Entretien avec l’Abbé de Cacqueray au journal Présent

Un grand entretien de l’Abbé de Cacqueray

Le quo­ti­dien Présent donne la parole à mon­sieur l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, Supérieur du District de France pour la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X.

Il y a bien long­temps qu’un per­son­nage impor­tant de la FSSPX n’a­vait pas eu l’oc­ca­sion de s’ex­pri­mer dans les colonnes de ce quo­ti­dien : à ne man­quer sous aucun pré­texte. (En vente dans tous les kiosques).

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Présent : Monsieur l’Abbé de Cacqueray, vous êtes né en 1967, troi­sième d’une famille de neuf enfants. Après vos études sace­ro­tales à Ecône, vous avez été ordon­né prêtre en 1992. Durant dix ans, vous avez exerce votre minis­tère à l’é­cole Saint-​Joseph-​des-​Carmes, dans l’Aude, comme col­la­bo­ra­teur puis comme direc­teur. Le 15 août 2002, vous avez été nom­mé Supérieur du District de France de la Fraternité sacer­do­tale Saint-​Pie X, à la suite de l’ab­bé Laurençon. Pour com­men­cer, que recouvre exac­te­ment ce vocable de District de France.

Abbé de Cacqueray : Si vous me pas­sez cette expres­sion un peu tri­viale, je dirai que ce District, fon­dé en 1976, est aujourd’­hui, grâce à un patient tra­vail, une jolie bou­tique. Alors que le cler­gé offi­ciel uti­li­sait tous les moyens pour leur bar­rer la route, mes pré­dé­ces­seurs sont par­ve­nus à tis­ser un maillage ser­ré de prieu­rés, de cha­pelles et d’é­coles. Grâce à Mgr Lefebvre, c’est une petite chré­tien­té qui a sur­gi en quelques années des ruines accu­mu­lées par la tor­nade conciliaire.
En dépit des heures dou­lou­reuses que nous venons de tra­ver­ser avec M. l’ab­bé Aulagnier, je dois saluer ici ses mérites immenses dans la nais­sance et le déve­lop­pe­ment du District. Il en a vrai­ment été la che­ville ouvrière, et notre pro­fonde recon­nais­sance lui demeure acquise. C’est à ses deux suc­ces­seurs, MM. les abbés de Jorna et Laurençon, qu’il est reve­nu de conso­li­der ces ouvres, tra­vail moins visible mais qui a pro­cu­ré son actuelle robus­tesse à la Fraternité en France.
Par le nombre de ses prêtres (140), de ses prieu­rés (35) et de ses écoles (20), le District est déjà deve­nu plus impor­tant que nombre de petits. dio­cèses fran­çais. D’autant que viennent l’é­pau­ler les com­mu­nau­tés reli­gieuses amies, qu’elles soient vouées à la contem­pla­tion ou à l’a­pos­to­lat actif, qui repré­sentent une force considérable.

Présent : Quel est l’axe de votre tra­vail comme Supérieur de District ?

Abbé de Cacqueray : Je dirai que c’est la trans­mis­sion de la foi, l’ap­pro­fon­dis­se­ment de la foi. Ce que le père Emmanuel, du Mesnil Saint-​Loup, appe­lait l’ouvre du réta­blis­se­ment du chris­tia­nisme chez les chrétiens ».
Tout d’a­bord, nous avons a cœur de for­mer à la foi et à la vie chré­tienne les enfants, par nos écoles. Ces écoles néces­sitent des sacri­fices incroyables de la part des parents, des fidèles et de la Fraternité elle-​même. Mais nous esti­mons qu’il s’a­git du chan­tier prio­ri­taire. Les jeunes qui sortent four­nissent chaque année un contin­gent de voca­tions solides, et ceux qui choi­sissent de res­ter dans la vie laïque s’en­gagent, pour beau­coup, dans une vie chré­tienne fer­vente et une action mili­tante pour le règne du Christ-​Roi, preuve que la trans­mis­sion de la foi s’accomplit.

Présent : Vous misez donc tout sur la for­ma­tion de la jeunesse ?

Abbé de Cacqueray : Pas exclu­si­ve­ment. Il faut éga­le­ment entre­te­nir et appro­fon­dir la foi chez les adultes. Notamment parce que nombre de nos fidèles ont décou­vert l’exis­tence de la Fraternité Saint-​Pie X depuis les sacres de 1988. A ces nou­veaux venus, il faut dis­pen­ser une for­ma­tion chré­tienne de qualité.
Nos prêtres le font par les ser­mons, les bul­le­tins, les retraites, etc. Mais cela ne suf­fit pas. Car nous tra­ver­sons depuis qua­rante ans une pro­fonde crise doc­tri­nale, et les chré­tiens ont besoin d’être éclai­rés. La Fraternité s’in­ves­tit donc dans le tra­vail doc­tri­nal, par la publi­ca­tion d’ou­vrages et par la tenue annuelle de sym­po­siums théo­lo­giques consa­crés à Vatican 11.
Cette bataille doc­tri­nale menée par la Fraternité Saint-​Pie X est d’au­tant plus néces­saire que celle-​ci demeure aujourd’­hui à peu près la seule à la mener. Il suf­fit de voir le concert d’ap­plau­dis­se­ments qui a reten­ti à l’oc­ca­sion des vingt-​cinq ans de pon­ti­fi­cat de Jean-​Paul II. Certes, il est légi­time, en soi, de célé­brer un tel jubi­lé. Mais on ne peut oublier que Jean-​Paul II est le pape qui, par exemple, a bai­sé le Coran. Les pre­miers chré­tiens mou­raient pour avoir refu­sé de jeter quelques grains d’en­cens aux idoles, et aujourd’­hui de tels gestes n’en­traînent presque plus de réac­tions de la part des catholiques !

Présent : Parlant de l’ab­bé Aulagnier, vous avez signa­lé des » évé­ne­ments dou­lou­reux « . Pouvez-​vous pré­ci­ser sa situa­tion actuelle ?

Abbé de Cacqueray : Monsieur l’ab­bé Aulagnier a été, depuis 1970, Assistant, c’est-​à-​dire conseiller du Supérieur géné­ral de la Fraternité, actuel­le­ment Mgr Fellay. A ce titre, il avait le droit, et même le devoir, dans le cadre du Conseil géné­ral de la Fraternité, d’ex­pri­mer son avis sur la poli­tique à mener, il ne s’est d’ailleurs pas pri­vé de le faire au cours de ces trente années.
Toutefois, le rôle d’Assistant ne com­porte que le conseil : c’est au Supérieur géné­ral, élu par la congré­ga­tion, qu’ap­par­tient la déci­sion finale. Or, Monsieur l’ab­bé Aulagnier, depuis plu­sieurs années, ne cesse de mettre en cause, et de façon par­ti­cu­liè­re­ment publique, les déci­sions du Supérieur géné­ral. De plus, il a pris plu­sieurs ini­tia­tives d’une extrême gra­vi­té, contraires, non seule­ment aux consti­tu­tions de la Fraternité, mais encore à des ordres for­mels, écrits et oraux, du Supérieur général.
Aucune socié­té ne peut tolé­rer long­temps de tels com­por­te­ments, sauf à ris­quer l’au­to­des­truc­tion. C’est pour­quoi, d’a­bord le 1er mai 2003, ensuite le 30 juin 2003, Mgr Fellay a envoyé une » moni­tion cano­nique » à M. l’ab­bé Aulagnier, l’a­ver­tis­sant qu’en rai­son de son com­por­te­ment, il ris­quait l’ex­clu­sion de la Fraternité. M. l’ab­bé Aulagnier, mal­gré ces aver­tis­se­ments, a encore aggra­vé ses cri­tiques publiques contre l’au­to­ri­té légi­time. Mgr Fellay a donc dû consta­ter qu’il s’é­tait sépa­ré lui-​même de la Fraternité, et a pro­non­cé son exclu­sion selon les règles du droit.
Eu égard aux mérites anté­rieurs de M. l’ab­bé Aulagnier, il s’a­git d’une déci­sion très dou­lou­reuse, qui désole cha­cun des prêtres et des amis de la Fraternité. Mais cette déci­sion était néces­saire, si le Supérieur géné­ral ne vou­lait pas se trou­ver demain devant une congré­ga­tion abso­lu­ment ingou­ver­nable, où cha­cun n’en ferait qu’à sa guise.

Présent : L’exclusion de L’abbé Aulagnier n’est-​elle pas le symp­tôme d’un dur­cis­se­ment de la Fraternité Saint-​Pie X, notam­ment dans ses rap­ports avec Rome ?

Abbé de Cacqueray : Absolument pas. Tout d’a­bord, comme je viens de le dire, M. l’ab­bé Aulagnier n’a pas été exclu parce qu’il sou­hai­tait la signa­ture d’un accord avec Rome mais, si l’on peut résu­mer la chose ain­si, parce qu’il se com­por­tait plus ou moins comme s’il était lui-​même le Supérieur géné­ral, ou son égal.
Par ailleurs, La Fraternité n’est pas « figée », « dur­cie » dans une atti­tude de refus et de méfiance qui date­rait de dix ou vingt ans, et qui ne tien­drait aucun compte de l’é­vo­lu­tion de la situa­tion dans l’Eglise. Nous per­ce­vons les chan­ge­ments en cours, chan­ge­ments d’hommes et de men­ta­li­tés, et nous y sommes atten­tifs, car ils ouvrent des pos­si­bi­li­tés impré­vues, et à cer­tains égards plus favo­rables. Par exemple, je remarque un prag­ma­tisme gran­dis­sant de la part des auto­ri­tés reli­gieuses de plus en plus d’é­vêques nous donnent accès en cer­taines occa­sions aux églises, nous « laissent faire ».
Donc, dans la réflexion de la Fraternité, rien n’est tabou, rien n’est reje­té a prio­ri. Cependant, l’arbre ne doit pas cacher : la forêt la crise est tou­jours là, je dirais plus que jamais Là. Et mal­heu­reu­se­ment, mal­gré une situa­tion qui change sur cer­tains points, nous ne per­ce­vons pas une réelle volon­té, de la part des auto­ri­tés romaine, de reve­nir à la tra­di­tion propre de l’Eglise catholique.
De leur côté, « les oppo­sants de l’in­té­rieur « , notam­ment la mou­vance Ecclesia Dei, s’op­posent fort peu aux erre­ments, quand ils ne les couvrent pas d’un silence complice.
Nous ne refu­sons donc pas les contacts avec Rome : nous sai­sis­sons au contraire toutes les occa­sions qui nous sont offertes de ren­con­trer les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques qui veulent bien nous rece­voir. Attachés vis­cé­ra­le­ment, comme le disait Mgr Lefebvre en 1974, « à la Rome catho­lique, gar­dienne de la foi catho­lique et des tra­di­tions néces­saires au main­tien de cette foi « , nous ne pou­vons qu’être dési­reux d’a­voir des Contacts avec le Siège apos­to­lique, qui nous per­mettent de témoi­gner de la foi catho­lique. D’ailleurs, ces contacts existent encore actuel­le­ment, même s’ils sont moins fré­quents et moins média­ti­sés qu’à d’autres périodes.
Au centre de la voca­tion de la Fraternité, il y a ain­si une orien­ta­tion de cœur vers le Siège apos­to­lique, tout sim­ple­ment parce que cela consti­tue un élé­ment essen­tiel de la foi et de l’i­den­ti­té catho­liques. En la crise pré­sente, cette orien­ta­tion est encore plus forte, car nous savons que le salut vien­dra seule­ment de Rome, de Rome retrou­vant sa propre tra­di­tion. Mais ces contacts avec Rome, si nous vou­lons qu’ils soient utiles et fruc­tueux, doivent avoir pour fon­de­ment la confes­sion de la foi dans sa véri­té plénière.

Présent : Vous ne dési­rez donc pas l’ac­cord pra­tique que Rome vous offre ?

Abbé de Cacqueray : Tout d’a­bord, il est erro­né de dire que Rome nous offre actuel­le­ment un accord pra­tique. On en parle, on l’é­voque, on l’i­ma­gine, mais per­sonne n’en a jamais vu les contours exacts.
Ensuite, lorsque l’ac­tuel cycle de conver­sa­tions a été enta­mé, à la fin de l’an­née 2000, nous avons sou­mis aux auto­ri­tés ecclé­sias­tiques deux préa­lables, néces­saires pour réta­blir la confiance. Or, ces préa­lables, sur­tout celui libé­ra­li­sant la messe tra­di­tion­nelle pour les prêtres du monde entier, ont été refu­sés for­mel­le­ment par Rome.
Par ailleurs, l’exemple de Campos est loin d’être ras­su­rant sur le résul­tat d’un accord pra­tique. En par­ti­cu­lier, l’é­vo­lu­tion de Mgr Rifan, l’ac­tuel Supérieur de Campos, est stu­pé­fiante. Par exemple (et ce n’est qu’un exemple par­mi d’autres), Mgr Rifan est allé com­mu­nier lors de la messe de rite Paul VI célé­brée par le nonce à l’oc­ca­sion des funé­railles de Mgr Navarro, ancien évêque de Campos. Or, tant la Fraternité que Campos avant l’an 2000 ont tou­jours affir­mé que, si la nou­velle messe pou­vait être valide, elle était néan­moins mau­vaise et qu’on ne pou­vait y par­ti­ci­per acti­ve­ment. Cette glis­sade est consternante.
Enfin et sur­tout, la pra­tique, dans l’Eglise, doit être gou­ver­née par la doc­trine. Notre but n’est pas un petit accord pra­tique, tout sim­ple­ment parce que notre situa­tion actuelle ne résulte pas d’une petite diver­gence pra­tique. Il y a entre Rome et nous, aujourd’­hui, un abîme qui s’ap­pelle, disait Mgr Lefebvre en 1974, « le concile Vatican Il et, après le concile, toutes les réformes qui en sont issues « . Voilà le vrai pro­blème. Mais, un accord dans le cadre d’un véri­table retour de Rome vers sa propre tra­di­tion (même si ce retour n’est pas encore plei­ne­ment ache­vé), mille fois oui ! Mais un accord aujourd’­hui, face à « l’ho­ri­zon indé­pas­sable dc Vatican Il », cela me semble à la fois illu­soire et dangereux.

Présent : Quel rôle assignez-​vous alors à la Fraternité Saint-​Pie X aujourd’hui ?

Abbé de Cacqueray : D’abord, tra­vailler à la sanc­ti­fi­ca­tion de ses prêtres et de ses fidèles. C’est une réa­li­té qu’il ne faut jamais oublier.
En ce qui concerne les rap­ports avec Rouie, la Fraternité Saint-​Pie X ouvre dans la mesure de ses moyens au retour des hommes d’Eglise à la tra­di­tion même de l’EgLise. Pour cela, il est néces­saire qu’elle ne cède pas un pouce sur le ter­rain doc­tri­nal, et dénonce les errances post-​conciliaires. Le « minis­tère cri­tique » de la Fraternité Saint-​Pie X est le meilleur ser­vice qu’elle puisse rendre à Rome. Si elle arrê­tait de le faire, quelle résis­tance pro­pre­ment doc­tri­nale exis­te­rait encore ? Et com­ment les auto­ri­tés romaines s’apercevront-​elles un jour de leurs erreurs, si per­sonne n’a le cou­rage de les leur signaler ?
Nous espé­rons, nous dési­rons, nous atten­dons le jour ou nous pour­rons agir dans un cadre cano­nique plei­ne­ment cla­ri­fié. Mais ce jour reste le secret de Dieu. En atten­dant, prions et travaillons.

« Les hommes d’armes bataille­ront, et Dieu don­ne­ra la victoire. »

Propos recueillis par Jeanne Smits

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.