Est-il nécessaire ou utile, pour une revue religieuse, de s’intéresser à la littérature ? S’il est bon, bien sûr, pour leur salut éternel, que les romanciers soient personnellement catholiques, le « roman catholique » a‑t-il quelque chose à voir avec l’avènement du règne du Christ, avec la grâce et la vie éternelle ? On peut d’abord répondre à cette objection d’un point de vue général. Nous défendons, nous prêchons, nous exaltons le Christ-Roi. Qu’est-ce à dire, sinon que toutes les réalités créées doivent se soumettre aux lois du Christ, par le biais de la soumission de l’homme lui-même ? C’est ce qu’exprime clairement l’hymne du Christ-Roi dans des vers que, bien évidemment, la nouvelle liturgie a censurés : « Que les chefs des nations vous honorent par un culte public ; que les enseignants et les juges vous vénèrent ; que les lois et les arts expriment votre royauté. »
De même que le règne du Christ-Roi implique que les bouchers, les ingénieurs, les caissières, les agents de police, les ouvriers, etc. se soumettent aux lois du Christ et y soumettent les règles de leur métier, de même il réclame que les romanciers y soumettent leur art et leurs œuvres. Ce principe général est cependant insuffisant pour rendre compte de la nécessité du roman catholique. Il est nécessaire pour cela de tenir compte de la spécificité de la littérature. En soi et formellement, la foi est transmise et enseignée par la prédication surnaturelle, que réalise en particulier le sermon ou l’homélie. Mais dans la réalité, cette transmission de la foi passe le plus souvent par des médiations : l’homme est atteint dans sa vie intellectuelle, affective, morale, religieuse, par des œuvres, par des moyens qui ne sont pas en eux-mêmes religieux. En bon français, cela signifie que c’est par le biais d’une culture que le christianisme atteint les hommes.
Cette culture est en soi universelle, mais se particularise aussi en fonction de l’époque, du lieu, de la race, des traditions, etc. Dans une société dominée par l’oralité, Notre Seigneur Jésus-Christ a utilisé la médiation la plus simple, la plus universelle et la plus efficace : raconter de belles histoires, les paraboles. Au Moyen Âge, on y a ajouté les images visuelles. La transmission du patrimoine chrétien s’opérait par les statues, les mosaïques, les fresques, les peintures, les vitraux, etc. L’ère moderne a connu deux phénomènes convergents : l’invention de l’imprimerie et la diffusion massive de l’alphabétisation par l’école. De là est venu que les deux médiations culturelles principales sont aujourd’hui le livre et le périodique (journal, revue), même si elles sont actuellement en partie battues en brèche par les écrans animés (film, télévision, internet). Parce que les hommes, désormais, se cultivent, s’informent, se détendent avec des livres et des journaux, il est indispensable que la foi chrétienne les rejoigne par cette médiation.
Pour cela, bien sûr, il faut nécessairement des écrivains catholiques et des journalistes catholiques. Or un tiers des titres publiés appartiennent au genre « littérature », que ce soit pour les adultes ou pour la jeunesse. On passe du temps à lire un roman, et on y irrigue non seulement son intelligence, mais sa sensibilité, son imagination, son affectivité. Il est donc nécessaire qu’il y ait des romanciers catholiques, pour que la foi puisse atteindre efficacement les âmes des hommes d’aujourd’hui. René Bazin fut un romancier catholique, très célèbre à son époque. Plusieurs de ses romans ont passé le « cap du siècle » et sont devenus des classiques. À travers cet auteur, c’est toute la question sousjacente du « roman catholique » qu’aborde notre dossier. Et l’hagiographie n’est pas non plus en reste, René Bazin se révélant un maître en la matière.
Abbé Régis de Cacqueray †, Supérieur du District de France
Source : Editorial de Fideliter n° 198