Texte caviardé, photo montée… Le Saint-Siège a publié une lettre de Benoît XVI, au sujet du pape François, dont il a intentionnellement dissimulé des passages. Accusé de « manipulation », le Vatican a dû publier le texte dans son intégralité.
Le cinquième anniversaire de l’élection du pape François, le 13 mars, et de son installation officielle, le 19 mars, est troublé par une curieuse affaire de communication. Elle a été dénoncée par certains comme une « manipulation » de l’opinion publique. Devant l’embrasement de la polémique impliquant le pape régnant, François, et le pape émérite, Benoît XVI, le Saint-Siège a décidé de publier, dimanche en soirée, l’ensemble des pièces en cause.
Les faits sont les suivants. Le 12 mars, à Rome, Mgr Dario Edoardo Vigano, préfet du secrétariat pour la Communication – en d’autres termes, ministre de la Communication -, donne lecture publique d’une lettre rédigée par Benoît XVI à l’occasion de la présentation d’une collection de onze ouvrages, éditée par la Librairie éditrice vaticane (la maison d’édition du Vatican) où des théologiens commentent la pensée théologique du pape François. Mgr Vigano avait demandé au pape Benoît d’en rédiger la préface, mais ce dernier expliquait précisément dans cette lettre de réponse pourquoi il ne pouvait accepter.
Or, dans sa lecture publique, il se trouve que ce prélat n’a cité que les trois premiers paragraphes sur quatre de la lettre (lire le texte ci-dessous) en omettant le dernier. De plus, le Saint-Siège n’a ensuite officiellement publié – par écrit – que les deux premiers paragraphes. Enfin, le Vatican a publié une photo de la lettre de Benoît XVI, posée à côté de la pile des onze volumes mais où le 3e paragraphe est flouté et le 4e totalement caché, ne laissant apparaître que la signature de Benoît.
Ne pas publier ce paragraphe final revenait toutefois à changer le sens de la lettre de Benoît XVI, puisque le pape émérite émettait là une réserve de type théologique
Aussi, le 13 mars, de nombreux articles et émissions dans le monde entier ont souligné les deux phrases fortes du début de la lettre : « le préjugé stupide » contre le pape François qui ne serait pas théologien et « la continuité intérieure entre les deux pontificats ». Un message élogieux, témoignant de son soutien, au moment précis où beaucoup se posent des questions sur l’orientation théologique du pontificat du pape François.
Un journaliste italien, Sandro Magister, s’est rendu compte de l”«omission ». Il a réussi à retrouver la substance de toute la lettre et a publié le résultat de son travail sur son blog très suivi, « Settimo Cielo ».
Outre l’impossibilité matérielle pour le pape Benoît d’écrire cette préface, argumentée dans le 3e paragraphe, il apparaissait alors que le 4e paragraphe occulté critiquait la présence parmi les auteurs de la collection, de Peter Hünermann, théologien allemand. Benoît XVI se disant « surpris » car Hünermann a « attaqué l’autorité magistérielle du pape (Jean-Paul II, NDLR) de manière virulente ». Ce qui ne lui permettait pas de prêter son nom à ce projet.
Ne pas publier ce paragraphe final revenait toutefois à changer le sens de la lettre de Benoît XVI, puisque le pape émérite émettait là une réserve de type théologique.
En fait, ce qu’écrit Benoît XVI dans la seconde moitié de la lettre, il est clair que même la première moitié acquiert une toute autre signification, très différente de celle que Viganò a voulu faire passer dans son communiqué de presse tronqué et tendancieux.
Devant la confusion – et à la demande de Benoît XVI lui-même -, le Vatican a finalement publié la lettre intégrale. Elle est accompagnée d’une note qui récuse toute « manipulation » ou « censure » et qui explique l’éviction du 4e paragraphe pour des raisons de discrétion. « Riservatezza » en italien.
En résumé, on peut dire que même si certains vaticanistes s’évertuent à écrire que, après cinq années, la popularité du Pape François ne baisse pas et que le bilan de son pontificat est pleinement positif, le Vatican lui-même, au travers de la lettre de Benoît XVI rendue publique par Mgr Viganò, admet l’existence de lourdes ombres pesant sur l’anniversaire de son quinquennat de gouvernement.
Lettre du pape émérite Benoît XVI au préfet du secrétariat pour la communication du Vatican, le 7 février 2018
« Benedictus XVI
Papa Emeritus
Rev.mo Signore
Mons. Dario Edoardo Viganò
Préfet du Secrétariat pour la communication
Cité du Vatican
Le 7 février 2018
Monseigneur,
Je vous remercie pour votre aimable lettre du 12 janvier et pour le cadeau qui y était joint contenant les onze petits volumes sous la direction de Roberto Repole.
J’applaudis à cette initiative visant à s’opposer et réagir contre le préjugé » stupide en vertu duquel le pape François ne serait qu’un homme pratique dénué de toute formation théologique ou philosophique tandis que je ne serais moi-même qu’un théoricien de la théologie qui n’aurait pas compris grand-chose de la vie concrète d’un chrétien d’aujourd’hui.
Ces petits volumes montrent, à juste titre, que le Pape François est un homme doté d’une profonde formation philosophique et théologique et ils aident en cela à voir la continuité intérieure entre les deux pontificats, nonobstant toutes les différences de style et de tempérament.
Toutefois, je ne peux pas rédiger une brève et dense page théologique à leur sujet parce que toute ma vie, il a toujours été clair que je n’écrirais et que je ne m’exprimerais jamais que sur les livres que j’aurais vraiment lus. Malheureusement, notamment pour des raisons physiques, je ne suis pas en mesure de lire les onze petits volumes dans un avenir proche, d’autant plus que d’autres engagements que j’ai déjà accepté m’attendent.
Accessoirement, je voudrais vous faire part de ma surprise de voir également figurer parmi les auteurs le professeur Hünermann qui, au cours de mon pontificat, s’est distingué pour avoir mené des initiatives anti-papales. Il a largement participé à la publication de la « Kölner Erklärung » qui, en ce qui concerne l’encyclique « Veritatis splendor », a attaqué l’autorité magistérielle du pape de manière virulente, particulièrement sur des questions de théologie morale. Même la « Europäische Theologengesellschaft » fondée par lui a été au départ pensée comme une organisation en opposition au magistère papal. Par la suite, la sensibilité ecclésiale de nombreux théologiens a empêché cette orientation, transformant cette organisation en un espace de débat ordinaire entre théologiens.
Je suis sûr que vous comprendrez mon refus et je vous prie d’accepter mes cordiales salutations.
Bien à vous,
Benoît XVI »
Sources : J‑M. Guenois /Le Figaro /Settimo Cielo/Correspondance Européenne