La Charte de l’Islam de France

Le 17 jan­vier, le Conseil fran­çais du culte musul­man (CFCM) a adop­té sa « Charte des prin­cipes pour l’Islam de France ». 

Cette charte était vou­lue par le pré­sident de la République Emmanuel Macron et elle avait été annon­cée au len­de­main de son dis­cours aux Mureaux (Yvelines) le 2 octobre der­nier, sur le plan de lutte contre les sépa­ra­tismes. M. Macron ne s’est pas caché de mettre une forte pres­sion sur les auto­ri­tés reli­gieuses musul­manes pour qu’elles rédigent et signent une charte conforme aux prin­cipes répu­bli­cains, cen­sée affir­mer la com­pa­ti­bi­li­té de l’Islam avec la République. Elles se sont donc mises aux ordres, sauf les fédé­ra­tions turques qui, elles, sont aus­si aux ordres, mais du pré­sident turc Erdogan…
La charte doit ser­vir de réfé­rence au futur Conseil natio­nal des imams, char­gé d’accorder un label aux ministres du culte musul­man. Elle fixe les règles qui devront enca­drer le fonc­tion­ne­ment de ce Conseil.

De bonnes intentions ?

De fortes ten­sions, voire un affron­te­ment, existent entre les ten­dances « modé­rée » et « inté­griste » de l’islam en France, sans comp­ter que chaque com­po­sante du Conseil reste très liée à son pays « d’origine » : Maroc, Algérie, Turquie, Egypte… C’est pour­quoi la négo­cia­tion entre les diverses fédé­ra­tions musul­manes a été hou­leuse pour abou­tir à un texte uni­taire visi­ble­ment rédi­gé pour com­plaire aux sou­haits de l’Elysée. Comme le disait l’écrivain Mohamed Sifaoui, au micro d’Europe 1 le 29 décembre 2020, « le CFCM est deve­nu une sorte de machine à pro­duire des com­mu­ni­qués de cir­cons­tance », en tâchant de mas­quer les divi­sions pro­fondes en son sein.

Examinons un peu le conte­nu de cette charte, qui débute par un préambule : 

Nous réaf­fir­mons d’emblée que ni nos convic­tions reli­gieuses ni toute autre rai­son ne sau­raient sup­plan­ter les prin­cipes qui fondent le droit et la Constitution de la République. Aucune convic­tion reli­gieuse ne peut être invo­quée pour se sous­traire aux obli­ga­tions des citoyens. Cette “charte des prin­cipes” vise à tra­cer les valeurs à trans­mettre aux fidèles et à par­ta­ger avec eux, dans le res­pect des lois de la répu­blique et de l’éthique islamiste. »

Les dix articles de la charte vont pré­ci­ser cette décla­ra­tion d’intention. Nous en citons quelques pas­sages. Article 1 : « Les valeurs isla­miques et les prin­cipes de droit appli­cables dans la République sont par­fai­te­ment com­pa­tibles. » Personne n’en doute, bien sûr. Mais les répu­bli­cains sont contents qu’on leur pré­sente un papier qui le soutient.

Article 2 : « Nous exer­çons notre mis­sion dans le cadre des prin­cipes et règles de la République qui fondent l’unité et la cohé­sion de notre pays. Le prin­cipe d’égalité devant la loi nous oblige à nous confor­mer aux règles com­munes et les faire pré­va­loir sur toutes les normes et règles y com­pris celles issues de nos convic­tions et/​ou de nos inter­pré­ta­tions reli­gieuses. »
Remarquons que le texte ne men­tionne pas le Coran, qui est intou­chable puisqu’il est la loi divine ; il men­tionne seule­ment les convic­tions et inter­pré­ta­tions de chacun.

L’article 3 affirme la liber­té de conscience et de reli­gion : il est per­mis de chan­ger de reli­gion et de renon­cer à l’islam. Encore une pieuse décla­ra­tion dont on ver­ra ce qu’il en sera dans la pra­tique. C’est un point dont Jean-​Pierre Chevènement, quand il était ministre de l’Intérieur, fai­sait une condi­tion indis­pen­sable ; mais Nicolas Sarkozy avait pas­sé outre quand, occu­pant le même poste, il avait créé le CFCM en 2003. Pour M. Macron comme pour M. Sarkozy, on se contente des apparences.

L’article 4 affirme le prin­cipe d’« éga­li­té Femme-​Homme » : « Nous nous atta­chons à faire res­pec­ter ce prin­cipe d’égalité confor­mé­ment aux lois de la République en rap­pe­lant aux fidèles, dans le cadre de notre rôle péda­go­gique, que cer­taines pra­tiques cultu­relles pré­ten­du­ment musul­manes ne relèvent pas de l’Islam. » Mais le texte ne nomme aucune de ces pra­tiques, on ne sait pas de quoi il s’agit. Rien même sur les mariages for­cés ou sur l’excision.

L’article 5, pour sa part, incite à la fra­ter­ni­té et rap­pelle que toutes les formes de dis­cri­mi­na­tions sont des délits péna­le­ment condam­nés, citant en exemple « les actes anti­mu­sul­mans, les actes anti­sé­mites, l’homophobie et la miso­gy­nie ». La charte ne fait pas men­tion des actes anti-​chrétiens : c’est bien étonnant !

L’article 6, spé­cia­le­ment déve­lop­pé, a pour titre « Rejet de toutes les formes d’ingérence et de l’instrumentalisation de l’Islam à des fins poli­tiques ». La charte désigne des exemples pré­cis de l’Islam poli­tique qu’elle condamne ici : le sala­fisme, les Frères musul­mans et le Tabligh (un mou­ve­ment isla­miste d’origine pakis­ta­naise). Le point est déli­cat, car beau­coup d’organisations musul­manes sont proches des gou­ver­ne­ments maro­cain, algé­rien ou turc, ou des Frères musul­mans, aux­quels elles font plus ou moins ouver­te­ment allé­geance. Les luttes d’influence entre ces puis­sances étran­gères ont d’ailleurs conduit à éta­blir une pré­si­dence tour­nante à la tête du CFCM (l’actuel pré­sident est Mohammed Moussaoui, un Franco-​Marocain). La charte affirme cepen­dant que « les signa­taires doivent reje­ter clai­re­ment toute ingé­rence de l’étranger dans la ges­tion de leurs mos­quées et la mis­sion de leurs imams ».

Quels résultats pratiques ?

Il n’est besoin que de grat­ter légè­re­ment le ver­nis de cette charte, pour remar­quer qu’elle est bien ver­mou­lue, et pour plu­sieurs rai­sons. Tout d’abord, ce texte est rédi­gé par une ins­tance dont on sait qu’elle est peu repré­sen­ta­tive de l’avis de la majo­ri­té des musul­mans en France. La moi­tié des lieux de culte musul­mans en France – il y aurait envi­ron 2500 mos­quées sur le ter­ri­toire – ne relèvent pas du CFCM. Ce texte n’est pas l’expression des musul­mans fran­çais, mais est avant tout le fruit de la volon­té poli­tique du pré­sident de la République. Cela contre­vient aux prin­cipes de la laï­ci­té qui inter­disent à l’État de s’occuper de l’organisation et de la bonne marche des cultes. Perçu comme un oukase venu de l’extérieur, cet enga­ge­ment n’engagera pas grand monde au sein des musul­mans fran­çais. Et même si M. Macron était musul­man, ce n’est pas un pré­sident qui dit le droit en islam.

De plus ce texte est plein d’ambiguïtés, et quand on ajoute à cela la notion de la véra­ci­té qu’ont les musul­mans vis-​à-​vis des non-​musulmans, on voit que cette charte n’engage à pas grand-​chose, et donc ne chan­ge­ra rien. Elle n’a pas de réelle force contrai­gnante, contrai­re­ment à une loi. Le fait que l’une des prin­ci­pales fédé­ra­tions du CFCM, les Musulmans de France, ex-​Union des orga­ni­sa­tions isla­miques de France (UOIF) très liée aux Frères musul­mans, ait accep­té de signer cette charte qui désa­voue les Frères musul­mans, n’est pas ras­su­rant. Pour les mino­ri­tés inté­gristes, elle n’aura aucun effet puisque sus­ci­tée par un État consi­dé­ré par elles comme kâfir (incroyant). Trois des neuf asso­cia­tions membres du CFCM n’ont pas signé le texte (les deux fédé­ra­tions d’origine turque et l’association Foi et Pratique, d’inspiration indo-​pakistanaise). Qu’adviendra-t-il de ces associations ?

L’article 10 pré­voit comme sanc­tion, en cas de non-​respect de la charte, l’exclusion du contre­ve­nant de toutes les ins­tances repré­sen­ta­tives de l’islam de France, ce qui n’empêchera nul­le­ment un imam de conti­nuer à œuvrer en dehors de cette charte.

Une dif­fi­cul­té de fond est que, pour avoir des rela­tions avec l’islam, les gou­ver­ne­ments fran­çais veulent ima­gi­ner la reli­gion musul­mane à l’image de l’Église catho­lique, comme un ensemble uni, struc­tu­ré, hié­rar­chi­sé… C’est ce qui a pous­sé à la créa­tion du CFCM. Mais c’est une vue de l’esprit. Pour Bruno Retailleau, pré­sident du groupe LR au Sénat, ce texte est une « esbroufe » qui ne chan­ge­ra rien aux pro­blèmes posés par l’islam poli­tique. De toute cette opé­ra­tion média­tique, Emmanuel Macron sera sans doute, à court terme, le seul gagnant. L’État répu­bli­cain et laïc veut contraindre toutes les reli­gions à se sou­mettre à ses lois, nous y reviendrons.

Abbé Hervé Gresland

Image : La plus grande mos­quée d’Europe en construc­tion actuel­le­ment à Strasbourg (mos­quée Eyyub Sultan).

Source : La Couronne de Marie n° 98