1988 : un double anniversaire
L’année 2013 marquait le 25ème anniversaire des consécrations épiscopales par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer. Elle marquait aussi le 25ème anniversaire de la fondation de la Fraternité Saint‑Pierre (FSP] par une douzaine de prêtres de la FSSPX (et un groupe de séminaristes) qui pensaient en conscience ne plus pouvoir suivre Mgr Lefebvre. Ils reçurent une approbation pontificale et ont essayé de faire ce que faisait la Fraternité Saint Pie X.
Ce double anniversaire est ainsi l’occasion de se rappeler les principes qui guidaient les deux côtés et de considérer les résultats de leur séparation.
Raison insuffisante : l’approbation pontificale
Certains pensent que la seule différence est que la FSP est approuvée par le Pape et que la FSSPX ne l’est pas. Dans ce cas, ces prêtres auraient dû quitter la FSSPX dès 1975 ou 1976 au plus tard. En effet, ce fut dès ces années que Mgr Lefebvre dû choisir une désobéissance apparente afin de continuer à transmettre ce qu’il avait reçu, la Foi Catholique et la liturgie Catholique de toujours malgré une attaque sans précédent contre cette Foi. Souvenez-vous du sermon des ordinations de 1976. Et de fait, l’abbé Bisig avait bien servi l’Eglise comme membre de la Fraternité Saint Pie X pendant douze ans sans approbation pontificale, c’est-à-dire toute sa prêtrise et même plus, avant de quitter. C’est donc qu’il était d’accord avec les principes de la juridiction de suppléance dans les cas de nécessité.
La vraie raison : la crise de la Foi, aggravée par Assise – d’où le besoin d’évêques
En lisant le message du Pape François à la FSP à l’occasion de leur jubilé, il semble qu’en 1988 la seule « grande épreuve pour l’Eglise » a été une séparation, en raison de laquelle la FSP a reçu une « mission de réconciliation ». En a‑t-il vraiment été ainsi ?
En vérité, la « grande épreuve pour l’Eglise » en 1988 fut – et est encore maintenant – la crise de la Foi, aggravée par la réunion œcuménique d’octobre 1986. Cette réunion fut indubitablement une raison majeure des Consécrations épiscopales de juin 1988. Face à un scandale d’une telle profondeur, il fallait un remède fort. Quand un tel scandale[1] vient du Pape lui-même – imité ensuite par de nombreux évêques – il y a vraiment besoin de protéger les fidèles dans leur attachement à la Foi de toujours en leur donnant des évêques sans compromis.
La Fraternité Saint Pierre prétend à tort bénéficier du même « protocole » accepté par Mgr Lefebvre. C’est évidemment faux par le simple fait que le point le plus important de ce protocole était l’approbation de la consécration d’un évêque pour la FSSPX. Mgr Lefebvre lui-même a dit dans le sermon des Consécrations que la consécration d’un évêque fut approuvée en son principe par le Pape – seule la mise en pratique fut rendue impossible par les délais sans fin imposés par la bureaucratie vaticane. Mais la Fraternité Saint Pierre n’a jamais eu d’évêque.
Cependant sans un bon évêque, un séminaire ne peut pas former de bons prêtres – à l’heure des ordinations, l’évêque ordonnant peut facilement dire : si vous n’acceptez pas ceci ou cela, vous ne serez pas ordonnés.
Le combat pour la Foi – doit-on se taire sur les erreurs de Vatican II ?
Que la FSP n’ait pas été exempte de ces dangers est manifeste dans la lettre même du Pape pour leur Jubilé, qui exige d’eux qu’ils suivent « les orientations de la Constitution sur la liturgie Sacrosanctum Concilium… » et « le Catéchisme de l’Eglise Catholique » qui contient les nouvelles doctrines de Vatican II et qu’ils « contribuent à une meilleure compréhension et mise en œuvre du Concile Vatican II. »
Comme s’il n’y avait rien de mal dans Vatican II et dans la Nouvelle Messe !
Vatican II conduit logiquement à Assise… et à l’apostasie silencieuse que Jean-Paul II lui-même ne pouvait s’empêcher de reconnaître plus tard. Les erreurs principales de Vatican II – la liberté religieuse, la collégialité et l’œcuménisme – ont été dénoncées par Mgr Lefebvre dès le début et continue à détruire la Foi chez beaucoup – silencieusement mais très efficacement. Sans compter les problèmes moraux dans le clergé (non seulement la pédophilie, l’homosexualité, mais aussi le concubinage et l’abandon de leur devoir, tel que le devoir d’écouter les confessions) – ces problèmes moraux sont souvent la conséquence du manque de vie spirituelle, manque souvent dû à l’orientation vers le monde de Vatican II – le problème majeur de l’Eglise aujourd’hui est la perte de la Foi et chez les fidèles et dans le clergé, peut-être encore plus dans le clergé ! [2]
L’incapacité des hommes d’Eglise à résister aux maux croissants du monde a sa racine dans ces erreurs de Vatican II. Mais cela, vous ne l’entendrez pas souvent chez la FSP.
La Foi Catholique n’est pas facultative
Pourquoi ces erreurs sont-elles si graves ? Parce que la Foi – la vraie Foi, la Foi Catholique – n’est pas une opinion, mais une certitude, fondée sur le témoignage de Dieu (1 Jn. 5:10) : la Foi Catholique n’est pas facultative, mais obligatoire. Cette obligation est affirmée très clairement par Notre Seigneur Jésus Christ Lui-même : « celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné » (Mc 16:16). N’importe quelle foi subjective n’est pas suffisante ; il faut la Foi objectivement vraie, la Foi Catholique. Une erreur en matière de Foi n’est pas quelque chose sans importance : c’est un mal tellement grave qu’il mène à la damnation. Et l’ignorance ne sauve pas ; c’est la vraie Foi qui est le début du salut : « Que demandez-vous à l’Eglise de Dieu ? La Foi ! Que vous procure la Foi ? La Vie Éternelle ! Si vous voulez entrer dans la Vie, gardez les commandements… » Tel est le tout début du rite (traditionnel) du baptême, devenu facultatif dans le rite nouveau. Vous demandez la vraie Foi, de la vraie Eglise, et c’est cette vraie Foi qui vous mène à la Vie Eternelle – et il n’y pas d’autre voie vers la Vie Eternelle ! Parce que « Dieu notre Sauveur… veut que tout homme soit sauvé et parvienne à la connaissance de la vérité » (1 Tim. 2:2–3). Notre Seigneur Jésus Christ est le Sauveur ; Il est venu pour sauver tous les hommes ; personne ne peut dire : « je n’ai pas besoin de Jésus-Christ Sauveur. » Personne ne peut dire : « je ne veux pas de Jésus-Christ Sauveur. » Dieu nous a donné notre liberté, non pas pour rejeter sa Loi, mais pour obéir par amour, non pas pour rejeter Son Fils notre Sauveur, mais pour Le recevoir par amour ! Notre Seigneur Jésus Christ n’est pas facultatif !
Or la liberté religieuse et l’œcuménisme minent ce principe Catholique, et par là-même minent la foi de millions d’âmes. Les premières victimes sont dans le clergé, précisément parce qu’en enseignant ces erreurs, ils en deviennent les premières victimes.
Quand les enseignants n’enseignent plus
La Foi Catholique est enseignée par l’Eglise Catholique – c’est-à-dire par le Pape et les évêques qui forment l’Eglise Enseignante, et par les prêtres qui sont leurs aides, et aussi par les parents Catholiques à leurs enfants. La crise de la Foi, que traverse l’Eglise présentement, vient du fait que ceux dont la mission est d’enseigner la Foi [3] manquent souvent à ce devoir primordial[4]. Dès les années 60, les parents étaient alarmés de voir les changements dans le catéchisme et que leurs enfants n’apprenaient plus la Foi correctement. Une des premières requêtes de Jean Madiran fut : « rendez-nous le catéchisme ! » C’est un nouveau son de cloche qu’on entendait dans la bouche de beaucoup de membres de l’Eglise enseignante.
Comment donc les fidèles pourront distinguer, parmi les paroles des membres de l’Eglise enseignante, ce qui est enseignent de l’Eglise et ce qui est leur opinion personnelle (souvent erronée et parfois même hérétique) ? Alors beaucoup de Catholiques se tournent vers le Pape comme s’il était le critère ultime de vérité.
Deuxième différence : la vraie notion ou notion exagérée de l’infaillibilité pontificale
Nous arrivons ici à un deuxième principe qui est à la racine de la séparation de la FSP d’avec la FSSPX. C’est une certaine exagération de la notion d’infaillibilité. Le Concile Vatican I a défini que le Pape était garanti de ne pas errer lorsqu’il définissait ex cathedra, et a donné quatre critères pour reconnaître de telles définitions – et le droit canon édicte sagement qu’une doctrine ne doit être considérée comme définie que si elle est manifestement telle, c’est-à-dire si ces quatre conditions sont manifestement réalisées. Mais, en dehors de ces cas, est-ce que le Pape est garanti de ne pas errer chaque fois qu’il utilise son autorité ? Ou bien y a‑t-il des conditions pour reconnaître le bon usage de l’autorité, même celle du Pape, et quelles sont ces conditions ?
Le dilemme de 1988 : Pape ou Tradition ?
En 1988, chaque prêtre de la FSSPX a dû faire un choix entre deux personnes représentant deux principes importants : le Pape Jean Paul II et Mgr Lefebvre, parce que le premier menaçait [5] d’excommunier le second. Le Pape Jean-Paul II personnifiait la nécessité d’être attaché au successeur de Pierre [6] , et Mgr Lefebvre la nécessité d’être fidèle à la Tradition de l’Eglise. Il me semble évident que tous les prêtres de la FSSPX à cet époque, y compris les abbés Bisig et les cofondateurs de la FSP, tenaient ces deux principes et voulaient garder ces deux principes ; ils ne voulaient ni approuver Assise ni être excommuniés. Et pourtant ils ont tous dû choisir entre ces deux personnes.
Le pari de Pascal
Pour certains fidèles, le choix apparut très clair – comme inspiré par le Don de Conseil. But j’avoue humblement qu’il ne fut pas si clair pour moi. J’ai résolu ce dilemme de la façon suivante : j’ai considéré qu’à la fin du monde, au Jugement Général, il n’y aurait que quatre possibilités : ou Jean-Paul II et Mgr Lefebvre seraient tous les deux à gauche, ou tous les deux à droite, ou le premier à droite et le second à gauche, ou vice-versa. Très simple, presque mathématique ! J’ai alors exclu la première option, car si tous les deux seraient damnés je ne savais vraiment pas vers qui me tourner ! Dans le deuxième cas, il n’y avait pas vraiment de danger à suivre l’un ou l’autre, et il était clairement mieux de suivre l’ « évêque fidèle » que le Pape d’Assise. Quant aux deux derniers cas, j’ai dit que si l’un serait à gauche et l’autre à droite, ce sera Mgr Lefebvre à droite et Jean-Paul II à gauche, parce qu’il est impossible que soit condamné celui qui a été fidèle toute sa vie et dont l’unique « faute » a été de continuer de transmettre ce qu’il avait reçu de l’Eglise alors qu’un Pape qui a fait tant de nouveautés œcuménistes (visite à la synagogue, aux temples , aux hauts lieux païens, réunion d’Assise…), actions qui auraient évidemment été condamnées si elles avaient été faites par n’importe quel évêque à n’importe quelle époque avant Vatican II, aie raison dans sa condamnation du premier par le seul fait qu’il était Pape. L’autorité ne change pas le bien en mal, ni le mal en bien ! Baiser le Coran, comme Jean-Paul II le fit plus tard, reste mal même si c’est le Pape qui le fait ; garder la Foi de toujours et assurer sa transmission aux générations futures reste bien même si le Pape l’interdit.
Les faits : pourquoi Mgr Lefebvre a‑t-il pris une telle décision ?
Après les Consécrations, réunissant les documents pour mon livre Archbishop Lefebvre and the Vatican, les raisons pour Mgr Lefebvre apparurent plus claires. D’un côté il y avait un prélat attaché à la pureté de la Foi et à sa transmission fidèles, et de l’autre des hommes qui – bien qu’ils n’aient pas d’arguments contre le premier – utilisaient leur position de pouvoir pour mettre des retards et des délais… jusqu’à ce qu’il meure. En effet, par le protocole du 5 mai 1988, ils lui accordèrent le droit de consacrer un évêque, mais lorsque le lendemain 6 mai il demandait que cette bonne décision soit mise en pratique en déterminant et la date et la personne à consacrer, on lui répondit 24 jours après en donnant certes une date (le 15 août, déjà six semaines après la date limite du 30 juin qu’il avait demandée), mais dans cette même réponse on lui demandait de nouveaux candidats : or étant donné le temps nécessaire pour qu’il prépare d’une nouvelle « terna » (liste de trois candidats) et celui nécessaire à Rome pour la traiter, il n’y avait pas assez de temps pour la date du 15 août. Cela voulait donc clairement dire : « on vous donne une date, mais on sait très bien qu’elle est impossible, et qu’il va falloir la repousser encore ! » Ce n’est pas honnête, parce que s’ils avaient des objections sur candidats déjà donnés, ils avaient eu plusieurs mois pour le lui dire avant le protocole. Il avait déjà repoussé la date des consécrations plusieurs fois (le 30 juin était la 4ème date), et il ne voulait pas jouer à ce jeu. Leur désir de repousser toujours plus… jusqu’à ce qu’il meure n’était que trop clair, et n’était pas honnête.
Mais le Pape ?
Il semble presque que certains de la mouvance FSP voudraient faire du motu proprio Ecclesia Dei adflicta une définition dogmatique, une sentence infaillible ! C’est absurde pour bien des raisons. D’abord parce qu’il n’y a pas de point de foi ou de morale défini par ce motu proprio (2ème élément requis par Vatican I) : il ne dit nulle part : « si quelqu’un dit ceci et cela, qu’il soit anathème ! Or Mgr Lefebvre le dit, donc il est excommunié. » De plus si quelqu’un dit que ce qui est défini, c’est que Mgr Lefebvre est excommunié, alors il n’y a aucune sanction contre ceux qui le nient : il manque le 4ème élément requise par Vatican I. Ensuite, ce motu proprio ignore complètement le cas de nécessité invoqué explicitement par Mgr Lefebvre : or un jugement ne peut ignorer les arguments de la défense, c’est contre la plus élémentaire justice. De plus, si c’était une « définition », aucune université romaine n’aurait permis au Père Murray de présenter une thèse opposée. Et on pourrait ajouter facilement d’autres raisons.
Magistère authentique
Mais le Pape n’est-il pas parfois infaillible dans l’exercice de son magistère ordinaire ?
Parfois, oui, mais quand ? Quel est le critère d’infaillibilité du magistère ordinaire ? Nous devons répondre à cette question avec prudence, car c’est là exactement que se trouve l’exagération moderne sur l’infaillibilité du Pape, fréquente parmi les catholiques conservateurs, et d’une certaine manière à la racine de l’ « herméneutique de continuité » du Pape Benoit XVI.
Pour y arriver, ils introduisent une nouvelle notion, celle d’actes du « magistère authentique », qui serait en dessous des définitions extraordinaires dans le sens de Vatican I, et cependant imposeraient un tel devoir qu’on ne pourrait les mettre en question. Puis ils mettent dans cette catégorie tout le Concile Vatican II, et beaucoup d’autres actes du magistère moderne.
L’expression « magistère authentique » peut avoir un sens acceptable, quand on l’applique aux actes des membres de l’Eglise enseignante par lesquels ils enseignent plus formellement (par ex. encycliques, lettres pastorales, synodes diocésains, conciles), par opposition à d’autres actes « plus ordinaires » (par ex. un sermon dominical, une lettre individuelle). Il est évident que les premiers ont une importance spéciale et que l’autorité est plus engagée dans ces premiers que dans les seconds. Mais essentiellement, ce magistère authentique est un cas particulier du magistère ordinaire, et donc aussi sujet aux mêmes critères essentiels.
Mais traiter ce magistère authentique comme s’il était toujours infaillible, ce n’est pas conforme à l’enseignement traditionnel, c’est l’exagération moderne – et c’est dangereux car cela mène à avaler les erreurs de Vatican II.
Enseignement et Jugement
L’Eglise distinguait traditionnellement entre le magistère ordinaire et extraordinaire. Cependant les termes exacts de Vatican I sur ce sujet sont importants : « on doit croire de foi Catholique et divine tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu écrite ou transmise et qui, soit par un jugement [iudicio] solennel soit par son enseignement [magisterio] ordinaire et universel, est proposé par l’Eglise comme étant révélé divinement et devant être cru. » (DB 1792). Par opposition au « magistère ordinaire », les jugements solennels sont souvent désignés par « magistère extraordinaire ». Mais il faut remarquer que le Concile (Vatican I) ne parle pas de « magistère » mais de « jugement » solennel. En effet il y a une différence essentielle entre un jugement (acte d’un juge) et magistère (=enseignement, acte d’un enseignant/magister). Un juge pèse très soigneusement chaque mot de sa phrase (sentence), qu’il veut aussi concise et claire que possible ; il prononce sa sentence une fois, et ne se répète pas. Au contraire, un professeur qui ne se répéterait jamais ne serait pas un bon professeur ! Un enseignant expose, explique, développe, illustre de bien des manières la même vérité, la reprenant sous tous ses angles, donnant des exemples, etc. Ce qui rentre dans l’esprit de ses élèves, c’est ce qui est commun à toutes ces paroles : ainsi la répétition est (presque) essentielle à la nature de l’enseignement (au moins pour les hommes après la chute d’Adam, avec la blessure d’ignorance).
Jugements solennels
On peut faire appel du jugement d’une cour inférieure à celui d’une cour supérieure, mais on ne peut faire appel du jugement de la Cour Suprême. Dans l’Eglise, Notre Seigneur Jésus Christ, qui est le Juge Suprême, a donné en privilège d’infaillibilité à son vicaire sur la terre, lorsqu’il « lie et délie », c’est-à-dire lorsqu’il juge d’une manière finale ici-bas. Il est donc clair que l’infaillibilité pontificale définie à Vatican I s’applique précisément à ces jugements finals du juge suprême sur terre, vicaire du Juge Suprême au Ciel. Pas tous les jugements d’un juge n’est jugement final ; le même juge peut rendre des jugements ordinaires, et des jugements solennels : seuls les jugements finals du Pape sont infaillibles. L’infaillibilité s’applique à la sentence finale elle-même, et pas nécessairement à toutes les considérations qui la précèdent. Par exemple dans les Conciles œcuméniques, ce sont les canons qui sont infaillibles, pas tous les chapitres qui les précèdent. Un Concile œcuménique est un cas typique de solennité, mais s’il n’y a pas de sentence, alors il n’y a pas d’infaillibilité au sens défini par Vatican I. Ainsi donc par le fait même que Vatican II n’a pas voulu condamner, il n’a rendu aucune sentence, et n’a pas été infaillible [7].
Les sentences infaillibles sont irréformables « ex sese », dit Vatican I (Db 1839), par elles-mêmes, indépendamment d’autres déclarations.
Le Magistère Ordinaire
Au contraire, les déclarations du magistère ordinaire ne sont pas infaillibles « ex sese – par elles-mêmes » : précisément parce que la répétition appartient à la nature de l’enseignement (magistère). C’est l’accord de l’enseignement – quod ab omnibus, quod ubique, quod semper [8] – ce qui est enseigné par tous, partout et toujours – qui est le critère de vérité pour le magistère ordinaire. L’aspect essentiel ici est le « toujours » : en effet l’enseignement de l’Eglise est la vérité dans la mesure où il est la continuation de l’enseignement du Christ, des Apôtres et de leurs successeurs : si cela vient du Christ, alors c’est vrai ; si cela ne vient pas du Christ, alors cela n’appartient pas à l’enseignement de l’Eglise ! La nouveauté a toujours été la marque de l’hérésie. Cela ne veut pas dire que tout doit être explicitement dans l’Evangile : il y a en effet un développement légitime de la doctrine, mais c’est de l’implicite à l’explicite, exposant les richesses contenues dans le « dépôt de la Foi » sans altération. La vraie Foi, c’est de « tenir ce qui a été tenu depuis que l’Eglise du Christ a été instituée, ce qui a été reçu des Pères, ce qu’ils ont transmis à leurs successeurs. » [9] St Paul résume cela magnifiquement : « Qu’on nous regarde donc comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu. Or, ce qu’en fin de compte on demande à des intendants, c’est que chacun soit trouvé fidèle » (1 Cor. 4:1–2). Ainsi la fidélité est la qualité qu’il requiert chez les ministres du Christ, c’est-à-dire des prêtres, des évêques et au-dessus d’eux tous du Pape ; cette fidélité peut être résumée dans cet autre mot de St Paul : « Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu » (1 Cor. 15:3). Quand le Pape fait cela, quand les évêques font cela, alors ils sont les organes de ce magistère ordinaire et universel qui enseigne la Foi sans faute – non pas que leurs déclarations soient infaillibles dans leurs individualités (« ex sese »), mais c’est leur accord commun avec ce qui a été toujours enseigné dans l’Eglise qui est le signe et la garantie de l’origine divine de cet enseignement, et donc de son infaillibilité.
Le critère, c’est la fidélité
Ainsi on peut dire que la fidélité est le critère du magistère ordinaire et universel : on reconnaît que les paroles du Pape, d’un évêque appartiennent au magistère ordinaire et universel quand on voit qu’il transmet fidèlement ce qu’il a reçu. Au contraire, lorsqu’il est clair que ce qui est enseigné par un prélat est nouveau, alors il est clair que cela ne rentre pas dans l’enseignement/magistère universel (dans le temps comme dans l’espace) : il parle de son propre fond, il ne transmet pas ce qu’il a reçu du Christ.
Introduire un « magistère authentique » qui n’aurait plus besoin d’être fidèle, d’être en continuité avec le magistère passé afin de pouvoir exiger l’assentiment des fidèles, c’est en soi une nouveauté. Prétendre que cet enseignement est nécessairement en continuité, quoi qu’il dise, c’est l’erreur de l’ « herméneutique de continuité », comme si la continuité était une conséquence automatique, et non pas la condition pré-requise pour son authenticité !
FSSPX – FSP : vraie et fausse notion du magistère
Il me semble que cette exagération de l’infaillibilité du Pape – l’étendant à tout ce qu’on appelle présentement le « magistère authentique » – est à la racine de la différence entre la FSP et la Fraternité Saint Pie X. Pour la FSP, le Pape ne pouvait pas avoir tort en excommuniant Mgr Lefebvre. Pour la FSSPX, Mgr Lefebvre avait raison de « transmettre ce qu’il avait reçu », y compris son épiscopat, afin d’assurer la transmission fidèle de la Foi Catholique, Foi « sans laquelle personne ne peut être justifié » [10].
Le principe de la FSSPX : Fidélité
Ce grand principe de fidélité est le principe directeur de toute la FSSPX, fidélité à la Foi de toujours, fidélité à la liturgie de toujours, fidélité à la Foi des Saints, fidélité à la Messe des Saints, fidélité à la morale des Saints, fidélité à l’Eglise Catholique.
C’est le principe directeur de toute la vie de Mgr Lefebvre : « tradidi quod et accepi – je vous ai transmis ce que j’avais reçu ». Nous sommes fondés à croire qu’il a reçu la récompense promise au « fidèle serviteur : entre dans la joie de ton Maître ! » (Mt. 25:21,23).
Daigne la Vierge très fidèle nous aider à demeurer « fidèles jusqu’à la mort », afin de recevoir la couronne de vie ! (Apoc. 2:10).
Abbé François Laisney, prêtre de la FSSPX
Sources : SSPX/Traduction abbé Laisney/LPL
- L’abbé Bisig lui-même en 1986 n’approuvait pas Assise. Il est évident pour tout le monde que si un évêque avait fait une telle réunion cinquante ans auparavant, il aurait été très certainement condamné (Mortalium Animos date seulement de 58 ans avant Assise 86). Est-ce que le mal devient bien quand c’est le Pape qui le fait ? Le bien et le mal ne sont pas tels par une décision du Pape ; sa mission est d’enseigner ce qui est bien, de juger de cela, mais pas de le changer ! Comment un Catholique pourrait-il justifier de mettre la statue de Bouddha sur un autel Catholique ? Et malgré cela, à Assise, une église catholique a été attribuée à des Bouddhistes pour y faire leur service – idolâtre ! C’est la conséquence du fait d’avoir mis le Vicaire du Christ sur le même pied que les représentants de toutes sortes de religions fausses. Ce fut un péché très grave contre le Premier Commandement. Mais dans la Fraternité St Pierre on trouvera difficilement une critique d’Assise ni des nombreuses déclarations si dangereuses et si communes venant des hiérarques de l’Eglise, même des Papes, telles que « nous avons le même Dieu que les musulmans ; l’Ancien Testament est encore un moyen valide de salut pour les juifs »…[↩]
- Scott Hahn lui-même – qui ne peut être accusé d’être catholique traditionnel – mentionne « les Catholiques qui ont abandonné leur Foi, mais qui ne veulent pas abandonner leur position de pouvoir. » Rome, Sweet Home, p. 119–120.[↩]
- « Allez, enseignez toutes les nations… » Mt. 28:19[↩]
- Ils sont plus concernés par « le chômage des jeunes et la solitude des vieux » qui est pour eux « le mal le plus sérieux qui afflige le monde aujourd’hui. » Cf. l’interview du Pape François dans La Republica, 1 oct. 2013.[↩]
- Il a de fait essayé, bien que la Fraternité ait toujours considéré ces excommunications comme invalides.[↩]
- Remarquez que même pendant et après les Consécrations, Mgr Lefebvre et la FSSPX ont continué de tenir ce principe, et de rejeter le sédévacantisme sous toutes ses formes ; mais ils tiennent avec St Thomas que l’on peut reconnaître la possession de l’autorité et en même temps résister à un abus de cette autorité : en effet St Thomas enseigne que c’est la même vertu d’obéissance qui évite et le défaut de la désobéissance (ne pas exécuter les ordres légitimes) et l’excès de la servilité (exécuter les ordres illégitimes) (voir Ia IIae q.64 a.1, IIa IIae q.104 a.5). A ceux qui pensaient : « attendons que Mgr Lefebvre meure, et la FSSPX mourra avec lui », il n’a pas voulu laisser la FSSPX et la Tradition mourir ; il a pourvu à sa transmission fidèle.[↩]
- Aussi, le fait même de diminuer les exigences – par exemple dans le cas des nouvelles canonisations, où l’exigence de miracles a été diminuée, parfois même dispensée – manifeste l’absence d’intention de prononcer une sentence suprême (ce qui est diminué, abaissé, n’est plus suprême), qui lierait toute l’Eglise jusqu’à la fin des temps : le jugement est un acte de la vertu de prudence ; on ne peut pas avoir des exigences diminuées pour un jugement suprême.[↩]
- St. Vincent de Lérins, Commonitorium, 2, 6.[↩]
- Voir St Augustin, de peccatorum meritis et remissione, III 6, 12.[↩]
- Concile de Trente, DB 799.[↩]