Reportage du pèlerinage 2022 à l’Ile Madame

Au large des côtes de la Charente-​Maritime, envi­ron 300 pèle­rins ont mar­ché sur les traces des prêtres mar­tyrs de la Terreur révo­lu­tion­naire, grands héros de la Charité.

Sur les traces des prêtres martyrs

Cette année, la Providence, qui fixe l’horaire des marées, a per­mis que le pèle­ri­nage se déroule le 2 octobre, solen­ni­té de Notre Dame du Rosaire. Pouvions-​nous prier sous de meilleurs aus­pices pour le Pape, les évêques et tous les prêtres ?

Plus d’une cen­taine de per­sonnes se retrouvent dans l’église de Brouage pour rece­voir la béné­dic­tion du départ don­née par M. l’abbé de Clausonne, nou­veau prieur de Bordeaux. Il encou­rage les pèle­rins et les bénit. 

Pourquoi sommes-​nous venus ici ? Afin de mar­cher dans les pas et de prier avec plus de 800 prêtres mar­tyrs, venus de toutes les pro­vinces de France, qui connaî­tront, en rade de l’île d’Aix et de l’île Madame, un long cal­vaire entre 1794 et 1795 ; pour 546 d’entre eux, la déten­tion se ter­mi­ne­ra par la mort. Les sur­vi­vants seront diri­gés sur Saintes tan­dis que leurs com­pa­gnons d’infortune, venus de Bordeaux, seront par­qués, de longs mois durant, dans les entre­pôts de la ville de Brouage, avant de recou­vrer leur liberté.

Sur les pon­tons, les prêtres vivent dans des condi­tions insa­lubres, dévo­rés par les poux et la ver­mine, dans une pro­mis­cui­té inhu­maine. La nour­ri­ture est pauvre et rare, l’eau mal­saine et souillée. Surtout, ils sont per­sé­cu­tés pour leur Foi, leur pié­té et leurs vœux de reli­gion. La grâce de Dieu aidant, cer­tains vivront avec grande Foi et Charité ; ils pra­ti­que­ront les ver­tus jusqu’à l’héroïcité :

  • La patience : chaque jour, les prêtres les plus valides à bord des bateaux sont emme­nés en barque sur l’île d’Aix sous « bonne garde » pour ense­ve­lir les défunts. S’enfonçant dans la vase, ils les portent jusqu’à la grève. Là, ils creusent des fosses et y glissent les corps sans autre céré­mo­nie, après que les membres de l’équipage aient dépouillé les cadavres de leurs vête­ments. Ils n’ont pas même le droit de réci­ter une prière ou de plan­ter une croix ! Et pour­tant, les bour­reaux n’ayant pas accès à la liber­té inté­rieure, les prêtres s’acquittent de l’absoute dans leur cœur.
  • L’abnégation : l’un d’eux, débar­qué sur l’île Madame pour « soi­gner » les mou­rants, ayant caché quelques assi­gnats, s’ingénie à les échan­ger contre des fruits et des légumes frais pour ses malades. Étant lui-​même, depuis plu­sieurs mois, mal nour­ri et affa­mé, il pro­fite de ce tré­sor pour adou­cir le sort des plus faibles.
  • La péni­tence : ils res­pectent les jeûnes pres­crits par l’Église, veulent même s’abstenir de viande le ven­dre­di. On retrou­vait, sur le corps de nom­breux prêtres, des dis­ci­plines et autres ins­tru­ments de pénitence. 
  • Le par­don : quelques années après le drame des pon­tons de Rochefort, le com­man­dant d’un bateau, nom­mé Laly, s’était reti­ré sur l’île de Ré avec sa famille. Il vivait pau­vre­ment, dans la gêne même, et loin des secours de la reli­gion. Un curé vient lui rendre visite. Quel n’est pas le choc de Laly : il recon­naît un prêtre qu’il a tor­tu­ré avec achar­ne­ment ! Ce der­nier, sans se trou­bler, s’enquiert de lui et laisse en par­tant, sur la table, une bonne somme d’argent disant : « c’est ain­si que le prêtre se venge du mal qu’on lui fait… » Quelques années plus tard, un autre prêtre obtient la conver­sion de Laly qui avoue­ra que, au plus fort des tor­tures qu’il infli­geait aux vic­times des pon­tons, il mur­mu­rait les Ave Maria que sa mère lui deman­dait de réci­ter quand il était enfant…Notre Dame, qui n’est jamais sourde à nos prières, a dû lui envoyer ce bon prêtre pour retrou­ver le che­min du Ciel…

La colonne du pèle­ri­nage s’ébranle ; on tra­verse les pay­sages déso­lés mais beaux de cette côte maré­ca­geuse ; la végé­ta­tion est rabou­grie, bat­tue par les vents du large. Les mous­tiques s’agitent autour des bêtes qui broutent les champs salés ; ils ne dédaignent pas non plus les pèle­rins ! De temps en temps, on passe une écluse ron­gée par la rouille. 

Il est facile d’imaginer le che­min de croix qu’ont vécu les prêtres. Ils menaient des vies réglées, dans un pays catho­lique, leur voie sem­blait tra­cée… Voilà la Révolution qui déchaîne les forces du mal. Les répu­bli­cains, tour­nant le dos au Christ-​Roi, veulent prendre les rênes et impo­ser au cler­gé un ser­ment de sou­mis­sion, qui ren­drait l’Église de France schis­ma­tique. Pour jus­ti­fier leur for­fait, ils pré­tendent que les prêtres mettent la Patrie en dan­ger ! Ceux qu’on dira réfrac­taires, refu­se­ront de sou­mettre leur charge à la République : ils ne dépendent que de leur évêque, du Pape et du Christ. Se confor­mant au bon plai­sir de Dieu, ils mène­ront une vie de tor­tures morales et phy­siques qui range beau­coup d’entre eux au rang des grands mar­tyrs de la Chrétienté. Il faut voir ce jésuite de 84 ans, venu de Nancy, à qui on ôte son bâton de marche, en lui disant : « tu n’en avais pas besoin quand tu cou­rais contre les patriotes ! » Certains, pen­dant le tra­jet épui­sant qui les conduit à Rochefort, avaient eu l’opportunité de s’échapper du sinistre convoi, avec l’aide de gens com­pa­tis­sants. Ils refusent tout net cette pro­po­si­tion qui les éloi­gne­rait de leur modèle, le Christ souf­frant. Ils entrent de plein gré dans cette voie dou­lou­reuse et interminable.

Le pèle­ri­nage avance main­te­nant sur la plage de Plaisance. On admire au loin l’île d’Oléron, le fort Boyard ; la côte, après l’été bruyant et tou­ris­tique, est à nou­veau dans le calme et le silence d’une belle jour­née d’automne. Bannières au vent, les mar­cheurs égrènent leur cha­pe­let tan­dis que les petits rem­plissent leurs poches de coquillages. En arri­vant à Port des Barques, on retrouve des familles qui se joignent au pèle­ri­nage. C’est l’heure du déjeu­ner, agré­men­té des tra­di­tion­nelles huîtres du pays et cha­cun pro­fite de ce moment pour refaire ses forces.

C’est main­te­nant le départ vers l’île Madame par une large route de galets qu’on nomme « la passe aux bœufs. » Elle appa­rut, mira­cu­leu­se­ment, en une nuit, à la fin du XIXème siècle, rem­pla­çant le mau­vais pas­sage, dan­ge­reux et mou­vant, qui reliait l’île au conti­nent à marée basse. Les prêtres avaient pré­dit qu’un jour, on vien­drait ici en pèle­ri­nage et que le bon Dieu ouvri­rait la voie.

La colonne est com­po­sée de près de 300 per­sonnes. Chaque pèle­rin ramasse un caillou pour le dépo­ser sur « la Croix aux galets » située à l’entrée de l’île. Là, un pay­san avait retrou­vé les corps de quatre prêtres enter­rés en forme de croix. Les galets qui s’y entassent veulent répa­rer l’absence de sépul­ture que subirent les 254 prêtres morts sur l’île. Les tou­ristes, venus pro­fi­ter de cette belle après-​midi domi­ni­cale mani­festent leur éton­ne­ment. Certains se signent, d’autres se joignent au groupe et assis­te­ront à la messe. Ici, ce sont les pères domi­ni­cains de Saint Paul de Serre, accom­pa­gnant la colonne depuis le matin, qui donnent une pré­di­ca­tion au lieu même de la sépul­ture de tous ces saints martyrs.

La messe solen­nelle vient clore cette jour­née. Elle en est le som­met. On pense à ce prêtre mar­tyr qui dira qu’il défen­dait cha­cun des articles du Credo par les souf­frances endu­rées sur le bateau. Si la Providence per­met que nous pro­fi­tions aujourd’hui des fruits de la Croix par la messe tra­di­tion­nelle, peut-​être pouvons-​nous l’attribuer à ces héros de la Charité.

Dans son ser­mon, M . l’abbé Romanens , après avoir évo­qué l’héroïsme de ces prêtres pri­son­niers, encou­rage les fidèles à prendre l’habitude de la médi­ta­tion recueillie. Les Mystères du Rosaire, et beau­coup de livres aident à recher­cher cette union avec le bon Dieu, seul rem­part effi­cace contre l’in­quié­tude que souffle un monde, sans Dieu, monde qui ne parle que de haine et de guerre.

La mer est remon­tée, la passe a dis­pa­ru sous les flots et l’île Madame retrouve sa soli­tude. La brume du soir s’étend sur la grève. Tout est calme. Notre-​Dame du Rosaire a pro­té­gé notre jour­née. Pourtant, on sait que les tem­pêtes peuvent venir. Alors n’oublions pas d’implorer la Vierge, Étoile de la Mer et ce cor­tège impres­sion­nant des prêtres martyrs.

Source texte et pho­tos : Prieuré Sainte-​Marie de Bruges /​B. Meugniot