Au large des côtes de la Charente-Maritime, environ 300 pèlerins ont marché sur les traces des prêtres martyrs de la Terreur révolutionnaire, grands héros de la Charité.
Sur les traces des prêtres martyrs
Cette année, la Providence, qui fixe l’horaire des marées, a permis que le pèlerinage se déroule le 2 octobre, solennité de Notre Dame du Rosaire. Pouvions-nous prier sous de meilleurs auspices pour le Pape, les évêques et tous les prêtres ?
Plus d’une centaine de personnes se retrouvent dans l’église de Brouage pour recevoir la bénédiction du départ donnée par M. l’abbé de Clausonne, nouveau prieur de Bordeaux. Il encourage les pèlerins et les bénit.
Pourquoi sommes-nous venus ici ? Afin de marcher dans les pas et de prier avec plus de 800 prêtres martyrs, venus de toutes les provinces de France, qui connaîtront, en rade de l’île d’Aix et de l’île Madame, un long calvaire entre 1794 et 1795 ; pour 546 d’entre eux, la détention se terminera par la mort. Les survivants seront dirigés sur Saintes tandis que leurs compagnons d’infortune, venus de Bordeaux, seront parqués, de longs mois durant, dans les entrepôts de la ville de Brouage, avant de recouvrer leur liberté.
Sur les pontons, les prêtres vivent dans des conditions insalubres, dévorés par les poux et la vermine, dans une promiscuité inhumaine. La nourriture est pauvre et rare, l’eau malsaine et souillée. Surtout, ils sont persécutés pour leur Foi, leur piété et leurs vœux de religion. La grâce de Dieu aidant, certains vivront avec grande Foi et Charité ; ils pratiqueront les vertus jusqu’à l’héroïcité :
- La patience : chaque jour, les prêtres les plus valides à bord des bateaux sont emmenés en barque sur l’île d’Aix sous « bonne garde » pour ensevelir les défunts. S’enfonçant dans la vase, ils les portent jusqu’à la grève. Là, ils creusent des fosses et y glissent les corps sans autre cérémonie, après que les membres de l’équipage aient dépouillé les cadavres de leurs vêtements. Ils n’ont pas même le droit de réciter une prière ou de planter une croix ! Et pourtant, les bourreaux n’ayant pas accès à la liberté intérieure, les prêtres s’acquittent de l’absoute dans leur cœur.
- L’abnégation : l’un d’eux, débarqué sur l’île Madame pour « soigner » les mourants, ayant caché quelques assignats, s’ingénie à les échanger contre des fruits et des légumes frais pour ses malades. Étant lui-même, depuis plusieurs mois, mal nourri et affamé, il profite de ce trésor pour adoucir le sort des plus faibles.
- La pénitence : ils respectent les jeûnes prescrits par l’Église, veulent même s’abstenir de viande le vendredi. On retrouvait, sur le corps de nombreux prêtres, des disciplines et autres instruments de pénitence.
- Le pardon : quelques années après le drame des pontons de Rochefort, le commandant d’un bateau, nommé Laly, s’était retiré sur l’île de Ré avec sa famille. Il vivait pauvrement, dans la gêne même, et loin des secours de la religion. Un curé vient lui rendre visite. Quel n’est pas le choc de Laly : il reconnaît un prêtre qu’il a torturé avec acharnement ! Ce dernier, sans se troubler, s’enquiert de lui et laisse en partant, sur la table, une bonne somme d’argent disant : « c’est ainsi que le prêtre se venge du mal qu’on lui fait… » Quelques années plus tard, un autre prêtre obtient la conversion de Laly qui avouera que, au plus fort des tortures qu’il infligeait aux victimes des pontons, il murmurait les Ave Maria que sa mère lui demandait de réciter quand il était enfant…Notre Dame, qui n’est jamais sourde à nos prières, a dû lui envoyer ce bon prêtre pour retrouver le chemin du Ciel…
La colonne du pèlerinage s’ébranle ; on traverse les paysages désolés mais beaux de cette côte marécageuse ; la végétation est rabougrie, battue par les vents du large. Les moustiques s’agitent autour des bêtes qui broutent les champs salés ; ils ne dédaignent pas non plus les pèlerins ! De temps en temps, on passe une écluse rongée par la rouille.
Il est facile d’imaginer le chemin de croix qu’ont vécu les prêtres. Ils menaient des vies réglées, dans un pays catholique, leur voie semblait tracée… Voilà la Révolution qui déchaîne les forces du mal. Les républicains, tournant le dos au Christ-Roi, veulent prendre les rênes et imposer au clergé un serment de soumission, qui rendrait l’Église de France schismatique. Pour justifier leur forfait, ils prétendent que les prêtres mettent la Patrie en danger ! Ceux qu’on dira réfractaires, refuseront de soumettre leur charge à la République : ils ne dépendent que de leur évêque, du Pape et du Christ. Se conformant au bon plaisir de Dieu, ils mèneront une vie de tortures morales et physiques qui range beaucoup d’entre eux au rang des grands martyrs de la Chrétienté. Il faut voir ce jésuite de 84 ans, venu de Nancy, à qui on ôte son bâton de marche, en lui disant : « tu n’en avais pas besoin quand tu courais contre les patriotes ! » Certains, pendant le trajet épuisant qui les conduit à Rochefort, avaient eu l’opportunité de s’échapper du sinistre convoi, avec l’aide de gens compatissants. Ils refusent tout net cette proposition qui les éloignerait de leur modèle, le Christ souffrant. Ils entrent de plein gré dans cette voie douloureuse et interminable.
Le pèlerinage avance maintenant sur la plage de Plaisance. On admire au loin l’île d’Oléron, le fort Boyard ; la côte, après l’été bruyant et touristique, est à nouveau dans le calme et le silence d’une belle journée d’automne. Bannières au vent, les marcheurs égrènent leur chapelet tandis que les petits remplissent leurs poches de coquillages. En arrivant à Port des Barques, on retrouve des familles qui se joignent au pèlerinage. C’est l’heure du déjeuner, agrémenté des traditionnelles huîtres du pays et chacun profite de ce moment pour refaire ses forces.
C’est maintenant le départ vers l’île Madame par une large route de galets qu’on nomme « la passe aux bœufs. » Elle apparut, miraculeusement, en une nuit, à la fin du XIXème siècle, remplaçant le mauvais passage, dangereux et mouvant, qui reliait l’île au continent à marée basse. Les prêtres avaient prédit qu’un jour, on viendrait ici en pèlerinage et que le bon Dieu ouvrirait la voie.
La colonne est composée de près de 300 personnes. Chaque pèlerin ramasse un caillou pour le déposer sur « la Croix aux galets » située à l’entrée de l’île. Là, un paysan avait retrouvé les corps de quatre prêtres enterrés en forme de croix. Les galets qui s’y entassent veulent réparer l’absence de sépulture que subirent les 254 prêtres morts sur l’île. Les touristes, venus profiter de cette belle après-midi dominicale manifestent leur étonnement. Certains se signent, d’autres se joignent au groupe et assisteront à la messe. Ici, ce sont les pères dominicains de Saint Paul de Serre, accompagnant la colonne depuis le matin, qui donnent une prédication au lieu même de la sépulture de tous ces saints martyrs.
La messe solennelle vient clore cette journée. Elle en est le sommet. On pense à ce prêtre martyr qui dira qu’il défendait chacun des articles du Credo par les souffrances endurées sur le bateau. Si la Providence permet que nous profitions aujourd’hui des fruits de la Croix par la messe traditionnelle, peut-être pouvons-nous l’attribuer à ces héros de la Charité.
Dans son sermon, M . l’abbé Romanens , après avoir évoqué l’héroïsme de ces prêtres prisonniers, encourage les fidèles à prendre l’habitude de la méditation recueillie. Les Mystères du Rosaire, et beaucoup de livres aident à rechercher cette union avec le bon Dieu, seul rempart efficace contre l’inquiétude que souffle un monde, sans Dieu, monde qui ne parle que de haine et de guerre.
La mer est remontée, la passe a disparu sous les flots et l’île Madame retrouve sa solitude. La brume du soir s’étend sur la grève. Tout est calme. Notre-Dame du Rosaire a protégé notre journée. Pourtant, on sait que les tempêtes peuvent venir. Alors n’oublions pas d’implorer la Vierge, Étoile de la Mer et ce cortège impressionnant des prêtres martyrs.
Source texte et photos : Prieuré Sainte-Marie de Bruges /B. Meugniot