Certains évêques ont tiré des leçons du confinement du printemps. De peur d’être à nouveau accusés d’inertie, ils ont eu le courage de se joindre aux recours déposés contre les nouvelles restrictions. Las ! Leur attitude n’a pas plu à tout le monde. La Croix vient de publier deux articles dénonçant le risque d’une dérive « malsaine », d’une « posture qui laisse songeur et inquiet ». Mgr Wintzer, évêque de Poitiers [1] et deux « théologiennes », Mmes Monique Baujard et Anne-Marie Pelletier [2], sont montés au créneau pour défendre les décisions du gouvernement.
Bien sûr, il ne s’agit pas pour eux de s’attaquer à tous les opposants au reconfinement. Il y a une souffrance légitime d’être privé de culte, il n’est pas immoral de réclamer son autorisation. Bien sûr, « l’eucharistie est essentielle à la vie chrétienne ». Ce qui les inquiète, c’est qu’on puisse mettre en cause la laïcité et soupçonner l’Etat d’exercer des pressions injustes contre les catholiques : « On entend ou lit que les mesures de restrictions des cultes ne seraient pas dictées par des impératifs sanitaires mais l’expression d’un Etat laïc qui n’aurait de cesse d’encadrer voire de contrôler les cultes » déclare ainsi Mgr Wintzer. « Comme si une forme de trumpisation gagnait insidieusement les esprits, qui fractionne la société, creuse la méfiance de l’autre, fait se barricader dans une identité que l’on déclare menacée » renchérissent nos deux théologiennes.
Le catholicisme identitaire, voilà l’ennemi
Le catholicisme identitaire, voilà l’ennemi. Il ne faudrait surtout pas que les catholiques français se sentent persécutés. C’est le triste apanage des « tenants de l’islamisme politique », avertit l’évêque de Poitiers, ne reculant pas pour une fois devant l’amalgame. Gare à la « menace des communautarismes », ajoutent Mmes Baujard et Pelletier. Hors d’une « juste laïcité » point de salut.
Et peu importent les arguments développés par les participants aux recours. Qu’il soit permis de visiter un magasin de bricolage le dimanche mais pas une église, qu’on puisse s’entasser dans un autobus ou dans un métro mais pas entrer, dans le meilleur des cas, à plus de trente dans une cathédrale, que l’Etat décide quelles cérémonies seront permises et limite les assemblées, que le Premier Ministre réaffirme l’importance de la liberté du culte quelques heures avant que les recours soient rejetés, tout cela n’a rien de contraire à une « juste laïcité » selon les articles de La Croix.
Un gros complexe d’infériorité
On mesure ainsi l’ampleur du complexe d’infériorité entretenu dans une grande partie du clergé français. Ainsi donc, affirmer que les besoins spirituels des fidèles ne sont pas moins importants que les besoins matériels, que « l’homme ne vit pas seulement de pain » (Matthieu 4, 4), ou même laisser les ministres du culte organiser les cérémonies avec les précautions sanitaires d’usage, c’est une attitude dangereuse, contraire à la paix civile, semblable au fond à la revendication islamiste. Quelle meilleure manière de ravaler la foi et la pratique religieuse au rang d’une simple méthode d’accomplissement personnel ?
Car c’est bien là le problème de fond : une partie des évêques et des théologiens de France considèrent comme parfaitement légitime la séparation de l’Eglise et de l’Etat, c’est-à-dire l’assimilation de la religion catholique à n’importe quelle association de citoyens, à visée spirituelle ou non. Au point de ne pas supporter la moindre remise en question de ce principe devenu sacro-saint. Comme si la laïcité ne vidait pas toujours plus la France de sa substance chrétienne. Comme si elle pouvait empêcher en quoi que ce soit l’islam de prospérer en remplissant ce vide spirituel, sous sa forme politique ou non.
En « sortie d’Evangile » … bien enfermé chez soi
Que reste-t-il à faire ? Nos théologiennes nous gratifient d’un grand moment de langue de buis en déclarant que pour « sortir comme le Christ en sortie d’Evangile » et « découvrir de nouvelles formes de vie communautaire » il faut se claquemurer chez soi. Après tout, si l’on est privé de la Messe, « la Parole de Dieu est, de façon tout aussi nécessaire, table de vie ». Après la pastorale de l’enfouissement, la pastorale du confinement, en quelque sorte. Il va être difficile de convaincre les fidèles de retrouver le chemin des églises quand elles rouvriront.
L’urgence n’est donc pas, pour certains, le culte dû à Dieu, mais une « fraternité » que l’on distingue mal de la fraternité laïque et républicaine, dans le service des « vrais pauvres, en moyens matériels, en qualité de l’habitat ou de vie familiale ». Comme si la pauvreté spirituelle n’était pas bien plus destructrice des âmes, surtout lorsque les pasteurs ne la voient même plus.