L’histoire du bon larron de l’Evangile nous est familière. Le bon larron était un bandit au temps de Jésus. Il fut condamné à la même peine que le mauvais larron et que Jésus-Christ : la crucifixion. Peu avant la mort du Christ et alors que tous trois étaient déjà mis en croix, le mauvais larron se mit à insulter Jésus. Mais le bon larron prit la défense de Jésus, se repentit de ses péchés. L’Église l’a reconnu comme saint sous le nom de Dismas, en vertu de la promesse que lui a faite le Christ : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23, 40).
L’histoire du « bon larron » de Four Place mérite aussi d’être connue. Il est vrai qu’elle ne bénéficie pas de la même infaillibilité (inerrance) qui découle de l’inspiration divine de la Sainte Ecriture, mais elle a le mérite d’être une histoire vraie, vécue, et celui qui l’écrit peut en rendre témoignage. Quelle est donc l’histoire du « bon larron » de Four-Place ?
Four-Place est un tout petit village situé à 150 kilomètres de Libreville. Depuis 1995, les pères de la Mission Saint-Pie‑X y assurent un ministère sacerdotal : messe, catéchisme, sacrements, visite aux malades… C’est la belle petite mission catholique Saint-Patrick de Four-Place.
Ce jour-là, il est 14 heures à Libreville ; un père se met au volant du « 4x4 » de la mission. Trois fidèles l’accompagnent : Jean-Joseph, Bertrand et Eric. Après environ deux heures et demie de route, ils arrivent à Ekouk, village situé à peine à cinq kilomètres de Four-Place. Les villageois manifestent au père leur grande joie de le voir. Le père fait le tour du village pour saluer quelques fidèles, prendre des nouvelles… Une maman octogénaire confie au père : « Oh, mon père, je prie la mort de venir me chercher, mais elle refuse, je ne sais pas pourquoi ». Le père, souriant, lui dit : « Maman, la mort c’est comme un voleur, elle vient sans frapper à la porte, il faut donc patienter dans la prière, dans ton chapelet. Le bon Dieu te veut encore ici-bas. » – « Diboti papa – merci mon père ». Puis le père reprend la route avec ses trois compagnons ; l’un d’eux, on ne sait par quel tour de magie, a déjà une bonne bouteille de vin de palme !
Finalement le « 4x4 » des pères arrive à la mission Saint-Patrick de Four-Place vers dix-sept heures. Le père fait le tour du village pour saluer, réconforter, prendre des nouvelles… Un fidèle s’approche du prêtre et lui dit : « Mon père, vous tombez bien, car maman Re-gina va très mal, venez, venez ! » Le père se rend aussitôt au chevet de cette malade et constate son état alarmant. Deux semaines plus tôt, maman Regina a été extrémisée.
Le prêtre interroge : « Comment se portent les autres villageois ?
– Tout le monde se porte bien, sauf un monsieur qui est aussi sur le point de « casser la pipe » (mourir), mais il n’a jamais fréquenté l’Eglise, c’est un païen qui a vécu en païen. – Est-il opposé à la religion catholique ? – Non, mon père.
- Pourrions-nous aller le visiter ?
- Oui mon père, je vous y conduis. »
Il est maintenant environ dix-neuf heures. Accompagné de son guide, le père entre dans une maison voisine de celle de maman Regina : une lampe à pétrole éclaire faiblement la grande pièce, un homme de taille moyenne gît sur un matelas à même le sol. La famille accourt.
Le père demande : « Quel est son nom ?
- Jean Pierre, mon père.
- Bonjour, papa Jean Pierre. Je suis prêtre de la mission catholique Saint-Pie‑X.
- Bonjour mon père, répond Jean Pierre, qui attache ses regards sur le père.
- Depuis combien de jours est-il dans cet état ?
- Environ deux semaines, mon père. »
Le prêtre va alors à l’essentiel car il lui semble que le temps lui est désormais compté : chaque seconde est précieuse : « Papa J.P. tu vois, la vie passe très vite, et après la vie ici-bas, on va se présenter devant Dieu pour être jugé sur toute notre vie : soit on est récompensé, soit on est puni éternellement… Jésus nous a laissé un moyen pour effacer tous nos péchés, c’est le baptême. Veux-tu recevoir le baptême catholique ?
- Oui, mon père. »
Le père résume pour Jean-Pierre les trois mystères fondamen-taux de notre foi : la Trinité, l’Incarnation et la Rédemption. Jean Pierre écoute attentivement et il acquiesce de la tête.
« Veux-tu recevoir le baptême et devenir catholique ?
- Oui, mon père, je veux le bap-tême, je veux être catholique. »
Alors une troisième fois, le père lui dit : « Tu dois à présent vivre com-me un bon chrétien. Finis les gangas, les fétiches, les choses du diable… Renonces-tu à tout cela ?
- Oui, mon père.
- Veux-tu toujours recevoir le baptême ?
- Oui, mon père, je veux le baptême. »
La famille et quelques amis présents se disent : « Vous avez tous entendu ? Il a demandé lui-même trois fois le baptême. »
Le père invite alors Jean-Pierre à regretter tous ses péchés. Jean Pierre reçoit le sacrement de baptême. Ensuite, le père lui donne la confirmation, lui impose le scapulaire de Notre-Dame du Mont Carmel… Il lui offre aussi comme cadeau de baptême son propre chapelet.
« Merci, mon père » : tels furent les derniers mots adressés par Jean-Pierre au prêtre. Après quelques Ave Maria, le père bénit toute la famille présente. Il est environ vingt heures trente lorsque le père quitte Jean-Pierre, nouvellement régénéré par l’eau du baptême.
Le lendemain, sa fille racontera : « Il a passé une nuit très calme, à l’inverse d’autres jours. C’est vers les cinq heures du matin, le dimanche 16 février (de la Septuagésime) que papa a commencé à s’agiter. Nous priions autour de lui. A onze heures, vous commenciez la messe, papa rendait son âme à Dieu. Dieu merci, mon père, papa est parti avec le baptême. Vraiment, Dieu merci, merci mon père. »
C’est la petite histoire de papa Jean-Pierre de Four-Place, lui qui a vécu loin de Dieu durant sa vie, il a, au soir de sa vie, in extremis, « volé » le ciel, tel le bon larron de l’Evangile.
Ne sommes-nous pas tentés de l’appeler le bon « larron de Four-Place » ? N’attendons pas à notre tour, une conversion in extremis, à la « papa J.P. »
Voici le saint temps de carême, qui nous invite à une réelle et profonde conversion. Par nos prières, nos sacrifices et nos jeûnes, pleurons nos péchés pour que retombe sur nous la miséricorde infinie de Notre Seigneur et ainsi nous pourrons espérer entendre, au soir de notre vie, comme saint Dismas, ces paroles bienheureuses : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23, 40).
Abbé Prudent Balou
Extrait du Saint Pie n° 234 de février 2014