De la mortification chrétienne

Désert de Judée où Jésus a passé 40 jours de jeûne, prière et pénitence. Crédit : Pascal Deloche / Godong.

Voici de brefs et simples conseils du Cardinal Mercier pour que Jésus vive en nous au fil des 40 jours de ce Carême.

Le Cardinal Désiré MERCIER (1851 – 1926) fut un arche­vêque de Malines de véné­rée mémoire, qui fut très atten­tif aux besoins quo­ti­diens de ses dio­cé­sains, pour leur plus grand bien spi­ri­tuel. Ainsi prêchait-​il lui-​même chaque année retraites et récol­lec­tions, spé­cia­le­ment à des­ti­na­tion de ses prêtres.

Son sens des réa­li­tés telles que vécues dans le concret lui fit – entre autres – rédi­ger quelques pages sur la mor­ti­fi­ca­tion chré­tienne afin que chaque catho­lique ait à sa por­tée l’es­sen­tiel sur le sujet.

Ce sont ces conseils qui sont ici reproduits.

I- Objet de la mortification chrétienne

La mor­ti­fi­ca­tion chré­tienne a pour but de neu­tra­li­ser les influences malignes que le péché ori­gi­nel exerce encore dans nos âmes, même après que le Baptême les ait régénérées.

Notre régé­né­ra­tion dans le Christ, tout en annu­lant com­plè­te­ment le péché en nous, nous laisse cepen­dant fort loin de la rec­ti­tude et de la paix ori­gi­nelles. Le concile de Trente recon­naît que la concu­pis­cence, c’est-​à-​dire la triple convoi­tise de la chair, des yeux et de l’or­gueil, se fait sen­tir en nous, même après le Baptême, afin de nous exci­ter aux glo­rieuses luttes de la vie chré­tienne (cf. Concile de trente, Décret sur le péché ori­gi­nel). C’est cette triple convoi­tise que l’Ecriture appelle tan­tôt « le vieil homme », oppo­sé à « l’homme nou­veau » qui est Jésus vivant en nous et nous-​mêmes vivant en Jésus, tan­tôt « la chair » ou la nature déchue oppo­sée à « l’es­prit » ou à la nature régé­né­rée par la grâce sur­na­tu­relle. C’est ce vieil homme ou cette chair, c’est-​à-​dire l’homme tout entier avec sa double vie morale et phy­sique, qu’il faut, je ne dis pas anéan­tir, car c’est chose impos­sible tant que dure la vie pré­sente, mais mor­ti­fier, c’est-​à-​dire réduire pra­ti­que­ment à l’im­puis­sance, à l’i­ner­tie et à la sté­ri­li­té d’un mort ; il faut l’empêcher de don­ner son fruit qui est le péché, et annu­ler son action dans toute notre vie morale.

La mor­ti­fi­ca­tion chré­tienne doit donc embras­ser l’homme tout entier, s’é­tendre à toutes les sphères d’ac­ti­vi­té dans les­quelles notre nature est capable de se mouvoir.

Tel est l’ob­jet de la ver­tu de mor­ti­fi­ca­tion : nous allons en indi­quer la pra­tique, en par­cou­rant suc­ces­si­ve­ment les mani­fes­ta­tions mul­tiples d’ac­ti­vi­té dans les­quelles se tra­duit chez nous :

  • l’ac­ti­vi­té orga­nique ou la vie corporelle
  • l’ac­ti­vi­té sen­sible, qui s’exerce soit sous forme de connais­sance sen­sible par les sens exté­rieurs, ou par l’i­ma­gi­na­tion, soit sous forme d’ap­pé­ti­tion sen­sible ou de passion.
  • l’ac­ti­vi­té ration­nelle et libre, prin­cipe de nos pen­sées et de nos juge­ments et des déter­mi­na­tions de notre volonté.
  • la mani­fes­ta­tion exté­rieure de la vie de notre âme, ou nos actions extérieures.
  • l’é­change de nos rap­ports avec le prochain.

II- Exercice de la mortification chrétienne

N.B. : toutes les pra­tiques de mor­ti­fi­ca­tion que nous avons réunies ici sont emprun­tées aux exemples des saints, notam­ment de saint Augustin, de saint Thomas d’Aquin, de sainte Thérèse (d’Avila N.D.L.R.), de saint François de Sales, de saint Jean Berchmans, ou recom­man­dées par des maîtres auto­ri­sés de la vie spi­ri­tuelle, tels que le véné­rable Louis de Blois, Rodriguez, Scamarelli, Mgr Gay, l’ab­bé Lallemand, l’ab­bé Hamon, l’ab­bé Dubois, etc.

Mortification du corps

  1. Bornez-​vous, autant que pos­sible, en fait d’a­li­ments, au simple néces­saire. Méditez ces paroles que saint Augustin adres­sait à Dieu : « Vous m’a­vez ensei­gné, ô mon Dieu, à ne prendre les ali­ments que comme des remèdes. Eh ! Seigneur, qui est celui d’entre nous qui ne passe par­fois ici la limite ? S’il en est un, je déclare que cet homme est grand et qu’il doit gran­de­ment glo­ri­fier votre Nom. » (Confessions, livre X, ch. 31).
  2. Priez Dieu sou­vent, priez Dieu jour­nel­le­ment d’empêcher par sa grâce que vous ne fran­chis­siez les bornes de la néces­si­té et que vous ne vous lais­siez aller à l’at­trait du plaisir.
  3. Ne pre­nez rien entre les repas, à moins de néces­si­té ou de rai­sons de convenance.
  4. Pratiquez l’abs­ti­nence et le jeûne, mais pratiquez-​les sous l’o­béis­sance seule­ment et avec discrétion.
  5. Il ne vous est pas inter­dit de goû­ter quelque satis­fac­tion cor­po­relle, mais faites-​le avec une inten­tion pure et en bénis­sant Dieu.
  6. Réglez votre som­meil, évi­tant en ceci toute lâche­té, toute mol­lesse, sur­tout le matin. Fixez-​vous une heure, si vous le pou­vez, pour le cou­cher et le lever et tenez-​vous‑y énergiquement.
  7. En géné­ral, ne pre­nez du repos que dans la mesure du néces­saire : livrez-​vous géné­reu­se­ment au tra­vail, n’y épar­gnez pas votre peine.

Prenez garde d’ex­té­nuer votre corps, mais gardez-​vous de le flat­ter ; dès que vous le sen­tez tant soit peu dis­po­ser à tran­cher du maître, aus­si­tôt traitez-​le en esclave.

  1. Si vous res­sen­tez quelque légère indis­po­si­tion, évi­tez d’être à charge aux autres par votre mau­vaise humeur ; lais­sez à vos frères le soin de vous plaindre ; pour vous, soyez patient et muet comme le divin agneau qui a véri­ta­ble­ment por­té toutes nos langueurs.
  2. Gardez-​vous de faire du plus petit malaise une rai­son de dis­pense ou de déro­ga­tion à votre ordre du jour. « Il faut haïr comme la peste toute dis­pense en matière de règle », écri­vait saint Jean Berchmans.
  3. Recevez doci­le­ment, sup­por­tez hum­ble­ment, patiem­ment, per­sé­vé­ram­ment, la mor­ti­fi­ca­tion pénible qu’on nomme la maladie.

Mortification des sens, de l’i­ma­gi­na­tion et des passions

  1. Fermez vos yeux avant tout et tou­jours à tout spec­tacle dan­ge­reux, et même, ayez-​en le cou­rage, à tout spec­tacle vain et inutile. Voyez sans regar­der ; n’en­vi­sa­gez per­sonne pour en dis­cer­ner la beau­té ou la laideur.
  2. Tenez vos oreilles fer­mées aux pro­pos flat­teurs, aux louanges, aux séduc­tions, aux mau­vais conseils, aux médi­sances, aux raille­ries bles­santes, aux indis­cré­tions, à la cri­tique mal­veillante, aux soup­çons com­mu­ni­qués, à toute parole pou­vant cau­ser entre deux âmes le plus petit refroidissement.
  3. Si le sens de l’o­do­rat a quelque chose à souf­frir par suite de cer­taines infir­mi­tés ou mala­dies du pro­chain, loin de vous en plaindre jamais, puisez‑y une joie sainte.
  4. En ce qui concerne la qua­li­té des ali­ments, ayez grand res­pect pour le conseil de Notre-​Seigneur : « man­gez ce que l’on vous sert ». « Manger ce qui est bon sans s’y com­plaire, ce qui est mau­vais sans en témoi­gner de l’a­ver­sion, et se mon­trer aus­si indif­fé­rent en l’un qu’en l’autre, voi­là, dit saint François de Sales, la vraie mortification ».
  5. Offrez à Dieu vos repas, imposez-​vous à table une petite pri­va­tion ; par exemple : refusez-​vous un grain de sel, un verre de vin, une frian­dise, etc. ; vos convives ne s’en aper­ce­vront pas, mais Dieu en tien­dra compte.
  6. Si ce que l’on vous pré­sente excite vive­ment votre attrait, pen­sez au fiel et au vinaigre dont Notre-​Seigneur fut abreu­vé sur la Croix : cela ne pour­ra pas vous empê­cher de goû­ter, mais cela ser­vi­ra de contre­poids au plaisir.
  7. Il faut évi­ter tout contact sen­suel, toute caresse où l’on met­trait quelque pas­sion, où l’on cher­che­rait, où l’on pren­drait une joie prin­ci­pa­le­ment sensible.
  8. Passez-​vous d’al­ler vous chauf­fer, à moins que cela ne vous soit néces­saire pour vous épar­gner une indisposition.
  9. Supportez tout ce qui afflige natu­rel­le­ment la chair ; spé­cia­le­ment le froid de l’hi­ver, la cha­leur de l’é­té, la dure­té du cou­cher et toutes les incom­mo­di­tés du même genre. Faites bon visage à tous les temps, sou­riez à toutes les tem­pé­ra­tures. Dites avec le pro­phète : « froid, chaud, pluie, bénis­sez le Seigneur. » Heureux si nous pou­vions arri­ver à dire de bon cœur cette parole qui était fami­lière à saint François de Sales : « je ne suis jamais mieux que quand je ne suis pas bien. »
  10. Mortifiez votre ima­gi­na­tion lors­qu’elle vous séduit par l’ap­pât d’un poste brillant, lors­qu’elle vous attriste par la pers­pec­tive d’un ave­nir sombre, lors­qu’elle vous irrite par le sou­ve­nir d’un mot ou d’un acte qui vous ont offensé.
  11. Si vous sen­tez en vous le besoin de rêver, mortifiez-​le sans pitié ;
  12. Mortifiez-​vous avec le plus grand soin sur le point de l’im­pa­tience, de l’ir­ri­ta­tion ou de la colère.
  13. Examinez à fond vos dési­rs, soumettez-​les au contrôle de la rai­son et de la foi : ne désirez-​vous point une vie longue plu­tôt qu’une vie sainte ? du plai­sir et du bien-​être sans cha­grins ni dou­leurs, des vic­toires sans com­bats, des suc­cès sans revers, des applau­dis­se­ments sans cri­tiques, une vie com­mode, tran­quille, sans croix d’au­cune nature, c’est-​à-​dire une vie toute oppo­sée à celle de notre divin Sauveur ?
  14. Prenez garde de contrac­ter cer­taines habi­tudes qui, sans être posi­ti­ve­ment mau­vaises, peuvent deve­nir funestes, telles que l’ha­bi­tude des lec­tures fri­voles, des jeux de hasard, etc.
  15. Cherchez à connaître votre défaut domi­nant et, dès que vous l’au­rez connu, poursuivez-​le jusque dans ses der­niers retran­che­ments. A cet effet, soumettez-​vous de bon cœur à ce qu’il pour­rait y avoir de mono­tone et d’en­nuyeux dans la pra­tique de l’exa­men particulier.
  16. Il ne vous est pas défen­du d’a­voir du cœur et d’en mon­trer, mais tenez-​vous en garde contre le dan­ger d’ex­cé­der la juste mesure. Combattez éner­gi­que­ment les atta­che­ments trop natu­rels, les ami­tiés par­ti­cu­lières et toutes les molles sen­si­bi­li­tés du cœur.

Mortification de l’es­prit et de la volonté

  1. Mortifiez votre esprit en lui inter­di­sant toutes les vaines ima­gi­na­tions, toutes les pen­sées inutiles ou étran­gères qui font perdre le temps, dis­sipent l’âme, dégoûtent du tra­vail et des choses sérieuses.
  2. Toute pen­sée de tris­tesse et d’in­quié­tude doit être ban­nie de votre esprit. Le sou­ci de tout ce qui pour­ra dans la suite vous arri­ver ne doit nul­le­ment vous pré­oc­cu­per. Quant aux pen­sées mau­vaises qui vous tra­cassent mal­gré vous, vous devez, en les reje­tant, vous en faire un sujet de patience. Etant invo­lon­taires, elles ne seront pour vous qu’une occa­sion de mérite.
  3. Evitez l’en­tê­te­ment dans vos idées, l’o­pi­niâ­tre­té dans vos sen­ti­ments. Laissez volon­tiers pré­va­loir le juge­ment des autres, à moins qu’il ne s’a­gisse de matières où vous avez le devoir de vous pro­non­cer et de parler.
  4. Mortifiez l’or­gane natu­rel de votre esprit, c’est-​à-​dire la langue. Exercez-​vous volon­tiers au silence, soit que votre règle vous le pres­crive, soit que vous vous l’im­po­siez spontanément.
  5. Aimez mieux écou­ter les autres que de par­ler vous-​même ; cepen­dant, par­lez à pro­pos, évi­tant éga­le­ment, comme excès, le trop par­ler qui empêche les autres de dire leurs pen­sées, et le par­ler trop peu qui dénote une insou­ciance bles­sante pour ce qu’ils disent.
  6. N’interrompez jamais celui qui parle et ne pré­ve­nez pas par une réponse pré­ci­pi­tée celui qui vous interroge.
  7. Ayez un ton de voix tou­jours modé­ré, jamais brusque ni tran­chant. Evitez les « très », les « extrê­me­ment », les « hor­ri­ble­ment » : pas d’exagération.
  8. Aimez la sim­pli­ci­té et la droi­ture. La simu­la­tion, les détours, les équi­voques cal­cu­lées que cer­taines per­sonnes pieuses se per­mettent sans scru­pule dis­cré­ditent beau­coup la piété.
  9. Abstenez-​vous soi­gneu­se­ment de toute parole gros­sière, tri­viale ou même oiseuse, car Notre-​Seigneur nous aver­tit qu’il en deman­de­ra compte au jour du jugement.
  10. Par-​dessus tout, mor­ti­fiez votre volon­té ; c’est le point déci­sif. Pliez-​la constam­ment à ce que vous savez être le bon plai­sir de Dieu et l’ordre de la Providence, sans tenir aucun compte ni de vos goûts, ni de vos aver­sions. Soumettez-​vous, même à vos infé­rieurs, dans les choses qui n’in­té­ressent pas la gloire de Dieu et les devoirs de votre charge.
  11. Regardez la moindre déso­béis­sance aux ordres ou même aux dési­rs de vos supé­rieurs comme s’a­dres­sant à Dieu.
  12. Souvenez-​vous que vous pra­ti­que­rez la plus grande de toutes les mor­ti­fi­ca­tions lorsque vous aime­rez à être humi­lié et que vous aurez l’o­béis­sance la plus par­faite envers ceux à qui Dieu veut que vous vous soumettiez.
  13. Aimez à être oublié et à n’être comp­té pour rien : c’est le mot de saint Jean de la Croix, c’est le conseil de l’i­mi­ta­tion : ne par­lez guère de vous-​même ni en bien ni en mal, mais cher­chez par le silence à vous faire oublier.
  14. En face d’une humi­lia­tion, d’un blâme, vous êtes ten­té de mur­mu­rer, de vous attris­ter. Dites comme David : « tant mieux ! Il est bon que je sois humilié. »
  15. N’entretenez point de fri­voles dési­rs : « je désire peu de choses, disait saint François de Sales, et le peu que je désire, je le désire bien peu. »
  16. Acceptez avec la plus par­faite rési­gna­tion les mor­ti­fi­ca­tions dites de la Providence, les croix et les tra­vaux atta­chés à l’é­tat où la Providence vous a pla­cé. « Là où il y a moins de notre choix, disait saint François de Sales, il y a plus du bon plai­sir de Dieu. » Nous vou­drions choi­sir nos croix, en avoir une autre que la nôtre, por­ter une croix pesante qui aurait au moins quelque éclat, plu­tôt qu’une croix légère qui fatigue par sa conti­nui­té : illu­sion ! c’est notre croix qu’il faut por­ter, non pas une autre, et son mérite n’est pas en sa qua­li­té, mais en la per­fec­tion avec laquelle on la porte.
  17. Ne vous lais­sez pas trou­bler par les ten­ta­tions, les scru­pules, les ari­di­tés spi­ri­tuelles : « ce qu’on fait dans la séche­resse, est plus méri­toire devant Dieu que ce qu’on fait dans la conso­la­tion », dit le saint évêque de Genève.
  18. Il ne faut pas trop nous cha­gri­ner de nos misères, mais nous en humi­lier. S’humilier est une chose bonne, que peu de per­sonnes com­prennent : s’in­quié­ter et se dépi­ter est une chose que tout le monde connaît et qui est mau­vaise, parce que, dans cette espèce d’in­quié­tude et de dépit, l’amour-​propre a tou­jours la plus grande part.
  19. Défions-​nous éga­le­ment de la timi­di­té, du décou­ra­ge­ment qui énervent, et de la pré­somp­tion qui n’est que de l’or­gueil en action. Travaillons comme si tout dépen­dait de nos efforts, mais res­tons humbles comme si notre tra­vail était inutile.

Mortifications à pra­ti­quer dans nos actions extérieures

  1. Vous devez être de la plus grande exac­ti­tude à obser­ver tous les points de votre règle de vie, obéir sans retard, vous sou­ve­nant de saint Jean Berchmans, qui disait : « Ma péni­tence à moi, c’est de suivre la vie com­mune » ; « faire le plus grand cas des moindres choses, telle est ma devise » ; « mou­rir plu­tôt que de vio­ler une seule règle. »
  2. Dans l’exer­cice de vos devoirs d’é­tat, tâchez d’être bien content de tout ce qui est le plus fait pour vous déplaire et vous ennuyer, vous rap­pe­lant ici encore le mot de saint François : « je ne suis jamais mieux que quand je ne suis pas bien. »
  3. N’accordez jamais un moment à la paresse : depuis le matin jus­qu’au soir, soyez occu­pé sans relâche.
  4. Si votre vie se passe, au moins en par­tie, à l’é­tude, appliquez-​vous ces conseils de saint Thomas d’Aquin à ses élèves : « ne vous conten­tez pas de rece­voir super­fi­ciel­le­ment ce que vous lisez ou enten­dez, mais tâchez d’en péné­trer et d’en appro­fon­dir tout le sens. Ne demeu­rez jamais en doute sur ce que vous pou­vez savoir avec cer­ti­tude. Travaillez avec une sainte avi­di­té à enri­chir votre esprit ; clas­sez avec ordre dans votre mémoire toutes les connais­sances que vous pour­rez acqué­rir. Cependant, ne cher­chez pas à péné­trer les mys­tères qui sont au-​dessus de votre intelligence. »
  5. Occupez-​vous uni­que­ment de l’ac­tion pré­sente sans vous repor­ter sur ce qui a pré­cé­dé, ni devan­cer par la pen­sée ce qui va suivre. Dites-​vous avec saint François : « pen­dant que je fais cela, je ne suis pas obli­gé de faire autre chose » ; « hâtons-​nous tout bel­le­ment ; assez tôt assez bien. »
  6. Soyez modeste dans votre main­tien. Rien n’é­tait par­fait comme le port de saint François ; il tenait tou­jours la tête droite, évi­tant éga­le­ment la légè­re­té qui la tourne en tous sens, la négli­gence qui la penche en avant et l’hu­meur fière et hau­taine qui la rejette en arrière. Son visage était tou­jours tran­quille, déga­gé de toute gêne, tou­jours gai, serein et ouvert, sans cepen­dant aucun enjoue­ment ou badi­nage indis­cret, sans rires bruyants, immo­dé­rés ou trop fréquents.
  7. Etant seul, il était aus­si com­po­sé qu’en une grande assem­blée. Il ne croi­sait pas les jambes, n’ap­puyait point sa tête sur son coude. Quand il priait, il était immo­bile comme une colonne. Lorsque la nature lui sug­gé­rait de prendre ses aises, il ne l’é­cou­tait pas.
  8. Regardez la pro­pre­té et l’ordre comme une ver­tu, la mal­pro­pre­té et le désordre comme un vice ; pas d’ha­bits sales, tachés ou déchi­rés. D’un autre côté, regar­dez comme un vice plus grand encore le luxe et la mon­da­ni­té. Faites en sorte qu’en voyant votre mise, per­sonne ne dise : « c’est mal­propre », ni : « c’est élé­gant », mais que tout le monde doive dire : c’est convenable.

Mortifications à pra­ti­quer dans nos rap­ports avec le prochain

  1. Supportez les défauts du pro­chain, défauts d’é­du­ca­tion, d’es­prit, de carac­tère. Supportez tout ce qui vous déplaît en lui, la démarche, l’at­ti­tude, le ton de la voix, l’ac­cent, que sais-je ?
  2. Supportez tout de tous et supportez-​le jus­qu’au bout et chré­tien­ne­ment. Jamais de ces très orgueilleuses qui font dire : qu’ai-​je à faire de tel ou tel ? En quoi m’at­teint ce qu’il dit ? Qu’ai-​je besoin de l’af­fec­tion, de la bien­veillance ou même de la poli­tesse d’une créa­ture quel­conque et de celle-​ci en par­ti­cu­lier ? Rien n’est moins selon Dieu que ces déta­che­ments hau­tains et ces indif­fé­rences mépri­santes ; mieux vau­drait, certes, une impatience.
  3. Etes-​vous ten­té de vous fâcher ? Pour l’a­mour de Jésus, soyez doux. Est-​ce de vous ven­ger ? Rendez le bien pour le mal ; on dit que le grand secret de tou­cher le cœur de sainte Thérèse, c’é­tait de lui faire quelque mal.

Est-​ce de faire mau­vaise mine à quel­qu’un ? Souriez-​lui avec bonté.

Est-​ce d’é­vi­ter sa ren­contre ? Recherchez-​le par vertu.

Est-​ce d’en dire du mal ? Dites-​en du bien.

Est-​ce de lui par­ler dure­ment ? Parlez-​lui bien dou­ce­ment, cordialement.

  1. Aimez à faire l’é­loge de vos frères, sur­tout de ceux sur les­quels votre envie se porte plus naturellement
  2. Ne faites pas de l’es­prit au détri­ment de la charité
  3. Si l’on se per­met en votre pré­sence de pro­pos peu conve­nables ou que l’on tienne des conver­sa­tions de nature à nuire à la répu­ta­tion du pro­chain, vous pour­rez par­fois reprendre avec dou­ceur celui qui parle, mais le plus sou­vent il vau­dra mieux détour­ner habi­le­ment la conver­sa­tion ou témoi­gner par un geste de cha­grin ou d’i­nat­ten­tion vou­lue que ce qui se dit vous déplaît.
  4. Il vous en coûte de rendre un petit ser­vice ; offrez-​vous à le rendre : double mérite.
  5. Ayez hor­reur de vous poser en face de vous-​même et des autres comme une vic­time. Loin de vous exa­gé­rer vos far­deaux, efforcez-​vous de les trou­ver légers ; ils le sont en réa­li­té, beau­coup plus sou­vent qu’il semble, ils le seraient tou­jours si vous aviez plus de vertu.

Conclusion

En géné­ral, sachez refu­ser à la nature ce qu’elle vous demande sans besoin.

Sachez lui faire don­ner ce qu’elle vous refuse sans rai­son. Vos pro­grès dans la ver­tu, dit l’au­teur de l’i­mi­ta­tion de Jésus-​Christ„ seront pro­por­tion­nés à la vio­lence que vous sau­rez vous faire.

« Il faut mou­rir, disait le saint évêque de Genève, il faut mou­rir afin que Dieu vive en nous : car il est impos­sible d’ar­ri­ver à l’u­nion de l’âme avec Dieu par une autre voie que par la mor­ti­fi­ca­tion. Ces paroles « il faut mou­rir » sont dures, mais elles seront sui­vies d’une grande dou­ceur, parce qu’on ne meurt à soi-​même qu’a­fin d’être uni à Dieu par cette mort. »

Plût à Dieu que nous fus­sions en droit de nous appli­quer ces belles paroles de saint Paul aux Corinthiens : « en toutes choses, nous souf­frons la tri­bu­la­tion. Nous por­tons tou­jours et par­tout dans notre corps la mort de Jésus afin que la vie de Jésus soit mani­fes­tée aus­si dans nos corps. » (II Cor IV, 10)

Cardinal Mercier