« Les trois grandes religions monothéistes »

Abbé Régis de Cacqueray
28 juillet 2009

« Le dôme du Rocher invite nos cœurs et nos esprits à réflé­chir sur le mys­tère de la créa­tion et sur la foi d’Abraham. Ici les che­mins des trois grandes reli­gions mono­théistes du monde se ren­contrent, nous rap­pe­lant ce qu’elles ont en commun.

- Chacune croit en un Dieu unique, créa­teur et régis­sant toute chose.
- Chacune recon­naît en Abraham un ancêtre, un homme de foi auquel Dieu accorda
Chacune a ras­sem­blé de nom­breux dis­ciples tout au long des siècles et a ins­pi­ré un riche patri­moine spi­ri­tuel, intel­lec­tuel et cultu­rel. »

Discours de Benoît XVI devant les musul­mans au Dôme du Rocher, le 12 mai 2009 in Osservatore Romano du 19 mai 2009.

Mgr marcel Lefebvre, fondateur de la FSSPX

« On parle désor­mais des ’trois grandes reli­gions mono­théistes’, mais la reli­gion juive et la reli­gion musul­mane sont contre le Christ puisqu’elles ne sont pas avec Lui. C’est clair. Comment peut-​on dire ‘les trois reli­gions mono­théistes’ ? Nous, nous sommes avec le Christ, c’est notre Dieu, et les autres sont contre le Christ. Les juifs sont contre le Christ, ils ne sont pas avec Notre Seigneur, donc ils ne sont pas avec Dieu. On pour­rait citer les paroles de saint Jean :Qui nie le Fils n’a pas non plus le Père, celui qui confesse le Fils a aus­si le Père’ I Jn2,23 » (1)

« On nous parle fré­quem­ment aujourd’hui des ‘trois grandes reli­gions mono­théistes’. Alors, il fau­drait que ces trois reli­gions mono­théistes s’unissent pour créer un monde meilleur. Non seule­ment c’est une com­plète uto­pie, mais un tel lan­gage tenu par ces catho­liques, des évêques et même par le Vatican consti­tue une véri­table insulte à Notre Seigneur Jésus-​Christ. Placer ain­si les musul­mans, les juifs et les chré­tiens sur le même pied, c’est invrai­sem­blable. Outre ce que de tels pro­pos ont de blas­phé­ma­toire, cette atti­tude entre­te­nue par le Vatican est tota­le­ment illu­soire. » (2)

Monseigneur Marcel Lefebvre dans « C’est moi l’accusé qui devrait vous juger ! » (1) page 201 et (2) page 301.

Dans ces deux cita­tions de Monseigneur Lefebvre pla­cées en exergue, il est inté­res­sant de le voir en train de réa­li­ser la place tou­jours plus grande que prend cette expres­sion des « trois grandes reli­gions mono­théistes » dans le dis­cours de « l’église conci­liaire » et de l’entendre mani­fes­ter l’indignation qu’il res­sent de son uti­li­sa­tion par les plus hautes auto­ri­tés de l’Eglise. Nous ne savons pas à qui il faut attri­buer cette célèbre expres­sion et à par­tir de quand elle a été reprise dans le dis­cours pon­ti­fi­cal. En revanche, nous avons trou­vé, rap­por­té par Maritain, ce petit dia­logue entre Mauriac, Gide et lui. Il nous semble vrai­ment carac­té­ris­tique de cette irrup­tion de la nou­velle pen­sée reli­gieuse qui s’est intro­duite dans l’Eglise et qui était appe­lée à y prendre une telle place :

Mauriac : « Mais n’y a‑t-​il rien de com­mun entre ces trois convic­tions ? Il y avait sûre­ment Dieu. C’est tout de même immense ! Ces trois reli­gions sont parentes.

Gide : « Peut-​être des sœurs enne­mies. »

Maritain : « Il y a non seule­ment un lien idéal, mais his­to­rique aus­si, entre le judaïsme, le chris­tia­nisme et l’islam. Ici et là, l’homme adore un seul Dieu. Et puis les trois per­sonnes que vous avez vues n’exigeaient pas pour régler la ques­tion sociale que le monde entier se conver­tît à la foi. Il se peut même que sur la ques­tion sociale, elles se soient trou­vées dans un cer­tain accord. En tout cas, c’est en allant dans le sens de l’approfondissement et de la puri­fi­ca­tion de la foi qu’on a chance de faire pas­ser l’homme à un état meilleur. Ce n’est pas en muti­lant l’être humain, en lui ôtant la foi en Dieu, qui est le pre­mier de ses biens. »

Jacques Maritain dans « André Gide et notre temps ». Extrait de l’entretien tenu au siège de l’ « Union pour la véri­té » le 26 jan­vier 1935. Œuvres com­plètes de Maritain, volume VI, pp.1025–1026.

Le ton de cet échange entre les trois intel­lec­tuels fran­çais a quelque chose d’inspiré et, au vu des évé­ne­ments qui se sont pro­duits depuis, de vrai­ment pré­mo­ni­toire ! De fait, une évo­lu­tion consi­dé­rable s’est pro­duite dans l’esprit de la grande majo­ri­té des catho­liques qui les a peu à peu ame­nés à ces­ser de consi­dé­rer les autres reli­gions ‑le judaïsme et l’islam en particulier- comme fausses mais comme désor­mais res­pec­tables et deve­nues por­teuses de valeurs posi­tives qu’elles défendent de concert avec la reli­gion catho­lique. Pour dési­gner ces conver­gences et cette com­mu­nau­té d’intérêts, l’expression : « les trois grandes reli­gions mono­théistes » a été for­gée et a été una­ni­me­ment adop­tée dans le dis­cours des res­pon­sables poli­tiques et reli­gieux pour accom­pa­gner cette évo­lu­tion, la faire pas­ser dans les esprits et en favo­ri­ser le plein suc­cès. L’impact de cette expres­sion si bien trou­vée a été tel que nous avons pen­sé utile de recher­cher les causes qui en expliquent une si heu­reuse for­tune. Nous en ferons ensuite une petite ana­lyse phi­lo­so­phique et nous ter­mi­ne­rons en la fai­sant com­pa­raître devant le tri­bu­nal de la Foi.

Une expression qui a fait fortune

Cette expres­sion à la mode pour­rait, bien sûr, être uti­li­sée pour sim­ple­ment vou­loir rap­pe­ler que la croyance en l’unicité de Dieu est com­mune au Christianisme, à l’Islam et au Judaïsme. Parmi toutes les reli­gions qui existent à tra­vers le monde, il est en effet exact que ces trois, de toute pre­mière impor­tance, concordent en cette affir­ma­tion claire et fon­da­men­tale : il n’y a et il ne peut y avoir qu’un seul Dieu. Il n’est même pas besoin de les énu­mé­rer : cha­cun, aujourd’hui, lorsqu’il entend par­ler des « trois grandes reli­gions mono­théistes », sait par­fai­te­ment des­quelles il s’agit. Certes, il en existe d’autres qui le sont aus­si. Mais ces trois là, et de loin, sont admises comme étant les plus grandes, au moins par le rôle essen­tiel qu’elles ont joué et conti­nuent de jouer dans l’histoire des hommes et, pour deux d’entre elles, le chris­tia­nisme et l’islam, par le nombre de leurs fidèles ou de leurs adeptes. Personne ne son­ge­rait à leur contes­ter la qua­li­té de « reli­gion » puisque ce sont bien des rap­ports entre Dieu et les hommes que cha­cune d’entre elles entend établir.

Il faut éga­le­ment recon­naître, en ce cli­mat poli­tique et reli­gieux si ten­du en lequel nous vivons, que cette for­mule semble avoir le mérite d’être por­teuse d’un mes­sage de récon­fort, d’espoir et de paix. N’est-ce pas en effet un fort sym­bole et une réus­site que d’avoir su ain­si expri­mer le Christianisme, l’Islam et le Judaïsme en une seule et même expres­sion, expres­sion qui paraît d’autant plus irré­cu­sable qu’elle est soli­de­ment fon­dée sur un socle dog­ma­tique com­mun ? Vu l’importance fon­da­men­tale que toutes les trois accordent à leur foi mono­théiste, com­ment n’y découvriraient-​elles pas un ter­rain d’entente qui devrait éloi­gner les risques d’affrontements reli­gieux entre elles ?

Communément admise et accep­tée, aujourd’hui employée aus­si bien par les res­pon­sables poli­tiques que par les chefs reli­gieux, cette expres­sion désor­mais consa­crée appa­raît donc comme une trou­vaille de grande qua­li­té dont s’est doté le monde contem­po­rain afin de pou­voir expri­mer son res­pect pour la per­ma­nence du phé­no­mène reli­gieux dans la socié­té et sa recon­nais­sance de la pré­do­mi­nance de ses formes mono­théistes. Aucune des trois reli­gions, se voyant ain­si dis­tin­guée comme « grande » entre toutes, ne semble avoir de motif de se plaindre du choix de cette for­mule, certes ras­sem­bleuse, mais en même temps bâtie sur cette réa­li­té com­mune de leur croyance en un Dieu unique. Enfin, com­ment ne pas se réjouir aus­si de voir le pres­tige de cette tour­nure conçue pour par­ler des « trois grandes reli­gions mono­théistes « alors que l’on attend tou­jours que quelque tour équi­valent soit for­gé pour expri­mer, avec une solen­ni­té iden­tique, les prin­ci­pales reli­gions polythéistes ?

Le risque d’un mauvais procès ?

L’on pour­rait peut-​être se bor­ner à ces seuls com­men­taires et esti­mer inutile de vou­loir aller plus loin, d’attribuer en par­ti­cu­lier une éven­tuelle valeur phi­lo­so­phique à cette expres­sion et, plus encore, de la pas­ser au crible de la Foi catho­lique. A quoi bon en effet en fouiller le conte­nu si elle ne pré­tend pas des­cendre à ces pro­fon­deurs ? N’est-ce pas ris­quer de lui faire un mau­vais pro­cès alors qu’elle n’a rien deman­dé et ne veut sans doute rien d’autre que de bros­ser une des­crip­tion rapide et bien­veillante de l’existant reli­gieux du monde dans lequel nous vivons ?

Cependant, si nous admet­tons que l’on peut vou­loir uti­li­ser cette for­mule pour sim­ple­ment noter la croyance du Christianisme, de l’Islam et du Judaïsme en un seul Dieu, il serait, en revanche, illu­soire de pen­ser que l’extrême bana­li­sa­tion de son emploi ne contri­bue pas à déclen­cher ou à favo­ri­ser dans les esprits le che­mi­ne­ment de la pen­sée reli­gieuse moderne, celle qui se déclare res­pec­tueuse de toutes les reli­gions, de laquelle émane cette expres­sion et à laquelle elle apporte son concours.

Ce tour, à la fois res­pec­tueux des reli­gions, bien­veillant pour les mono­théismes, véri­table sym­bole d’espérance et d’apaisement des ten­sions reli­gieuses, se montre en effet très puis­sant pour incli­ner tous ceux qui l’emploient ou qui l’entendent à faire leurs ces sen­ti­ments de res­pect, de bien­veillance et d’espérance qu’il accré­dite avec brio.

Aussi, même si l’on concède la pos­si­bi­li­té d’en faire usage sans embras­ser pour autant la pen­sée qu’elle sug­gère, il est cepen­dant utile, pour évi­ter le risque de se lais­ser empor­ter, d’en appro­fon­dir le conte­nu phi­lo­so­phique et de l’examiner éga­le­ment sous le fais­ceau lumi­neux de la Foi.

Polythéisme ou monothéisme

L’expression qui retient notre atten­tion a réuni ces trois reli­gions ensemble aux deux motifs prin­ci­paux de leur gran­deur et de leur mono­théisme. En ce qui concerne ce second motif, il appa­raît visi­ble­ment comme étant un gage de leur hono­ra­bi­li­té et de leur sérieux : s’il est mis en avant, c’est jus­te­ment parce qu’il en impose. Le monde lui-​même se trou­ve­rait cer­tai­ne­ment bien plus embar­ras­sé de par­ler des reli­gions poly­théistes avec le même res­pect. Entendu dans un sens strict, le poly­théisme n’est en effet qu’un non-​sens phi­lo­so­phique que l’on pressent aisé­ment. Saint Thomas en fait la réfu­ta­tion en mon­trant l’impossibilité pour plu­sieurs indi­vi­dus (cha­cun ayant sa sub­stance propre ‑le concept de consub­stan­tia­li­té n’étant même pas imaginé-) d’avoir la nature pro­pre­ment divine (acte pur, esprit pur, tout-​puissant, créa­teur et maître de toutes choses). En effet, s’il existe plu­sieurs dieux pos­sé­dant la nature pro­pre­ment divine, cha­cun d’entre eux se devrait pour­tant d’être à l’origine de l’existence des autres dieux. Ce qui contre­dit alors la toute-​puissance de cha­cun d’entre eux. En ce sens strict, le poly­théisme n’a pas exis­té his­to­ri­que­ment ou à peine.

Les poly­théismes, qui sont don­nés dans l’histoire des reli­gions, s’il leur arrive de concé­der à l’un des « êtres divins » aux­quels ils croient, la nature pro­pre­ment divine, ne parlent pour tous les autres d’ « êtres divins » qu’au sens ana­lo­gique de ce mot : ce sont des esprits supé­rieurs aux hommes, qui peuvent avoir par­fois des corps et qui sont répar­tis hié­rar­chi­que­ment. Ils se perdent alors en ces mytho­lo­gies et en ces fables gros­sières sur la coexis­tence de ces dieux à qui sont prê­tés les qua­li­tés et les défauts des hommes.

La mise en valeur du mono­théisme que véhi­cule notre for­mule ne nous est donc évi­dem­ment pas désa­gréable par l’éloignement où elle se tient des absur­di­tés ou des fables du poly­théisme. Elle rejoint les conclu­sions les plus solides aux­quelles nous a accou­tu­més la théo­lo­gie natu­relle. En effet, la véri­té de l’existence d’un seul Dieu n’est une croyance qu’en rai­son de la cor­rup­tion du péché ori­gi­nel qui rend dif­fi­cile la décou­verte de cette véri­té à beau­coup d’hommes. Mais, en soi, il s’agit d’une connais­sance acces­sible à la seule rai­son et non d’une foi.

Bien loin de ce non-​sens du poly­théisme com­pris dans un sens strict ou des fables véhi­cu­lées par les poly­théismes his­to­riques, nous nous pla­çons donc réso­lu­ment sur le che­min frayé par Aristote et si bien dis­tin­gué ensuite par saint Thomas d’Aquin en ses fameuses « cinq voies de l’existence de Dieu ». Nous affir­mons que la rai­son seule est déjà apte à par­ve­nir à la cer­ti­tude de l’existence de Dieu et de son unicité.

Un seul Dieu mais trois religions

Si nous pou­vons donc nous féli­ci­ter du bon trai­te­ment que le mono­théisme reçoit de cette expres­sion, nous nous trou­vons en revanche confron­tés à une ques­tion qu’elle sou­lève immé­dia­te­ment. La fin de la reli­gion est de relier les hommes à Dieu et leur per­mettre de lui rendre ain­si l’honneur qui lui est dû. Notre for­mule semble donc nour­rir l’idée que trois reli­gions au moins rem­pli­raient ce rôle à l’égard du Dieu unique : un seul Dieu certes, mais au moins trois reli­gions qui se pro­po­se­raient aux hommes comme autant de voies pour l’honorer et y avoir accès.

Pourquoi pas ? Que la rai­son, pour le moment pri­vée des lumières de la Foi, s’interroge. Pourquoi Dieu n’aurait-Il pu, selon son bon plai­sir de Dieu, don­ner aux hommes diverses reli­gions qui, toutes, pour­raient conduire à Lui ? Différentes reli­gions que sa sagesse aurait ain­si accom­mo­dées à la diver­si­té des races, des civi­li­sa­tions, des âges, des tem­pé­ra­ments des peuples, à tra­vers le monde et au cours des siècles ? L’hypothèse ne semble pas dérai­son­nable et l’on ne voit pas trop, selon les seuls cri­tères de la rai­son, com­ment exclure une telle possibilité.

A consi­dé­rer les trois reli­gions visées par notre for­mule, il existe cepen­dant une dif­fi­cul­té de taille. C’est que ces trois reli­gions mono­théistes ne pré­sentent pas seule­ment des dif­fé­rences entre elles mais qu’elles se contre­disent gra­ve­ment et sur des ques­tions fon­da­men­tales. Pour com­men­cer par le com­men­ce­ment, elles s’opposent d’abord à pro­pos de ce que Dieu dit de lui-même.

Nous demeu­rons tou­jours sous l’éclairage de la seule rai­son, pour le moment pri­vée des lumières de la Foi, même si nous pro­je­tons main­te­nant ce regard pure­ment ration­nel sur le conte­nu des révé­la­tions des trois grandes reli­gions monothéistes.

Pour deux d’entre elles, le dogme de la Trinité est un blas­phème, un poly­théisme qui ne recon­naît pas son nom. Pour ces deux mêmes reli­gions, l’affirmation de l’Incarnation de Dieu et de la divi­ni­té de Jésus-​Christ sont d’autres blas­phèmes encore, indignes de la concep­tion qu’elles se font de Dieu. S’il était donc pos­sible d’admettre l’hypothèse de l’existence de plu­sieurs reli­gions dif­fé­rentes, com­ment pourrait-​on en revanche admettre de Dieu qu’Il aurait livré aux hommes, en dif­fé­rentes révé­la­tions suc­ces­sives, des asser­tions contra­dic­toires concer­nant sa propre identité ?

La consé­quence en est, pour la plus grande joie des ratio­na­listes, que, si une por­tion des hommes croit au mys­tère de la Trinité comme à la pru­nelle de sa Foi et serait prête à ver­ser son sang pour cette véri­té parce que Dieu la leur a révé­lée et qu’Il ne peut ni se trom­per ni les trom­per, les autres por­tions de l’humanité, avec une convic­tion qui semble toute égale, et pareille­ment au nom de ce que Dieu leur a révé­lé, com­battent farou­che­ment cette même croyance…

L’ambiguïté de cette for­mule consiste en réa­li­té à n’exprimer que la com­mune croyance de ces trois reli­gions en l’existence d’un Dieu unique, en lais­sant miroi­ter qu’un tel socle suf­fit à fon­der l’espoir d’une pos­si­bi­li­té d’entente entre elles. Mais elle passe entiè­re­ment sous silence, comme s’ils pou­vaient ne pas prê­ter à consé­quence, les désac­cords irré­duc­tibles qui opposent ces mêmes reli­gions au sujet de ce que Dieu a dit de Lui-​même. Cette expres­sion fait la magna­nime, celle qui par­vient à se pla­cer au-​dessus des cre­do reli­gieux et devient ain­si capable d’exhorter les reli­gions à savoir dépas­ser leurs différences.

Elle laisse accroire qu’il est déjà si satis­fai­sant que tant d’hommes s’accordent sur la véri­té de l’unicité de Dieu que les que­relles de révé­la­tions, pour tous les hommes sages, devraient vrai­ment être éva­cuées. C’est une sem­blable logique qui amè­ne­rait sans doute à vou­loir conso­ler des enfants igno­rant l’identité de leurs parents en leur disant que c’est bien assez pour eux d’avoir la cer­ti­tude qu’ils en ont et vrai­ment exa­gé­ré de vou­loir savoir en plus qui ils sont.

Par ailleurs, cette expres­sion dis­si­mule éga­le­ment, sous son appa­rence iré­nique, une ques­tion conjointe, pas moins fon­da­men­tale. Etant don­né que ces trois reli­gions se contre­disent gra­ve­ment, Dieu ne peut les avoir don­nées toutes les trois sans avoir men­ti au moins deux fois, soit à une grande par­tie d’entre les hommes soit peut-​être même à tous. Mais si Dieu est men­teur, Dieu n’est pas Dieu. Or, puisque Dieu est Dieu, Il n’est pas men­teur. Il ne peut donc être à l’origine d’au moins de deux de ces trois reli­gions et peut-​être des trois.

Dès lors, com­ment ne pas récu­ser l’usage d’une telle expres­sion lais­sant accroire que Dieu pour­rait être l’auteur de trois reli­gions qui se contre­disent ? C’est Dieu Lui-​même qui, sub­ti­le­ment, se retrouve gra­ve­ment dis­cré­di­té par cette for­mule : la rai­son suf­fit à le prouver.

Le regard de la Foi

Nous n’avons vou­lu mar­quer cette étape de l’examen phi­lo­so­phique de cette expres­sion sans tout de suite recou­rir au regard de la Foi pour mani­fes­ter que les pre­mières dif­fi­cul­tés qu’elle pose le sont donc d’abord à la raison.

Cependant, le seul regard déci­sif et défi­ni­tif est celui de la Foi au juge­ment de laquelle tout doit être confié. Et la Foi nous apporte la cer­ti­tude que Dieu n’a don­né aux hommes qu’une seule reli­gion et que cette reli­gion est le Catholicisme. C’est donc indû­ment que les autres reli­gions se déclarent être des reli­gions et sont appe­lées telles car elles ne viennent pas de Dieu et ne l’honorent pas, elles ne relient pas les hommes à Lui. Loin de les Lui conduire, elles en détournent.

A ce titre, cette expres­sion est outra­geante pour Dieu et des­truc­trice de la Foi puisqu’elle amène à pen­ser qu’Il a com­mu­ni­qué aux hommes trois reli­gions dont les « Fois » sont gra­ve­ment contra­dic­toires. La Foi Catholique, seule vraie, se retrouve ain­si pla­cée sur pied d’égalité avec deux autres « Fois » pour­tant vio­lem­ment anti-​trinitaires, contes­ta­trices de la Révélation Evangélique et cepen­dant consi­dé­rées comme tout autant res­pec­tables qu’elle.

C’est en vain que l’on pré­tend échap­per à la ques­tion essen­tielle de la véri­té de l’enseignement de Jésus-​Christ : elle est une pierre d’achoppement pour tout homme. La vie sur la terre de tout un cha­cun ne peut se dérou­ler autre­ment qu’en fonc­tion de Lui, que l’on se sou­mette à sa loi, à son sang rédemp­teur et à son amour ou qu’on le rejette.

Nous croyons, quant à nous, de toute notre âme qu’Il est réel­le­ment la deuxième Personne de la Sainte Trinité qui s’est incar­née, que son ensei­gne­ment est par­fai­te­ment vrai, sans l’ombre d’une erreur. Nous lui sommes infi­ni­ment recon­nais­sants de tout ce que, par pur amour, Il nous a dévoi­lé du sanc­tuaire de sa vie divine et nous ne pou­vons ima­gi­ner de pire blas­phème que celui qui consis­te­rait à reje­ter comme men­son­gères les paroles que Dieu a dites de lui-même.

Or, à bien des reprises, Il nous a répé­té que le rejet que les hommes feraient de Lui serait, en réa­li­té, le rejet de Dieu Lui-​même et que ceux qui l’outrageaient, outra­geaient son Père : « Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé. » Jean V, 23.

Et encore : Qui vous méprise me méprise, et qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé. » Luc X, 16.

Bien que leurs motifs soient diver­gents, les juifs (tenants du judaïsme) et les musul­mans se retrouvent, les uns et les autres, en ce refus farouche de la divi­ni­té de Notre Seigneur et du mys­tère de la Sainte Trinité. Ils sont donc bien ceux qui n’honorent pas le Fils et qui ne peuvent donc hono­rer le Père qui l’a envoyé. Ils sont ceux qui méprisent le Fils et qui méprisent son Père qui l’a envoyé.

C’est d’eux que Notre Seigneur a dit « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sor­ti et que je viens…Vous, vous avez le diable pour père, et ce sont les dési­rs de votre père que vous vou­lez accom­plir. » Jean VIII, 43

L’Islam et le Judaïsme se leurrent et ils égarent très gra­ve­ment leurs adeptes à vou­loir hono­rer Dieu alors qu’ils rejettent pré­ci­sé­ment Dieu qui est venu par­mi nous pour nous dire qui Il était.

Ces « deux reli­gions » peuvent sans doute être dites grandes par leur rôle his­to­rique et par le nombre de ceux qu’elles ont per­du pour tou­jours. L’Islam peut encore être dit grand par le nombre de ses adeptes. Mais, avant tout, ces « reli­gions » doivent d’abord être dites fausses, fausses reli­gions. Lorsqu’on parle d’elles, la véri­té demande que ce soit la pre­mière des choses qui doive être rap­pe­lée à leur sujet sous peine de faire perdre la foi aux catho­liques par la confu­sion que l’on met dans leurs esprits et de man­quer à la cha­ri­té à l’égard des infi­dèles en ne leur disant plus qu’ils se trouvent dans les ténèbres de l’erreur.

Par ailleurs, en rai­son des dégâts pro­vo­qués par le faux œcu­mé­nisme qui a triom­phé dans les esprits, il est aus­si gra­ve­ment pré­ju­di­ciable de par­ler du « chris­tia­nisme » comme d’un bloc à côté du Judaïsme et de l’Islam sans prendre le soin de pré­ci­ser sou­vent et net­te­ment que d’innombrables « reli­gions » se réclament effec­ti­ve­ment de Notre Seigneur Jésus-​Christ mais que, par­mi elles, seule est vraie la reli­gion catho­lique. De même que l’on ne peut se décla­rer satis­faits de savoir que les juifs et les musul­mans sont au moins mono­théistes, de la même manière, on ne sau­rait se conten­ter de savoir que de nom­breux hommes recon­naissent plus ou moins la divi­ni­té de Notre Seigneur dans une doc­trine affreu­se­ment dégra­dée par les héré­sies, en par­ti­cu­lier celles, véri­ta­ble­ment ter­ri­fiantes, de Luther et de Calvin.

Comme l’a fait remar­quer saint Thomas d’Aquin : « Un péché est d’autant plus grave qu’on est par lui plus sépa­ré d’avec Dieu. Or, c’est par l’infidélité que l’on est le plus éloi­gné de Dieu, parce que qu’on n’a pas la vraie connais­sance de Lui et que, par la fausse connais­sance qu’on a de lui au contraire, on ne s’approche pas mais on s’écarte plu­tôt de Dieu. » IIa IIae Qu 10 art. 3. Selon notre grand Docteur, ces fausses reli­gions et ces diverses héré­sies, consti­tuent donc le plus grave des péchés par la sépa­ra­tion d’avec Dieu qu’elles entraînent. Loin de devoir consi­dé­rer que, par les véri­tés qu’elles tiennent cap­tives, elles pour­raient, dans une cer­taine mesure, rap­pro­cher de Dieu, saint Thomas indique net­te­ment qu’elles en écartent.

Certains diront que Benoît XVI n’emploie cette expres­sion que par com­mo­di­té diplo­ma­tique. Nous ne le pen­sons pas et nous croyons même que cette manière de défendre le Souverain Pontife ne rend guère hom­mage au cou­rage indé­niable qui est le sien. Nous croyons au contraire que le pape, lorsqu’il uti­lise cette expres­sion, exprime une pro­fonde pen­sée d’estime pour ces autres grandes reli­gions. C’est pour­quoi les dis­cus­sions théo­lo­giques entre Rome et la Fraternité, vou­lues des deux côtés, s’avèrent bien comme étant tra­gi­que­ment néces­saires. En effet, il appa­raît clai­re­ment, sur ce seul exemple, que, entre l’usage cou­rant que Benoît XVI fait de cette expres­sion et le rejet indi­gné qu’en fai­sait Monseigneur Lefebvre, il y a un abîme qui n’est pas seule­ment de mots mais de doctrine.

Abbé Régis de Cacqueray, Supérieur du District de France

Suresnes, le 28 juillet 2009

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.