A propos de l’institut du Christ-​Roi Souverain Prêtre – ICRSP

Extrait de Fideliter n° 187 de janvier-​février 2009

“Institut du Christ-​Roi (ICR) est par­fois consi­dé­ré comme une troi­sième voie entre le refus du concile (Fraternité Saint-​Pie X et com­mu­nau­tés amies) et le ral­lie­ment des groupes Ecclesia Dei (Fraternité Saint-​Pierre, Institut du Bon Pasteur, etc.) à la marche géné­rale de la Rome actuelle. L’ICR serait un moyen terme modé­ré, sorte de pont diplo­ma­tique, conci­liant la recon­nais­sance offi­cielle, un tra­di­tio­na­lisme vrai et une cer­taine bien­veillance à l’é­gard de la Fraternité. Cette opi­nion estelle fon­dée ? Jusqu’ici, une cer­taine ambi­guï­té pou­vait être main­te­nue. Depuis l’en­tre­tien qu’a accor­dé le fon­da­teur et supé­rieur de l’ICR, Mgr Gilles Wach, à L’Homme Nouveau (25/​10/​08), les choses ont le mérite d’être claires et publiques. Qu’on en juge par les extraits sui­vants (on pour­ra aus­si consul­ter la revue Le Sel de la Terre, n° 21).

Pourquoi Mgr Wach a‑t-​il choi­si pour l’Institut la « forme extra­or­di­naire » de la litur­gie romaine ? ques­tionne le jour­na­liste. Parce que « dans sa forme extra­or­di­naire, la litur­gie nous a immé­dia­te­ment frap­pés par sa clar­té doc­tri­nale, son juste hié­ra­tisme et son élé­va­tion spi­ri­tuelle incom­men­su­rable. Les car­di­naux romains que nous connais­sions étaient plus que favo­rables à cette litur­gie. Ils regret­taient que la réforme ne fût pas celle que le concile, auquel ils avaient par­ti­ci­pé, avait sou­hai­tée. Cette forme litur­gique cor­res­pon­dait par­fai­te­ment bien à l’en­sei­gne­ment théo­lo­gique, dog­ma­tique et spi­ri­tuel que nous avions reçu (.) » Un cer­tain regret est donc expri­mé, por­tant sur le mode selon lequel la réforme litur­gique s’est opé­rée ; rien de plus. La rai­son du choix de la messe tra­di­tion­nelle est uni­que­ment du côté de cette messe elle-​même, rien n’est affir­mé de la nui­sance du rite nouveau.

Le jour­na­liste remarque ensuite que les prêtres de l’ICR acceptent de concé­lé­brer lors de la messe chris­male avec les évêques dio­cé­sains. Réponse de Mgr Wach : « Je ne vois pas pour­quoi nous devrions – si on nous le demande – refu­ser un tel signe » de com­mu­nion. « L’intelligence est aus­si une ver­tu qu’il n’est pas inter­dit d’a­voir ; c’est même un des sept dons du Saint-​Esprit. D’ailleurs, le pape lui-​même est accou­tu­mé à la concé­lé­bra­tion avec ses car­di­naux ou avec les évêques, à Rome ou à tra­vers le monde. Je crois que toutes les com­mu­nau­tés Ecclesia Dei appré­cient beau­coup Benoît XVI. Pourquoi faudrait-​il être plus papiste que le pape ? » Mgr Wach ne voit donc aucun motif pour refu­ser de concé­lé­brer la messe chris­male. Plus encore : refu­ser de le faire revient à man­quer d’in­tel­li­gence, à se mon­trer plus papiste que le pape. Or, s’il « n’est pas inter­dit d’a­voir l’in­tel­li­gence », il n’est pas non plus inter­dit d’ou­blier que cette facul­té ne fonc­tionne qu’en prise avec le réel. Mais, dans la réa­li­té, le Novus Ordo Missæ « s’é­loigne, dans l’en­semble, comme dans le détail, de la théo­lo­gie catho­lique de la sainte messe » (car­di­naux Ottaviani et Bacci); dans la réa­li­té aus­si il a contri­bué, selon une part consi­dé­rable, à la perte de la foi pour des pans entiers du peuple chré­tien. Et si le pape cesse d’être papiste, n’est-​il pas per­mis d’être « plus papiste que le pape » ?

A ce pro­pos, que réveille chez Mgr Wach le sou­ve­nir de Jean- Paul II ? « Comme jeune prêtre, je reve­nais régu­liè­re­ment en France pour les vacances et je consta­tais déjà les fruits posi­tifs du pon­ti­fi­cat de Jean-​Paul II, notam­ment après son pre­mier voyage. On recon­naît là tout le cha­risme de ce grand pape, qui a bou­le­ver­sé les sché­mas un peu sclé­ro­sés d’une idéo­lo­gie ecclé­sias­tique soixante-​huitarde (.) Le peuple fidèle a tout de suite reçu Jean- Paul II comme l’ath­lète de la foi (.) » Mgr Wach pense ain­si, grand bien lui fasse. Mais que nul n’aille avan­cer, après ces dires, qu’il y a là peu de dif­fé­rence, fina­le­ment, avec les posi­tions de la Fraternité Saint- Pie X, vu par exemple les scan­dales d’Assise ou de la repentance.

Allant plus loin, Mgr Wach avoue, non sans une cer­taine bien­veillance : [En Mgr Lefebvre] « j’ad­mire un grand homme d’Église et je laisse à celle-​ci le juge­ment sur la sain­te­té ou non de ses fils. » Toutefois, ce qu’il ajoute, évo­quant impli­ci­te­ment les sacres de 1988, est moins sym­pa­thique : « Mais n’y aurait-​il pas un mys­tère que [les tra­di­tio­na­listes] ont peut-​être oublié, celui auquel je suis le plus atta­ché : la divi­ni­té de l’Église. Même si on ne le com­prend pas dans cer­taines cir­cons­tances, l’Église demeure divine. Quand Notre-​Seigneur dit à saint Pierre de le rejoindre en mar­chant sur les eaux, cela semble fou : mais il faut mar­cher sur les eaux ! Et aujourd’­hui c’est ce que Notre-​Seigneur nous demande. Si, humai­ne­ment par­lant, on com­pre­nait que l’Église allait plu­tôt mal, fallait-​il pour autant ne pas croire en sa divi­ni­té ? Fallait-​il user de moyens qui, humai­ne­ment, pou­vaient sem­bler la sau­ver mais qui pou­vaient lais­ser pen­ser que l’on croyait bien peu en sa divi­ni­té ? Je crois que l’é­lec­tion de Benoît XVI est la plus belle preuve que l’Église pos­sède en elle-​même les moyens non seule­ment de sa vie, mais éga­le­ment de sa régé­né­ra­tion (.) Il ne faut pas se confier en nos forces per­son­nelles. Si nous pen­sons que c’est nous qui allons sau­ver l’Église, que c’est nous qui sommes indis­pen­sables pour sau­ver l’Église, nous avons là des idées folles qui nous portent imman­qua­ble­ment à la mort, car nous croyons alors que nous sommes des sau­veurs indis­pen­sables, en un mot : que nous sommes l’Église. » Objections usuelles : tâchons d’y répondre.

1° Ce n’est pas parce qu’un évêque emploie, hic et nunc, un moyen légi­time à sa por­tée pour répondre à un besoin grave de l’Église qu’il ne croit pas à la divi­ni­té de l’Église. La divi­ni­té de l’Église res­plen­dit, non pas tant en ce qu’elle fait faire des miracles à ses saints (mar­cher sur les eaux par exemple), qu’en ce que Dieu conduit infailli­ble­ment, iné­luc­ta­ble­ment l’Église à ses fins en uti­li­sant pour­tant les actions libres des hommes, que ces actions soient ordi­naires (pour des cir­cons­tances ordi­naires) ou extra­or­di­naires (pour des cir­cons­tances extra­or­di­naires). Mgr Lefebvre, en sacrant des évêques en 1988, a pro­cla­mé pra­ti­que­ment sa foi dans la divi­ni­té de l’Église : il n’a pas, pré­somp­tueu­se­ment, atten­du un miracle (comme de mar­cher sur les eaux) ; il a, sage­ment, dans les cir­cons­tances extra­or­di­naires de la crise de l’Église, uti­li­sé le moyen extra­or­di­naire, mais légi­time, des sacres.

2° « Si nous pen­sons que c’est nous qui allons sau­ver l’Église, que nous sommes indis­pen­sables pour la sau­ver, nous nous pre­nons pour l’Église elle-​même. » Cette réflexion a quelque chose de juste, en ce qu’elle rap­pelle que l’Église n’est pas seule­ment le corps mys­tique de ceux qui se laissent sau­ver, qui acceptent le salut, mais qu’elle est éga­le­ment le moyen – l’or­gane – par lequel Dieu les sauve : à la fois béné­fi­ciaire et ins­tru­ment du salut. En revanche, dans le contexte de l’en­tre­tien, la réflexion clau­dique par plu­sieurs endroits.

a) D’une part, elle pour­rait favo­ri­ser une concep­tion quelque peu éthé­rée de l’Église, selon laquelle l’Église sau­ve­rait les âmes sans le concours des actions concrètes des membres de l’Église. L’Église n’est pas angé­lique. C’est par exemple par la prière, la confes­sion admi­nis­trée par des prêtres, par la pré­di­ca­tion, que l’Église par­ti­cipe acti­ve­ment au salut des âmes opé­ré par Jésus-​Christ. Certes, nul homme indi­vi­duel, en dehors de Notre-​Seigneur, ne sauve à lui seul les âmes de l’Église, mais l’Église, pour sau­ver, met en branle ce que cha­cun, dans l’Église, peut et doit faire à sa propre mesure. Mgr Lefebvre, en 1988, n’a pas sau­vé l’Église, mais Jésus-​Christ a, par le biais de son action – et par d’autres moyens coor­don­nés – sau­vé la foi tra­di­tion­nelle dans l’Église.

b) Mgr Wach fait bien de rap­pe­ler que, cer­tai­ne­ment, tout un cha­cun est un « ser­vi­teur inutile », que nul n’est indis­pen­sable. C’est-​à-​dire que si tel évêque n’exis­tait pas, ou bien si, exis­tant, il ne posait pas telle action, cer­tai­ne­ment le bon Dieu, voyant de toute éter­ni­té qu’il ne la pose­rait pas, pal­lie­rait ce manque. Toutefois, ce n’est pas pour autant qu’il est per­mis à un évêque qui existe de ne pas faire son devoir. Savoir que le bon Dieu peut pal­lier mes insuf­fi­sances ne m’au­to­rise pas à man­quer à mes obli­ga­tions. Si Mgr Lefebvre n’a­vait pas sacré, certes la fin du monde ne se serait pas fata­le­ment pro­duite. Toutefois, dès lors que le sacre n’é­tait pas, vu les cir­cons­tances, illé­gi­time, Mgr Lefebvre a consi­dé­ré rai­son­na­ble­ment comme son devoir de sacrer. Nul homme n’est indis­pen­sable, nulle action n’est abso­lu­ment indis­pen­sable, mais il ne m’est pas pour autant per­mis de me dis­pen­ser de mon devoir.

c) Constat final : tous ceux qui désap­prouvent les sacres de 1988 adoptent par ailleurs une appré­cia­tion de la crise de l’Église net­te­ment moins alar­miste que la Fraternité Saint-​Pie X. Aucune excep­tion notoire à cela. Pourquoi ? Parce qu’ils ne voient pas l’é­tat de néces­si­té dans l’Église. Le pro­blème de fond n’est pas la ques­tion du rap­port de Mgr Lefebvre à Rome en 1988, il est celui de l’ap­pré­cia­tion por­tée sur le désastre conci­liaire. Ou bien ce désastre est vu dans son ampleur réelle, et les sacres sont approu­vés, ou bien il est insuf­fi­sam­ment per­çu, et l’on désa­voue la Fraternité. Temporairement, on peut essayer une troi­sième voie. A terme, c’est impos­sible. Pas même pour l’Institut du Christ-Roi.

Extrait ce Brèves de par­vis du Fideliter n° 187