Dans les débuts de l’histoire des Rois de France, Baronius nous rapporte les faits suivants :
« Dans la chapelle du palais dédiée à saint Pierre, saint Rémi, Clovis et sainte Clotilde étaient assis, entourés des clercs qui avaient accompagné le pontife ainsi que des officiers du roi et de la reine. Le prélat donnait au roi des enseignements salutaires et lui inculquait les commandements évangéliques. Tout à coup, une abondante lumière, plus éclatante que celle du soleil, remplit toute la chapelle et l’on entendit en même temps ces paroles : « La paix soit avec vous. C’est Moi, ne craignez rien, demeurez dans mon Amour ». Puis la lumière disparut et une odeur d’une incroyable suavité embauma le palais. »
Suit le récit d’Hincmar :
« On était au baptistère ; le clerc qui portait le chrême, arrêté par la foule, ne put parvenir jusqu’aux fonts baptismaux et le chrême allait manquer. Saint Rémi se mit aussitôt en prière, et voici que tout à coup, une colombe, plus blanche que la neige, apparût, portant dans son bec une ampoule pleine d’un chrême sacré dont l’évêque répandit une partie dans les fonts baptismaux ; à l’instant, se répandit une odeur plus suave que tous les parfums qu’on avait épanchés. Puis le pontife baptisa et sacra Clovis au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » « Par ces éclatants prodiges, poursuivit Baronius, Dieu voulut manifester clairement de quel poids était la conversion du Roi des Francs et de son peuple. »
Le docteur Jacques de Sainte-Beuve ainsi que certains auteurs, pensent que le privilège unique des Rois de France de guérir les écrouelles, pouvait remonter à Clovis auquel saint Rémi l’aurait obtenu au moment de son baptême, en 496.
Le saint moine Marcoul aurait confirmé ce privilège à son fils, Childebert 1er et à tous ses successeurs couronnés. Le témoignage, d’abord transmis par tradition orale avant d’être écrit par les chroniqueurs et historiens, ne peut être mis en doute et se retrouve pour chaque monarque successif.
L’Eglise institua pour les seuls Rois de France, une cérémonie du sacre qui faisait d’eux les représentants de Dieu dans l’ordre temporel, leur donnant une prééminence sur tous les autres souverains. On peut noter un décret de la République de Venise daté de 1558, qui en expliquait la raison : « parce qu’il (le Roi de France) est sacré avec une huile venue du ciel ».
L’anglais Mathieu Paris (1195–1259) déclare : « Il est le roi des rois de la terre », ce que l’on note sur le plan diplomatique. On y voit le Roi de France ou son ambassadeur, avoir le pas sur les autres souverains, en hommage au miracle de la Sainte Ampoule.
Les Bollandistes rattachent l’importance qui sera donnée à Corbény par les Rois de France au fait qu’en 898, l’abbé de Nanteuil et ses moines, fuyant l’invasion normande, avaient trouvé refuge pour le corps de saint Marcoul dans le domaine de Charles III le Simple. L’intercession de l’abbé de Nanteuil et la présence du corps de saint Marcoul à Corbény aurait sanctifié ce lieu.
Le pèlerinage dont les rois s’acquittaient immédiatement après leur sacre avait pour but de manifester leur reconnaissance et d’obtenir la continuation de leur privilège. Ce pèlerinage se poursuivit jusqu’à Louis XIII inclus.
Les trois derniers rois d’avant 1793, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, faisaient apporter les reliques de saint Marcoul à l’église Saint-Rémi. Ils ne s’étaient plus déplacés jusqu’à Corbeny. Le cérémonial accompagnant la belle formule : « Le roi te touche, Dieu te guérisse », se transmit à travers les âges, accompagné d’une bénédiction et d’un signe de croix. Nos rois avaient à cour de compléter le toucher des malades d’une aumône lorsqu’il s’agissait des pauvres, ce que l’on retrouve dans les comptes royaux.
Les chroniques de l’époque nous rapportent que le fils de Charles III, Louis IV le Gros, avec bonté et humilité, guérissait les malades qui se présentaient.
Saint Louis établit à Corbeny la confrérie de saint Marcoul. Il n’oubliait jamais d’accompagner les soins du signe de croix afin de bien marquer la part prééminente de Dieu dans la guérison obtenue. Les étrangers n’étaient pas exclus des bienfaits obtenus par les malades auprès de nos rois.
Ainsi, Jean le Bon (1350–1364), étant prisonnier des anglais, guérissait ceux d’entre eux qui le sollicitaient. André de la Vigne écrivait dans son « Journal du voyage de Charles VIII » que le roi, à Rome, « toucha » et guérit 500 malades des écrouelles.
Sous le règne de François 1er, le nombre de scrofuleux qu’il « toucha » fut de 1806 entre août 1528 et novembre 1530. Au moment des guerres d’Italie, ce jeune et brillant Roi de France, « touchait » au nom du Maître du ciel, les italiens qui s’empressaient autour de lui. Selon l’archevêque de Milan,
« Dieu a donné le don de guérison miraculeux au seul Roi de France, non à cause de sa personne, mais de sa fonction dont nulle autre dignité sur terre n’est pourvue, fut-ce le pontificat romain lui-même ». « Les souffrants s’agenouillaient aux pieds du jeune roi. Sous les yeux du pontife romain, ce prince de 22 ans dont la vie n’était pas celle d’un saint, réalisait des guérisons miraculeuses que ce pape n’aurait pu se permettre de tenter. En ces circonstances, le roi devait être en état de grâce : s’être précédemment confessé et avoir communié. »
Ce même roi, à Madrid, fit l’admiration de toute l’Espagne, tant à cause de sa prestance majestueuse que par son affabilité et par sa charité, tant il s’employait à la guérison des écrouelles. Selon l’ambassadeur vénitien, Lorenzo Contarini (1551), le roi Henri II honorait chaque fête principale en « touchant » avec autant de patience que de dévotion, de nombreux malades atteints de scrofules.
Le roi Henri IV, sacré à Chartres en 1594, ne put accomplir le pèlerinage de Corbeny, mais le mercredi 6 avril 1594, rapporte Pierre de l’Estoile, on publia par la ville de Paris que le roi toucherait les écrouelles le jour de Pâques ; ce jour-là, après l’office, le roi « toucha », dans la cour du Louvre, 660 malades pauvres, et dans sa chambre, 30 autres de condition plus honnête. Le 6 janvier 1609, à la fête des Rois, il « toucha » les malades. Chaque année, il en guérissait plus de 1500.
En octobre 1610, Louis XIII avait à peine 10 ans au moment de son sacre, cérémonie excessivement longue et épuisante. Quelques jours après, l’enfant-roi quittait Reims pour Corbeny, accomplir le pèlerinage à saint Marcoul. Après les dévotions d’usage, le petit Louis XIII devait « toucher » les malades. Le capitaine des gardes les fit ranger et agenouiller. On en compta plus de 900. Le spectacle et l’odeur de ces loqueteux était épouvantable. Quatre fois, le petit roi, au bord de l’évanouissement, dût s’asseoir pour accomplir jusqu’au bout ce rite charitable.
Les trois derniers rois d’avant la révolution s’étaient acquittés de ce pieux devoir dans le parc de Saint-Rémi. Louis XIV « toucha » 2500 à 2600 malades ; Louis XV, 2000 ; il tint à commencer par les espagnols ; Louis XVI en « toucha » 2400.
Pendant la Révolution, le 8 octobre 1793, la Sainte Ampoule fut brisée par Philippe Rühl, député du Bas-Rhin, sur le socle de la statue de Louis XV, place Royale, à Reims. Mais, la veille du jour où sa destruction fut ordonnée, MM. Bereine et Ph. Hourelle, ainsi que le constate un procès-verbal authentique, tirèrent, à l’aide de l’aiguille d’or, le plus qu’ils purent du baume miraculeux, l’enfermèrent dans du papier et le conservèrent. Des fragments permirent de reconstituer la Sainte Ampoule qui fut employée pour le sacre de Charles X.
Après la Restauration, Charles X, doutant de ce pouvoir, commença par refuser de recevoir les malades, mais on obtint qu’il en « toucha » 130 d’entre eux, avec le résultat habituel aux Rois de France.
Il faut mentionner les exceptions que furent Philippe 1er, au XIe siècle qui, selon Guibert de Nogent, perdit ce privilège en raison de certains péchés.
Il semble également qu’Henri III fit exception à la règle.
Louis XVIII ne se fit pas sacrer et ne « toucha » pas de malade.
Il est intéressant de mentionner que, si le roi anglais, saint Edouard, guérit des scrofuleux, il le dût probablement à sa sainteté. En effet, lorsque la guerre de cent ans fit prendre aux rois anglais le titre de Roi de France avec les fleurs de lis, les successeurs d’Henri VIII voulurent s’appliquer l’antique cérémonial mais, à la différence des Rois de France, ils y gagnèrent les écrouelles au lieu de les guérir sur autrui (selon des « on dit » donnés pour tels ; Malmesbury).
Sous la monarchie, les français pouvaient être fiers des gloires de leur pays, dont celle énoncée ci-dessus n’est pas la moindre. Il n’est pas mauvais de leur rappeler des vérités depuis trop longtemps occultées ou déformées.
G.T. – Toulouse
Notes
Ecrouelles (ou scrofules, mot latin) : « Inflammation et abcès d’origine tuberculeuse, atteignant surtout les ganglions lymphatiques du cou ».
Bollandistes : « Société adonnée aux recherches hagiographiques dans un esprit de critique historique qui tire son nom de Jean Bolland (1506–1665), Jésuite liégeois ».