Chers fidèles,
Trente-trois ans après la fondation de la Fraternité Saint-Pie X et quinze ans après les consécrations épiscopales, nous pouvons plus que jamais nous émerveiller de la bonté de la divine Providence envers nous. Mgr Marcel Lefebvre a toujours interprété la reconnaissance canonique de la Fraternité et son extension mondiale comme un signe de la Providence :
« Cela n’était-il pas providentiel ? Cette date du 1er novembre 1970 est à mes yeux un événement capital dans notre histoire : c’est l’acte de naissance officiel de la Fraternité ; c’est l’église qui, ce jour-là, l’a enfantée. La Fraternité est une ouvre d’église. Pour moi, j’aurais eu horreur de fonder quoi que ce soit sans l’approbation d’un évêque. Il fallait que ce soit d’église (Fideliter nº 59). »
Ni les attaques, ni les sanctions, ni les diffamations de la part de la hiérarchie officielle, ni même les circonstances de plus en plus difficiles pour mener de nos jours une vie vraiment chrétienne, n’ont pu empêcher l’œuvre de la Fraternité de croître et de s’étendre. Les nombreuses constructions d’églises et créations d’écoles, l’inauguration du magnifique centre paroissial Sancta Maria avec la fondation de la communauté de religieuses à Wil, les nombreuses jeunes familles, le nombre élevé des entrées dans nos séminaires du monde entier en sont la preuve visible.
Au contraire, la persécution n’a fait que rendre la tradition plus forte. Ceci est une vérité qu’on peut constater dans l’histoire de l’église. Lorsqu’en 1860, lors du combat contre les états de l’église, le ministre français des affaires étrangères Thouvenel menaça le Pape « d’une persécution très forte » contre l’église, Antonelli, le Secrétaire d’état de Pie IX, répondit que l’église avait plutôt l’habitude de devenir plus forte par la persécution.
Mais pour nous, plus que les attaques de l’extérieur, c’est notre propre faiblesse intérieure qui est à craindre. Car un combat prolongé est fatigant. Il est décourageant pour un petit groupe d’avoir constamment à se battre contre le courant tout-puissant des masses et de l’opinion publique. Pour Mgr Lefebvre il semblait logique que la crise de l’église allait durer longtemps et que nous avions à nous préparer à un long combat contre les doctrines modernistes. Aujourd’hui, ce combat dure déjà depuis trente ans, on est fatigué, on en a assez d’être toujours différents et on aspire à l’unité, à la paix et à la tranquillité. C’est pourquoi il arrive régulièrement que certains prêtres, mais aussi des fidèles, qui avaient tenu bon, longtemps, dans la tourmente, deviennent soudain faibles et abandonnent le combat de la tradition – quelles que soient par ailleurs les raisons qu’ils invoquent.
Ce fatalisme religieux conduit à une diminution progressive des exigences et à l’adaptation, et il est d’autant plus compréhensible – mais aussi d’autant plus dangereux ! – qu’émanent soudain de la part des autorités romaines des signaux qui rompent un silence de 30 ans. Ici, on suspend un prêtre (Hasenhüttl) parce qu’il donne la communion à des protestants (ce qui pourtant aujourd’hui a lieu partout au vu et au su des évêques) ; là, le cardinal Medina découvre, après une étude approfondie, que l’ancienne messe n’a jamais été interdite, et le cardinal Ratzinger vient de confirmer cette découverte dans une interview le 5 septembre. Un autre cardinal, Castrillon Hoyos, célèbre officiellement la messe selon le rite tridentin en la Basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome. Le pape publie une lettre encyclique sur l’eucharistie qui rappelle l’enseignement du Concile de Trente. Ces signes positifs, et il y en a d’autres, annoncent-ils un tournant ? Le croire est certainement prématuré, car comme dit le dicton : « une hirondelle ne fait pas le printemps ». Il ne faut pas surestimer l’importance de ces quelques données positives, mais attendre qu’elles soient suivies de faits.
D’aucuns pensent – comme M. l’Abbé Paul Aulagnier (pendant de longues années l’un des collaborateurs les plus proches de Mgr Marcel Lefebvre, et longtemps Supérieur du district de France) – que la direction de la Fraternité n’est pas assez enthousiaste envers les offres romaines ; Rome voudrait « tout nous donner », c’est-à-dire l’autorisation de célébrer l’ancienne messe, la reconnaissance canonique et la levée de l’excommunication ; il nous serait bon d’accepter une solution pratique, c’est-à-dire de pouvoir célébrer l’ancienne messe, tout en laissant de côté les questions théologiques et sans juger ni remettre en cause les erreurs modernes (ocuménisme, doctrine du salut universel, liberté religieuse, atteintes de la foi, etc.).
Un accord prématuré, soit une union seulement pratique avec Rome, sans faire intervenir les causes qui sont à l’origine de la crise de la foi, ne serait pas seulement dangereux mais faux. A combien de groupes et de communautés la hiérarchie officielle n’a-t-elle pas fait de promesses, et tous ont dû déchanter, et finir par accepter la nouvelle messe, accepter le concile Vatican II dans son ensemble, et même justifier « l’esprit d’Assise » ? Rome ne veut pas tout nous donner parce qu’elle ne le peut pas. Elle ne peut même pas imposer ses propres ordonnances et réformes. Ces ordonnances une fois publiées ne changent rien à la pratique dans les diocèses et les paroisses. Par exemple, qu’a donc changé la publication de l’encyclique sur l’eucharistie ? Les évêques modernistes n’y voient qu’un appel à la poursuite de l’ocuménisme, et déjà l’annonce de quelques prescriptions plus détaillées (interdiction de la danse pendant la messe, interdiction aux filles de servir la messe) amène un véritable soulèvement dans les églises locales. Comment Rome pourrait-elle autoriser partout la célébration de l’ancienne messe, si les modernistes ne se soucient pas le moins du monde de lui obéir ? Même si Rome nous promet de grandes choses, elle ne peut tenir ses promesses devant la pression des évêques locaux et de la base moderniste.
Il faut s’abstenir de toute euphorie naïve et rester objectif en prenant en compte, en plus de ces prétendus « signaux positifs », d’autres signaux qui montrent clairement que la hiérarchie officielle ne renonce pas aux erreurs modernes. Ainsi, à la question de savoir si on pouvait penser que Rome « avait tendu la main à Ecône », un autre cardinal, le dominicain genevois Georges Cottier, répondait :
« C’est tout à fait faux. Il y a bien sûr des personnes qui cherchent à faire de l’ocuménisme à l’intérieur de l’église catholique. Mais il est exclu de revenir en arrière. Ecône, c’est la négation de Vatican II : c’est une attaque contre la liturgie, l’ocuménisme et la liberté religieuse. En Suisse cela a divisé beaucoup de familles en Valais, alors que c’est un mouvement surtout typique d’un certain milieu social français. Mais ce n’est pas ce problème-là qui va déterminer la politique de l’église. »
Si le théologien de la Maison pontificale, qui veille sur la doctrine et les écrits pontificaux, dit qu’Ecône n’est pas un thème de la politique romaine, il faut être bien naïf pour parler actuellement « d’une attitude totalement nouvelle » envers nous.
Une deuxième raison montre qu’il serait prématuré d’envisager un accord et une solution pratique avec Rome. Sous le pontificat actuel, l’église romaine s’est excusée dans une centaine de déclarations des « péchés » commis par l’église dans le passé. Mais ni le pape ni la majorité des cardinaux et des évêques ne semblent être en mesure d’avouer ouvertement qu’avec le concile, à la faveur d’une nouvelle théologie, une rupture a été opérée dans l’église, rupture qui a conduit à l’actuelle crise de l’église : perte de la foi, disparition des vocations, des institutions ecclésiastiques ; destruction de la liturgie, des églises, de l’identité de l’église, des missions. Bien entendu, un changement dans l’église n’améliorera pas tout d’un seul coup. Mais pour sortir d’une impasse, il faut reconnaître qu’elle existe. Ce qui ne semble pas encore être le cas. C’est pour cela que sans nous résigner à cette situation et sans vouloir non plus prendre des risques de façon prématurée, nous devons plutôt utiliser toutes nos forces pour rester fidèles à la vraie foi et pour accomplir nos devoirs de chrétiens avec un amour toujours plus pur.
Gardons confiance et laissons Dieu décider à quel moment il mettra de l’ordre dans son sanctuaire et conduira l’église à un renouveau.
Abbé Niklaus Pflüger, Supérieur du District de Suisse