Le Carême n’est pas un ramadan catholique

Pâtisseries de Ramadan. Crédit : Julian Kumar / Godong

Contrairement à ce que cer­tains insi­nuent, les dif­fé­rences sont nom­breuses entre le jeûne du musul­man et la péni­tence du catholique.

Étant don­né la visi­bi­li­té crois­sante et la publi­ci­té média­ti­que­ment indis­crète du rama­dan dans la socié­té fran­çaise, de plus en plus de catho­liques – sur­tout par­mi ceux qui récem­ment sont (re)venus à la foi – ont ten­dance à com­prendre le Carême comme un rama­dan à la manière catho­lique. La com­mu­ni­ca­tion du Saint-​Siège et des évêques, qui envoient chaque année un mes­sage de fra­ter­ni­té aux musul­mans à l’occasion du début du rama­dan, contri­bue d’ailleurs à entre­te­nir cette confu­sion, le paral­lèle étant par­fois fait entre Carême et Ramadan ; le rama­dan y étant tou­jours pré­sen­té comme un temps saint et béni.

Pourtant si le rama­dan pré­sente quelques res­sem­blances super­fi­cielles avec le Carême, qui lui est his­to­ri­que­ment anté­rieur de plus de deux siècles, il n’en serait cepen­dant qu’une cari­ca­ture s’il cher­chait à l’imiter.

Contrairement au rama­dan qui est une simple obli­ga­tion rituelle pres­crite dans le Coran, le Carême trouve sa richesse de sens dans l’histoire sainte, dans laquelle il s’inscrit : de même que le peuple hébreu, au sor­tir de l’Egypte, passe qua­rante années dans le désert – le temps que soit renou­ve­lée la géné­ra­tion qui refu­sait d’abandonner le paga­nisme égyp­tien – avant de par­ve­nir à la Terre pro­mise, le peuple chré­tien est appe­lé chaque année, durant les qua­rante jours du Carême, à se renou­ve­ler inté­rieu­re­ment en aban­don­nant ses mau­vaises habi­tudes de péché pour vivre d’une manière plus sainte et agréable à Dieu. Dans l’esprit de l’Eglise, le Carême est la pré­pa­ra­tion à la grande fête de Pâques : il est un temps de mor­ti­fi­ca­tion – faire mou­rir le vieil homme – qui pré­pare le cœur de l’homme à renaître spi­ri­tuel­le­ment avec le Christ, vain­queur du démon et du péché, à Pâques.

De là naissent les nom­breuses dif­fé­rences entre le jeûne du musul­man et la péni­tence du catho­lique. Le rama­dan est d’abord un évé­ne­ment com­mu­nau­taire, un mar­queur d’appartenance sociale et reli­gieuse, quand le Carême est avant tout un temps de conver­sion per­son­nelle, même si le peuple catho­lique est appe­lé à le vivre ensemble au rythme de la litur­gie. Le musul­man qui fait le rama­dan doit donc pou­voir être recon­nu publi­que­ment comme tel et connaît, en cas d’infraction à la règle et selon les cir­cons­tances, la pres­sion sociale ou même une sanc­tion. Au contraire notre Carême com­mence avec ses mots de Notre Seigneur qui condamne toute atti­tude osten­ta­toire : « Quand tu jeûnes, parfume-​toi la tête et lave-​toi le visage pour que ton jeûne ne soit pas vu des hommes, mais seule­ment de ton Père, pré­sent dans le secret » (Mt 6, 17–18).

Comme mar­queur social, le rama­dan se foca­lise en consé­quence sur cer­tains actes exté­rieurs (man­ger, boire, fumer…) ; mais le Carême, dans la ligne de l’enseignement de Jésus-​Christ, cherche sur­tout, à tra­vers les obser­vances exté­rieures du jeûne et l’abstinence, la gué­ri­son de l’âme. C’est pour­quoi le Carême ne se limite pas aux jeûnes ; mais plus lar­ge­ment, il cherche à détruire le péché et toute affec­tion désor­don­née en nous. Le jeûne n’est d’ailleurs qu’une par­tie du tra­di­tion­nel tryp­tique qua­dra­gé­si­mal : prière-jeûne-aumône.

Le jeûne du rama­dan est bru­tal et exces­sif (pas de nour­ri­ture ou de bois­son, ni même d’eau, durant tout le jour ; mais durant la nuit, tout est per­mis) et par consé­quent par­fois impru­dent, don­nant lieu à des com­por­te­ments agres­sifs et vio­lents, ce qui est un fait de socié­té avé­ré ; la péni­tence du Carême, quant à elle, est modé­rée : abs­ti­nence de viande les ven­dre­dis ; jeûne (c’est-à-dire un seul repas par jour) mer­cre­di des cendres et ven­dre­di saint. Le reste est lais­sé à la liber­té de cha­cun. Elle opère donc en dou­ceur la trans­for­ma­tion des cœurs et des mœurs.

Le rama­dan n’est pas un temps de péni­tence, mais d’obéissance à la loi du Coran : la rup­ture du jeûne, chaque soir, conduit d’ailleurs plu­tôt à des cou­tumes fes­tives et convi­viales, d’où l’expression « faire du ram­dam » ; le Carême, lui, n’est cou­ron­né qu’au bout d’un temps long de 40 jours des joies pas­cales : il est un temps de péni­tence et d’expiation pour les péchés que nous avons com­mis ; un temps de com­bat spi­ri­tuel pour ôter du cœur les ten­dances mau­vaises qui y règnent ; il est un temps de lutte et de larmes.

Ces nom­breuses et pro­fondes dif­fé­rences signa­lées suf­fisent à nous pré­mu­nir de toute confu­sion dom­ma­geable entre carême et rama­dan, ain­si que de toute ten­ta­tive d’imprimer à notre carême un esprit rama­da­nesque. Il faut, au contraire, faire preuve de dis­cré­tion, aux deux sens du terme, durant la sainte qua­ran­taine. C’est dire, pre­miè­re­ment, qu’il faut veiller à ne pas gêner les autres, à ne pas s’imposer ou à ne pas en mettre plein la vue à ceux qui nous entourent. C’est dire, ensuite, qu’il faut – outre ce que la loi de l’Eglise impose désor­mais avec par­ci­mo­nie – choi­sir libre­ment et intel­li­gem­ment les péni­tences adap­tées à nos pos­si­bi­li­tés et à nos besoins, en veillant sur­tout, à tra­vers nos réso­lu­tions, à mor­ti­fier les mou­ve­ments désor­don­nés du cœur.

La juste com­pré­hen­sion de ce qu’est le carême, com­pa­ra­ti­ve­ment au rama­dan, devrait éga­le­ment nous évi­ter de tom­ber dans la com­plai­sance naïve ou benoîte de ces gens d’Eglise qui n’hésitent pas à sou­hai­ter un béni ou saint rama­dan. Que nombre de musul­mans pra­tiquent le rama­dan avec sin­cé­ri­té, et même avec le désir de s’améliorer et de se puri­fier, cela est bien pos­sible. Mais que des évêques, des prêtres ou de simples bap­ti­sés appellent saint, ce qui est fait avec le rejet du Christ, Fils de Dieu, seul Sauveur et seul Saint, cela est contraire à l’amour de Jésus-​Christ et des musulmans.

Source : Apostol n° 194 – mars 2025