N° 27 – Novembre 2010
hère Madame,
Nous vivons dans un monde en perpétuel changement où les découvertes constantes opèrent une sorte de stress qui nous entraîne malgré nous. Ce stress, si nous, adultes et éducateurs, n’y prenons pas garde, nous le communiquons aux enfants qui sont plus fragiles parce qu’ils sont « en formation ». Ce progrès agit, particulièrement, en faveur du bruit. Qui n’a pas constaté que le bruit règne partout : dans les magasins, les supermarchés, la rue, les transports, à la maison…. Même, malheureusement, dans certaines églises : une musique accompagne notre visite dans le sanctuaire où autrefois le plus grand silence régnait afin de favoriser le contact intime entre l’âme et Dieu.
Le bruit dérange et même il est « nocif » dans bien des cas. Sachons le reconnaître et nous en préserver !
On sait que l’on peut enregistrer le bruit et que celui-ci est évalué en unités appelées « phonèmes ». A partir d’un certain nombre de phonèmes, le bruit occasionne des perturbations physiologiques, tels l’irrégularité des battements du cœur, des troubles dans la respiration ou dans la circulation, voire même dans le système nerveux ; et donc il apporte une atteinte à l’intégrité du cerveau. Le saviez-vous ?
Je me suis souvent posé des questions sur l’attitude nouvelle des enfants. Je suis persuadée que leur nervosité et leurs grandes difficultés à maîtriser leur corps (attitude corporelle ou tenue, attention), de même que leurs cinq sens, en particulier la vue et l’ouïe, viennent de cette forme d’agression faite au cerveau, occasionnée par le bruit sous tous ses aspects. Un enfant me disait un jour : « moi, je ne supporte pas le silence, j’ai besoin de bruit. » Un autre : « je ne peux pas travailler dans le silence ; il faut que j’allume la radio. »
Je veux bien croire que la musique, la vraie, peut être une aide en détendant l’esprit, mais quant à dire « je ne supporte pas le silence » ! et je ne peux pas travailler sans cet accompagnement… alors je comprends que l’enfant soit incapable de garder le silence en classe, notamment durant un devoir écrit où le « mutisme » est de rigueur pour permettre à chacun de se concentrer sur son travail.
Quelle est la nocivité du bruit ?
Il a été observé et constaté que des ouvriers placés, dans un atelier ou sur un chantier, à proximité d’une machine dont le bruit dépasse un certain nombre de phonèmes, avaient des problèmes auditifs et certains devenaient sourds progressivement. La même constatation avait été faite pour les aviateurs, lors des dernières guerres mondiales.
Il n’est pas nécessaire d’en être conscient pour pâtir du bruit. Une expérience a été faite sur un lapin. Placé à côté d’un canon, le bruit de la détonation l’a tué et l’autopsie faite a révélé que le cerveau de l’animal était complètement décomposé.
Cela doit nous faire réfléchir sur la fragilité du cerveau de l’enfant et surtout du très jeune ! En voyant le petit enfant « trimbalé » partout (excusez-moi l’expression), je me demande parfois si la maman a conscience des conséquences qui peuvent en découler. Je pense avec inquiétude à ce qui peut se passer dans le cerveau d’un enfant lorsqu’en sa présence on parle fort, que le volume sonore de la radio ou de la télévision est élevé, ou bien également lorsqu’on le promène dans les rues où il y a beaucoup de circulation.
Vous me répondrez : l’enfant est inconscient de ce qui se passe, et même il continue à dormir ! Le bruit n’en atteint pas moins son cerveau et y laisse des traces. L’enfant étant « père de l’homme » comme dit le poète, ne peut-on pas attribuer la nervosité de l’homme moderne aux chocs nerveux subis dans sa prime enfance ?
L’accoutumance au bruit ne lui confère pas l’innocuité ; il en est de même pour l’accoutumance à l’alcool chez l’alcoolique. Ainsi, pour l’exemple précité de l’enfant qui prétend ne pas pouvoir travailler sans l’accompagnement de musique, son attention, habituée à se dissocier, ne peut pas se fixer entièrement sur un seul objet. Pour le désintoxiquer du bruit, il faut toute une rééducation par l’activité musculaire mise au service de l’effort mental. A cette condition seulement, l’enfant peut devenir un être équilibré, ayant les pieds sur terre, la tête lucide, l’oreille attentive à la présence de Dieu qui habite l’âme du baptisé. Sans cela, il ne peut pas prendre conscience de cette nature spirituelle qu’il porte en lui… et c’est grave, « car le Royaume de Dieu ne vient pas avec fracas. » dit saint Luc (17, 21) et « Dieu ne parle pas dans le bruit ».
Ce que les vibrations sonores sont aux oreilles, les vibrations lumineuses le sont aux yeux.
Dans les grands magasins, les foires et d’autres lieux, l’éclairage est dispensé avec profusion, et cela à dessein : il excite les nerfs, affaiblit le cerveau, et surtout empêche la réflexion. Pris de vertiges, le client cède à toutes les tentations… et l’enfant aussi, car souvent il accompagne maman !
A l’opposé, la pénombre repose, apaise et favorise le recueillement. Il suffit de baisser la lumière pour voir les muscles se détendre, les yeux s’ouvrir plus grands et les visages prendre une expression plus sereine et plus attentive. Le respect humain disparaît et chacun devient lui-même. On dirait que les poumons respirent plus à l’aise dans l’espace subitement agrandi, l’ombre ayant fait disparaître les limites. Dès que vous rallumez, les murs semblent se resserrer, les visages se crispent et chacun remet son masque conventionnel.
Les spots, projecteurs et autres luminaires dont l’éclairage est violent… sont à utiliser avec parcimonie. L’œil ne devrait jamais rencontrer directement l’ampoule électrique, mais seulement des faisceaux lumineux. On sait que l’art de la lumière, en tant que facteur psychologique, a été poussé très loin au théâtre. A lui seul, sans décors, il est capable de suggérer toutes les impressions souhaitées par le metteur en scène et les techniciens. Sachons utiliser ces moyens uniquement pour le bien de l’enfant, afin d’apprendre à capter son attention et l’orienter dans le sens voulu.
Un exemple : la liturgie suppose l’art de doser l’ombre et l’éclairage car elle exige un milieu recueilli, où la flamme du cierge rappelle la lumière du Christ « qui luit dans les ténèbres » (Jean 1,5). Ainsi, à la prière du soir, en famille, éteignons les lumières, allumons la bougie qui éclaire juste l’image de Jésus et de Marie, afin que l’enfant, dirigeant ses yeux vers cette lumière, oublie le monde extérieur et trouve facilement le chemin vers Dieu par et dans la prière.
Oui, aidons l’enfant. Le monde veut le bruit : il déteste le silence, parce que, en définitive, le silence…. c’est Dieu. Et le monde ne veut pas de Dieu.
Pour s’introduire en nous à la place de Dieu, le monde prend tous les moyens et, parmi ceux-ci, il y a également l’image. Soyons bien conscients de cela pour nous en protéger et préserver l’enfant.
Dans les grandes villes, les images nous assaillent de toutes parts. Elles se bousculent,… car chacune est destinée à accaparer notre attention. Le cerveau succomberait sous leur pression s’il n’avait la rescousse de se refermer à moitié. Il ne prête plus alors qu’une attention distraite à tout ce qui le sollicite… Néanmoins, les images finissent par user nos défenses et nous devenons de plus en plus inattentifs, distraits et… irresponsables.
L’éducation par l’image est une pente facile et souvent une funeste illusion… mais elle attire… par sa facilité. Au lieu de « ruminer » dans son cerveau, l’enfant « avale » les connaissances sans réfléchir… car tout va trop vite. Cependant, il « croit savoir » alors que, bien souvent, ce sont des connaissances superficielles car non réfléchies.
Chère Madame, soyez bien clairvoyante au sujet de ce danger actuel ! Après les BD, la télévision, puis les vidéos, il y a maintenant « internet » qui est semblable à un supermarché de l’intelligence et donc un outil que seuls les adultes – capables de gérer leur volonté ! – peuvent utiliser avec la plus grande précaution. Mais de grâce, soyez bien prudente et agissez en conséquence (avant qu’il ne soit trop tard) pour éviter ce grave danger très réel qui peut toucher votre enfant.
S’opposer au monde n’est certes pas une chose aisée, mais c’est une nécessité indispensable si nous voulons préserver la foi dans notre âme et dans celle des enfants.
C’est la grâce que je vous souhaite.
(à suivre)
Une Religieuse.