Le sacerdoce
17 octobre 2009
« Car ce qui est folie en Dieu est plus sage que les hommes. » I Cor. I, 25
« Car la sagesse de ce monde est une folie pour Dieu. » I Cor. III, 19.
« Or l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ; car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les comprendre, parce que c’est spirituellement qu’on en juge. » I Cor. II, 14.
En cette année jubilaire du saint curé d’Ars, nous sommes vivement invités à scruter jusque dans ses profondeurs le trésor qu’est le sacrement de l’Ordre. Cependant, pour pouvoir exprimer quelque chose de sa grandeur, c’est bien à la folie et non à la sagesse de Dieu que nous nous voyons contraints de remonter.
Les sentiments du prêtre à qui échoit une telle tâche ne peuvent qu’être divers : malgré la dilatation intérieure d’exprimer une réalité si sublime et l’espérance de mettre en lumière l’une ou l’autre des merveilles sacerdotales, il ressent vivement l’impuissance des mots pour évoquer l’ineffable et l’humiliation de ne pas savoir dire le cœur de sa vie, faute de son adéquation à la folie divine.
Pour nos esprits tellement compliqués, rien n’est aussi déroutant que l’extrême simplicité des circonstances au cours desquelles Notre Seigneur Jésus-Christ consacra les premiers prêtres de la nouvelle Alliance. C’est en effet au cours d’un repas qu’Il choisit d’instituer, immédiatement l’un à la suite de l’autre, et le sacrement de l’Eucharistie pour se donner aux hommes comme aliment et celui du Sacerdoce pour que la distribution de son propre Corps et de son propre Sang assure notre rassasiement jusqu’à la consommation des siècles. Pour parler du sacrement de l’Ordre, nous ne pouvons donc suivre une autre logique que celle de Dieu qui l’a placé en une si étroite corrélation avec l’institution de la Sainte Eucharistie.
En ces deux instants sublimes qui se succèdent, celui de la première transsubstantiation et celui de l’ordination des apôtres à renouveler ce que leur Seigneur venait d’accomplir, nous voici en présence de deux actes de Dieu qui manifestent, incomparablement plus que tout ce qu’Il avait fait jusqu’ici, sa puissance infinie. Alors que la création n’avait jamais produit que des créatures, c’est le Créateur Lui-même que la transsubstantiation rend infailliblement présent sur nos autels. Mais si l’unique instant de la transsubstantiation dépasse toutes les conceptions les plus élevées que nous aurions pu nous faire de la puissance de Dieu, que faut-il dire alors de l’Ordre, dont le seul nom indique déjà ce saisissement qui s’empare de tout homme face au pouvoir d’un genre absolument nouveau que le prêtre reçoit de Dieu pour lui rendre Dieu obéissant et, sur sa seule injonction, « le faire descendre » sur l’autel ?
L’institution de ces deux sacrements révèle une telle puissance de Dieu que jamais nous n’aurions pu seulement en imaginer de semblable, et elle exprime en même temps toute l’incapacité de notre esprit à s’en faire même une lointaine idée. Cependant, bien plus que la puissance, c’est l’amour incommensurable de Dieu qui se trouve, tout palpitant, placé devant nos yeux à la Cène. Si la folie de Dieu suppose sa toute-puissance pour être mise en œuvre, c’est bien d’amour et d’amour seulement que Dieu est fou. D’un seul mot, d’un seul geste, regardez « comme Il se dépose sur la table » pour nourrir et étancher ses amis ! En réalité, Il n’a jamais aspiré qu’à cet instant et toute son existence n’a consisté qu’à passer de la mangeoire qui lui servit de berceau à la table dont il se fit un autel. De toutes les œuvres que Dieu avait jusqu’ici opérées et de toutes celles que Notre-Seigneur avait réalisées tout au long des années qu’Il venait de passer sur la terre, aucune n’a jamais dévoilé le mystère insondable de son amour infini comme cet instant de la dernière Cène où Il décida de s’offrir en pâture à ses créatures humaines.
Lors du premier de ces deux instants célestes, Dieu s’est fait nourriture et boisson pour que l’homme puisse le manger et le boire : « Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment une boisson. » Jean VI, 56. Nous aurions bien tort de reculer devant la crudité de ces mots qui expriment si précisément le divin dessein. Il a voulu Lui-même se faire l’aliment de chacune de nos journées pour venir habiter au-dedans de nous-mêmes, nous nourrir et nous abreuver de sa présence. C’est son Amour de Dieu qui le pressait et le rendait impatient de ne pas attendre l’éternité pour s’unir à nous et que nous nous unissions à Lui. Il a voulu non seulement devenir l’hôte de tous les cœurs mais se faire aussi Lui-même le festin de ce céleste repas.
Rien comme l’amour ne rend les hommes inventifs et il n’est encore que l’amour pour avoir produit les plus belles œuvres de la terre et ses plus surprenantes ingéniosités. Cependant, tous ses plus beaux traits et toutes ses inventions les plus géniales se trouvent comme pulvérisés par cet unique instant de l’Eucharistie. Il n’avait été que d’un Dieu de concéder à la femme l’apanage de porter le fruit de son amour en son sein. Or ce jeudi, il s’est passé ce à quoi les plus brûlantes imaginations de l’amour n’avaient jamais songé : le plus simplement du monde, Celui qui aime s’est introduit par la bouche au-dedans de ceux qu’Il aimait pour y vivre désormais. Et Celui qui vit au-dedans de l’homme, c’est Dieu. Et celui qui porte Dieu en son sein, c’est l’homme. Et Celui qui est mangé par l’homme, c’est Dieu et celui qui mange Dieu, c’est l’homme. Ne fallait-il donc pas que l’homme fût une créature bien aimable et pure pour que Dieu eût ainsi la pensée de reculer à l’infini toutes les frontières de l’amour ?
Mais il nous faut définitivement mettre dans un placard tous nos pauvres raisonnements trop sages pour être vrais. Ces hommes, en lesquels Dieu veut venir habiter, ne sont au contraire que ceux-là même à s’être dressés contre Lui jusqu’à bafouer sa Loi et ses commandements. Infatués au plus haut point d’eux-mêmes, il ne se passe pas d’instant sans qu’on les voie multiplier leur révolte contre ce Dieu à qui ils doivent l’existence, tout ce qu’ils sont et tout ce qu’ils possèdent. Il était donc juste que les péchés conduisent leurs fauteurs dans le lieu de l’éternel supplice. Mais il n’est que de Dieu de nous montrer comment, quand on est Dieu, on aime et comment on pardonne, non pas seulement ceux qui nous aiment mais aussi ceux qui nous haïssent.
Nous savons bien qu’il y a des hommes pour ricaner de toutes ces choses. Nous comprenons qu’on puisse ne pas y croire car nous savons que la Foi est un don. Mais nous croyons cependant que tout ricanement, à l’évocation de la pureté et de la noblesse de ces croyances et de cette doctrine, devrait s’étrangler dans la gorge et se figer sur les dents des ricaneurs. De tous les élans et de tous les rêves amoureux de tous les siècles, personne n’avait jamais imaginé une si folle intrusion dans l’être aimé ni donné l’exemple d’une telle hauteur de sentiments. Que l’on ne s’y trompe pas, cette compréhension de la logique où va l’amour, qui n’avait jamais été atteinte, n’a pu jaillir que d’une âme habitée d’une telle soif intérieure que le monde n’en avait jamais connu de semblable. C’est une ère nouvelle de l’amour qui s’en trouve inaugurée.
Et cet amour, non content de se proposer aux apôtres, embrasse tous les enfants des générations des hommes, sans qu’aucun fût excepté. Il a aimé comme personne n’a jamais aimé, non pas simplement douze hommes qui étaient ses amis, mais Il nous a aimés, nous tous et chacun d’entre nous, animé de cette volonté ardente que nous le dévorions à pleines dents pour satisfaire son désir insatiable de vivre au-dedans de nous et d’y « demeurer tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles. » Matth. XXVIII, 20
Nous avons dit que jamais personne n’avait seulement imaginé une entreprise aussi folle que celle-là et que toutes les plus grandes escapades de l’amour, à côté de celle ici tentée, ne sont que piètres sentiments. Rien ni personne ne semble plus capable de l’arrêter. C’est la raison pour laquelle Il invente et se donne les moyens pour que son amour atteigne plus certainement jusqu’aux cœurs les plus éloignés du sien, pour triompher plus sûrement des obstacles les plus invincibles, pour bondir par-dessus tous les espaces, pour se rire du temps, pour enfin provoquer la mort « en un duel saisissant » (Séquence du dimanche de Pâques) et la tuer. A peine venait-Il donc de devenir nourriture et boisson pour nourrir et étancher ses amis qu’Il les fit prêtres et établit la permanence du nouveau sacerdoce, prêtres pour que soit toujours refait en mémoire de Lui ce qu’Il venait de faire : « Il prit de même le calice après avoir soupé, en disant :’Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous en boirez.’ » Ainsi, jusqu’à la fin du monde, Il se réserve de pouvoir entrer dans l’intimité de toutes les âmes par son sacrement.
S’il faut maintenant comparer ces deux instants l’un à l’autre, départager leurs grandeurs et dire quel est le plus fou ou le plus divin des deux, nous ne devrions pas avoir d’hésitation. Nous croyons de toute notre âme que Dieu s’est fait aliment et boisson et qu’il suffit d’avoir énoncé cette proposition pour que la cause soit entendue. Cependant, de même qu’un expert des tableaux d’un Maître repère d’instinct lesquels sont de sa main, nous reconnaissons bien une seule et même folie comme signataire et de l’institution de la sainte Eucharistie et de celle du Sacerdoce.
Mais, Seigneur, mon Dieu, veuillez me pardonner. Pour avoir donné de tels pouvoirs aux hommes et leur avoir confié une telle mission, c’est à finir par douter que vous connaissiez vraiment le cœur de l’homme. Votre amour pour nous ne vous aveugle-il pas ? Vous faire nourriture, c’est la décision incompréhensible du mystère d’une charité inconnue de la terre et en face de laquelle nos âmes, à jamais interdites, n’ont plus qu’à se prosterner. Mais, après tout, que pourrions-nous y redire ? Votre cœur de Dieu, nous savons bien que nous n’en connaissons pas les abîmes ; votre sagesse nous déconcerte et ne cesse de nous laisser interdits. Nous mettons donc sur ce compte cette première folie de l’Eucharistie.
Mais si nous n’avons pas idée de votre cœur de Dieu, nous savons ce qu’il en est du nôtre. Et, c’est parce que ce cœur, nous le connaissons, que nous en arriverions à penser que la folie du sacerdoce l’emporte encore sur la première. Comment avoir pu confier vos sublimités à ces faibles instruments ; en des vases si fragiles avoir risqué tant de beauté ? Pourquoi vous moquer, Seigneur, et nous demander de nous hisser à une telle inaccessible sainteté ? Pour nous, il nous semble, au jour de notre ordination, qu’à la folie de votre amour, nous n’avons répondu que par celle de notre présomption. Nos oreilles ont entendu qu’il s’agirait désormais pour nous d’imiter le sacrifice que nous offrions sur l’autel (Monition aux ordinands pour l’ordination des prêtres). Et nous voici maintenant chaque jour à manier vos Mystères, votre Corps et votre Sang, à devoir montrer aux hommes comment on vous mange et comment on vous boit.
Seigneur mon Dieu, Vous ne faites pourtant rien que de souverainement sage. Vous n’avez donc pas voulu marquer des hommes d’un tel caractère, les revêtir d’une dignité si sublime, les munir de pouvoirs si divins sans leur conférer également les forces et les grâces pour respecter cette discipline divine, déjà exposée par Paul à Tite et à Timothée, et les élever à ces hauteurs où vous ambitionnez de les acheminer. Votre bonté envers les pêcheurs du lac de Tibériade continue à Vous donner si profondément à chacun de vos ministres que leurs âmes reçoivent tout ce dont elles ont besoin pour ne pas vous rester étrangères ni demeurer divisées au-dedans d’elles-mêmes.
Vous ne voulez certes pas que vos prêtres, toutes leurs années durant, soient des êtres malheureux et divisés, réduits à vivre au plus profond d’eux-mêmes un divorce spirituel permanent, condamnés à vivre leurs années sacerdotales sur l’irréconciliable fracture des instants qu’ils passent à l’autel avec le restant de leur jour. Vous êtes Vous-même trop « Un » pour n’avoir pas voulu pour vos prêtres la plus intime correspondance entre leur extérieur et leur intérieur, la réalisation de l’unité de leur vie à l’imitation de la vôtre. Vous avez tout au contraire voulu que leur messe quotidienne soit le cœur organique de leurs heures, l’inspiratrice et le modèle de leurs journées.
C’est pourquoi, le premier, Vous ne vous êtes pas contenté du don seulement sacramentel de Vous-même. Ce signe de la Cène, le plus sublime de tous les siècles, si efficace que vous le fîtes, n’était encore qu’un signe. Mais ce signe, lorsque Vous le donnâtes, Vous saviez que Vous réaliseriez en Vous-même tout ce qu’il signifiait. Vous n’avez donc jamais envisagé de ne Vous donner à nous qu’en signe. Vous avez dit que Vous vouliez nous aimer jusqu’au bout de votre amour de Dieu. Et comme il est plus grand d’aimer en signe et en réalité signifiée par ce signe qu’en signe seulement, Vous avez conjoint au sacrement de votre amour votre sacrifice par amour.
Pour vous livrer aux hommes, Vous avez simplement attendu d’être livré par eux et ce n’est que « la nuit où Il était livré » [I Cor. XI, 23] que Vous Vous êtes livré Vous-même. Il n’est pas jusqu’au rythme et à la cadence de votre livraison pour trente deniers auxquels vous ne vous soyez docilement soumis. En signe d’abord, par le don que vous avez fait de votre corps sacramentel tandis que votre valeur est estimée au prix de l’esclave. En la réalité signifiée par ce signe ensuite, lorsque, Vous avançant librement vers la cohorte menée par Judas, Vous l’avez laissé déposer le baiser qui vous désigne à vos ennemis. Si, dans la succession temporelle où se sont produites les choses, le signe signifiant la réalité a précédé la réalité signifiée par le signe, Votre sacrement n’en est pas moins déjà un sacrifice et votre sacrifice un sacrement.
Seigneur Jésus-Christ, comment, dès lors, ne comprendrais-je pas que les hommes élus pour renouveler de tels rites sur vos autels ne sauraient seulement vous prêter leurs doigts et leur langue pour répéter vos gestes et vos paroles, en des rites extérieurs qui ne les engageraient pas au plus profond d’eux-mêmes ? Si votre sacrement est indissociablement uni à votre sacrifice et que son auteur en est et le prêtre et la victime, comment vos prêtres pourraient-ils prétendre à célébrer de leurs lèvres une liturgie qui ne serait pas celle de leurs cœurs ? Comment seraient-ils vos intimes au Cénacle s’ils n’aspirent à gravir la montée du Calvaire ?
Que nous réfléchissions un peu. Le prêtre célèbre la messe tous les jours. Le moindre degré de foi lui suffit pour croire, en cette action sacrée, qu’il renouvelle le plus sublime des mystères divins accomplis sur cette terre, le sacrement et le sacrifice de la livraison de Dieu. Comment pourrait-il alors envisager de célébrer sa messe comme un acte de sa journée parmi les autres ? Plus que tout autre, un tel prêtre serait alors bien « un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel, et qui, après s’être regardé, s’en va et oublie aussitôt quel il était. » [Jac. I, 23–24]. Quelles excuses invoquer devant Dieu pour avoir relégué nos messes sur nos autels, hésité à accepter qu’elles soient en même temps célébrées dans nos cœurs ?
Un seul instant d’union des époux, celui qui aboutira à la naissance d’un enfant, suffit pour engager toute leur existence et leur enjoindre le grave devoir d’amener le fruit de leur amour jusqu’à l‘âge adulte. Et nous autres prêtres, comment pourrions-nous exécuter chaque jour l’action la plus divine qui soit – action qui nous engage infiniment plus que la procréation et tout ce qui peut se faire de plus grand sur la terre – et vivre ensuite comme si notre messe ne nous obligeait pas ? Comment, d’une messe à l’autre, ne pas vivre de notre messe et pour notre messe seulement ? Comment concevoir encore quelque pensée ou quoi que ce soit, en ces heures d’attente de la prochaine messe à célébrer, en dehors de la messe à dire ou de la messe dite ? Comment nous endormir sur une pensée autre que celle de la messe célébrée aujourd’hui ou de celle à célébrer demain ? Nous ne savons pas ce qu’il y a de plus incroyable, ou de notre bonheur de monter à l’autel tous les jours ou de notre folle capacité, avant ou après la célébration de notre messe, à vivre hors de la messe.
Notre unité de vie est donc celle qui doit établir une harmonie souveraine entre nos autels et nos cœurs, qui doit peu à peu hisser nos cœurs jusqu’au niveau de nos autels, déposer les premiers tous les jours sur nos patènes et dans nos calices afin de vivre comme des hosties et comme une libation, dans l’offrande permanente et renouvelée que nous faisons de nous-mêmes à notre Dieu pour l’expiation de nos péchés et le salut des âmes.
Mais s’il est bien clair que la vocation des prêtres et la célébration de leur messe de chaque jour les engagent à concevoir l’enchaînement de leurs heures et leur apostolat comme un écoulement de leur messe, vrai cœur de chacune de leurs journées, tout chrétien doit également s’affermir dans la même pensée et dans le même amour de la messe. Nous devons tous prendre conscience qu’il est inconcevable, lorsque l’on croit que Dieu est descendu sur la terre pour racheter les hommes de son sang, poussant la condescendance jusqu’à se faire aliment pour venir habiter dans nos cœurs, de continuer à vivre ici-bas sans avoir placé la messe au cœur de notre vie. Or, il faut bien l’avouer, la messe demeure cette grande méconnue de la plupart d’entre nous. Si nous l’avions connue, nous aurions depuis longtemps tout organisé en fonction de notre messe et seulement autour d’elle, véritable centre de notre existence. Elle aurait d’ailleurs été le cœur de toute existence, de celle des âmes comme de celle de la cité. Tous auraient cherché intensément dans ses mystères les lumières et les forces pour passer leurs heures terrestres selon le cœur de Dieu.
Nous ne caressons pas une utopie. Nous disons assurément le cœur des âmes et des sociétés tel que le Bon Dieu l’a voulu et tel qu’Il continue de le vouloir. Bien plus, nous disons ce cœur tel qu’il est toujours dans la réalité présente. Qu’elles le sachent on non, qu’elles le veuillent ou non, les âmes et les sociétés n’ont encore aujourd’hui d’autre cœur que la sainte messe. Si elles le comprennent et qu’elles mettent tout leur soin à favoriser son action et l’irrigation de tout leur être par le sang de Dieu, elles croissent, elles se fortifient et ne cessent d’embellir. Si elles s’éloignent de ce cœur, si elles le délaissent et si elles en viennent à l’ignorer, tout l’organisme s’en trouve bientôt affaibli et fatigué de vivre. Si elles en arrivent à le persécuter, à l’empêcher de battre et à lui préférer des contrefaçons, le corps marque alors les soubresauts de l’agonie avant de s’orienter rapidement vers la mort. Qui pourrait s’en étonner ? Tout organisme vivant ne vit-il pas de son cœur et ne meurt-il pas de la mort de son cœur ?
Ne croyons pas qu’il soit de peu d’importance que le nombre de messes jadis célébrées de par le monde ait immensément diminué et que celles qui le sont encore aujourd’hui n’en soient le plus souvent que des parodies démagogiques, de véritables outrages qui blessent le Cœur de Dieu. Penser ainsi reviendrait plus ou moins à considérer qu’il suffit bien à l’homme d’avoir un cœur et que le nombre de ses battements importe peu ! Les messes sont-elles en effet rien d’autre que ces battements innombrables du cœur de toute l’histoire des hommes qu’est le Sacrifice du Calvaire ? Comment alors ne pas s’épouvanter de leur raréfaction et de leur affaiblissement ? Comment la vie des âmes, celle de la vie de l’Eglise et celle de toutes les sociétés ne s’en trouverait-elle pas profondément remise en cause ? Comment serait-il anodin que la vraie messe, lorsqu’elle est encore célébrée, se trouve le plus souvent reléguée et soumise à l’humiliation, et que son impudente rivale soit réputée non moins bonne qu’elle par les prêtres qui la célèbrent ? Anodin, l’asservissement de ceux-ci à la prédication unique où, de l’honneur de Dieu et de la religion, ne restent que les débris calcinés consentis par le concile Vatican II ?
Ne croyons pas que la vie puisse jamais renaître des systèmes ou des idées. Tout renouveau, toute renaissance, toute vie ne refleurira jamais que du cœur. Si les organes sont en passe de mourir ou s’ils sont déjà morts de leur folle émancipation du cœur, leur unique espérance de reviviscence ou de résurrection consiste uniquement à lui être de nouveau greffés par la main divine.
A vous qui comprenez bien tout cela. A vous qui ne voulez pas voir finir de s’éteindre les cierges des dernières messes célébrées. A vous qui ne voulez pas être témoins passifs de la disparition en fumée des derniers vestiges de nos pays d’antique chrétienté. A vous qui frémissez et serrez les poings à la pensée que votre descendance pourrait cesser un jour d’être baptisée. A vous qui comptez parmi vos compatriotes et le saint curé d’Ars et sainte Jeanne d’Arc et sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. A vous surtout qui n’avez pas désespéré du Calice du Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, du Sang de Son Alliance Nouvelle et Eternelle, Mystère indicible de notre Foi :
Nous vous demandons, chers confrères et chers amis, de redécouvrir avec passion votre Messe, la Messe de toujours et la Messe qui a fait les saints, la Messe qui met en déroute les puissances infernales et la Messe qui sauve, la Messe librement célébrée par des prêtres qui ne sont pas assermentés au Concile de tous nos déboires.
Revenons à notre messe, retrouvons notre messe, aimons notre messe et craignons, si nous ne l’aimons pas davantage, d’avoir un jour à nous mordre l’âme de l’avoir si peu connue et si mal aimée, et de devoir pleurer le restant de notre vie d’en être privés, à l’instar de tant de pays devenus terres d’Islam, parce que nous ne l’aurons pas aimée comme elle le méritait.
Nous demandons au saint curé d’Ars qui enflamma ses paroissiens et ses contemporains de l’amour de la messe de bien vouloir considérer notre pauvre France d’aujourd’hui comme sa paroisse tout entière, nos contemporains comme les siens, et de souffler sur nos âmes pour y réveiller les braises de l’amour de la messe.
Nous vous implorons, Très Sainte Vierge Marie, invisible associée de toutes les messes qui sont célébrées, de bien vouloir ranimer la flamme de nos cœurs catholiques dans ce brasier quotidien de notre messe de chaque jour. Nul plus que vous ne connaît le mystère de la messe. Vierge du Cénacle, si attentive à tous les prêtres ; Mère du Calvaire, si aimante de tous les pauvres pécheurs, nous vous en supplions, donnez-nous de comprendre que la messe est l’unique cœur de toute existence et qu’il n’en sera donné aucun autre de substitution. Donnez-nous de comprendre qu’il n’est pas d’autre alternative, pour les âmes comme pour les sociétés, de vivre de la messe ou de mourir sans elle.
Abbé Régis de Cacqueray, Supérieur du District de France
Suresnes, le 17 octobre 2009