Éloge de la douleur

Crucifixion, par Matthias Grünewald

En véri­té, en véri­té, Je vous le dis, si le grain de fro­ment qui tombe en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais, s’il meurt, il porte beau­coup de fruit. Celui qui aime sa vie, la per­dra, et celui qui hait sa vie dans ce monde, la conserve pour la vie éter­nelle. (Jn 12, 24–25)

Article paru dans le bul­le­tin de Domqueur en octobre 1992.

Le grand huma­niste de la Renaissance Érasme a écrit un Éloge de la folie qui fut immé­dia­te­ment célèbre et fait tou­jours par­tie de la lit­té­ra­ture clas­sique. Puisqu’en maniant le para­doxe un auteur par­vient à faire lire des prin­cipes d’aus­tère sagesse, il fau­drait qu’un auteur écrive un Éloge de la dou­leur.

On ne mesure pas assez ce qu’il en coû­te­rait à l’homme de ne res­sen­tir aucune dou­leur. La main qui s’ap­pro­che­rait du feu sans éprou­ver le moindre dom­mage entraî­ne­rait le corps tout entier dans les flammes. L’expérience est ici néces­saire et pas seule­ment un aver­tis­se­ment sans frais. Voit-​on en effet les pécheurs craindre réel­le­ment l’en­fer avant d’en avoir éprou­vé la mor­sure sous la forme du remords et des consé­quences dou­lou­reuses et même tra­giques de l’inconduite ?

Si le dou­lou­reux aiguillon des abeilles n’exis­tait pas, nul ne pour­rait goû­ter la dou­ceur du miel car les ruches sans défense seraient bien­tôt pillées, désertes et vides. Sans les souf­frances des hommes et des femmes, c’en est fait de toute la poé­sie lyrique, de tous les drames, des tra­gé­dies, de toute la lit­té­ra­ture (clas­sique, roman­tique, fran­çaise ou étrangère).

La dou­leur est utile pour loca­li­ser le mal. Voyez donc cet homme sur la table d’opération – à Lugdunum. Il était com­plè­te­ment anes­thé­sié. Il n’a donc pas pu signa­ler que, par erreur, on lui cou­pait la jambe droite au lieu de la jambe gauche.

Oui, les dou­leurs sont utiles et ça ne date pas d’au­jourd’­hui : Hippocrate, quatre siècles avant Jésus-​Christ, avait noté qu’une grande dou­leur per­met­tait d’oublier les moindres.

Mais il y a plus utile encore : la dou­leur offerte à Dieu pour le sou­la­ge­ment des autres souf­frants. Cette douleur-​là risque bien d’en apai­ser de plus grandes.

Curé de Domqueur † 2010

L’abbé Philippe Sulmont (1921–2010), second d’une famille de qua­torze enfants, ancien sémi­na­riste des Carmes, fut pro­fes­seur de col­lège, puis de sémi­naire, aumô­nier d’un pen­sion­nat de filles, puis enfin curé durant 37 ans de Domqueur et de six paroisses avoi­si­nantes entre Amiens et Abbeville.