On discute beaucoup, y compris en haut lieu ecclésiastique, sur ce que devra être et sera le « monde d’après » : comprenons le monde d’après le coronavirus. Ce monde, nous dit-on, sera plus écologique, plus respectueux de la nature, moins gaspilleur de ses ressources, moins pollueur, moins émetteur de déchets. Il rejettera un capitalisme outrancier, ultralibéral, prédateur, oppresseur des hommes, au profit d’une économie plus humaine, plus attentive aux personnes, moins gourmande en énergies fossiles, etc.
Tout ce programme est bel et bon, même s’il rappelle un peu les années 60 pour ceux qui les ont vécues : « Si tous les gars du monde voulaient se donner la main… ». Il n’est certes pas interdit à la société civile de réfléchir aux moyens d’organiser une société plus juste et plus équilibrée, tout en se souvenant que les suites du péché originel empêchent radicalement l’établissement du Paradis sur terre : « Vous aurez toujours des pauvres parmi vous » (Jn 12, 18).
Mais ce souci du monde (terrestre) d’après doit-il être la préoccupation première des hommes d’Église ? L’Église a‑t-elle en charge directement et premièrement les royaumes terrestres ? Sa fonction n’est-elle pas plutôt au premier chef d’annoncer, de préparer et d’anticiper un autre royaume, celui des cieux, un autre monde d’après, le monde à venir, celui de Dieu, du Christ ressuscité, de l’Esprit-Saint ?
Il est vrai qu’au cours de l’histoire et encore aujourd’hui, l’Église catholique a apporté une contribution majeure à la civilisation humaine, dans la mesure où elle promeut le bien de l’homme total. Mais cela a été comme un débordement de sa mission propre, qui est d’orienter les hommes vers Dieu par le Christ Rédempteur et sa Croix salvifique. C’est en travaillant à remplir cette mission grandiose : « Allez, enseignez toutes les nations, etc. » que l’Église a aussi, et de plus, servi le bien de l’humanité sur terre. Comme l’avait prédit Jésus lui-même : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice [c’est-à-dire la sanctification, selon le sens biblique de la « justice »], et le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33).
Il est vital, il est capital, il est urgent que l’Église parle aux hommes, avec force, conviction et autorité, de ce « monde d’après » qui les attend, qui leur est promis, et les aide à s’y préparer dans le monde d’aujourd’hui, dans ce monde terrestre avec ses imperfections, par la conversion du cœur, la fuite du péché, la vie selon la grâce, une prière instante, la charité comme amour de Dieu par-dessus toutes choses et amour surnaturel du prochain par amour de Dieu. C’est sa mission, c’est sa responsabilité propre et directe.
Abbé B. de Jorna, Supérieur du District de France
Sources : Lettre à nos frères prêtres n°86 de juin 2020 /La Porte Latine du 24 juin 2020