« Viens et suis-moi. » Marc X, 21
L’une des raisons du manque de « vocations » sacerdotales ou religieuses nous semble se trouver dans une conception souvent quelque peu erronée de « la vocation », qui sévit même dans les meilleures familles catholiques où cette voie est pourtant considérée comme une grâce insigne. Nombreux sont les catholiques, en effet, à penser que « la vocation » est d’abord une sorte d’appel tout intérieur que les enfants ou jeunes gens entendent ou ressentent au-dedans d’eux-mêmes, et qui constitue le signe infaillible de l’appel de Dieu. Seuls ceux qui ont entendu cet appel intérieur devraient alors entrer dans un séminaire ou dans un noviciat tandis que ceux qui ne l’ont pas entendu ne devraient surtout pas y entrer.
Il y a là une confusion vraiment regrettable et qui entraîne certainement la perte de vocations bien réelles. En réalité, il suffit seulement qu’un jeune homme ou une jeune fille possède les qualités nécessaires à un futur prêtre, religieux ou religieuse pour que, sans hésitation, il puisse demander à entrer dans un séminaire ou dans une communauté religieuse. Si les Supérieurs du séminaire ou de la communauté religieuse vers lesquels il ou elle s’est tourné(e) l’acceptent au séminaire ou dans leur communauté, puis lui permettent d’avancer pour recevoir les différents ordres qui mènent jusqu’au sacerdoce ou pour prononcer ses vœux solennels, c’est qu’il ou elle a effectivement les aptitudes requises et peut paisiblement progresser sur cette voie. Rien n’autre n’est exigé pour demander à entrer que les aptitudes requises ! Que l’on s’en remette ensuite au jugement que porteront les Supérieurs.
La vocation ne consiste donc pas en un appel qui serait mystérieusement donné par Dieu au fond de l’âme et qui poserait ensuite comme « un droit » à être admis ici ou là parce qu’on aurait déjà directement été appelé par Dieu. Bien sûr, il est certain qu’il existe des sollicitations intérieures de la grâce divine, parfois singulièrement pressantes, qui viennent incliner les jeunes gens vers le sacerdoce ou la vie religieuse. Mais elles ne constituent pas la vocation elle-même. La vocation, à proprement parler, réside dans l’appel extérieur adressé par les Supérieurs ecclésiastiques ou par les Supérieurs religieux aux jeunes gens idoines. Soit que ces Supérieurs les appellent effectivement, soit que ces jeunes gens se soient présentés à eux spontanément parce que, après avoir pris conseil, ils pensent avoir les qualités requises, ils n’ont proprement la « vocation » que s’ils sont ensuite « appelés » extérieurement aux ordres ou à émettre leurs vœux par leurs Supérieurs.
Si cette vocation peut donc, il est vrai, avoir été anticipée pour certains d’une façon aussi saisissante que pour Saül sur le chemin de Damas, selon la volonté du Bon Dieu, ce n’est pas là la norme. La règle, c’est que la décision de l’entrée au séminaire ou au noviciat provient du choix que va librement poser le jeune homme ou la jeune fille. Ainsi, il s’agit d’un acte volontaire, délibéré et généreux, de toute personne possédant les qualités requises pour l’état sacerdotal ou pour la vie religieuse.
Il est donc important d’insister sur la part essentielle de volontariat que comporte toujours une « vocation ». Le jeune homme ou la jeune fille qui possède les aptitudes suffisantes de santé, d’équilibre psychologique, de dispositions intellectuelles et de vertu n’a pas besoin d’attendre un autre signe pour se présenter à la porte d’un séminaire ou d’un noviciat. Il n’y est pas obligé et, s’il se marie pour fonder une belle famille chrétienne, l’Eglise se réjouit de cette magnifique destinée. Mais, s’il possède les aptitudes, il peut aussi choisir de se donner à Dieu dans la voie religieuse ou sacerdotale pour le plus grand bonheur de l’Eglise. Si le séminaire ou la communauté en est satisfait et le porte vers les ordres ou l’émission des vœux, il aura alors confirmation qu’il y était bien appelé.
Que l’on ne croie pas pour autant, dans ces conditions, que tout le monde va entrer dans les séminaires ou dans les noviciats ! Dans un sens, comme cela été dit, ce serait certes la plus belle fin du monde ! Mais, dans la réalité, ce n’est vraiment pas la tournure que prennent les événements.
D’abord parce que la fragilisation des psychologies et des personnalités est devenue telle que de nombreuses déficiences dans les caractères privent bien des jeunes gens de l’assise naturelle suffisante pour entrer aujourd’hui dans les ordres ou en religion.
Ensuite, et il faut le redire, parce que le choix du mariage est bon et qu’il est donc légitime que des jeunes fervents, même s’ils possèdent tout ce qu’il faut pour devenir de bons prêtres, religieux ou religieuses, fassent le choix du mariage : ce sera un bon choix. On peut même ajouter que ce sera un choix souvent courageux tant les sacrifices pour éduquer les enfants d’une façon vraiment catholique ne cessent de devenir plus lourds.
Enfin, il est certain que l’histoire du jeune homme riche de l’Evangile est typique et que, dans un certain nombre de cas, mais évidemment pas dans tous les cas, ce qui fait défaut, c’est cette générosité prête aux renoncements évidents que demande toujours l’entrée dans les Ordres ou en religion : « Jésus l’ayant regardé, l’aima, et lui dit :’Il te manque une seule chose ; va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi. Mais lui, affligé de cette parole, s’en alla triste, car il avait de grands biens. » Marc X, 21–22
Que notre prière se porte cette année vers le Ciel, chers amis de la Croisade, pour que les jeunes gens sachent prendre leurs décisions, librement, devant Dieu, sans la remettre toujours au lendemain. La peur de l’engagement est un véritable fléau. Dieu nous a faits libres, véritablement libres, mais Il nous a aussi donné cette liberté pour que nous allions librement vers Lui. Que les jeunes gens ne croient pas que le refus de leur engagement personnel leur procurera une indépendance et une liberté supérieures. En réalité, ils seront emportés, et d’une façon très subtile et très cruelle, vers une véritable perte de la liberté, c’est-à-dire un esclavage et le pire esclavage qui soit, celui de soi-même : « Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra. » Matth. XVI, 25.
Abbé Régis DE CACQUERAY †
Supérieur du District de France