La prière a‑t-​elle besoin de lieux de rassemblements ?

Lorsqu’on veut détruire la reli­gion, on com­mence par atta­quer la croix et les prêtres, car là où il n’y a plus de prêtres, il n’y a plus de reli­gion, plus de sacri­fice … (Saint Curé d’Ars, cité dans Mgr René Fourrey, Ce que prê­chait le Curé d’Ars, p. 86).

Bien sûr, un fidèle peut prier chez lui, lire seul les textes de la litur­gie, et même regar­der la messe à l’écran. Bien sûr encore, les cir­cons­tances peuvent excu­ser de l’assistance à la messe. Bien sûr tou­jours, les catho­liques japo­nais sont res­tés fidèles à leur foi, bien que cou­pés des sacre­ments pen­dant trois siècles. Reste qu’un catho­lique a bien des rai­sons de ne pas accep­ter sans rien dire d’être pri­vé injus­te­ment de l’assistance à la messe.

Priver long­temps les fidèles de la messe, c’est en effet les dépos­sé­der de la grande habi­tude qui trace le sillon de la vie chré­tienne. Il n’y a rien à faire, nous sommes corps et âme, l’âme s’exprime et apprend par le sen­sible. C’est bien la par­ti­ci­pa­tion phy­sique aux céré­mo­nies qui va for­mer le chré­tien, l’élever au sacré, aux réa­li­tés sur­na­tu­relles, nour­rir sa pié­té, sa foi, sou­te­nir les âmes les plus simples.

Priver les catho­liques de la messe, c’est aus­si les empê­cher de mani­fes­ter au monde que « ce ne sont pas seule­ment les indi­vi­dus, mais aus­si la col­lec­ti­vi­té humaine qui ont besoin de rendre un culte à Dieu ; ce culte doit donc être social » (Pie XII).

Priver les catho­liques de la messe, c’est encore les empê­cher d’avoir cette com­mu­ni­ca­tion réelle, concrète avec Jésus-​Christ réel­le­ment pré­sent dans l’Eucharistie, vic­time sur l’autel ; com­mu­ni­ca­tion qui les trans­forme par la grâce ain­si reçue en abondance.

En décla­rant de manière péremp­toire que la prière « n’a pas for­cé­ment besoin de lieux de ras­sem­ble­ments », M. le ministre Castaner parle comme s’il ne voyait pas qu’il s’attaque à un bien fon­da­men­tal de l’Église catho­lique. Mais les évêques peuvent-​ils s’en plaindre ?

Après cin­quante ans d’une litur­gie lar­ge­ment désa­cra­li­sée et rem­plie d’un dis­cours huma­niste, pour­quoi demandent-​ils la reprise du culte ? à cause de « la dimen­sion spi­ri­tuelle et reli­gieuse de l’être humain [qui] contri­bue, nous en sommes per­sua­dés, à la paix des cœurs, à la force dans l’épreuve, à la fra­ter­ni­té entre les per­sonnes, et à toute la vie sociale » (Communiqué de la Conférence des Évêques de France du 28 avril 2020). On pour­rait en dire de même des fes­ti­vals et autres ras­sem­ble­ments cultu­rels ou fes­tifs qui sont des occa­sions d’être ensemble, de s’encourager, de par­ta­ger : ils ne pour­ront pas non plus avoir lieu. A ce compte-​là, pour­quoi le culte catho­lique bénéficierait-​il d’un régime spécial ?

Dans sa demande de reprise rapide des céré­mo­nies, la hié­rar­chie catho­lique trouve peu d’appuis chez les repré­sen­tants d’autres reli­gions, moins pres­sés de se ras­sem­bler. Se voir impo­ser le régime com­mun à tous les cultes ne devrait-​il pas conten­ter ceux qui depuis Vatican II se font les chantes de la liber­té reli­gieuse et d’un État laïc ? qui prennent soin de par­ler en s’associant à « toutes les reli­gions de notre pays » (dans le même com­mu­ni­qué du 28 avril par exemple) ?

Enfin, les fidèles de l’Église conci­liaire sont habi­tués depuis la réforme litur­gique à par­ta­ger le pain de la parole autant que le pain de l’Eucharistie dans une nou­velle messe construite à par­tir de la notion pro­tes­tante de la seule pré­sence spi­ri­tuelle du Christ au milieu des fidèles ras­sem­blés en son nom (Article 7 de l’Institutio Generalis du Nouveau Missel Romain, modi­fié par la suite sans que la litur­gie le soit). Si la messe se réduit à cela, pour­quoi ne pas en tirer les consé­quences ? cer­tains le font, comme les signa­taires de cette tri­bune com­plai­sam­ment relayée par le jour­nal La Croix, Rouvrir les églises, pour quoi faire ? : « Et si ce confi­ne­ment pro­lon­gé était l’occasion de redé­cou­vrir le vrai culte à rendre à Dieu ? … les bap­ti­sés ont redé­cou­vert de nou­velles formes de vie communautaire ».

Le pape François lui-​même ne semble pas pres­sé de voir les fidèles reve­nir autour de l’autel : comme le rap­porte Le Figaro du 4 mai, « il a deman­dé de la « pru­dence » et sur­tout « l’obéissance » aux consignes gou­ver­ne­men­tales ». Faut-​il s’étonner que pour le gou­ver­ne­ment, la messe semble dite ?

Source : La Porte Latine du 6 mai 2020