Abbé Marc Vernoy
Le prêtre est alter Christus. Nous allons contempler ce mystère sur les routes de Notre-Dame de Chartres au Sacré-Cœur.
Il est l’instrument humain, vivant et libre qui voue tout son corps, toute son âme, tout son cœur et tout son esprit au service de Dieu, dans la communion avec l’évêque. Le prêtre n’est plus un homme comme les autres depuis l’onction sacerdotale.
Ce jour-là, Notre-Seigneur Jésus-Christ est devenu son unique raison d’être. Tout ce qu’il est, tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait, tout ce qu’il a doit être de Dieu. Toute sa vie doit se conformer à la perfection des dons reçus. Il est l’instrument de la sanctification des baptisés à travers la confection et la dispensation des sacrements, sanctificare, prolongement véritable de la vie et de l’action du Christ au plus profond de nos êtres.
Il est la bouche prophétique du Dieu incarné pour continuer à Le donner aux intelligences pour maintenir et répandre la foi et la pratique de la vie surnaturelle dans cette vallée de larmes, docere.
Il est le bras de Dieu dans le gouvernement des âmes, lorsqu’il conseille, qu’il met en garde, qu’il reprend, qu’il dirige, qu’il ordonne, gubernare.
La potestas sanctificandi agit en vertu de l’autorité de bienfaisance divine.
La potestas docendi répand l’enseignement du Verbe de Dieu.
Enfin, la potestas gubernandi entend restaurer l’autorité de l’ordre originel, par l’instaurare omnia in Christo, tout récapituler en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cette dernière est la consommation de l’esprit de Charité qui unit tout dans le Christ, qui unit toutes les volontés à la volonté de Dieu, pour le Ciel.
Si les cœurs ordonnent leurs amours selon l’amour du Christ, ils font la volonté de Dieu et s’aiment les uns les autres en Dieu.
« Or voici son commandement : croire au nom de son Fils Jésus Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous en a donné le commandement. Et celui qui garde ses commandements demeure en Dieu et Dieu en lui ; à ceci nous savons qu’il demeure en nous : à l’Esprit qu’il nous a donné. » (1Jean 3, 23–24)
Les potestates docendi et sanctificandi s’accomplissent vraiment dans la potestas gubernandi.
C’est à cette dernière qu’Adam s’est attaqué, c’est cette dernière que les hommes ont le plus de mal à respecter et à suivre.
Et l’homo, qui devrait être sapiens, continue à se révolter contre l’ordre voulu par le Créateur en ce monde, pour l’autre monde.
La crise de l’Église et de la société a, me semble-t-il, la même origine : l’esprit d’indépendance. Cet esprit de révolte entend rompre le lien essentiel et vital de toute autorité avec l’autorité de Dieu.
« Il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu. » (Romains 13, 1)
La Révolution manifeste ouvertement cette rupture. Et dans l’Eglise, le Concile Vatican II avec son slogan révolutionnaire « liberté religieuse, œcuménisme, collégialité » rompt le lien avec l’autorité du Verbe de Dieu. L’idéologie « laïciste et démocratiste » est à la racine de cette scission sans précédent. Reconnaissons aussi que dans cette crise, au milieu des batailles, l’esprit de 68 a soufflé et souffle encore, jusque dans nos rangs, jusque dans nos œuvres de Tradition. On entend nous faire croire que, contrairement à ce que l’Écriture et la nature nous enseignent, l’autorité ne vient plus d’en haut, mais d’en bas.
Cette profanation de l’autorité dans nos sociétés « avancées » souille malheureusement l’esprit les chefs et leurs sujets. Elle corrompt la saine et nécessaire confiance réciproque. Que l’on ne s’étonne pas ensuite des excès totalitaires ou anarchiques dans la pratique de l’autorité, de l’insoumission et du relativisme des peuples. Et le désordre gâte la famille, la patrie, l’Église, toutes les sociétés voulues par Dieu.
Lorsque la transcendance de l’autorité est rejetée sinon en principe, du moins en pratique, la personne prend le pas sur la fonction. Et le mépris infecte les regards et du chef, et du sujet, quant à la fonction sacrée de l’autorité. Le chef, comme le sujet, deviennent alors incapables de se sacrifier pour le bien commun. La ligne généreuse de l’horizon, entre Ciel et terre s’affaisse vers le gouffre ténébreux de l’égoïste nombril.
Ravivons notre confiance en l’autorité ! L’esprit de foi nous porte à reconnaître dans nos prêtres, par delà leurs défauts personnels, les grâces d’état de leur fonction sacrée pour le gouvernement des âmes. Que chacun, à sa place, adopte cette vue surnaturelle qui permet d’oublier l’instrument humain pour voir Dieu dans la fonction.
Ainsi l’autorité et la confiance réciproque, dans la prudence et la transparence du prêtre et dans la générosité et le bon esprit du fidèle, continueront à être les meilleurs outils de la Charité ici-bas.
Abbé Marc Vernoy
Extrait d’Apostol n° 33 du printemps 2007