Les jalons d’un dialogue continu avec la Fraternité Saint-Pie X
Le pape François attribue à une section spécifique de la Congrégation pour la doctrine de la foi les tâches qui incombaient, depuis 1988, à la Commission pontificale Ecclesia Dei, chargée par Jean-Paul II du dialogue avec la Fraternité lefebvriste Saint-Pie X. Celle-ci regroupe quelque 150 000 fidèles et 650 prêtres dans 70 pays.
La suppression de la Commission était souhaitée à la fois par la Doctrine de la foi et, selon des media italiens, par la Fraternité Saint-Pie X.
On notera aussi la signification spirituelle de la publication en pleine semaine de prière pour l’unité.
Le directeur éditorial du Dicastère pour la communication du Vatican propose quelques repères pour comprendre la décision du pape François, en tenant compte et de la réforme de la curie romaine, marquée, notamment, par des regroupements de compétences et une simplification des processus, et de l’élection de nouveaux responsables à la tête de la Fraternité.
La réforme dans ce sens a commencé avec Benoît XVI qui a déplacé la question liturgique vers une question doctrinale : la commission était déjà sous la responsabilité de ce dicastère. Le passage des compétences de la Commission à une section de la Congrégation correspond donc à une « normalisation » de ce dialogue doctrinal entre l’Eglise catholique romaine et la Fraternité Saint-Pie X.
Ainsi, pour Andrea Tornielli, « le Motu proprio par lequel le Pape François a supprimé la Commission pontificale Ecclesia Dei en attribuant ses compétences à une section spécifique de la Congrégation pour la doctrine de la foi a une double signification ».
Le tournant de Benoît XVI
D’une part, écrit-il, dans Vatican News, c’est la fin d’une « exception » : le pape « rappelle que le caractère exceptionnel qui avait conduit Jean-Paul II à l’instituer en 1988, après la rupture avec l’archevêque Marcel Lefebvre et les ordinations épiscopales survenues sans mandat pontifical, s’est atténué ».
Il rappelle l’objectif de la commission, qui était une marche ensemble vers la pleine communion : « La Commission devait favoriser la récupération de la pleine communion ecclésiale avec les prêtres, les séminaristes, les religieux et les religieuses liées au rite romain préconciliaire, en leur permettant de maintenir leurs propres traditions spirituelles et liturgiques. »
Or la question spirituelle et liturgique a été affrontée par Benoît XVI auquel le motu proprio rend hommage : « Une urgence qui n’existe plus, grâce aussi à la décision de Benoît XVI de libéraliser l’usage du Missel Romain de 1962 (promulgué par Jean XXIII avant le début du Concile) », commente Tornielli.
Dans son motu proprio Summorum Pontificum de juillet 2007, le pape Benoît XVI a en effet autorisé la célébration de la liturgie tridentine telle qu’elle était en vigueur après les réformes de Jean XXIII, en 1962 (cf. L’Instruction d’Ecclesia Dei pour son application).
Le pape constate cet acquis dans son motu proprio où il écrit notamment : « Les instituts et les communautés religieuses qui célèbrent habituellement dans la forme extraordinaire ont trouvé aujourd’hui une vraie stabilité de nombre et de vie ».
Voilà pourquoi, ajoute Tornielli, « toutes les fonctions » de la commission pontificale sont maintenant « transférées à la nouvelle section » de la Doctrine de la foi, mais sans pertes de compétences ou de mémoire car elle « s’appuiera sur le personnel jusqu’à présent en service au sein de la Commission ».
Un dialogue essentiellement doctrinal
Ensuite, Andrea Tornielli rappelle le tournant doctrinal pris par l’ancien préfet de cette Congrégation romaine, le cardinal Joseph Ratzinger, devenu pape Benoît XVI : « La seconde signification de la décision est liée aux compétences spécifiques du Dicastère doctrinal. La décision de François s’inscrit dans un parcours déjà commencé par le pape Benoît XVI, qui, en 2009, avait voulu que le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi préside la Commission Ecclesia Dei. »
Pour Andrea Tornielli, le pape François confirme l’orientation donnée par son prédécesseur : « Le nouveau passage d’aujourd’hui est motivé par le fait que les finalités et les questions traitées par la Commission ‘sont d’ordre essentiellement doctrinal’. »
Andrea Tornielli rappelle une autre étape importante du dialogue entre le Saint-Siège et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre : « la levée des excommunications des évêques ordonnés de façon illégitime en 1988 ». C’était en effet il y a dix ans, par décret de la Congrégation des évêques du 21 janvier 2009.
Un nouveau pas en avant après le « libre usage du Missel Romain de 1962 », accordé en 2007.
Le pape François lui-même a franchi un nouveau pas, pour des raisons pastorales, avec « les facultés accordées aux prêtres de la Fraternité » Saint-Pie X, souligne Tornielli.
Rappelons à ce propos que dans le cadre du jubilé extraordinaire de la Miséricorde, le pape a accordé la possibilité de recevoir validement l’absolution et l’indulgence aux fidèles fréquentant les églises dont les prêtres de Saint-Pie X sont les pasteurs : « Ceux qui, au cours de l’Année Sainte de la Miséricorde, s’approcheront, pour célébrer le Sacrement de la Réconciliation, des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X recevront une absolution valide et licite de leurs péchés », disait le pape François dans sa lettre sur l’indulgence à l’occasion de ce jubilé, le 1er septembre 2015.
Une disposition prolongée ensuite par le pape François dans sa lettre Misericordia et misera, en conclusion du jubilé, le 20 novembre 2016 : « Pour le bien pastoral de ces fidèles et comptant sur la bonne volonté de leurs prêtres afin que la pleine communion dans l’Église catholique puisse être recouvrée avec l’aide de Dieu, j’établis par ma propre décision d’étendre cette faculté au-delà de la période jubilaire, jusqu’à ce que soient prises de nouvelles dispositions, pour que le signe sacramentel de la réconciliation à travers le pardon de l’Église ne fasse jamais défaut à personne. »
La troisième décision pastorale du pape François, le 4 avril 2017 concernait les mariages : il a accordé aux prêtres de la Fraternité Saint-Pie‑X de pouvoir célébrer des mariages de manière valide, lorsqu’il n’y a pas d’autre prêtre qui puisse recevoir le consentement des mariés.
La question liturgique, les excommunications levées et ces dispositions pastorales prises, il reste le dialogue doctrinal : c’est la mission confiée maintenant à une section de la Doctrine de la foi, comme l’écrit Andrea Tornielli : « Le thème doctrinal reste l’unique, mais aussi le plus important, à être ouvert. »
Les nouveaux artisans du dialogue
Il signale aussi le changement intervenu à la tête de la Fraternité Saint-Pie X : c’est en effet un Italien, l’abbé Davide Pagliarani, qui a été élu en juillet 2018 en remplacement du Suisse Mgr Bernard Fellay, qui achevait son deuxième mandat de supérieur général, lors du 4e chapitre général de la Fraternité. Le mandat est de 12 ans. Mgr Alfonso de Galarreta Genua, est son premier assistant et l’abbé Christian Bouchacourt son conseiller généra [NDLR de LPL : en réalité, M. l’abbé Bouchacourt est Second Assistant Général. Les Conseillers Généraux sont Mgr Fellay et M. l’abbé Schmidberger].
Mgr [NDLR de LPL : M. l’abbé et non Mgr, car le nouveau Supérieur Général n’est pas évêque] Davide Pagliarani, 48 ans, Italien, était en charge du séminaire Notre-Dame Co-rédemptrice de La Reja, en Argentine, depuis 2012. Il a été ordonné prêtre en 1996 par Mgr Fellay. Il a exercé son apostolat à Rimini (Italie), puis à Singapour, avant d’être nommé supérieur du district d’Italie de 2006 à 2012. Il a connu le futur pape François, l’archevêque de Buenos Aires, le cardinal Jorge Mario Bergoglio.
Mgr de Galaretta, 62 ans, né en Espagne et émigré en Argentine, a été ordonné prêtre à Buenos Aires en 1980 par Mgr Lefebvre et ordonné évêque le 30 juin 1988, sans consentement pontifical. Benoît XVI a levé son excommunication en 2009. Il a été supérieur du District d’Amérique latine (1985–1988).
L’abbé Christian Bouchacourt, 59 ans, un Français, originaire de Strasbourg, nommé supérieur du District de France de la Fraternité en 2014 pour un mandat de six ans. Il a été supérieur du District d’Amérique du Sud (2003–2014). Il a aussi connu Mgr Bergoglio.
Tornielli précise que le dialogue se poursuivra donc du côté de Rome sous la houlette du cardinal Luis Ladaria Ferrer, 74 ans, un jésuite espagnol, auparavant secrétaire de cette même congrégation (2008–2017) où il avait été nommé par Benoît XVI : « Les nouveaux responsables ont en effet annoncé vouloir demander une autre discussion avec le Saint-Siège sur les textes du Concile oecuménique Vatican II : un thème délicat qui sera abordé par le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, le cardinal Luis Ladaria ».
Anita Bourdin, à Rome
Sources : Zenit