Entretien de M. l’abbé G. Post donné à Fideliter pour les 40 ans de la FSSPX


A droite de Mgr Lefebvre, l’abbé Grégory Post, lors d’un banquet
à San José (Californie) en 1984 – A sa gauche feu l’ab­bé Denis Roch.

40 ans de Fraternité : un membre témoigne

Quoi de plus natu­rel que d’interroger, à l’occasion du qua­ran­tième anni­ver­saire de la Fraternité, un de ses plus anciens membres ?

La rédac­tion de Fideliter a pu ren­con­trer M. l’abbé Grégory Post, en minis­tère aux États-​Unis, et témoin des tout pre­miers temps de notre société.

Fideliter – M. l’abbé, par­mi les prêtres, membres de la Fraternité et qui ont été ordon­nés dans la Fraternité, vous êtes celui dont l’ordination est la plus ancienne et pour­tant vous n’êtes pas le membre le plus ancien. Pouvez-​vous nous expli­quer ce paradoxe ?
Abbé Gégory Post
– En effet, cer­tains membres de la Fraternité et qui ont été ordon­nés en elle, par exemple l’abbé Jean- Yves Cottard ou Mgr Bernard Tissier de Mallerais, sont plus anciens que moi (ils se sont enga­gés avant moi), et pour­tant ils ont été ordon­nés après. Car les années de sémi­naire ont été rac­cour­cies pour moi. Lorsque je suis entré dans la Fraternité, j’avais déjà reçu une cer­taine formation.

Dans quel cadre l’aviez-vous reçue ?
En trois endroits ! Dans un grand sémi­naire, dans une uni­ver­si­té et dans un Ordre religieux.

Revenons alors en arrière : vous êtes américain…
Je suis ori­gi­naire de Miniapolis, dans le Minnesota. Issu d’une famille catho­lique. Nous étions trois enfants. Mon frère est mort de mala­die en 1996, et j’ai une soeur qui vit tou­jours, grâce à Dieu.

Famille catho­lique. Donc école catholique ?
Effectivement, à San Francisco. Et comme je vou­lais être prêtre, je suis entré au petit sémi­naire de San Francisco à l’âge de 13 ans. C’était en 1953. J’y suis res­té six ans. J’en garde un bon souvenir.

Et tout natu­rel­le­ment, après le petit sémi­naire, le grand ?
Tout natu­rel­le­ment. Cependant je n’y suis res­té que quatre mois. Au mois de jan­vier, j’ai pen­sé que je n’étais pas dans ma voie. J’ai donc quit­té le sémi­naire et ai com­men­cé des études d’espagnol et de phi­lo­so­phie, à l’université de Berkeley en Californie, puis à San Francisco State University. J’ai appris des choses, mais la phi­lo­so­phie y était très laïque. J’ai obte­nu cepen­dant les diplômes qui me per­met­tront ensuite d’enseigner l’espagnol et le latin.

Vous par­liez tout à l’heure de trois endroits où vous avez reçu une for­ma­tion phi­lo­so­phique : le grand sémi­naire et l’université, cela fait deux…
Le troi­sième, c’est dans un Ordre, comme je vous le disais. Le jour de Pâques 1964, j’ai éprou­vé le désir assez fort d’entrer en reli­gion. Ce désir s’est pro­lon­gé, j’en ai donc par­lé à mon curé. Suivant ses conseils, j’ai écrit à sept Ordres ou congré­ga­tions. Les carmes déchaus­sés m’ont invi­té à pas­ser un week-​end chez eux, à Oakville. J’ai été favo­ra­ble­ment impres­sion­né. J’ai été admis à y entrer. C’était le 25 août.

En plein pen­dant les der­nières années du concile Vatican II…
C’est exact. Et cepen­dant la for­ma­tion phi­lo­so­phique reçue était proche de saint Thomas. Les étu­diants en phi­lo­so­phie étaient réunis à Oakville, ceux qui sui­vaient la théo­lo­gie à Washington. Je me suis donc ren­du à Washington. Nous étions cinq, dans mon année.

Qui dit reli­gion dit vœux… 
J’ai émis mes vœux tem­po­raires dès 1965. Trois ans après j’ai reçu la ton­sure et les Ordres mineurs. Mais les choses n’allaient pas bien. Les reli­gieux vou­laient chan­ger toutes les tra­di­tions de l’Ordre. Les cours de théo­lo­gie étaient impré­gnés de moder­nisme, sur­tout en morale. Les frères aban­don­naient l’habit. Et puis, alors que les moments d’oraison men­tale étaient pré­vus, obli­ga­toires dans la règle, main­te­nant les supé­rieurs nous disaient : faites orai­son vous-​même, seuls. Nous pou­vions aus­si aller en ville libre­ment, avec de l’argent en poche. On ne veillait plus les uns sur les autres. De nom­breuses voca­tions se sont perdues.

Comment avez-​vous réagi ? 
J’avais un bon modèle : ma famille, qui d’ailleurs n’aimait pas la nou­velle messe. Elle venait de démé­na­ger de San Francisco à Postfalls, afin de trou­ver des sou­tiens dans d’autres familles qui étaient atta­chées à la Tradition. Il y avait là des prêtres qui disaient la messe tra­di­tion­nelle, et la Fraternité n’existait pas encore. J’ai deman­dé la per­mis­sion de faire une pause pen­dant une année ; j’avais d’ailleurs des pro­blèmes de san­té à l’estomac.

Vos supé­rieurs ont-​ils accepté ?
Non. Ils n’appréciaient d’ailleurs pas mon côté « trop conser­va­teur ». Les dif­fé­rends ont paru au grand jour, par exemple lors d’une réunion de com­mu­nau­té. Imaginez : nous étions trente dans la mai­son (sémi­na­ristes, prêtres et frères), dont le supé­rieur pro­vin­cial. Il a mis au vote le fait de savoir si nous devions conti­nuer la lec­ture à table (et d’autres choses aus­si). Sur les trente, j’ai été le seul à voter en faveur de la lecture.

Ces ten­sions ont dû rendre dif­fi­cile la vie commune… 
Oui. J’ai prié, deman­dé conseil, et puis je me suis dit : tu dois res­ter jusqu’à ce que la Providence te montre clai­re­ment un autre che­min, si elle le veut. Or, ma mère avait des rela­tions épis­to­laires avec un pro­fes­seur anglais à Rome, M. Robin Anderson. Cet homme connais­sait Mgr Lefebvre. Ma mère lui a dit : mon fils cherche un sémi­naire tra­di­tion­nel. M. Anderson a donc sug­gé­ré que j’écrive à Mgr Lefebvre et il a lui même trans­mis la lettre. Monseigneur m’a répon­du en décembre 1970, me disant qu’il pré­voyait un voyage aux États-Unis.

Racontez-​nous donc votre pre­mière ren­contre avec Mgr Lefebvre. 
Au mois de mars 1971 j’ai ren­con­tré Monseigneur à Pittsburgh, à la mai­son des Spiritains. Je suis arri­vé vers 7 heures du matin. Il disait sa messe. Il n’avait pas de ser­vant. J’ai donc ser­vi. Après l’action de grâces et le petit déjeu­ner, une per­sonne a conduit Monseigneur en voi­ture. Je les ai accom­pa­gnés. Au cours du tra­jet, Monseigneur m’a expli­qué Écône, la for­ma­tion et m’a enga­gé à écrire au direc­teur du sémi­naire, à l’époque l’abbé Jacques Masson.

Quelle a été votre impres­sion lors de cette rencontre ? 
En réa­li­té, cinq mois plus tard j’ai pu à nou­veau voir Monseigneur, et c’est à cette occa­sion que j’ai pu mieux le connaître. C’était en août 1971, à Powers-​Lake (Nord du Dakota). Trois mille per­sonnes étaient là et l’archevêque en a béni soixante-​quinze per­son­nel­le­ment avec l’ostensoir ! Nous avons pu par­ler pen­dant une heure avec lui. J’ai été impres­sion­né par sa sagesse, son calme. Il était tou­jours très tran­quille. Il connais­sait bien la situa­tion réelle dans l’Église. Toutes ses pen­sées et sa vie étaient cen­trées sur Dieu, la reli­gion, la messe, les sacre­ments, les dogmes. J’ose dire : la sain­te­té de vie.

Vous êtes donc entré au sémi­naire, juste après la fon­da­tion de la Fraternité. C’était il y a qua­rante ans… 
Oui. Je suis arri­vé le 6 octobre à Écône, pen­dant le déjeu­ner. On m’a mon­tré ma chambre et tout de suite je suis entré en retraite spi­ri­tuelle, ain­si que les sémi­na­ristes de mon année. Mais Monseigneur m’a dit : vous avez déjà sui­vi de nom­breux cours de phi­lo­so­phie. Je vous envoie donc à l’université de Fribourg. J’y ai rejoint Jean-​Yves Cottard, Christian Datessen, Georges Salleron. Le supé­rieur était l’abbé Gérard Trochesec. Bientôt ce sont Terence Kelly et Anthony Ward qui se sont joints à nous. Nous avons pas­sé deux années là-​bas. Contrairement à l’Ordre des carmes qui connais­sait la tour­mente conci­liaire, il y avait, route de la Vignettaz, une véri­table vie reli­gieuse, avec de la régu­la­ri­té. Je crois que le concile a été la pire chose, dans l’histoire de l’Église.

Après la for­ma­tion, les ordres ?
J’ai été dès 1972 ordon­né sous-​diacre, puis diacre. Enfin, en août 1972, Mgr Lefebvre m’a ordon­né prêtre à Powers-​Lake. J’étais le seul à rece­voir le sacer­doce, dans cette cha­pelle du Sacré-​Cœur. Au mois d’octobre, je suis repar­ti pour Fribourg où j’ai pour­sui­vi mes études. Puis sont venues mes pre­mières nomi­na­tions : Detroit, Écône, Los Gatos. J’ai ensuite beau­coup voya­gé : Phénix, Dickinson, Saint-​Louis, Hawaï, Syracuse…

Quand on regarde en arrière, on peut se deman­der pour­quoi cer­tains prêtres ont si faci­le­ment quit­té la Fraternité…
Monseigneur était trop droit pour pen­ser que ceux aux­quels il fai­sait du bien, pou­vaient être ensuite injustes avec lui, ou bien lui men­tir, aban­don­ner la voie… Par exemple, en 1982, Monseigneur a divi­sé le dis­trict des États-​Unis en deux dis­tricts, l’un confié à un prêtre, l’autre confié à un autre. L’année sui­vante, l’un de ces deux prêtres nous a quit­tés. Pourquoi ? Mystère… Oui, Monseigneur a par­fois trop fait confiance.

Ces départs, vous les attri­buez à des rai­sons doc­tri­nales ? à des dif­fi­cul­tés de vie commune ? 
Côté vie com­mune, il est cer­tain que beau­coup sont par­tis en rai­son d’un esprit indé­pen­dant, de dif­fi­cul­tés à se sou­mettre à un supé­rieur. La doc­trine explique d’autres départs. Déjà, à Écône, cer­tains avaient des ten­dances sédé­va­can­tistes, spé­cia­le­ment par­mi les Américains. Ils ne vou­laient pas que nous ayons des rela­tions avec Rome, comme nous en avons à pré­sent encore. Mais s’il est vrai qu’à vue humaine il y a de quoi être pes­si­miste sur l’aboutissement de nos entre­tiens, l’intervention divine peut arran­ger les choses ; il est utile d’avoir des discussions.

Par ailleurs, trouvez-​vous que la phy­sio­no­mie géné­rale de notre Fraternité a chan­gé, en qua­rante ans, vous qui l’avez connue dès le début ? 
La Fraternité est à mon avis plus forte. Les prêtres sont plus nom­breux, plus proches en dis­tance les uns des autres, plus orga­ni­sés. Je nous trouve plus unis. Et nous fai­sons davan­tage atten­tion à la for­ma­tion des sémi­na­ristes qu’auparavant.

M. l’abbé, que conseille­riez­vous aux âmes pour être fidèle à leurs enga­ge­ments dans une période comme la nôtre, par­ti­cu­liè­re­ment au sein de la Fraternité ? 
Pour mettre les choses en ordre, je dirais : d’abord la vie spi­ri­tuelle, donc la litur­gie et l’oraison per­son­nelle. Puis l’obéissance à la règle (horaires…) et aux supé­rieurs, et cor­ré­la­ti­ve­ment l’humilité. Enfin conti­nuer à lire, à étu­dier les ensei­gne­ments des papes et des auteurs vrai­ment catholiques.

Extrait de Fideliter n° 198 de novembre-​décembre 2010