences épiscopales sur l’enseignement de la religion dans l’école, du 5 mai 2009.[↩]
- Cf. notamment le Statut de l’enseignement catholique, promulgué par la Conférence des Evêques de France le 14 mai 1992[↩]
- Ralph M. Wiltgen, s.v.d., Le Rhin se jette dans le Tibre, Editions du Cèdre, 1976, page 222.[↩]
- « Aussi l’Eglise félicite-t-elle les autorités et les sociétés civiles qui, compte tenu du caractère pluraliste de la société moderne, soucieuses de la juste liberté religieuse, aident les familles pour qu’elles puissent assurer à leurs enfants, dans toutes les écoles, une éducation à leurs propres principes moraux et religieux » Gravissimum Educationis, N°7. Application pratique actuelle : un enseignement coranique assuré par l’Etat dans les écoles publiques au nom du Concile pour les élèves musulmans…[↩]
- .Cette large ouverture aux non-catholiques prônée par Vatican II est une exigence posée par la loi Debré pour que l’école signe un contrat avec l’Etat.[↩]
- Famille chrétienne N°2015, du 27 août au 2 septembre 2016, reportage L’école catholique en mission réalisé par Clothilde Hamon[↩]
- Mgr Tissier de Mallerais, Marcel Lefebvre, une vie, Etampes, Clovis, 2002, page 180.[↩]
- Mgr Jean-Pierre Cattenoz, Une charte pour l’enseignement catholique dans le diocèse d’Avignon – un chantier à réaliser, Parole et Silence, 2007, page 97. Notons dans ce livre, pourtant courageux sous certains aspects, le mépris affiché par Mgr Cattenoz pour l’Eglise de la Contre-Réforme : « Il est donc très clair que ces propos n’appellent en aucun cas à un quelconque retour en arrière vers un traditionalisme occulte. Qu’il soit clair aussi qu’il ne s’agit pas de réflexions de chrétiens nostalgiques de l’idée de chrétienté ou regrettant la prééminence du catholicisme triomphant de la Contre-Réforme » (page 81). Nous voici rassurés ![↩]
- Citons de nouveau le texte célèbre de Pie XI dans Divini illius Magistri (31 décembre 1929), systématiquement ignoré depuis Vatican II : « Ainsi donc, le seul fait qu’il s’y donne une instruction religieuse (souvent avec trop de parcimonie) ne suffit pas pour qu’une école puisse être jugée conforme aux droits de l’Eglise et de la famille chrétienne, et digne d’être fréquentée par les enfants catholiques. Pour cette conformité, il est nécessaire que tout l’enseignement, toute l’ordonnance de l’école, personnel, programmes et livres, en tout genre de discipline, soient régis par un esprit vraiment chrétien, sous la direction et la maternelle vigilance de l’Eglise, de telle façon que la religion soit le fondement et le couronnement de tout l’enseignement, à tous les degrés, non seulement élémentaire, mais moyen et supérieur ».[↩]
- Une enquête de Bénédicte Fournier, Que reste-t-il de l’école libre ?, parue dans Valeurs actuelles du 3 septembre 2004, indique que moins de 15 % des parents choisissent une école libre en raison de leurs convictions religieuses, et seulement 18 % des jeunes professeurs stagiaires.[↩]
- « Les écoles catholiques sont fréquentées également par des élèves non-catholiques et non-chrétiens. Et même en certains pays, ceux-ci constituent une large majorité. Le concile en avait pris acte. On respectera donc la liberté religieuse et de conscience des élèves et des familles. La liberté est fermement défendue par l’Eglise. » Congrégation pour l’éducation catholique, texte du 7 avril 1988, N°6. « Dans les écoles catholiques, comme partout ailleurs, la liberté religieuse des élèves non-catholiques et de leurs parents doit être respectée » même auteur, lettre circulaire du 5 mai 2009, N°16. A ce sujet, nous nous permettons de rappeler la condamnation de la liberté religieuse par le Syllabus de Pie IX (8 décembre 1864) à travers cette proposition réprouvée (N° 15) : « Il est libre à chaque homme d’embrasser et de professer la religion qu’il aura réputée vraie d’après la lumière de la raison ».[↩]
- Congrégation pour l’éducation catholique, 7 avril 1988, N°6. [↩]
- Revue de l’Union Nationale des Associations des Parents de l’Enseignement Libre, rentrée 2002, rubrique Repères pour croire.[↩]
- Annonce explicite de l’Evangile dans les établissements catholiques d’enseignement, texte promulgué par la Commission permanente le 24 août 2009.[↩]
- Mgr Cattenoz, op. cit., page 79[↩]
- Lettre de Mgr Defois aux enseignants et à tous ceux qui travaillent dans l’Enseignement catholique, 7 septembre 2007[↩]
- Outre l’ouvrage de Mgr Cattenoz, signalons l’ouvrage de Jean Proudhon, L’école catholique – une chance pour le troisième millénaire, Paris, Communication et Tradition, 1997. Ouvrage rempli de bonnes intentions mais qui s’obstine à vouloir concilier école catholique et liberté religieuse. [↩]
- N° 1553 du 20 au 26 octobre 2007, Forum des lecteurs, page 7[↩]