Le soir de l’Ascension, Monseigneur de Galarreta atterrit à Libreville. Il est venu de loin afin de conférer le sacrement de confirmation. Le lendemain de son arrivée, Monseigneur donne une conférence sur la situation de l’Eglise et explique pourquoi, malgré le retrait des excommunications, nous ne pouvons pas faire appel aux Évêques diocésains, pour les confirmations.
Enfin, le grand jour arrive. Le matin du dimanche 24 mai, les cent trente confirmands se rassemblent dans le bâtiment saint Joseph pour les ultimes préparatifs et pour se recueillir avant la cérémonie. Imposante cérémonie en vérité : c’est tout l’appareil des grandes solennités pontificales qui est déployé. La procession d’entrée dure dix bonnes minutes, accompagné d’un « Nous voulons Dieu » chanté à plein poumon par au moins deux mille personnes. Le soleil était particulièrement fort ce jour-là et les fidèles, dont la moitié à peine a pu trouver une place dans l’église, se serraient dans les coins d’ombre offerts par les bâtiments ou les rares arbres du voisinage.
Monseigneur fait un sermon éloquent au cours duquel il rappelle l’importance et la nécessité du combat chrétien. Puis les confirmands un à un gravissent les marches de l’autel et s’agenouillent devant Monseigneur qui trace sur leur front l’onction du soldat du Christ. C’est toute une phalange qui est incorporée ce jour-là dans l’armée du Seigneur pour défendre la foi particulièrement attaquée ces derniers temps. Quel honneur et quelle responsabilité : entrer dans l’armée du Christ à l’heure même où Satan et le monde Lui livrent bataille.
À propos de la Confirmation : un Évêque parle
« On apprend les sacrements dans un ordre précis où la Confirmation est placée avant la Communion. Pourquoi alors reçoit-on ces sacrements dans l’ordre inverse ? » Cette question est souvent posée, au catéchisme, par des élèves attentifs. En réponse, voici de très larges extraits d’une ordonnance épiscopale de Mgr Antoine Marie Hyppolite Carrie. Ce texte est tiré du : « Le Mémorial du Congo Français – N°14, juillet 1890 ». C’était le bulletin épiscopal de liaison dans le Vicariat Apostolique de Loango (Congo/Gabon).
Mgr Carrie était spiritain français. Sacré évêque par le Cardinal Richard, Archevêque de Paris, le 24 octobre 1886, il reçoit la charge du Vicariat Apostolique du Congo Inférieur Français, tandis que le célèbre Mgr Augouard reçoit le Congo Supérieur et l’Oubangui. Mgr Carrie s’installe à Loango et rayonne jusqu’à Sette-Cama au Gabon. Ainsi la Mission Catholique de Mayumba est fondée en 1888. Il meurt à Loango, le 8 octobre 1904, âgé de 62 ans. Son Vicariat comptait alors 4000 chrétiens répartis en six stations principales.
Ce document date de la période où l’essor des Missions Catholiques, partout dans le monde, et particulièrement en Afrique, fut très important. Son intérêt est d’autant plus grand qu’il émane d’un évêque missionnaire aux prises avec la dure réalité d’une évangélisation en terre païenne. Face à un tel défi, l’évêque doit établir les meilleures conditions pour que la grâce divine s’épanouisse : « Nous sommes les dépositaires de ces moyens, malheur à nous si nous sommes des dispensateurs infidèles, nous aurons à rendre compte des âmes qui se seront perdues par notre faute ».
Extraits de l’Ordonnance de Mgr Carrie, Vicaire Apostolique de Loango
Un usage contraire à la pratique commune de l’Eglise
Désirant ardemment que la Mission du Congo Français n’ait, en tout et partout, que la plus pure doctrine de l’Eglise, catholique, apostolique et romaine ; qu’elle ne connaisse pas d’autre esprit ni d’autres usages que ceux de cette sainte Mère de toutes les Églises, Nous avons résolu de rompre entièrement avec un usage moderne et exclusivement français relativement à l’administration du sacrement de Confirmation.
Depuis le commencement de ce siècle, en effet, l’usage s’est introduit en France de n’administrer ce sacrement qu’aux enl’Eglise fants ayant fait la première Communion. Or c’est là un usage entièrement contraire à ce qui s’est fait dans toute l’Eglise depuis les Apôtres, jusqu’à notre grande révolution, époque à laquelle la France seule s’est écartée de la pratique commune de l’Eglise.
A quel âge confirmer ?
(Au début du Christianisme aussitôt après le baptême, même pour les petits ; mais depuis plusieurs siècles l’Eglise confirme à l’âge de raison, vers 7 ans)
Tous les théologiens sont unanimes à reconnaître qu’il convient d’attendre, pour les confirmer, que les enfants soient arrivés à l’âge de raison mais pas un ne suppose qu’on diffère plus longtemps ce sacrement, ils n’y pensent même pas. Quant à le remettre après la première communion, (…) on ne trouvera aucun vestige de cet usage pendant les 18 premiers siècles de enl’Eglise. Le faire est donc aller contre toute la tradition et contre l’esprit de l’Eglise. Citons ici le catéchisme du Concile de Trente qui résume toute cette tradition, et nous fait connaître de la manière la plus certaine le véritable esprit de l’Eglise sur cette question :
« Tous ceux qui sont baptisés peuvent être confirmés ; cependant il ne convient pas d’administrer ce sacrement à ceux qui n’ont pas encore l’usage de la raison ; et si l’on ne croit pas qu’il soit nécessaire d’attendre l’âge de douze ans, au moins est-il convenable de ne pas l’administrer avant l’âge de sept ans. (17,4) Il faut remarquer ici :
1° (d’après le Catéchisme romain et le plus grand nombre des théologiens, il est encore permis de confirmer avant l’âge de raison).
2° (On peut confirmer les petits enfants, si c’est l’usage du pays, ou pour des raisons particulières, comme une longue absence de l’Évêque, ou le danger de mort). »
Confirmer avant la 1ère communion
Mais il y a encore d’autres raisons pour ne pas renvoyer la Confirmation après la 1re Communion.
a) La réception de ce sacrement demande beaucoup moins de connaissances de la religion, et de perfection dans les dispositions de ceux qui le reçoivent, que le sacrement de l’Eucharistie. (…)
b) Puisque la réception de ce sacrement est beaucoup plus facile que celle de l’Eucharistie, pourquoi donc en priver si longtemps les enfants lorsqu’ils peuvent le recevoir ? Car nous devons avoir pour principe d’administrer le plus tôt et le plus souvent possible les sacrements aux fidèles. Ce sont en effet, les sacrements qui régénèrent et sanctifient les âmes (…)
c) Puisque le grand obstacle à l’efficacité divine de ce sacrement dans les âmes est le péché mortel, nous devons nous hâter de l’administrer aux enfants pendant qu’ils sont encore innocents. (…)
d) Puisque ce sacrement nous donne des forces pour vaincre dans les combats spirituels de la vie, pourquoi ne pas procurer ces forces aux enfants dès qu’ils peuvent en avoir besoin pour soutenir ces combats ? Or, ces luttes commencent précisément avec l’usage de la raison. Attendrez- vous, que ces soldats de Jésus-Christ soient vaincus pour leur porter les secours qu’Il leur a préparés ? Pourquoi les envoyer aux combats jusqu’à l’âge de 12, 15 et 20 ans sans les armes dont ils ont besoin pour se défendre et pour vaincre ? Le faire, est aller et contre la raison, et contre la prudence, et contre les intentions de l’Eglise, et contre la volonté de Notre Seigneur qui ne permet la tentation pour les enfants que parce qu’il leur a préparé les moyens de la vaincre. Nous sommes les dépositaires de ces moyens, malheur à nous si nous sommes des dispensateurs infidèles, nous aurons à rendre compte des âmes qui se seront perdues par notre faute.
e) Si la Confirmation est si fortement recommandée aux chrétiens dans nos pays catholiques, que doit-on penser des chrétiens qui vivent au milieu des païens ; des néophytes qui doivent être les fondements solides et inébranlables d’une société à fonder, dans des conditions on ne peut plus désavantageuses ? On doit dire hardiment qu’elle leur est souverainement utile pour ne pas dire indispensable. Que, par conséquent, il y a pour eux une obligation grave de la recevoir au plus tôt et pour nous également une obligation très grave de l’administrer dès que nous le pouvons.
Une expérience pastorale
Or si nous attendons que les enfants aient fait leur première Communion, pour les confirmer, il arrivera inévitablement, ainsi que l’expérience le prouve, que beaucoup d’enfants chrétiens ne seront jamais confirmés ; parce que tous les ans il y en a quelques uns qui quittent la Mission avant d’avoir fait la première Communion. Que Dieu nous garde de prendre sur nous la responsabilité de leur perte en ne faisant pas tout ce qui dépend de nous pour l’éviter. Or, c’est ce qui arriverait si nous ne nous conformions pas à l’esprit et à la pratique de l’Eglise en ce qui regarde la Confirmation.
Dispositions pratiques
En conséquence :
- 1° Nous voulons et ordonnons que désormais dans tout notre Vicariat les enfants soient préparés à la Confirmation dès l’âge le plus tendre, de sorte qu’ils puissent la recevoir fructueusement dès qu’ils auront l’âge de raison.
- 2° Nous désirons et voulons que les petits enfants eux-mêmes ne soient pas privés de ce sacrement lorsqu’ils seront en danger de mort. (…)
- 3° (Ne pas dépasser trois ans, sans administrer la confirmation)
- 4° (…) Comme préparation à ce sacrement on se contentera d’ajouter à ce qui est demandé pour le baptême des adultes une connaissance plus approfondie du chapitre qui traite de la Confirmation. (…)
- 5° (Dispositions pratiques pour les simples prêtres)
- 6° (Tenue des registres)
Et sera la présente ordonnance lue en réunion de Communauté le premier dimanche qui suivra sa réception.
Donné à Loango le 2 juillet, fête de la visitation de la Bienheureuse. Vierge Marie, de l’année 1890.
† A. CARRIE – Vicaire apostolique du Congo Français.
Extrait du Saint Pie n° 174 de mai 2009